- il y a 2 jours
À l’heure où les réseaux sociaux permettent à certains artistes d’entretenir une relation directe avec les collectionneurs, Comment les galeries promeuvent-elles la carrières des artistes qu’elles soutiennent ? C’est l’objet de l’étude menée par Nathalie Moureau, professeure en sciences économiques à l’université Paul-Valéry Montpellier 3. Si les frais peuvent sembler élevés pour les artistes, le galeriste accompagne l’artiste sur le temps long en favorisant sa reconnaissance par des institutions, en organisant des expositions et en produisant des catalogues qui contribuent à inscrire son œuvre dans l’histoire de l’art.
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00:00A l'heure où les réseaux sociaux prennent de plus en plus de place dans la promotion des
00:08oeuvres d'art et que certains artistes peuvent avoir des relations directes avec leurs collectionneurs,
00:12comment les galeries promeuvent-elles la carrière des artistes qu'elles soutiennent ? C'est le titre
00:18de l'étude de Nathalie Moreau que je suis ravie d'accueillir dans Art et Marché. Merci beaucoup
00:22d'être avec nous. Bonjour, merci. Nathalie, vous êtes l'auteur de cette étude, professeure en sciences
00:27économiques à l'université Paul-Valéry Montpellier III. Ce qui est intéressant dans cette étude,
00:33que j'ai trouvé assez intéressant, c'est que vous étudiez les galeries qui sont membres du CPGA,
00:40donc le comité professionnel des galeries d'art, syndicat principal des galeries en France, mais
00:47aussi bien sûr des galeries en région, d'autres moins représentées qu'on voit dans d'autres rapports.
00:51Quelle a été la première différence que vous avez vue entre ces deux galeries ? Ou au contraire,
00:59est-ce que vous avez été surprise de voir que finalement il n'y avait pas tant de différences que ça ?
01:03Si, il y a énormément de différences. Alors j'ai conduit cette étude, comme vous le disiez, sur les
01:08relations que les galeries entretiennent avec leurs artistes, et c'était vraiment le focus de cette étude qui m'intéressait,
01:14parce que les études qui existaient jusqu'à présent, c'était plus économique, le profil socio-économique des galeries. Et là, je voulais vraiment me centrer sur ce point-là.
01:25Et la première chose que j'ai constatée, c'était quand même une différence économique en termes de chiffre d'affaires. Il y a des différences énormes entre les galeries qui sont sur Paris et les galeries qui sont en région.
01:36Alors le CPGA a quelques galeries de région, mais il y a 80% des galeries du CPGA qui sont des galeries parisiennes. Donc ça recoupe aussi les différences de chiffre d'affaires.
01:47En termes de création, d'artistes représentés, quelles seraient les différences ?
01:53Alors après, la première différence, c'est une différence en termes de chiffre d'affaires. Et de là va découler toute une flopée de différences sur la façon d'accompagner les artistes.
02:05Car bien évidemment, si vous avez un chiffre d'affaires d'un million deux, qui est la moyenne pour les galeries CPGA, d'un million deux, un million trois, en moyenne,
02:12contre 300 000 euros pour une galerie en région, évidemment, vous ne pouvez pas développer les mêmes choses pour accompagner les artistes.
02:19Et tout ce qui est d'accompagnement à la production, de publications d'ouvrages, enfin de nombre de publications d'ouvrages, etc.,
02:26de liens avec les institutions même, de présence dans des foires prestigieuses,
02:31on va le retrouver plus chez les galeries CPGA que chez les autres galeries.
02:36Alors, c'est conditionné bien évidemment par le chiffre d'affaires, on peut dire que c'est un peu le serpent qui se mord la queue.
02:41Est-ce que c'est parce qu'elles ont plus de succès dans la façon dont elles accompagnent les artistes,
02:46qu'elles ont un chiffre d'affaires plus élevé, ou est-ce que c'est le contraire ?
02:49Il est clair de toute façon qu'en France, le marché est extrêmement centralisé par rapport à d'autres pays comme l'Allemagne,
02:54où il est un peu moins centralisé, et de toute façon, c'est un ensemble de facteurs
03:01qui font que les galeries sur Paris réussissent à avoir des chiffres d'affaires plus élevés
03:06et accompagnent différemment les artistes que les galeries qui sont en région.
