00:00On passe à la culture dans ce JTA de ce vendredi avec un récit fort, sensible et politique.
00:08Chose qui arrive et nouveau.
00:11Le nouveau livre de l'autrice comorienne Toufate Moutare, elle y raconte la traversée de la clandestinité
00:16après la perte de son statut d'étudiante en France, la peur de l'effacement mais aussi la force de l'écriture.
00:22Un récit de femme, d'exil, de résistance dans une langue fine, poétique, parfois drôle.
00:29Toufate Moutare, merci d'être avec nous et bienvenue dans votre JTA sur France 24.
00:34Merci à vous de m'accueillir, Fatima.
00:36Alors vous êtes née comorienne, vous avez grandi entre les Comores et plusieurs pays d'Afrique subsaharienne
00:42avant de poursuivre vos études en France, dans cette trajectoire d'ailleurs que se noue votre récit, chose qui arrive.
00:49J'aimerais, une chose n'est pas coutume, démarrer cet entretien par vous demander si vous voulez bien nous lire
00:55vraiment le début de ce livre afin que les spectateurs aient un peu votre langue qui est absolument merveilleuse dans les oreilles.
01:04La joie, il ne faut pas se réjouir trop et trop longtemps.
01:10Cela te rend aussi perméable qu'un bout de pain plongé dans du thé.
01:14Tu gonfles, tu gonfles et tu finis par exploser.
01:17Nous rions, ma meilleure amie et moi, de cette théorie qui nous vient de sa mère.
01:21Pourtant, je me surprends moi-même à écourter mes joies.
01:24Écourter les joies, il ne faut pas se réjouir trop et trop longtemps.
01:31Cela sonne comme quelque chose d'assez défaitiste dans les livres.
01:35J'invite d'ailleurs les spectateurs évidemment à l'acheter et à le découvrir vous-même.
01:40Pourquoi avez-vous décidé de commencer comme cela ce livre, ce récit ?
01:44Parce que je pense que lorsqu'on vient d'espaces, je dis espaces au pluriel, qui sont en désavantage sur l'échiquier économique ou géopolitique, très souvent,
01:54le territoire auquel on a le moins accès, c'est l'intimité, c'est la légèreté, c'est la joie.
02:00Et en fait, cette injonction-là que l'on a entendue, mon ami et moi, ce n'est même pas une injonction, c'est une forme de mise en garde.
02:07« Attention, parce que si tu es beaucoup trop joyeuse, étant donné les circonstances actuelles, ça va être très difficile pour toi, la chute sera très très dure. »
02:16Donc pour te préserver de cette chute-là, je préfère que tu te préserves de la joie même.
02:21Donc je voulais vraiment explorer ce besoin-là d'écourter sa joie à tout prix.
02:27Dans ce livre, des choses qui arrivent, vous racontez cette bascule dans la clandestinité parce que vous étiez étudiante ici à Paris.
02:37Et quelque chose à laquelle finalement vous n'étiez pas préparée, vous venez d'une famille, d'une classe plutôt supérieure aux Comores.
02:45Vous parlez d'ailleurs dans le livre de ce que ça représente pour les gens là-bas.
02:52Racontez-nous justement comment vous avez vécu cette période-là.
02:55Alors je l'ai vécu de façon très risible au début comme une forme de déclassement,
03:00puisque quand on vient justement d'un milieu assez avantageux,
03:03quand on arrive dans un pays, c'est un peu comme une reconversion professionnelle finalement.
03:08Sauf qu'on n'est pas prévenu.
03:09Et donc on arrive avec ce besoin de commencer à zéro.
03:13Sauf qu'on n'est pas prévenu qu'il faut recommencer à zéro.
03:16Et donc quand on se retrouve dans cette situation-là,
03:18on a l'impression d'être prise en flagrant délit d'exister.
03:22Je pense qu'on est beaucoup à avoir vécu ce sentiment-là.
03:24Mais à ne pas s'y attarder, parce que justement, il faut continuer d'avancer en permanence.
03:29Et moi, j'ai tout simplement choisi de ne pas continuer à avancer,
03:33de ne pas continuer à marcher, à marche forcée,
03:35et de m'arrêter sur ce que je ressentais, de me dire, tiens, qu'est-ce que ça donne
03:39si moi je décide que la grande histoire me fait aussi ressentir des choses
03:43à l'échelle de ma petite histoire à moi.
03:46Petite histoire, alors une perspective très féminine dans votre récit.
03:50Et c'est ça qui est plutôt rare.
03:51Et vous le dites aussi, il y a beaucoup d'histoires sur les clandestins,
03:54les hommes qui bravent des conditions climatiques, géopolitiques, stratégiques, etc.
04:00Il y en a très peu sur des femmes.
04:03Votre livre en ça a quelque chose de très fort,
04:06parce qu'il mêle le récit intime, évidemment,
04:08avec cette expérience géopolitique et politique de l'immigration,
04:15qui est quand même assez forte.
04:16Est-ce que c'est quelque chose qui était important pour vous
04:20de raconter cette perspective féminine de l'immigration ?
04:23Oui, parce qu'en plus, ce n'était pas la première fois
04:25que je mettais en place tous ces mécanismes de défense,
04:28d'autopréservation, de détermination à la joie.
04:31Je l'avais vécu bien avant.
04:32C'est pour ça que j'ai aussi voulu plonger là-dedans.
04:34Mais je pense que oui, la figure masculine est très soit adulée, soit accusée.
04:40C'est l'un ou l'autre.
04:41Et les figures féminines qui le vivent,
04:44elles sont accusées quand même, elles subissent le même traitement,
04:47mais il faut aussi les fragiliser.
04:48Il y a un côté un peu vulnérable, un peu fragile, un peu plaintif aussi.
04:54On s'attend à ce qu'elle soit en train de se tortiller.
04:56Il y a toujours un côté très difficile.
04:58Et moi, j'ai voulu m'approprier ce sac de courage en bandoulière.
05:02Absolument.
05:03Et un récit résilient, in fine.
05:06Merci Toufad Moutaré d'être venu ici dans le JTA.
05:11Chose qui arrive, publiez chez Bayard.
05:15Restez avec nous, car l'actualité continue sur France 24.
05:17On vous remercie tous.
05:20Et puis, on pense aux gens de Moroni, évidemment, jusqu'à Paris,
05:25en passant par le Burundi, parce que vous avez été absolument au Burundi.
Be the first to comment