Passer au playerPasser au contenu principal
  • il y a 15 heures
Julien Gosselin est metteur en scène et directeur du théâtre national de l’Odéon. Son spectacle “Musée Duras” y est joué jusqu’au 30 novembre. Portrait d'un jeune metteur en scène, qui a pris la tête de l'Odéon en 2024 et compte bien secouer l'institution avec un spectacle avec et pour des jeunes.
Retrouvez « Le Grand portrait par Sonia Devillers » avec Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:01Imaginez le plus beau et le plus grand théâtre de France après la comédie française.
00:07Il est à Paris, sur la rive gauche de la Seine, on l'appelle le théâtre de l'Odéon.
00:12Imaginez les noms célèbres qui l'ont dirigé, comme Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud,
00:16nommés par Malraux et le Général de Gaulle en personne.
00:19Imaginez le dernier directeur, en date, qui claque la porte pour dénoncer la baisse des subventions du théâtre public.
00:26Imaginez un jeune metteur en scène de même pas 40 ans qui n'a jamais dirigé le théâtre, mais qui part à l'assaut de l'Odéon.
00:32Le voici qui secoue l'institution avec un culot et une énergie sans précédent.
00:37Ça commence par un spectacle de 10 heures sur Marguerite Duras.
00:40Tiens, tiens, le public entre, sort, voit des petits bouts, entend des textes très connus, d'autres pas du tout.
00:47C'est joyeux, c'est transgressif, c'est hyper accessible.
00:50Le type qui ose tout, il est là, il est face à moi. Il s'appelle Julien Gosselin, portrait numéro 45.
00:56Bonjour Julien Gosselin.
01:00Bonjour.
01:01Alors c'est très important pour comprendre que ce spectacle de 10 heures, il a été fait pour des jeunes et avec des jeunes, des élèves du Conservatoire de Paris.
01:08C'est leur spectacle de fin d'année et je me dis qu'ils s'en souviendront toute leur vie.
01:12Ah ben j'espère.
01:13Ouais, j'espère.
01:14C'est ça.
01:15Et que d'un seul coup, vous qui avez toujours été présenté comme le jeune de service, le précoce, le nouveau venu qui bouscule tout, qui arrive, qui s'impose, d'un seul coup vous êtes le vieux.
01:27Vous êtes les darons.
01:28Oui alors, la bonne nouvelle c'est que je me suis toujours senti super vieux.
01:31Ah bon ?
01:32Oui, même quand j'avais 16 ans, j'avais l'impression d'être super vieux.
01:35Quand j'avais 26 ans et que j'étais le jeune metteur en scène, j'avais l'impression que j'étais très très vieux.
01:39Là, je me sens à peu près à mon âge, vous voyez.
01:41C'est ça, c'est bien.
01:42Voilà.
01:43Alors moi je suis à égalité ce matin avec nos auditeurs parce que c'est impossible pour moi en ce moment de voir un spectacle de 10 heures.
01:48Donc c'est Alexandra Brouillet et Périne Malinge qui s'y sont rendues.
01:51Elles ont toutes les deux passé un moment mais vraiment totalement incroyable et surtout elles sont sorties en disant la même chose.
01:58C'est-à-dire que ça n'est pas du tout 10 heures de représentation réservées à un petit club d'amoureux de Marguerite Duras.
02:04C'est pour tout le monde et on va en reparler.
02:06Mais je voudrais que vous entendiez ce qui s'est passé à ce micro là où vous êtes assis, Julien Gosselin, hier et puis il y a un mois, j'avais deux actrices françaises.
02:15Toutes les deux, tout au long de leur carrière, elles ont alterné entre le théâtre et le cinéma.
02:21Vous allez les entendre, c'est Valérie Lemercier et Isabelle Carré.
02:24Dans un théâtre, on se sent chez soi, on se sent comme dans un ventre.
02:28D'abord, c'est souvent rouge, on est protégé, il ne peut rien vous arriver.
02:33Moi, quelque part, c'est là que je suis bien, je n'irai pas jusqu'à y dormir.
02:38Le cinéma, c'est comme notre père, ça fait rêver et le théâtre, c'est comme notre mère, on y revient toujours.
02:43Le film se termine comment sur ce rouge de l'appartement et se termine sur le rouge du théâtre, c'est revenir chez moi en fait.