03:09Parce qu'elles ont tout sous la main à Paris aussi, c'est une grande difficulté de la centralisation française.
03:14Bien sûr, et puis à l'heure actuelle, il existe tellement d'événements autour du marché de l'art,
03:20autour de l'art contemporain, que déjà, ne serait-ce qu'à Paris, réussir à attirer la presse
03:25pour montrer l'intérêt d'une expo, les collectionneurs aussi, et autres,
03:30c'est bien plus difficile de le faire en région.
03:34Même si c'est un engagement égal, on va dire.
03:37C'est des engagements différents, effectivement.
03:38Les galeries de région, aussi, accompagnent nos artistes, sont très proches d'eux, de la même façon,
03:46et sont très investis.
03:48Mais ce qu'il y a de curieux, et ce qui est souvent considéré comme négatif,
03:54c'est que parfois, les galeries demandent aux artistes certains financements,
03:58et on dit, usuellement, oui, c'est des galeries qu'on ne doit rien demander à l'artiste.
04:03Mais les galeries qui sont en région, qui ont un chiffre d'affaires de 300 000 euros,
04:06elles vont payer le transport, elles vont payer plein de choses,
04:10et passer un certain seuil, elles disent, l'artiste, je le reçois,
04:13je lui paye peut-être une nuit d'hôtel, mais je ne peux pas lui en payer deux,
04:16et ce sera à lui de le payer.
04:17Et on ne peut pas forcément leur en vouloir, non plus.
04:22Enfin, il n'y a pas de raison de leur en vouloir, de toute façon.
04:25Mais ça ne veut pas dire qu'elles sont moins engagées, en tout cas.
04:28Oui, c'est ça.
04:28Donc là, vous avez déjà cité pas mal d'éléments.
04:31Qu'est-ce qui est le noyau central de l'accompagnement d'une galerie envers un artiste ?
04:38Peut-être qu'on ne retrouverait pas sur un artiste qui se fait un profil réseau social.
04:45Justement, il y a une très forte mauconnaissance du rôle des galeries,
04:49et cette idée que l'artiste, via les réseaux sociaux, peut toucher un public, etc.
04:55Bien sûr qu'il peut arriver à toucher un public, éventuellement, il peut arriver à toucher des collectionneurs,
05:01mais c'est très court-termiste.
05:03C'est-à-dire que le rôle de la galerie, c'est de construire la carrière de l'artiste.
05:08Et pour construire la carrière de l'artiste, il faut travailler aussi auprès des institutions,
05:12obtenir des expositions, faire ce que j'appelle des tout petits événements historiques
05:16qui, peu à peu, font rentrer le nom de l'artiste dans l'histoire de l'art.
05:20Et l'artiste n'est pas capable de faire ça via les réseaux sociaux.
05:22Il arrivera peut-être à toucher, dans le meilleur des cas, un collectionneur, mais c'est tout.
05:27Et ce sera un artiste qu'on appelle purement commercial à ce moment-là.
05:31C'est-à-dire que, certes, il peut avoir un succès, certes, il peut avoir un certain chiffre d'affaires,
05:36mais il sera nécessaire, dans un second temps, alors est-ce que ce sera dans 10 ans, dans 20 ans ou jamais,
05:43que des historiens de l'art retrouvent ses œuvres auprès de collectionneurs,
05:48écrivent une histoire, fassent rentrer des œuvres dans les musées, etc.
05:50Et c'est à ce moment-là qu'il aura vraiment une réputation, une légitimité.
05:55Sinon, il sera juste auprès, chez des particuliers,
06:00ce sera un artiste, entre guillemets, commercial.
06:03Ça réduit une transaction, en fait.
06:05Exactement.
06:06Et le rôle de la galerie, c'est d'avoir quelque chose un peu plus,
06:10je ne sais pas si c'est le terme, d'éditorial,
06:12mais d'accompagner sa carrière auprès des institutions,
06:15de faire des écrits, des publications, qui travaillent à cette reconnaissance-là.
06:21Et très souvent, on omet de voir ce rôle du galeriste,
06:25qui est pourtant un rôle qui est central.
