00:00On peut aussi avec vous se pencher sur ce qui se fait aux Etats-Unis en matière de contribution des citoyens à l'effort de défense, citons-le ainsi.
00:09Quelle est-elle concrètement justement cette contribution de votre côté de l'Atlantique ?
00:16Alors elle est très concrète justement cette contribution citoyenne à l'effort de défense et surtout je dirais à l'esprit de défense qui anime les citoyens ici aux Etats-Unis.
00:26Mais je dirais que le modèle américain est assez unique dans les grandes démocraties et la structure même de l'organisation militaire américaine est directement connectée à l'histoire évidemment et à l'esprit de la constitution des Etats-Unis.
00:39D'abord pour comprendre cette organisation il faut comprendre le deuxième amendement de la constitution américaine.
00:45Quand on ne maîtrise que superficiellement l'esprit de la constitution américaine, on pense que ce deuxième amendement n'est qu'un anachronisme qui autorise les citoyens à posséder des armes.
00:57En fait, pas seulement, j'ai même envie de dire pas du tout, en tout cas pas seulement.
01:03Le deuxième amendement c'est l'expression d'une certitude selon laquelle le peuple américain doit absolument demeurer le souverain.
01:11Il doit être capable collectivement de se défendre seul contre toutes les formes d'oppression, y compris si un jour l'oppression venait de l'Etat lui-même.
01:24Il demeure dans les consciences des citoyens américains une forme de méfiance latente, il faut le dire, à l'égard des organisations politiques et je dirais encore plus à l'égard de l'Etat fédéral.
01:33Il n'est donc absolument pas question que les armes et la force ne soient détenues que par l'Etat.
01:40Le peuple doit être en mesure de reconquérir sa liberté par la force, c'est de ça qu'il s'agit, si cela devenait nécessaire.
01:47Et croyez-moi, dans le débat politique américain ces dernières années, cette perspective a été largement réveillée.
01:53Et donc cela a comme effet de considérablement normaliser la relation du citoyen américain à sa propre défense par les armes.
02:01Mais également la défense des Etats qui composent les Etats-Unis face à un pouvoir central, fédéral à Washington.
02:09C'est comme cela que les milices coloniales d'autrefois, celles qui ont libéré l'Amérique de l'oppression britannique,
02:16ces milices coloniales sont devenues les gardes nationales des Etats.
02:20Chacun des 50 Etats américains possède sa petite armée qui obéit directement au gouverneur de l'Etat.
02:26Ces unités sont composées de volontaires, c'est en cela que ça rejoint le projet d'Emmanuel Macron,
02:31qui, sur leur temps libre ou sur un temps aménagé par les employeurs,
02:36s'entraînent ou réalisent des missions de sécurité ponctuelles.
02:40C'est exactement ce qu'on observe en ce moment dans quelques grandes agglomérations américaines,
02:44à commencer par Washington, avec le déploiement de gardes nationaux pour renforcer les forces de police.
02:49Vous le savez, les Etats-Unis possèdent la plus puissante armée du monde
02:54et consacrent un budget de défense équivalent à la somme des 10 nations qui suivent l'Amérique dans le classement des grandes armées.
03:02Mais aujourd'hui, avec un total d'hommes disponibles avoisinant les 2 millions d'hommes,
03:06750 000 sont des gardes nationaux, donc des volontaires ou des réservistes.
03:12Dans son histoire, à quelques très rares occasions,
03:15l'Etat fédéral a pu faire appel à une forme de conscription,
03:18mais jamais une mobilisation générale.
03:21On a vu cela au Vietnam notamment,
03:24mais pour les conflits les plus récents comme l'Afghanistan et l'Irak,
03:28selon les années, la contribution de ces soldats non professionnels,
03:31c'est-à-dire gardes nationaux ou réservistes,
03:33a atteint entre 30 et 50% de l'effectif total déployé quand même.
03:38Ce qui signifie qu'un étudiant, par exemple,
03:40qui s'était engagé durant son cursus à suivre un parcours de réserviste,
03:44ne serait-ce que pour financer ses études,
03:46pouvait être envoyé en Irak ou en Afghanistan dans une unité de combat pendant un an.
03:51Le cimetière d'Arlington, tout près de l'endroit où je me trouve,
03:54est d'ailleurs plein de ces garçons et filles qui ont perdu la vie en opération.
03:58des garçons et des filles qui avaient globalement votre âge aujourd'hui.
04:02Et puis, il y a à côté de l'armée professionnelle,
04:05des gardes nationaux et des réservistes,
04:06une quatrième grande unité en quelque sorte formée par les vétérans.
