- il y a 1 heure
Imaginez que vous ayez l’occasion de rencontrer un ancien détenu et que vous puissiez lui poser toutes vos questions sans tabou ni limite.
3 inconnus sont venus échanger à l'aveugle avec Karim. Séparés par un rideau, ils s'entendent mais ne se voient pas.
Suivez O-Rigines le nouveau média qui s’intéresse à l’histoire des histoires.
Youtube : https://www.youtube.com/channel/UC33B...
Instagram : https://www.instagram.com/origines.me...
Twitter : https://twitter.com/Originesmedia
3 inconnus sont venus échanger à l'aveugle avec Karim. Séparés par un rideau, ils s'entendent mais ne se voient pas.
Suivez O-Rigines le nouveau média qui s’intéresse à l’histoire des histoires.
Youtube : https://www.youtube.com/channel/UC33B...
Instagram : https://www.instagram.com/origines.me...
Twitter : https://twitter.com/Originesmedia
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Est-ce que toi, t'as fait des choses illégales en prison ?
00:02Est-ce qu'il y a des moments où tu as pété les plombs ?
00:03Vous êtes combien par cellule ? Comment tu gagnes de l'argent en prison ?
00:06Est-ce que tu as dû changer ta personnalité pour pouvoir te protéger ou pas être une proie en prison ?
00:11Imaginez que vous ayez l'occasion de rencontrer un ancien prisonnier
00:13et que vous puissiez lui poser toutes vos questions sans tabou, sans limite.
00:17Trois inconnus sont venus échanger à l'aveugle avec notre invité,
00:20séparés par un rideau, ils s'entendent mais ne se voient pas.
00:23Bon, ma première question est plutôt simple.
00:25Pourquoi t'es allé en prison ?
00:26Un braquage qui a mal tourné, j'ai été l'instigateur d'un vol à main armée
00:29dans lequel il y a eu une mort d'homme.
00:31Je ne suis pas l'auteur de la mort de cet homme,
00:33mais je suis quand même celui qui a organisé ce braquage qui a vraiment très mal tourné.
00:37C'est quoi ta réaction quand tu fais ton braquage et que tu vois que ça se transforme en meurtre ?
00:42La première chose que je me dis, c'est qu'on a fait la plus grosse connerie de toute notre vie.
00:46C'est l'acte ultime, tu es quelqu'un.
00:48Donc d'être juste embarqué dans une histoire comme ça déjà,
00:51t'es pas tout de suite sur les conséquences de toi, qu'est-ce qui va t'arriver ?
00:55T'es encore sur l'acte, t'es encore dans le choc, t'es encore dans les images que t'as vues,
00:58t'es encore dans le sang, t'es encore dans le bruit, t'es encore dans le coup de feu,
01:01t'es encore dans la panique.
01:02Tout ça, ça dure des jours et des jours, ça dure.
01:05C'est pas juste hop, il y a un coup de feu, puis bon, tout de suite tu reprends tes esprits,
01:09puis ça se passe bien, puis après tu commences à avoir peur pour toi.
01:11Non, c'est un traumatisme tel que ça prend du temps à disparaître.
01:15Et après, c'est l'attente.
01:16L'attente, tu sais bien qu'il va se passer un truc, tu sens que ça va pas s'arrêter là.
01:20Tu sais pas ce qui va se passer, est-ce que c'est les potes du gars ou la famille du gars qui vont venir,
01:25ou si c'est la police, mais il va se passer un truc, ça peut pas s'arrêter comme ça.
01:28On est pas dans un film.
01:29Donc tu t'es fait arrêter, comment ça s'est passé jusqu'à ton entrée en prison ?
01:33Dès le lendemain matin, une vingtaine de gendarmes cagoulés, qui font éruption chez toi,
01:38qui bousculent tout le monde, les enfants, la maman, qui fouillent partout.
01:42Je me suis retrouvé attaché dans mon salon, menottes aux pieds, menottes aux mains dans le dos,
01:47avec une chaîne entre les deux, et mis en joue par deux gendarmes cagoulés.
01:52Déjà ça, c'était hyper violent, il faut quand même que je revienne dans le contexte.
01:55J'ai 18 ans à cette heure-là, avec une famille en grande difficulté,
01:58puisque mon beau-père était déjà en prison, ma mère était surendettée.
02:02Avec des enfants à bas âge, il n'y avait rien à manger, il n'y avait même pas d'électricité.
02:06Donc c'était très très compliqué, et j'étais le seul finalement qui pouvait essayer d'améliorer la situation financière de la maison.
02:11Sauf que moi à l'époque, dans ma tête, améliorer la situation financière, c'était pas aller à Pôle emploi,
02:15c'était faire ce que je savais faire le mieux, c'est-à-dire commettre des actes de délinquance.
02:19C'est comme ça que c'est venu en fait, par un besoin d'argent.
02:22C'est ça, en fait les gens s'imaginent que souvent les braquages c'est juste du grand banditisme,
02:25mais derrière ils se cachent souvent.
02:26Bien sûr, je comprends cette idée reçue de se dire que ceux qui sont ancrés dans la délinquance,
02:30ils ont fait ce choix parce qu'ils s'amusent, parce que c'est l'adrénaline, parce que c'est l'argent facile.
02:36Et pas du tout, bien souvent ça vient d'une situation critique, d'urgence.
02:39On était des pauvres, on volait pour manger, on volait pour payer nos factures,
02:43et on volait parce qu'on savait faire que ça.
02:45Donc il faut comprendre aussi une sorte de paupérisation sociale, une vraie pauvreté.
02:49Et du coup, quelles étaient les conditions d'incarcération ?