02:49Et c'est d'autant plus troublant que l'une et l'autre, qui reviennent dans le ventre de leur mère ou dans l'appartement qui les a vu naître et qui les a vu grandir,
02:57elles ont eu des mères très dépressives, pas très protectrices.
03:03Le théâtre, pour vous, c'est un lieu in utero ?
03:06Je ne sais pas, mais vous savez, le théâtre où je suis allé quand j'étais adolescent, qui était à Calais, c'était des anciens abattoirs.
03:13Donc, ce n'était pas le rideau rouge, ce n'était pas cette ambiance-là.
03:17Enfin, c'était rouge quand même. C'est le sang, c'est la viande.
03:21Mais cela dit, c'est vrai que quand je suis rentré dans ce théâtre pour la première fois, je me suis senti d'une certaine manière protégé.
03:29Dans le théâtre de l'Odéon ?
03:31Dans le théâtre de l'Odéon, non.
03:32Dans le théâtre de l'Odéon, non.
03:33Non, parce que moi, je suis du Nord, je ne suis pas parisien, je ne suis pas habitué à, disons, ce qui sont les ors soit de l'art, soit de la République.
03:43À quoi il ressemble ce théâtre de l'Odéon ?
03:45C'est un endroit, disons, magnifique, qui est dans le sixième arrondissement, qui est sur une place ronde, très belle.
03:52C'est un théâtre avec des colonnes, des dorures, du rouge.
03:56C'est ce qu'on appelle une salle à l'italienne.
03:58C'est une salle à l'italienne, exactement.
04:00Dedans, il y a un peu plus de 700 places.
04:03Et c'est un lieu qui est tout à fait intéressant, parce qu'il est, disons, centenaire, pluricentenaire.
04:09Et en même temps, c'est le lieu le plus fort quand on y invite des artistes qui se battent contre lui.
04:17Qui se battent contre le théâtre ?
04:19Pourquoi ?
04:20Si vous voulez, le théâtre, en tout cas pour moi, le théâtre d'aujourd'hui, le théâtre contemporain,
04:25il est toujours le lieu, comme ça, un tout petit peu, du combat contre, disons, le répertoire, ou l'institution, ou le patrimoine.
04:32Et alors moi, ce que je trouve vachement intéressant dans ce théâtre, c'est de se dire que c'est le lieu du patrimoine par excellence,
04:37et qu'à l'intérieur, on invite des performeuses qui cassent tout.
04:40Écoutez, écoutez Jean-Louis Barrault, écoutez Jean-Louis Barrault qui a dirigé, donc il était nommé par André Malraux,
04:47et puis à sa première, je pense que ça devait être un Claudel, il y avait le général de Gaulle au premier rang.
04:51Voilà, il a été obligé de quitter le théâtre de l'Odéon après 68, tellement ça a secoué à l'Odéon en 68.
04:58Écoutez-le parler de ce théâtre incroyable.
05:00Lorsqu'on regarde l'histoire même de l'Odéon avec une certaine profondeur et une certaine conscience, on s'aperçoit que l'Odéon a une destinée.
05:09A une destinée qui est justement une destinée de jeunesse, de combat, de risque.
05:14Que ce soit des gens comme Lireux, qui a été un metteur en scène extraordinaire et très audacieux,
05:20qui a inventé le procénium, qui a supprimé le rideau, les dispositifs fixes, et nous étions en 1840, n'est-ce pas ?
05:26Tous ces grands animateurs ont fait de l'Odéon, dans le fond, un théâtre courageux.
05:31Et la preuve que c'est un des théâtres les plus courageux qui puisse exister dans Paris,
05:35c'est que c'est un théâtre qui compte le plus de faillages.
05:38C'est un théâtre ! Voilà, Gosselin, il jette le gant.
05:43Il a raison. Il y a un truc super injuste que j'ai découvert en arrivant à la direction de l'Odéon sur Jean-Louis Barreau,
05:48c'est qu'après 68, il s'est fait sortir, et même Godard a écrit des lettres super incendiaires qui sont très drôles par ailleurs.
05:55Contre lui, alors qu'en fait, ce n'était pas du tout un metteur en scène de l'immobilisme ou du patrimoine.
06:02C'était un mec, quand même, avec Madeleine Renaud, super courageux.
06:05Ils ont ouvert une salle, par exemple, que je vais réouvrir, qui s'appelle Le Petit Odéon,
06:08où ils ont fait venir tous les auteurs et les autrices contemporains et contemporaines de l'époque,
06:12ce qui ne se faisait pas du tout à l'époque.