04:11Ici, les vétérans bénéficient d'un statut tout à fait à part.
04:15Collectivement, ils détiennent une part de la conscience citoyenne en quelque sorte,
04:20citoyenne et de défense du pays.
04:23Leur nombre avoisine quand même les 20 millions,
04:25cela veut dire qu'ils pèsent politiquement et n'hésitent d'ailleurs absolument pas,
04:29via leurs organisations, à exercer ce qui est devenu une sorte de prérogative morale
04:34sur les choix stratégiques et budgétaires imposés par l'État fédéral
04:38en matière de défense et de sécurité.
04:40Sur ce rapport de la population aux armes, on l'a bien compris en vous entendant,
04:44rien à voir entre les États-Unis et la France,
04:47peut-on néanmoins établir quelques parallèles entre les deux pays ?
04:50Alors, oui et non, évidemment.
04:54Oui, parce que la France et les États-Unis ont en commun un patrimoine historique
04:58qui découle directement de la Révolution américaine.
05:00Cette tradition de soldats citoyens que vous évoquiez, elle est très ancrée ici.
05:05Elle domine encore aux États-Unis et est héritée de la vieille Europe en quelque sorte,
05:09l'époque où Lafayette venait sauver l'Amérique.
05:12La génération de vos parents s'en souvient et plus encore la génération de vos grands-parents
05:17et arrière-grands-parents.
05:18Mais je dirais que la différence majeure qui oppose nos deux pays, c'est encore l'histoire.
05:23Si on exclut la guerre civile américaine, les habitants de ce pays n'ont jamais eu à se battre
05:28sur leur propre sol contre un adversaire extérieur, en tout cas,
05:32alors que la France a forgé, on le sait, sa conscience à travers les conflits de 1870,
05:38la guerre de 1914, évidemment, la période de l'occupation et la résistance.
05:42Pour un citoyen français, même si cela s'est un peu usé, forcément, avec les toutes dernières générations,
05:49la guerre a une dimension beaucoup moins romantique qu'ici.
05:53En France, le souvenir de la guerre, c'est l'enfer de Verdun et la Somme,
05:57ce sont ces villes françaises rasées pendant l'occupation,
06:00la captivité, la déportation et tout ce que vous connaissez.
06:03Collectivement, ce souvenir ancré dans les consciences citoyennes françaises
06:08donne aux Français une forme d'approche plus rationnelle de ce que signifie l'engagement armé.
06:14Maintenant, attention, si en France, l'esprit de défense est sans doute palpable,
06:19la capacité de la nation française à se mobiliser pour faire face à une menace existentielle
06:24est sans doute absolument intacte.
06:26Et quoi qu'en dise le narratif américain bien souvent construit à Hollywood,
06:31le soldat français qui sommeille en chaque citoyen a prouvé au cours des siècles,
06:36et même récemment, qu'il était probablement le plus redoutable.
06:39En clair, cette restauration partielle du service national sur la base du volontariat en France
06:44est sans doute dans l'esprit du président de la République une sorte de vaccin
06:48qui vise à stimuler le système immunitaire de défense français.
06:52C'est un système immunitaire en parfait état de marche,
06:55mais qu'il est bon de réveiller quand la menace se fait un peu plus précise.
07:00Une petite piqûre de rappel qui nous dit que la liberté a un prix, en quelque sorte.
07:04Gauthier, je vous voyais réagir.
07:05Il y a un mot important dans l'intervention de Mathieu, c'est la conscience citoyenne.
07:09Oui, la conscience citoyenne et dans quel sens elle va.
07:14C'est peut-être là que j'aurais, une fois n'est pas coutume, un petit désaccord avec Mathieu.
07:18Parce qu'il y a des situations, et Mathieu faisait allusion à la première guerre mondiale,
07:23où effectivement il y a un grand mouvement pacifiste,
07:28et qui, à l'instar de Jean Jaurès, le leader à la fois concret et spirituel d'une certaine gauche,
07:36au dernier moment se rallie, au fond, à l'idée qu'il faut aller faire la guerre.
07:40Et la guerre, on l'a fait d'autant plus, de manière d'autant plus absurde,
07:46c'est qu'il y a, entre le ressenti des soldats et la réalité des motifs de cette guerre,
07:52quelque chose qui sépare.
07:54C'est-à-dire qu'on défend évidemment la nation française,
07:57là où cette guerre, au fond, a été déclenchée par des, j'allais dire,
08:01des tractations d'arrière-plan, des envies, des désirs de pouvoir,
08:06qui, au fond, n'ont pas grand-chose à voir avec la réalité.