02:52Elles ont été très difficiles en fait au tout début, en tout cas, parce que je pense que personne n'est prêt à l'enfermement.
02:57Je pense que personne n'est prêt non plus à l'exclusion totale de la société.
03:02Personne n'est prêt non plus à être indigné au quotidien, à être retranché dans son droit d'humanité.
03:08Je me suis retrouvé devant des gens que je ne connais pas, j'ai donné mon nom, ils m'ont donné un numéro.
03:13Déjà ça, c'est choquant.
03:13Ensuite, j'ai dû me déshabiller devant des inconnus, à nu.
03:16Ça aussi, c'est choquant.
03:17Est-ce que ça fait partie de la peine ?
03:18Alors que je n'étais même pas encore condamné, donc présumé, innocent, mais coupable.
03:22Je ne reviens pas là-dessus parce que j'étais coupable.
03:24Mais est-ce que ça valait le fait de se mettre nu devant des inconnus,
03:27le fait de troquer son nom contre un numéro,
03:29et le fait d'évoluer dans une superstructure de béton,
03:31à un tel point que tu ne sais même plus où tu te situes ?
03:33C'est une extrême violence déjà.
03:35Tu as été perdu, tu as perdu ta liberté, tu as perdu ta dignité, tu as perdu ton humanité.
03:39Et on te déresponsabilise.
03:40Enlève tout ça à un homme et dis-moi ce qu'il reste d'humanité chez lui.
03:43Et tu es resté combien de temps en prison ?
03:45Je suis resté 78 mois.
03:47Ok.
03:47Tu veux que je t'aide pour les aider ?
03:48Oui, s'il te plaît, parce que...
03:49Tu avais 6 ans et demi.
03:50Est-ce que tu as dû changer ta personnalité ou adapter ton caractère
03:53pour pouvoir te protéger ou pas être une proie en prison ?
03:56Évidemment, la prison c'est un lieu où tu dois t'adapter en permanence.
03:59Je vais prendre une image, tu vois la savane ?
04:01Tu vois des fois il y a des lions, ils dorent.
04:03À côté de lui il y a une gazelle qui boite,
04:05parce qu'elle s'est fait croquer par un léopard.
04:06Elle a fui quand même.
04:07Même si le lion il a mangé, quand il voit la gazelle,
04:10il peut la laisser passer devant lui,
04:11mais peut-être dans 10 mètres il va lui sauter dessus, c'est obligé.
04:14C'est un peu sauvage.
04:15Donc en fait là-bas, si tu veux, c'est un peu comme la savane.
04:18C'est-à-dire qu'au début il faut sortir les griffes et les crocs,
04:20comme tu l'as dit, pour se protéger.
04:22Quand je suis arrivé, j'avais une paire d'Armax,
04:23une casquette Lacoste, j'avais un cuir.
04:25Mon co-détenu il me dit
04:26« Ouais, tout ça, ça va sauter dans la promenade, frère. »
04:28« Comment ça, ça va sauter ? »
04:29« Ben ouais les frères, ils vont te les prendre. »
04:30Je dis « Ouais, moi frère, mes baskets c'est comme un footlocker,
04:33si tu veux, il faut les acheter. »
04:34Je sors dans la promenade, il y a un mec qui vient à côté de moi,
04:36il me dit « Ouais, tu fais du combien ? »
04:37« Je dis « Ouais, je fais du 43. »
04:38« Il me dit « Ouais, ben moi aussi. »
04:40« Du coup, je vais prendre tes chaussures et mon pote va prendre ton blouson. »
04:42« J'ai dit « Ah ouais ? »
04:42« Ben moi, je vais prendre ton oesophage avec mes dents de devant. »
04:44Et là, j'ai croqué sa jugore avec mes dents.
04:46Pour que tout le monde y comprenne ici
04:47que si tu veux quelque chose, c'est possible.
04:49Moi, je ne suis pas Spider-Man.
04:50Mais on va se rouler par terre, tous les deux, on va voir des bosses.
04:52Donc si tu veux, tu fais ressortir l'animal qui a en toi,
04:54juste pour montrer que tu n'es pas une victime.
04:56Mais ça, tu vois, c'est un peu contre nature.
04:57Moi, je pensais que tout ce qui était interdit dehors,
04:59de fait, c'était interdit dedans.
05:01Mais Sarah, je t'assure, je n'ai jamais vu autant de violence
05:03au centimètre carré quelque part ailleurs qu'en prison.
05:05Comment c'est l'hygiène en prison ?
05:07Il n'y a pas d'hygiène en prison.
05:08Ça n'existe pas.
05:09Il y a des champignons, il y a de la moisissure,
05:11il y a des insectes, il y a des cafards,
05:13il y a des punaises, il y a des puces.
05:14Il y a des mecs qui développent des intolérances,
05:16des eczémas de ouf, ça crée des maladies de peau.
05:20Il y en a même qui attrapent la galle, des pneumonies.
05:22Moi, je pétais les plombs sur des gars
05:24parce que le mec, il ne se lave pas les mains,
05:25il coupe mon pain.
05:26Le mec, il dort avec ses chaussures.
05:27Le gars, il ne se lave pas les mains
05:30avant ni après d'être allé aux toilettes.
05:32Tu veux toucher des trucs à WAM, mais ce n'est pas possible.
05:34Ça pue.
05:35Il y en a même, ils fusionnent, je crois,
05:37avec leurs vêtements carrément tellement ils sont
05:38en mode pourri, tu vois.
05:41Moi, quand je rentrais dans ma cellule,
05:42je mettais deux jours, je l'ai gratté,
05:43de sorte que je puisse manger par terre,
05:45n'importe où dans la cellule.