06:13Moi, je vais y faire de la performance assez hardcore.
06:17Mais c'est la même chose, c'est la même chose.
06:19Ce qu'il dit sur les faillites, c'est marrant aussi.
06:23C'est marrant aussi, parce que vous, vous prenez la suite d'un grand directeur de théâtre
06:27qui avait une soixantaine d'années, qui dit « je ne continue pas parce que l'Etat se désengage,
06:31parce qu'il y a un million et demi d'euros de déficit à l'Odéon,
06:35et parce que si les pouvoirs publics nous lâchent, le théâtre public va mourir, et vous, vous y allez ».
06:39Oui, mais d'abord, il a raison.
06:42Et deuxième chose, ce n'est pas seulement la situation de l'Odéon.
06:45Je dois dire que c'est la situation de tout le milieu.
06:47Et moi, ce qui est important pour moi, parce que je viens d'une compagnie indépendante,
06:50vous l'avez dit, je ne viens pas de l'institution,
06:52c'est de dire que c'est toute la chaîne, si vous voulez.
06:54Et l'Odéon, il présente des jeunes metteurs en scène,
06:56des jeunes metteuses en scène français et françaises,
06:58qui sont indépendants ou indépendantes,
07:00et qui aujourd'hui, avec la baisse des subventions,
07:02sont de plus en plus en difficulté pour faire leur création.
07:04Donc c'est tout le système théâtral, si vous voulez, dans son ensemble,
07:07qui est lié et qu'il faut préserver et protéger.
07:10Et vous, vous vous êtes senti d'attaque pour diriger une institution
07:16aussi écrasante, aussi impressionnante,
07:19qui a été dirigée par Jean-Louis Baron, on l'a dit,
07:21mais aussi par Georges Lavaudan, par Olivier Pie, par Giorgio Streller.
07:24Parce que vous vous êtes proposé.
07:27Vous vous êtes proposé.
07:29Comment on se sent légitime dans la vie, quand on vient du Pas-de-Calais,
07:33pour dire « mais ça pourrait être moi ».
07:35Comment j'aimerais bien ? J'aurais jamais osé.
07:38Ben moi non plus, j'aurais jamais osé.
07:40Bon, il y a un moment, j'ai osé.
07:41Ben si vous avez osé.
07:43Ecoutez, il y a une chose…
07:45Si, je peux vous dire ce qui m'a fait y aller vraiment.
07:48Quand j'avais 25 ans, je suis allé au Festival de l'Avignon,
07:52et j'ai été un peu soutenu par la direction de l'époque.
07:55C'était Vincent Baudrier et Hortense Archambault
07:57qui ont été des directeurs et directrices révolutionnaires à Avignon.
08:00et qui ont proposé des formes qu'on n'avait jamais vues avant.
08:03Quand j'y étais, moi j'avais l'impression d'être un jeune metteur en scène courageux,
08:06et ils m'ont dit « regarde autour de toi ».
08:08Ils m'ont montré Angelica Lidl, Christophe Marteller, Castellucci,
08:11qui sont des grands noms de la mise en scène contemporaine,
08:13et qui ont vraiment changé le regard.
08:15Et quand j'ai vu ça, je me suis rendu compte que j'étais vraiment pas courageux,
08:17et qu'il allait falloir beaucoup plus de courage et beaucoup plus d'essais.
08:21Moi, quand à un moment je me suis dit que maintenant en vieillissant,
08:26je pourrais pour des jeunes gens aujourd'hui,
08:28leur proposer ça et leur dire « regardez, il faut être encore plus courageux »,
08:31alors j'y suis allé.
08:32Vous allez écouter Patrice Chérault, très grand metteur en scène,
08:35très grand directeur de théâtre.
08:37Je n'ai jamais eu envie d'être acteur,
08:39ça ne m'a jamais plu autant que de mettre en scène.
08:42À la seconde où j'ai compris que derrière tout ça,
08:44il y avait quelqu'un qui organisait le tout,
08:46je me suis dit que je serais cette personne-là.
08:48Construire un décor à l'époque, faire une scénographie,
08:50surtout regrouper tout le monde dans le même projet.
08:53Tout le monde va dans tous les sens.
08:55Par exemple, il y a toujours un problème
08:57qui est de mettre tout le monde sur la même longueur d'onde,
09:00qui est de mettre tous les acteurs ou tous les chanteurs
09:03d'arriver à travailler ensemble.
