L'archive de Maxime Lledo : Jean-Pierre Bacri dans 'Cuisine et Dépendances'

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Transcript

00:00Il est 7h23, c'est l'heure de l'Archive.

00:03Et l'Archive est un peu comme moi ce matin, ronchonne.

00:05Il fait froid, le temps est gris, nous sommes fatigués.

00:08Et l'actualité, c'est se montrer déprimante.

00:10Nous, nous sentons souvent agacés, nous avons envie de bougonner,

00:13de s'énerver, de se mettre en colère.

00:15Et personnellement, j'ai toujours estimé qu'il existait de bonnes colères.

00:18Les fameuses colères saines, et je ne parle pas ici de Ségolène Royal, bien sûr.

00:22Celles-ci sont souvent statutaires, salutaires,

00:24et ce serait mentir que de dire que je n'ai pas un faible pour elles.

00:27Et attention, j'ai bien dit les colères, pas les colériques.

00:30Même si c'est un sentiment qui me traverse rarement,

00:31il y a toujours quelque chose d'appréciable dans les colères utiles.

00:35Il n'est évidemment pas question de saluer les humeurs permanentes et ridicules,

00:39les manières humiliantes, les sombres caractères qui ternissent une pièce,

00:42simplement de rendre hommage à ce sentiment qui, parfois,

00:45permet de se sentir un peu plus léger.

00:47Vous savez, cette colère parfois saine qui vous fait dire les cas de vérité à un ami

00:51lors d'un dîner de retrouvailles, celle qui remet une équipe sur le droit chemin,

00:54ou mieux encore, la colère froide, glaciale, qui calme instantanément les esprits échauffés

00:59et remet l'église au milieu du village de certaines émotions.

01:02Au cinéma, en matière de colère, nous avons été toujours servis.

01:04Gabin, Depardieu, Ventura, Serrault et l'acteur à la réputation bougonne par excellence.

01:09Nous sommes en 1993, et sur scène comme en salle, triomphe un couple dont le surnom entrera dans l'histoire du cinéma.

01:23Pakri Jaoui, cuisine et dépendance, Jacques et Martine, couple de bourgeois ordinaires,

01:28invitent à dîner deux amis perdus de vue depuis dix ans.

01:30L'un est écrivain, journaliste à succès, et sa femme, Charlotte, entièrement dévouée à sa carrière.

01:35Pierre s'ajoute autour de cette table le copain qu'on héberge et Fred, le frère de l'autre.

01:40Invoquant ainsi un embouteillage, figurez-vous que l'invité et sa femme arrivent avec 1h15 de retard.

01:45Et finalement, on ne verra jamais le dîner dans ce film, c'est pour ça qu'il est astichieux.

01:48Ce sont les à-côtés, la cuisine, les confidences, les critiques, les frustrations, les rancœurs,

01:53et en réalité les coulisses de nos hypocrisies.

01:55Une scène touche mon petit cœur de pierre.

01:57C'est Sam Carman et Jean-Pierre Daroussin qui reprochent à Jean-Pierre Bacri d'être un oiseau de mauvais augure.

02:01Toujours rabat-joie, toujours sévère, toujours ronchon, jamais content, jamais heureux, jamais dans le moment présent.

02:07Et sur ce constat, et après quelques taquineries, Bacri se lance dans un bref monologue,

02:11remettant en cause plus d'une idée reçue sur terre.

02:13Comme toujours c'est lui, c'est tendre, un peu de mauvaise soie bien sûr, mais d'une intelligence formidable.

02:18Jean-Pierre Bacri, Cuisine et Dépendance, 1993.

02:22Tu n'es pas gay toi.

02:23Tu le connais Georges, c'est le contraire d'un gay.

02:26Oui, bien sûr, mais enfin dis donc ce soir je le trouve carrément éteint si tu veux.

02:29Et qu'est-ce que tu veux que je fasse ?

02:31Un numéro de claquette ? C'est quand même pas obligatoire.

02:37Vous êtes gay, vous, vous êtes content.

02:38Bon ben c'est très bien, vous faites ce que vous voulez, mais laissez-moi tranquille.

02:42Je n'ai pas gagné au loto, je n'ai rien à vendre à personne.

02:45Bon, je n'ai aucune raison d'être particulièrement gay.

02:48Je suis un être humain, je ne suis pas un animateur.

02:51Il n'y a qu'à la télévision qu'on voit des gens éclatés de rire à longueur de temps, comme des crétins.

02:54Mais est-ce que quelqu'un te demande d'éclater de rire comme un crétin ?

02:58On te demande simplement de ne pas glacer l'atmosphère.

03:01C'est quand même moins contraignant.

03:04C'est vrai que tu as jeté un gros froid pendant le repas.

03:07Je n'ai pas réussi à comprendre pourquoi d'ailleurs.

03:10Et j'ai le regret de te dire que j'ai trouvé sa réaction impériale.

03:13Ah oui ?

03:14Oui, oui, beaucoup de sang-froid, beaucoup d'humour.

03:16C'est vrai, il connaissait bien le sujet, il aurait largement pu l'enfoncer.

03:19Bien sûr, bien sûr.

03:21Et il ne l'a pas fait ?

03:22Ah oui.

03:23Ah mais lui c'est particulier, tu comprends ?

03:24Non, lui, il observe de vieilles coutumes ringardes qui consistent à ne pas foutre la merde dans une soirée.

03:30Il aurait pu t'enfoncer.

03:32En plus, 75% des gens sont d'accord avec lui.

03:35Et alors, quel rapport ?

03:36C'est la majorité.

03:37Non, c'est la majorité, mon vieux, c'est tout.

03:39Et puis voilà, c'est la majorité.

03:40Voilà.

03:41Laquelle d'abord ?

03:44Laquelle ?

03:44Celle qui pensait que la terre était plate ?

03:46Celle qui veut rétablir la peine de mort ?

03:49Celle qui se fout une plume dans le cul parce que c'est la mode ?

03:52Laquelle exactement ?

03:54Ah oui, laquelle exactement ?

03:57Il nous manque Jean-Pierre Bacry sur Sud Radio, il est 7h27.

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