05:46Mais il y a des mecs, ils ne veulent surtout pas
05:48se dire qu'ils sont comme chez eux.
05:50Ça veut dire que ça crache par terre,
05:51ça met les cendres des clopes par terre,
05:53ça ne nettoie rien.
05:54Et ça, tout ça accumulé avec la chaleur,
05:56avec l'humidité, avec tout ça.
05:58Au bout d'un moment, même une nouvelle prison,
06:00elle devient toute pourrie.
06:01Vous êtes combien par cellule ?
06:03Ça dépend des prisons.
06:04Il y a différentes prisons.
06:05D'abord, il y a les maisons d'arrêt.
06:06Maisons d'arrêt dans lesquelles il y a des personnes prévenues,
06:08des personnes condamnées à des courtes peines,
06:10des personnes qui sont en intente de procès
06:12pour des longues peines.
06:13Dans ces établissements-là,
06:14on peut être jusqu'à trois, voire quatre personnes
06:16dans neuf mètres carrés.
06:17Tu as quelqu'un qui dort par terre.
06:18Ensuite, tu as les centres de détention.
06:20Ces centres de détention, c'est des centres pour peines,
06:22pour des gens qui sont condamnés
06:23à des peines de moins de sept ans
06:24ou de moins de dix ans.
06:25C'est l'encellulement individuel qui prime.
06:27Ensuite, tu as les maisons centrales,
06:28là, pour les personnes qui sont incarcérées
06:30de 20 à 30 ans de prison.
06:31Là encore, c'est l'encellulement individuel qui prime.
06:33Mais par contre, Thomas,
06:34l'encellulement individuel est demandé
06:36depuis plus de 60 ans en France.
06:38C'est une loi d'être seul en cellule, normalement.
06:41Sauf que la surpopulation oblige,
06:43ça n'est pas possible.
06:43Est-ce que toi, tu as fait des choses illégales en prison ?
06:46Évidemment, évidemment.
06:48Je n'avais jamais dealé quoi que ce soit dehors.
06:49Je me suis retrouvé à dealer
06:50des traitements médicamenteux,
06:52des substituts à l'héronine
06:54donnés par l'administration pénitentiaire.
06:56Je me suis retrouvé à raqueter des gens,
06:57des chaussures, des survêtres, des blousons,
06:59des clopes, à échanger des boîtes de thon.
07:01La première année, j'ai fait que ça, quasiment.
07:02Est-ce qu'il y a des moments où tu as pété les plombs ?
07:04Bien sûr.
07:06Mais bien sûr, je crois que j'ai passé beaucoup de temps.
07:08Je crois que c'était devenu mon état normal,
07:10pétage de plomb.
07:11Et il y a différentes façons de péter les plombs.
07:12J'ai pété les plombs contre des détenus,
07:14j'ai pété les plombs contre le personnel,
07:15j'ai pété les plombs contre moi-même.
07:16Donc ça veut dire qu'il y a de l'agression,
07:18ça veut dire qu'il y a de la violence.
07:19Il y a des coups, il y a de la violence
07:20qui part avec les gens.
07:21Pour rien, tu tapes le ballon,
07:23il y a une bousculade,
07:23ça part en live, normal,
07:25avec le personnel,
07:26personnel, tu vois, la frustration,
07:27c'est quelque chose qui te fait péter les plombs.
07:29Toi, aujourd'hui, si on te dit non
07:30pour un truc que tu as envie
07:31et qu'on ne te dit pas pourquoi,
07:32on te dit non.
07:33Et la frustration, tous les jours,
07:34tous les jours, tous les jours,
07:35au bout d'un an, tu pètes les plombs.
07:36Donc oui, j'ai insulté du personnel,
07:38parfois même j'ai été violent avec le personnel,
07:41ça se traduit comme ça.
07:42Et contre moi-même, encore une fois, de la violence.
07:44Un jour, j'ai mis un tabouret sur la table,
07:46j'ai déchiré mes draps,
07:47je l'ai accroché au tuyau de chauffage en haut,
07:50et j'ai mis ma tête dedans pour en terminer.
07:52Heureusement, j'ai eu un sursaut de lucidité.
07:54Je me suis dit non, tu n'as pas le droit.
07:56Tu n'as pas le droit de faire ça.
07:57Tu dois aller au bout de ta peine.
07:58C'est dur, c'est comme ça.
07:59Mais si tu as ce sac sur ton dos,
08:01ça veut dire que tu peux le porter.
08:02Alors sois courageux.
08:03J'ai jeté le tabouret contre la porte
08:05et j'ai pleuré comme un enfant,
08:06un morve par terre.
08:07Parce qu'en fait, j'étais en dépression.
08:09Il faut le dire.
08:09Est-ce que tu as déjà fait face à une situation
08:12où tu t'es dit
08:13ouais, ok, je vais devoir tuer en prison ?
08:15Il y a des situations extrêmes en prison,
08:17bien sûr, que j'ai eu envie de tuer des gens.
08:19Parce qu'au bout d'un moment,
08:20tu vois, quand tu es dans un état psychologique
08:21où tu es en mode dépression
08:22et que ta seule réaction
08:23à tout ce qui t'arrive, c'est la violence.
08:25Je me souviens que j'ai dit à un gars
08:26qu'il m'avait bousculé dans le terrain,
08:28en terrain de foot.
08:29Ça se fait dans le match.
08:30Sauf que là, moi, je lui ai dit
08:31je vais prendre perpète pour toi.
08:32Tout est exacerbé.
08:33C'est un truc que tu ne fais pas, ça, dehors.
08:34Je me suis vu fabriquer carrément une arme
08:36dans ma cellule
08:36pour le tuer le lendemain.