09:05Or, comme dans la vie, il y a des gens rapides et des gens lents.
09:08Il ne faut pas admirer les rapides, il ne faut pas mépriser les lents,
09:11il faut les forcer à s'écouter, ce qui n'est pas simple en général.
09:15C'était Patrice Chérault.
09:17Oui, c'est évidemment un immense, immense, immense metteur en scène.
09:24Mais comment on sait qu'on va être metteur en scène ?
09:26Ben, je ne sais pas.
09:28D'une certaine manière, je pourrais dire que je l'ai toujours su,
09:31même si j'ai retardé le fait de le faire.
09:33Vraiment, j'ai fait une école d'acteurs, j'étais un acteur assez médiocre.
09:36Mais enfin, ce n'est pas pour ça que j'ai fait de la mise en scène,
09:38ce n'est pas par revanche.
09:39Mais au fond, je crois que je savais que j'allais l'être.
09:42C'est drôle parce que j'ai une nièce qui a 4-5 ans et je la vois jouer.
09:47Et elle fait ce que je faisais quand j'étais petit.
09:49C'est-à-dire qu'elle prépare les jeux, elle explique les règles à tout le monde
09:52et puis elle ne joue pas à la fin.
09:54Elle ne joue pas mais elle commande, elle dirige.
09:56Elle dirige ? Vous aimez commander ? Vous aimez diriger ?
10:00Disons que j'adore le foot, moi.
10:04Ah oui, vous étiez quoi au foot ?
10:06J'étais mauvais donc j'étais derrière.
10:08Vous savez, dans les catégories jeunes, quand on est mauvais, on est…
10:10Les défenseurs ne sont pas toujours des mauvais footballeurs.
10:12Non, à la fin non.
10:13Ça va faire hurler dans les chaumiers.
10:14Bon, ok.
10:15J'étais latéral droit remplaçant.
10:17D'accord.
10:18Mais non, par exemple, il y a un mec comme Jurgen Klopp
10:21qui dirigeait le club de Liverpool, qui est un entraîneur extraordinaire.
10:24C'était un joueur moyen, vous voyez, il jouait à Mayence en Allemagne, qui est un club de bas de tableau.
10:28Et au fond, il savait qu'il allait devenir entraîneur et qu'il était fait pour ça.
10:32Moi, je crois que c'était un peu la même chose.
10:34Très jeune, vous montez une compagnie, elle porte un nom stupéfiant.
10:37Je donne le nom de la compagnie.
10:39Si vous pouviez lécher mon cœur.
10:42Moi, j'ai trouvé deux occurrences à cette phrase.
10:45Et j'ai trouvé que ces deux occurrences étaient encore plus stupéfiantes que le nom de la compagnie.
10:49Dites-moi d'où elle vient cette phrase.
10:51Elle vient du fait que dans le film Shoah, il y a...
10:55De Claude Lanzmann.
10:56De Claude Lanzmann.
10:57Donc, il y a un film comme ça, monstre, qui raconte l'après Holocauste, l'après les camps.
11:05Une personne qui a été impliquée raconte, dit à Claude Lanzmann,
11:11« Monsieur, si vous pouviez lécher mon cœur, vous m'auriez empoisonné. »
11:14Et il se trouve que cette phrase était une phrase que le directeur de l'école que j'ai faite en tant qu'acteur,
11:19avec toute ma bande, nous répétait sans arrêt en nous disant que ça pourrait être une phrase de Shakespeare.
11:23Donc, on s'est dit, tiens, ça pourrait être à la fois un hommage à lui de choisir ça comme titre.
11:27Et puis aussi, je sentais déjà, même en étant un très jeune homme, je sentais que cette dimension-là,
11:34soit du rapport à l'histoire, soit du rapport aux documents,
11:37mais même peut-être davantage du rapport, ce qui est magnifique d'un choix profond,
11:41c'est que ce sont des paysages vides qui sont filmés pour décrire l'absence humaine.
11:45Et ça, je sentais que c'était quelque chose qui allait être mon travail.
11:49L'absence humaine ou la plongée au cœur des ténèbres.
11:53Oui, oui, mais tout à fait.
11:56Les deux, mon capitaine.
11:58Les deux, mon capitaine.
12:00Je vous fais écouter la voix de Duras.