08:08Mais là, dans ce que nous vivons aujourd'hui,
08:11dans ce qu'ont vécu nos aïeux dans la Seconde Guerre mondiale,
08:15il y a une composante qui est très forte,
08:18qui est la composante idéologique, civilisationnelle, culturelle,
08:21appelez-la comme vous voulez, qui caractérise aussi les Russes.
08:25Je ne dis pas tous les soldats russes, d'ailleurs,
08:27parce que la plupart, des fois, on l'a bien vu dans ce conflit,
08:30ne savent pas où ils vont et pourquoi ils vont là.
08:33On leur a dit, il y a des nazis à Kiev,
08:35certains appellent leur mère en disant, je ne vois pas de nazis, maman.
08:37Bon, donc là, il y a quelque chose qui est différent
08:40et qui me semble différent aussi,
08:42parce que l'engagement politique d'une certaine jeunesse française
08:46considère, entre autres opinions,
08:51que cette guerre éventuelle qui permettrait
08:54ou qui aurait pour but de défendre l'Ukraine
08:56n'est pas une guerre nécessaire,
08:58qu'elle ne nous regarde pas,
08:59et même pire qu'au fond, le système Poutine
09:01et ce qu'il implique en termes idéologiques
09:03n'est pas si détestable que ça.
09:05Et c'est là que j'ai une seule interrogation.
09:09Je serais ravi que ce que dit Mathieu
09:12soit confirmé par la réalité.
09:14Je ne suis pas certain qu'au moment où il faudrait agir
09:18et au moment où il faudrait être présent,
09:20cette jeunesse française soit unanime.
09:22Elle est malheureusement le reflet aussi
09:24d'une fracture profonde de la société française.
09:27Mathieu, est-ce que vous voulez répondre ?
09:28Une dernière question pour Gauthier.
09:33En fait, dans le fond, je pense que Gauthier et moi,
09:35on est d'accord.
09:37Si j'avais une toute petite critique à émettre
09:39à l'égard de ce que notre profession a produit
09:42ces derniers jours en répondant à cette actualité
09:46sur le service national volontaire en France,
09:49c'est qu'on a peut-être un peu tendance
09:50à aller dans les universités parisiennes
09:52pour prendre le pouls de cette jeunesse française.
09:56Moi, je pense que l'équipe de foot de Serran-Foultourte
09:59ou de Mériadec dans le Morbihan
10:00ira comme un seul homme faire son service national
10:03si on lui demande.
10:04Alors, évidemment, pas totalement.
10:05Il y aura toujours des réfractaires.
10:07Mais je suis beaucoup plus optimiste, en réalité,
10:11sur la conscience des jeunes Français
10:13qui seront capables de déterminer
10:15si le conflit dans lequel, hypothétiquement,
10:17il pourrait être engagé est une guerre juste
10:20ou pas une guerre juste.
10:22Rappelez-vous de la génération
10:23à qui on a demandé d'aller faire la guerre en Algérie.
10:25Les associations d'anciens combattants
10:27qui se sont constitués après le conflit
10:29étaient majoritairement des associations
10:31qui contestaient le conflit
10:34dans lequel ils avaient été engagés.
10:36Donc, tout ça est très vivace en France.
10:38Et puisque je vous parle de Washington,
10:40je suis obligé de conclure,
10:42encore une fois,
10:43en faisant une comparaison avec l'Amérique.
10:45Moi, j'ai la sensation absolument profonde
10:47que la jeunesse française
10:49est une jeunesse beaucoup plus consciente
10:51du sens de l'engagement
10:52dans lequel ils seront envoyés.
10:53Je pense que le président de la République française
10:56ne serait pas parvenu à faire une levée en masse
10:58pour envoyer des soldats français
11:00conscrits en Irak, par exemple, en 2003.
11:05Gauthier, un dernier mot ?
11:06Dernier mot.
11:06Oui, j'aimerais que Mathieu ait pleinement raison.
11:12Je crois simplement qu'il y a aussi parfois
11:14dans, j'allais dire, le caractère lyrico-militaire
11:19ou militaro-lyrique,
11:20une forme d'abnégation
11:21qui demande aux soldats
11:24d'oublier finalement ce pour quoi ils sont engagés.
11:27Et que l'héroïsme, parfois,
11:29est décrit comme très magnifique
11:32à partir du moment où il est inutile
11:33ou surtout à partir du moment
11:34où on se dit qu'il serait là de toute manière
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