08:37Heureusement, je ne suis pas allé au bout.
08:39Mais il y en a qui y vont.
08:40Est-ce que toi,
08:40tu as déjà failli mourir en prison ?
08:43Bien sûr que j'ai failli mourir en prison.
08:44J'ai failli mourir par mes propres soins,
08:46en essayant de mettre fin à ma vie.
08:47Et j'ai aussi failli mourir
08:48sous les coups des agents pénitenciers.
08:50Donc, passer à tabac dans ma cellule de mitard.
08:52Ta vie, elle ne tient pas grand-chose,
08:53en fait, quand tu es en prison.
08:54En tout cas, quand tu as mon profil.
08:56C'est-à-dire quelqu'un qui va de l'avant,
08:58quelqu'un qui ne ferme pas sa bouche,
09:00quelqu'un qui répond,
09:01ça souffle sur des braises.
09:03Déjà, bien, bien rouge.
09:04Est-ce que tu peux m'expliquer,
09:06enfin, me donner ton avis
09:07sur le système carcéral en France,
09:08qui est quand même bien différent
09:09d'autres pays, même en Europe ?
09:11Il y a beaucoup de différences.
09:12En France, si tu veux,
09:12on est sur la répression,
09:14on est sur quasiment le tout carcéral.
09:16On incarcère très, très facilement,
09:17faute d'aménagement,
09:18faute d'alternative à l'incarcération.
09:21Parce qu'on estime que la peine d'incarcération,
09:23c'est la peine ultime.
09:24C'est celle qui va bousculer l'auteur
09:26à un tel point que la victime
09:28sera contente de le voir souffrir,
09:29que la société sera rassurée
09:31de le voir enfermé,
09:32et que lui, il aura tellement souffert
09:33qu'il n'aura pas envie de recommencer.
09:34Sauf que ça, ça reste un leurre.
09:37Moi, dans mes activités,
09:38je rencontre des jeunes dans des quartiers
09:39qui pensent qu'il faut aller en prison
09:40pour devenir un homme.
09:41Donc là, déjà,
09:42on s'est bien planté
09:43sur cette philosophie de l'enfermement.
09:45Ça fait plus peur.
09:46Quand on voit aussi même
09:47le taux de récidive,
09:47qui est à 63% dans les 5 ans
09:49qui suivent la libération d'un individu,
09:51c'est bien que ça ne fonctionne pas.
09:52La différence qu'il y a,
09:53ce n'est pas surtout en Europe,
09:54c'est plutôt avec les pays du Nord,
09:56comme la Suède, la Finlande,
09:58qui, eux, sont plutôt
09:59sur des concepts de prison ouverte,
10:01sur des concepts de responsabilisation
10:03de l'individu,
10:04même durant sa peine.
10:05Et ça, ça fait la différence, d'ailleurs,
10:06puisqu'ils ferment des prisons.
10:08C'est bien qu'il y a une chute de la récidive
10:10et qu'il y a un succès de la réinsertion.
10:12Mais on ne peut pas faire du copier-coller
10:14avec des pays comme le Canada
10:15ou la Suède ou la Finlande
10:17parce que notre culture, notre histoire,
10:19notre immigration, notre politique
10:21n'est pas la même du tout qu'avec eux.
10:23Donc, du coup,
10:23il faut vraiment prendre tout ça en compte.
10:24Quelqu'un qui bénéficie
10:25d'une alternative à l'incarcération
10:27récidive trois à cinq fois moins
10:29qu'un individu qui a été incarcéré.
10:31Ça doit nous mettre la puce à l'oreille.
10:32Est-ce que c'est facile
10:33de basculer dans le fanatisme religieux en prison ?
10:36Tu vois, les gens qui se radicalisent
10:37souvent en prison,
10:38ils le font pour plusieurs raisons.
10:39La première, c'est parfois d'être protégé
10:41parce que quand tu es un peu vulnérable,
10:43la meilleure façon,
10:44c'est d'appartenir à un groupe.
10:45Ensuite, le fanatisme, vraiment,
10:47ce n'est pas en prison, en fait,
10:48que ça vient.
10:49Parce que pour se radicaliser,
10:51il faut de l'information.
10:52Tu ne te radicalises pas dans 9 mètres carrés
10:53avec les Marseillais à la télé.
10:55Il faut que tu aies de la lecture,
10:57il faut qu'il y ait des gens
10:57qui parlent avec toi.
10:58Moi, je vais prendre mon cas, par exemple.
11:00Tu vois, fais ça.
11:00Je vais te dire un truc.
11:02Moi, quand je suis arrivé,
11:03je suis tombé en 95.
11:04Et moi, je m'appelle Karim.
11:06Du coup, quand tu vois ma tête
11:08et que tu vois mon prénom et mon nom,
11:09tu te dis que je suis un musulman.
11:10Du coup, dans la prison,
11:11les gars, ils me parlent en arabe.
11:12Mais moi, je n'étais pas arabisan.
11:13Je n'avais jamais fait la prière.
11:15Je ne connaissais même pas l'islam.
11:16Je ne connaissais rien du tout.
11:17Sauf que j'arrive là-bas,
11:17on me sort des salam alikoum,
11:19on me parle en arabe.
11:20Donc, moi, j'étais en quête identitaire
11:22depuis très jeune.
11:22Je ne savais pas qui j'étais.
11:23J'ai vu ces gars qui priaient
11:24dans la promenade, comme je l'ai dit,
11:26avec un imam autoproclamé parmi eux.
11:28Du type, le gars qui vend des armes
11:29et de la cam dans le 9-3.
11:31Mais il parle arabe,
11:32il connaît le Coran
11:32et il a un peu de charisme.