12:02Moi, j'ai trouvé, si vous pouviez lécher mon cœur chez Duras, il serait couvert de sang.
12:06C'est une phrase d'Hiroshima, mon amour.
12:08La voix de Duras, c'est pas facile de trouver, comment dire,
12:12une archive de Duras qui soit agréable à écouter à la radio.
12:15J'ai découvert que les interviews de Duras, elles sont pleines de blancs, pleines de monosyllabes.
12:22Je me dis, moi, intervieweuse, je serais morte en face de Duras.
12:26Les gens qui attendent de l'aide pour écrire, vous savez,
12:29qui attendent d'avoir du temps, qui attendent d'avoir du calme, d'une maison, du calme.
12:35C'est pas vrai.
12:37C'est des prétextes.
12:39Ils n'ont qu'à écrire partout.
12:41On écrit partout.
12:43C'est pas des écrits, hein, je veux dire, c'est ça.
12:47Si je me dis, oh, je serais plutôt à la campagne pour écrire l'amant à la mère et tout ça,
12:52j'avais pas de lieu pour écrire.
12:54Je transportais mon manuscrit de lieu en lieu.
12:57On ne me la faisait pas, cette histoire-là, voyez-vous.
13:00Vous savez que Maria Pasquet, qui réalise, elle a dû couper beaucoup de blancs.
13:06Sinon, c'était difficile à écouter ce matin.
13:09On n'est pas mort de trouille de s'attaquer à Marguerite Duras.
13:13Et je vous pose une question beaucoup plus large, en réalité.
13:16Si on veut être metteur en scène, c'est que dans la vie, on n'est jamais mort de trouille devant un géant de la littérature.
13:22Moi, je le vis comme une sorte de...
13:24Si on peut être mort de trouille, bien sûr.
13:26Moi, je le vis comme une sorte de combat et non pas de compagnonnage, si vous voulez.
13:30Quand on choisit...
13:31Vous vous attaquez à Duras.
13:32Oui.
13:33C'est comme un sparring partner, vous voyez.
13:36D'abord, on sait qu'on va passer deux ans avec une personne.
13:38C'est énorme.
13:39Moi, j'ai passé deux ans avec Roberto Bolaño.
13:41J'ai même passé deux ans avec Michel Houellebecq, imaginez.
13:44C'est ça, le temps.
13:46De gestation, d'écriture, de répétition.
13:48Tout ça.
13:49Et puis, les interviews, les livres, les textes, les mots.
13:52À un moment, vous comprenez les personnes qui écrivent de manière ultra profonde.
13:57Donc, on n'a pas peur.
14:00Disons que je ne fais pas partie...
14:02Vous savez, je suis la génération juste après Duras, entre guillemets.
14:05Donc, je ne fais pas partie de la génération qui y voit...
14:08Complètement castré.
14:09Oui, d'une certaine manière.
14:10Voilà.
14:11Et alors, vous avez décidé d'intituler ce spectacle complètement dingue qui dure dix heures
14:15avec les élèves du Conservatoire, Musée Duras.
14:18Un musée, c'est vivant.
14:20Pour moi, muséifier quelque chose.
14:22C'est précisément le couler dans le formol.
14:24Il ne se passera plus jamais rien.
14:26Le musée, c'est le lieu des artistes morts ?
14:29Mais le théâtre, c'est pareil.
14:30C'est tout à fait intéressant.
14:33Je veux dire, c'est une mise en tension, une contradiction, le théâtre.
14:37Mais comme le musée, d'une certaine manière, et même encore plus, entre la puissance de la vie,
14:42de l'immédiat, du moment qui est donné maintenant, et la réapparition des fantômes.
14:47Quand on utilise des vieux textes au théâtre, on ne le fait pas pour montrer que les vieux textes sont encore présents, qu'ils nous parlent.
14:53Oui, ça, c'est un mensonge.
14:54On le fait parce qu'on a envie d'entendre les morts.
14:56On le fait parce qu'on va dans les cimetières.
14:58On le fait parce qu'on veut être connecté à quelque chose qui n'existe plus.
15:00Ça baise un mort ? Je vous dis ça parce que vraiment, les filles de l'équipe qui sont allées voir le musée Duras, elles se disent
15:10c'est fou ce qu'il y a d'érotisme, de sexualité, de désir.
15:14Elle parle que de ça ?
15:15En fait, d'ailleurs, elle parle que de ça et de mort.