06:27Est-ce que c'est un rôle qui a évolué au fur et à mesure des années ?
06:31Justement, le réseau social, on en parle beaucoup.
06:33Est-ce qu'il y a des nouvelles casquettes, des nouveaux axes ?
06:36Alors, bien évidemment, dès le début du métier du galeriste,
06:41il y avait des choses qui existaient et qui existent toujours,
06:43comme justement faire des publications.
06:46Évidemment, avec les nouveaux modes de communication et l'Internet,
06:50il y a de nouvelles choses qui apparaissent.
06:52C'est-à-dire faire ce qui se faisait uniquement avec des publications écrites.
06:56On fait aujourd'hui des vidéos,
06:57où on interroge des commissaires d'exposition
06:59qui commandent le travail de l'artiste.
07:01Ça, c'est quelque chose qui est nouveau.
07:03Ce qui est aussi nouveau, qui se faisait beaucoup moins avant,
07:08c'est de faire appel à des commissaires d'exposition indépendants
07:11pour « curater », c'est le terme utilisé,
07:16des expositions en galerie.
07:17Alors qu'avant, la plupart des expositions...
07:19Pour donner un axe, un angle.
07:21Oui, pour donner un angle.
07:23Alors qu'auparavant, la majeure partie des expositions
07:26étaient faites par les galeristes eux-mêmes.
07:27C'est toujours le cas de beaucoup de galeries.
07:30Mais il n'est pas rare qu'elles fassent appel
07:32à des commissaires d'exposition
07:33pour avoir un regard particulier sur cette exposition.
07:37Et puis ça donne aussi plus de poids
07:40puisqu'il y a la légitimation du commissaire d'exposition,
07:43qui en général, celui qui est choisi, n'est pas un inconnu,
07:45qui vient rejaillir sur cette exposition-là.
07:48Donc ça, c'est quelque chose d'un peu nouveau
07:50qu'on voit dans le travail des galeries.
07:52Et les liens aussi avec les institutions...
07:55Alors c'est aussi lié au fait que les institutions
07:57ont de moins en moins de fonds pour financer des expositions.
08:01Et donc du coup, elles peuvent faire appel à des...
08:05Enfin, plus appel à des galeries,
08:07bien évidemment qui ne vont pas financer une exposition.
08:09Mais si elles peuvent financer une production,
08:11si elles peuvent financer un transport, etc.,
08:13ça va un peu alléger le coût de l'exposition pour le musée.
08:18Et ces relations-là se sont développées,
08:20ce qui peut poser des questions aussi.
08:21Parce qu'il peut y avoir aussi une tendance,
08:24mais ça, ce n'est pas quelque chose que j'explore dans ce rapport,
08:27mais il peut y avoir une tendance des institutions
08:29à se tourner vers de plus grosses galeries
08:31pour faire des expositions,
08:33parce qu'elles ont plus de moyens.
08:34Donc ça pose la question d'une zone un peu trouble
08:37entre le marché et l'institution.
08:40Et vous analysez aussi des aspects assez concrets,
08:43comme le contrat qui lie la galerie et l'artiste,
08:47contrat qui ne sont pas forcément tout le temps présents.
08:51C'est ça ?
08:51Oui.
08:52C'est étonné de voir ça.
08:53Oui, alors ça, c'est une tradition très, très ancienne,
08:56selon laquelle il n'y a pas de contrat écrit
08:59entre les galeries et les artistes.
09:02Ce sont des contrats oraux.
09:03Et ici, on voit une différence assez importante
09:06entre les galeries en région,
09:07les galeries CPGA ou les galeries parisiennes.
09:10C'est-à-dire qu'il y a une proportion
09:12beaucoup plus élevée de galeries qui sont en région
09:14qui ont établi des contrats écrits avec leurs artistes
09:17que de galeries CPGA qui sont plus sur des contrats oraux.
09:20Et c'est un peu paradoxal parce que les galeries CPGA,
09:24il y a quelques années, ont établi justement au sein du CPGA
09:28un contrat type à proposer à leurs artistes.
09:32Après, je ne suis pas sûre que concrètement,
09:34ça change les choses.
09:36Non, non, non.
09:36Ce n'est pas franchement de conséquences.