11:33Du coup, il devient imam dans la prison.
11:36Et ça, c'est extrêmement dangereux.
11:38Et un jour, ce gars, il vient me voir.
11:39Et moi, c'est vrai, je l'ai regardé.
11:40Je me disais, putain,
11:41normalement, je devrais être avec eux.
11:42Je l'ai jalousé un peu en secret
11:43parce qu'eux, ils suffisaient à eux-mêmes.
11:45Il était là avec sa serviette,
11:46sa bouteille d'eau,
11:47sa perte sans patte du Habs,
11:48avec sa chemise blanche.
11:50Et ça suffisait.
11:51Et aussi, j'avais besoin d'être pardonné.
11:52J'avais besoin d'espoir.
11:53Et eux, ils étaient dans ce délire.
11:55Donc, je l'ai regardé.
11:55Et un jour, il a croisé mon regard.
11:57Il est venu vers moi.
11:58J'ai jeté ma clope comme ça.
11:59J'avais honte.
12:00Je le voyais comme je ne sais pas qui.
12:02Alors qu'en fait, voilà.
12:03Mais il est venu me voir.
12:03Il m'a dit, ouais, ça va mon frère ?
12:05Bien, t'es un musulman.
12:06Et j'ai dit, non, pas encore.
12:07Mais j'aimerais bien.
12:08Il m'a demandé de marcher
12:09avec un fraîchement converti.
12:10J'ai appris l'islam en phonétique.
12:12Et je commençais à réciter des sorates
12:14que je ne comprenais même pas en français.
12:15Je ne savais même pas ce que ça voulait dire.
12:16Mais je les connaissais par cœur.
12:17De manière à pouvoir aller prier avec eux
12:19dans la promenade.
12:20Et la prière, c'est pareil.
12:21Je la faisais avec eux.
12:21Mais je ne savais même pas
12:30hier dans la promenade.
12:30Et là, l'administration pénitentiaire,
12:32elle a dit, ouais, il y a un problème.
12:34Du coup, ils ont transféré des membres du groupe.
12:36Et l'imam autoproclamé,
12:37il est venu me voir en mode vénère.
12:39Il m'a dit, écoute, moi bien Karim,
12:40maintenant, t'es musulman.
12:41Tu sais, c'est quoi ton devoir de musulman ?
12:42Ton devoir de musulman,
12:43c'est de défendre l'islam.
12:44Et d'après lui, défendre l'islam,
12:46ça voulait dire,
12:46il fallait que j'aille tuer des mécréants
12:47là où je les trouverais.
12:48J'ai dit, excuse-moi de te déranger, mon frère,
12:50avec tout le respect que je te dois.
12:52Moi, je suis rentré dans l'islam
12:53pour arrêter de sauter
12:54sur la tête des gens à pieds joints.
12:55Et toi, tu me dis,
12:56il faut que j'aille tuer des gens.
12:56Je ne peux pas croire en une religion
12:57qui aurait besoin de moi pour la protéger.
12:59Et je ne peux pas croire en un dieu
13:00qui me demanderait d'aller tuer des gens
13:01aussi mécréants soient-ils.
13:02Vas-y, laisse-moi tranquille.
13:04Et là, je suis sorti de ce groupe.
13:05Pour te dire que finalement,
13:06la radicalisation,
13:07ça peut être un serpent de mer.
13:09Tu vois, c'est insigneux.
13:10Ça vient sur tes carences.
13:11Le gars, il a vu que
13:12je n'avais pas de référence religieuse,
13:13spirituelle ou philosophique, carrément.
13:15Quand tu es en errance culturelle
13:17et identitaire,
13:17tu es vulnérable pour des gars
13:19qui viennent s'emparer de ton cerveau.
13:21Heureusement, j'ai su dire non
13:23là où malheureusement,
13:24aujourd'hui, beaucoup ont dit oui.
13:26Et c'est pour ça que je travaille aujourd'hui
13:27en direction des détenus incarcérés
13:29pour des faits relatifs au terrorisme
13:31ou vulnérables à l'endoctriment radical et violent.
13:33Pour leur expliquer à quel point
13:34tu n'es pas obligé de dire oui.
13:36Dire oui, parfois,
13:36tu peux manger les barreaux pendant 20 ans.
13:38Est-ce qu'il est possible
13:39de créer de vrais liens en prison ?
13:40Bien sûr qu'il est possible,
13:41mais ce n'est pas facile.
13:42D'autant plus quand tu es là pour une petite peine.
13:44En fait, il faut du temps.
13:45Déjà dehors, toi-même,
13:46il te faut du temps
13:47pour créer de la confiance avec quelqu'un.
13:48Tu ne peux pas ramener quelqu'un
13:49dans ton cercle proche,
13:50comme ça, au bout de deux minutes.
13:52Imagine-toi, en plus,
13:53tu ne l'as même pas choisi, le gars.
13:54Il est là dans ta cellule,
13:55il partage son temps avec toi,
13:56tu ne connais ni d'oeuvre, ni d'attendre.
13:58Moi, pour ma part,
13:59vu que j'ai fait pas mal de temps,
14:00j'ai pu construire des relations interpersonnelles
14:03sincères et durables,
14:04positives, qui m'ont bouleversé.
14:07J'ai rencontré une personne,
14:08c'était un des plus vieux détenus de France.
14:10Il faisait 37 ans et demi,
14:11il était en prison.
14:12Il était là, lui,
14:13c'était un ancien braqueur
14:15d'une grande équipe de braqueurs,
14:17à l'ancienne de Messrine,
14:18le gang des Postiches, etc.
14:20Le gars, il avait été condamné à mort,
14:22gracié par Badin Termiterran,
14:23puis terminé sa perpétuité.