15:18Et d'ailleurs même, ce qui est d'ailleurs surprenant à entendre aujourd'hui, c'est qu'elle dit que c'est à peu près la même chose.
15:23Comme Freud.
15:25Quand elle parle de sexe, elle parle de mort.
15:27Et quand elle parle de mort, elle parle de sexe.
15:29Elle ne délie pas la question de la violence, la question de la brutalité, de la question de la sexualité.
15:35Alors parfois, c'est saisissant, c'est problématique.
15:37Et en même temps, c'est passionnant à écouter.
15:40Comment on fait pour rendre le théâtre, comment dire, aussi populaire, aussi puissant, aussi festif que le football ?
15:50Bon.
15:52Bon.
15:53Là n'est pas la question.
15:54À cette question-là, je vous répondrai une chose.
15:57Je trouve que nous, les artistes de théâtre, on a toujours tendance à s'excuser.
16:01Vous voyez ?
16:02Quand vous recevez ici des artistes, je ne sais pas, dans les nouvelles têtes par exemple, des artistes qui font de la musique électronique, qui font du rap hyper chelou.
16:11Vous voyez, vous ne leur demandez pas, est-ce que vous êtes sûr que tout le monde va vous comprendre ?
16:15Non.
16:16Non, parce qu'ils cherchent la marge, ils cherchent le geste, ils cherchent la radicalité.
16:19Vous voyez ce que je veux dire ?
16:20Pourquoi, moi, on me demande d'être compris par tout le monde ?
16:22Parce que vous êtes directeur de théâtre, vous n'êtes pas seulement metteur en scène.
16:25Vous êtes directeur de théâtre.
16:26Si je suis en tant que directeur de théâtre...
16:27Et vous dirigez le deuxième théâtre de France, et c'est un théâtre public.
16:30Oui.
16:31Et bien, en tant que directeur de théâtre, ça c'est ma mission.
16:33Vous voyez ? Et ça, elle est hyper puissante pour moi.
16:36Que le théâtre que je dirige puisse être ouvert à toutes et à tous.
16:39Qui puisse s'ouvrir à des nouveaux publics.
16:40Que des jeunes, et c'est le cas en ce moment, puissent venir en masse à l'Odéon.
16:44Ça, c'est fondamental pour moi.
16:46Mais, qu'on me demande en tant qu'artiste.
16:48Non.
16:49C'est pas exactement la même chose.
16:50Alors là, je vous rejoins intégralement.
16:51Intégralement ?
16:55Vous voyez une représentation d'un orchestre philharmonique, interrompu en plein milieu.
17:00Parce que le chef est israélien.
17:02Vous réagissez comment ?
17:04C'est une question hyper, hyper délicate.
17:07J'ai essayé de lire beaucoup de choses là-dessus.
17:10De ce que je comprends, c'est qu'il ne s'agit pas seulement d'un chef israélien,
17:13mais aussi de quelqu'un qui cautionne la politique de l'Etat d'Israël en ce moment.
17:17De ce que j'ai lu.
17:18Donc, je n'ai pas très envie de m'exprimer de manière très nette là-dessus.
17:22Ce que je veux juste dire quand même, c'est que, évidemment, tout acte violent à l'intérieur d'une salle de théâtre est terrible.
17:29Et dans le même temps, il y a une sorte de mythologie un peu curieuse qui voudrait que les théâtres soient, ou les salles de représentation,
17:37des lieux clos qui ne soient pas à l'intérieur de la société.
17:40Donc, vous voyez, je n'ai pas d'avis définitif là-dessus.
17:44Je suis un peu partagé sur la question.
17:46Julien Gosselin, latéral droit, directeur du théâtre de Lothéon et metteur en scène du musée Duras,
17:57avec ses élèves qui sont absolument incroyables, les élèves du conservatoire.
18:01Ça dure dix heures, on rentre, on sort.
18:03Parfois, on peut aller voir seulement vingt minutes, seulement dix minutes.
18:07Et puis après, on revient et puis on n'est même pas obligé de voir les dix heures en entier.
18:11Vous retournerez à Avignon ?
18:13J'aimerais bien.
18:14J'aimerais bien.
18:15On se quitte là-dessus.
18:17Allez, le musée Duras, c'est jusqu'au 30 novembre.
18:20Merci Julien Gosselin.
Écris le tout premier commentaire
Ajoute ton commentaire

Recommandations