09:37Non. Alors, d'ailleurs, ce qui est assez amusant,
09:42c'est que les galeries en région, à la fois,
09:44contractualisent plus, mais en même temps,
09:48elles demandent moins d'engagement de la part de leurs artistes
09:51et elles leur donnent moins en retour que ne le font les galeries CPGA.
09:53C'est-à-dire que les galeries CPGA,
09:55il y a moins de contractualisation écrite,
09:57mais elles demandent plus d'exclusivité de la part de leurs artistes
10:00que ne le font les autres.
10:01Et elles leur donnent aussi plus en retour.
10:03Donc, je ne suis pas sûre que le contrat change beaucoup de choses.
10:06D'accord. Parce que qui dit contrat tacite ou écrit,
10:10en tout cas, il y a un engagement attendu de la part de l'artiste.
10:13Ah, bien sûr. Bien sûr.
10:14De toute façon, là, justement, vous parliez des réseaux sociaux.
10:18Un artiste est censé ne jamais passer par sa galerie
10:21pour vendre des œuvres.
10:22C'est-à-dire que dès lors qu'un artiste est représenté par la galerie,
10:25alors le terme de représenter,
10:26ce n'est pas être juste vendu.
10:27Une galerie qui représente un artiste,
10:29elle l'accompagne sur le long terme.
10:31Et donc, il y a un engagement à le suivre,
10:33à développer sa carrière.
10:34Et un artiste qui est représenté par une galerie
10:36s'engage à ne pas vendre directement en atelier,
10:39à renvoyer les collectionneurs vers la galerie
10:42ou, en tous les cas, à prévenir la galerie.
10:46Il ne va jamais passer directement par les réseaux sociaux, etc.
10:48Non, non.
10:49Sinon, il prend le risque,
10:51si la galerie se rend compte de tout ça,
10:53que la relation soit rompue.
10:56Et à moyen terme,
10:57c'est un risque d'être très préjudiciable pour lui.
10:59Et en termes de frais de galerie,
11:00ça, c'est quelque chose d'uniforme
11:02et qu'on voit peu évoluer.
11:04Sur le partage entre galeries et artistes ?
11:06Alors, oui, ça, c'est 50-50.
11:0850 pour l'artiste, 50 pour la galerie.
11:10La seule différence,
11:12c'est le cas un peu particulier des galeries associatives
11:15qu'on rencontre essentiellement en région.
11:18C'est les galeries qui représentent l'art contemporain.
11:19Il y a une forte proportion de galeries associatives
11:21qui, elles,
11:22de part leur statut associatif,
11:24prennent 20 à 30 %
11:25pour assurer leurs frais de...
11:28C'est des moyennes.
11:29C'est beaucoup plus...
11:30Autant pour les galeries
11:32usuelles,
11:34c'est 50 %
11:34dans les trois quarts des cas,
11:37même plus.
11:38Mais pour les galeries associatives,
11:39il y a une palette
11:40qui est un peu variée
11:41entre 30, 20, etc.
11:43Est-ce que vous savez,
11:44il ne nous reste que quelques secondes,
11:45s'il y a de plus en plus d'artistes
11:47qui sont sans galeries ?
11:49Il y a une forte proportion d'artistes
11:50qui sont sans galeries.
11:52De fait,
11:53si on regarde la proportion...
11:54qui délibérément
11:56veulent rester sans galeries.
11:58C'est toujours très difficile
11:59parce qu'un artiste va affirmer
12:01qu'il préfère être sans galeries
12:03quand il n'a pas.
12:04C'est toujours difficile
12:05de savoir si c'est vrai ou pas.
12:07D'accord.
12:07Oui, je comprends.
12:08Merci beaucoup Nathalie Moreau.
12:09Je rappelle que vous êtes l'auteur
12:10de cette étude
12:11« Comment les galeries promeuvent-elles
12:12la carrière des artistes
12:14qu'elles soutiennent ? »
12:15Et vous êtes professeure
12:15en sciences économiques
12:16à l'université Paul-Valéry,
12:18Montpellier 3.
12:19Merci beaucoup
12:19de nous avoir détaillé votre étude
12:21et merci à vous toutes et tous
12:22de nous avoir suivis.
12:22C'était Arrêt Marché.
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