14:25Donc, 37 ans et demi,
14:26moi, j'avais 19 piges.
14:27Le gars, ça faisait deux fois ma life
14:29qu'il était au placard.
14:30Et le gars, il est venu me voir,
14:31il m'a dit,
14:31écoute Karim,
14:32tout ce qu'on a dans la vie,
14:32c'est le temps.
14:33Et c'est parce que dans le temps,
14:34on fait notre vie,
14:34dans le temps,
14:35on fait une famille,
14:35dans le temps,
14:36on fait l'amour,
14:36dans le temps,
14:37on fait des enfants,
14:38dans le temps,
14:38on fait un avenir.
14:39C'est pour ça qu'ils nous prennent notre temps
14:40quand on déconne.
14:41Parce que le temps,
14:42c'est la chose la plus précieuse
14:43pour un être humain.
14:44Il m'a dit,
14:44Karim, c'est quoi la différence
14:45entre la minute dans laquelle
14:47toi et moi, on parle
14:48et celle qui suivra ?
14:49Au début, Zahra, tu sais,
14:50je me suis dit,
14:50il est devenu ouf,
14:51le ancien.
14:52Il a mangé les barreaux,
14:53les murs,
14:53ils ont cassé la tauté.
14:54Mais au final,
14:55quand j'ai réfléchi,
14:56je me suis dit,
14:56en vérité,
14:57en une seconde,
14:57qu'est-ce que je peux faire ?
14:58En une seconde,
14:59je peux me poser une question.
15:00En trois secondes,
15:00je peux sauter par terre,
15:02faire une pompe et revenir.
15:03Et des secondes,
15:04dans ma peine,
15:04j'en avais énormément.
15:06Et je peux te dire que
15:06la vraie différence
15:07qui est entre une minute
15:08et la suivante,
15:09c'est ce que tu vas faire dedans.
15:10Avant de rencontrer ce gars,
15:11moi, j'utilisais le temps
15:12pour en vouloir au monde entier
15:14de ce qui m'arrivait.
15:15J'en voulais au système solaire
15:16et à Dieu
15:16pour ce que j'étais en train de vivre.
15:18Alors qu'en vérité,
15:19il ne tenait qu'à moi
15:19de faire de nouveaux choix
15:20et de prendre de nouvelles décisions
15:22dans le temps qui coule.
15:24Est-ce que les visites conjugales,
15:26ça existe vraiment ?
15:26Oui, les visites conjugales,
15:28ça existe.
15:28On a les parloirs,
15:30au début,
15:30on appelait ça les parloirs roses.
15:31Tu peux avoir 24 heures
15:32dans un mini appartement,
15:34on va dire,
15:34pas loin de la prison.
15:35Ta femme vient,
15:36c'est un parloir
15:36où tout le monde sait
15:38ce qui va se passer.
15:39En fait, ça,
15:39ça a été fait
15:40parce qu'il y a eu trop
15:41de parloirs sexes sauvages,
15:42j'ai envie de dire.
15:43Parce que le sexe,
15:44c'est quelque chose d'important
15:44dans la vie d'un homme
15:45et dans la vie d'une femme,
15:46dans la vie d'un couple.
15:47Et ce n'est pas évident
15:48de se retrouver à faire
15:50un acte sexuel
15:51dans une cabine
15:51avec deux fenêtres
15:52où tu sais qu'il y a
15:53un surveillant qui va passer
15:54et qui va pouvoir te voir.
15:55De l'autre côté, pareil,
15:57on pouvait être surpris
15:57à n'importe quel moment.
15:58Alors ça peut être excitant
15:59pour certains,
16:00comme dans un ascenseur
16:01ou dans un lieu public,
16:02mais c'est surtout
16:02très dégradant, en fait.
16:04Donc du coup,
16:04pour ramener de la dignité,
16:05il fallait qu'il y ait
16:06quelque chose de légal
16:08qui se passe.
16:08Donc aujourd'hui,
16:09il y a des parloirs roses,
16:10entre guillemets,
16:11où ça peut se passer
16:12dans des meilleures conditions.
16:13Vous n'êtes pas surveillés,
16:14il n'y a pas...
16:15Voilà.
16:15Est-ce que c'est vrai,
16:16cette idée reçue
16:17comme quoi il y aurait
16:17des femmes célibataires
16:18un peu désespérées
16:19qui envoient des lettres
16:20d'amour à des prisonniers ?
16:21Je vais te reprendre
16:22parce que femmes célibataires
16:24désespérées,
16:24bien sûr qu'il y a des femmes
16:25qui sont dans le fantasme
16:26du bad boy
16:27qui est en prison
16:28et du coup,
16:29effectivement,
16:29il y a eu pas mal
16:30de bouteilles à la mère jetée
16:32pour que les détenus
16:38en liberté.
16:38Il est parti manger
16:39dans un restaurant
16:40à La Rochelle
16:41et quand il est sorti
16:41du restaurant,
16:42il a fait tomber mon courrier
16:43dans le restaurant.
16:44Peu de temps après,
16:44j'ai reçu un courrier
16:45de la serveuse
16:46qui faisait le ménage
16:46aussi dans ce restaurant.
16:47Cette femme,
16:48c'est devenue mon épouse
16:49et ça fait plus de 20 ans
16:50qu'on vit ensemble
16:50avec deux enfants magnifiques.
16:52Donc, ce n'est pas une histoire
16:53de célibataire désespéré
16:54ou de fantasme du bad boy.
16:56Parfois, il y a des véritables
16:57histoires d'amour
16:58et j'en suis la preuve vivante.
16:59Derrière moi,
17:00en tout cas,
17:00il y a eu une femme.
17:01Cette femme,
17:01elle n'est pas juste derrière moi,
17:02elle est devant moi,
17:02elle est dans mon cœur,
17:03elle est dans ma tête,
17:04elle est partout autour de moi.
17:05Cette femme, si tu veux,
17:06Thomas, elle m'a sauvé la vie
17:07et elle a aussi sauvé la vie
17:09de gens qu'elle ne connaissait
17:10même pas parce que
17:10si je n'attendais pas
17:11ces courriers trois fois
17:12par semaine,
17:13il y a des trucs que j'aurais fait
17:13dans des promenades
17:14qui feront que toi et moi,
17:15aujourd'hui,
17:15on ne se parlerait pas
17:16parce que je serais mort sûrement.
17:17Donc, cette femme-là,
17:18elle a cru en moi,
17:19elle a cru en mon changement,
17:20elle m'a donné un avenir,
17:21elle m'a donné de l'amour,
17:22elle a refait de moi un homme
17:23à l'heure où j'étais un animal.
17:25Comment tu gagnes de l'argent en prison ?
17:27Il y a plusieurs façons
17:27de gagner de l'argent en prison.
17:29Tu peux te faire exploiter
17:30par l'activité économique
17:31qu'on appelle
17:31les ateliers de production
17:33qui sont des ateliers
17:34de mise sous pli,
17:35de conditionnement
17:36sur des chaînes de production.
17:38Tu peux faire des formations,
17:39tu peux réparer des télécommandes,
17:41tu peux mettre 15 boulons
17:42dans un petit sachet
17:43que tu fermes
17:43et que tu mets là.
17:44Et c'est du boulot,
17:45en fait, à la chaîne.
17:46Il faut comprendre aussi
17:47que la rémunération,
17:48on va dire, moyenne
17:49des personnes détenues en France,
17:50c'est 495 euros par mois.
17:52Ensuite, tu peux avoir,
17:54si tu as de la chance,
17:55trouver une formation
17:55qualifiante rémunérée.
17:57Donc avec le système
17:58de rémunération des formations,
17:59tu peux rencontrer à l'extérieur.
18:01Et c'est à peu près tout.
18:02Au niveau des sanctions
18:03qui sont dans la prison,
18:05quel type de sanctions
18:06est-ce qu'il existe ?
18:07Est-ce que c'est plutôt
18:08l'isolement ?
18:08Est-ce que ce sont
18:09des sanctions physiques ?
18:10Quand tu es en prison
18:11et que tu fais une bêtise,
18:12tu vas au MITAR,
18:13au quartier disciplinaire.
18:14Et donc c'est comme
18:15une garde à vue,
18:16on va dire,
18:16de force, on va dire,
18:17parce que quand même
18:17elle est renforcée,
18:20déjà tu passes en commission
18:22de discipline.
18:23Et donc là,
18:24on va rappeler les faits.
18:25Et il y a tout un barème
18:26de sanctions qui sont prévues.
18:27Parfois, c'est,
18:29tu vas à l'isolement,
18:30effectivement.
18:31Parfois, tu vas au MITAR
18:32parce que tu as eu un téléphone,
18:33parce que tu as eu
18:34problème de stupéfiants,
18:35problème d'agression,
18:36problème d'agressivité, etc.
18:38Est-ce que tu penses
18:39qu'il y a des gens
18:39qui rentrent en prison
18:41et qui ressortent,
18:41ils ont plus d'argent
18:42qu'avant de rentrer ?
18:44Ah ouais, c'est vrai.
18:45J'ai rencontré des gars
18:46qui me disent, moi,
18:46que je fais plus d'oseille
18:47en prison que quand je suis dehors.
18:49Parce qu'en prison,
18:49tous mes clients,
18:50ils sont là.
18:50Alors que dehors,
18:51je galère,
18:52en plus, j'ai de la concurrence,
18:53tout.
18:53Ça aussi, c'est un problème.
18:55Ça veut dire que le gars,
18:56il n'a peut-être pas envie
18:57de sortir, en fait.
18:58Et donc, il faut travailler
18:59là-dessus.
19:00Comment tu veux,
19:01à ce gars-là,
19:01lui faire comprendre
19:02le sens de sa paix ?
19:03Lui faire comprendre
19:04l'impact de ce qu'il a fait ?
19:05Les conséquences de l'acte
19:06qu'il a posé ?
19:07Et amorcer chez lui
19:08une envie de changement.
19:09Si le gars,
19:09il se fait plus d'oseille
19:10en prison que dehors,
19:11en termes de réinsertion,
19:12on est loin.
19:12Je voulais parler des minorités.
19:14Je pense, par exemple,
19:15aux personnes transgenres
19:16ou aux homosexuels.
19:17Comment ça se passe pour eux ?
19:18Quel est leur quotidien
19:19dans la prison ?
19:19Je crois que le plus difficile,
19:20ce n'est pas pour les personnes
19:22homosexuelles,
19:22c'est plutôt pour les transgenres.
19:24D'ailleurs, à Fleury,
19:25il y a carrément un quartier
19:26qui leur est dédié.
19:27Parce que c'est trop problématique
19:28de les laisser en détention
19:29avec tout le monde.
19:30Parce qu'il y a des dérives,
19:31parce qu'il y a du harcèlement,
19:33parce qu'il peut y avoir
19:33effectivement du vieux
19:34concernant ces personnes-là.
19:36Ensuite, pour les personnes
19:37homosexuelles,
19:38ce n'est pas marqué sur leur front,
19:39on ne le voit pas.
19:40Donc, elles s'arrangent
19:42à se mettre ensemble
19:43quand elles ont envie
19:44de se mettre ensemble.
19:45C'est vrai qu'elles sont stigmatisées
19:47pour la plupart du temps.
19:48Il peut y avoir effectivement
19:49beaucoup d'insultes.
19:51Ça peut aller jusqu'à la violence.
19:52L'acceptation des différences
19:53en prison.
19:53La prison, c'est normalement,
19:55entre guillemets,
19:55dans les idées reçues,
19:56c'est pour le mal dominant,
19:59fort, viril, etc.
20:01Donc, il n'y a pas de place
20:01pour les gens un peu plus fragiles,
20:03pour les gens différents.
20:04Il n'y a pas de place
20:05pour eux, si tu veux.
20:06Mais quand ils sont là,
20:06ils sont là.
20:07Il y a quand même
20:07une hyper-vigilance
20:08de la part de l'administration
20:10pénitentiaire
20:11quand ils voient des personnes
20:12vulnérables du fait
20:12de leurs mœurs
20:13ou de leurs différences.
20:15Ils font ce qu'il faut
20:15quand même pour les protéger.
20:17Est-ce qu'il y a une anecdote
20:18que tu ne pourras jamais oublier ?
20:20Quelque chose qui t'a
20:21vraiment marqué en prison ?
20:22La première fois
20:23qu'on a fermé une porte
20:24à plusieurs verrous derrière moi.
20:25Et bien sûr,
20:26le suicide de certains
20:27de mes collègues.
20:28C'est quelque chose
20:29que quelqu'un
20:30qui rentre vivant en prison
20:31et qui ressort mort,
20:32c'est dramatique.
20:34J'ai vu des gars
20:35qui se faisaient
20:36des scarifications,
20:37qui se couper
20:37à la lame de rasoir
20:38l'intérieur des cuisses.
20:40Parce que cette douleur-là,
20:41ils pouvaient la gérer
20:42alors que celle
20:43qu'ils avaient en eux,
20:44ils n'y arrivaient pas.
20:45Concrètement,
20:45qu'est-ce que t'as fait
20:46toi de ton temps en prison ?
20:47Est-ce que t'as fait
20:47des études ?
20:49Alors mon temps,
20:50en fait,
20:50il a été un petit peu
20:51un peu saccadé comme ça
20:53de manière différente.
20:54C'est-à-dire
20:54ça dépend du moment
20:55de ta peine.
20:56En tout cas,
20:56moi, au tout début
20:57de ma peine,
20:57tu vois,
20:57la première année,
20:58j'ai fait 145 jours de mita.
20:59Je n'étais pas en mode
21:00je reprends mes études.
21:01J'étais en mode
21:01j'essaie de comprendre
21:02ce qui m'arrive,
21:03d'accepter ce qui m'arrive
21:04et de m'adapter
21:04et d'évacuer aussi
21:05tout ce que j'avais en moi.
21:06Donc la première année,
21:08j'ai essayé de trouver mes marques
21:09mais j'étais dans
21:09un mode violence.
21:10Après,
21:10j'ai commencé à me dire
21:11que ça y est,
21:12je vais passer ici
21:12un bon moment.
21:13Sûrement une peine
21:14à deux chiffres
21:14et je ne peux pas
21:15continuer comme ça.
21:16Et puis petit à petit,
21:17au gré des rencontres
21:18et des cheminements
21:18très personnelles,
21:19intellectuelles,
21:20psychologiques,
21:21mentales,
21:21j'ai commencé à me dire
21:22bon,
21:22si je ne veux pas
21:22que ce soit un temps perdu,
21:23un temps mort,
21:24c'est à moi de l'animer,
21:25c'est à moi d'y mettre de la vie.
21:26Comment je peux y faire ?
21:27Déjà,
21:28il faut que je sorte de ma cellule,
21:29c'est sûr,
21:29il faut que je sorte de la cellule,
21:30ça c'est le premier truc à faire.
21:31Comment faire ?
21:32Pour sortir de la cellule,
21:33il faut que je fasse du sport.
21:34Des études,
21:34je suis rentré,
21:35j'avais 18 ans,
21:36comme si ça ne servait à rien
21:38de reprendre ses études
21:38à 18 ans.
21:39Il y en a,
21:40ils reprennent à 60 piges.
21:41Donc,
21:41bien sûr que j'ai commencé,
21:43j'ai repris mes études.
21:44J'ai passé ma peine,
21:44à partir du moment où j'ai compris
21:45que je pouvais le rendre utile,
21:47le temps de la peine,
21:48j'ai commencé à me dire
21:48tout ce que je n'ai pas réussi
21:49à faire dehors,
21:50je vais le faire dedans.
21:50J'ai passé 2 CAP,
21:52BEP,
21:52j'ai passé mon bac littéraire,
21:53j'ai passé mon brevet
21:54d'éducateur sportif
21:55par correspondance.
21:56Pour la formation,
21:57le matin,
21:57je partais à 8h30
21:58et je revenais à 17h.
21:59J'étais formé,
22:00j'apprenais un truc,
22:01j'allais être diplômé,
22:01et en plus j'étais payé
22:03et en plus j'allais fournir
22:04des efforts de réinsertion
22:05pour mon dossier
22:06d'aménagement de peine.
22:07J'étais gagnant
22:08sur toute la ligne carrément.
22:09Où est-ce que tu as trouvé
22:10ou comment tu as trouvé
22:11la force ou la motivation
22:12de tenir et de t'en sortir
22:13pour aller jusqu'au bout ?
22:14C'est ça,
22:15on ne s'en sort jamais seul
22:16dans la vie.
22:16Je vais te donner
22:173 exemples les plus marquants.
22:19Il y a cet ancien détenu
22:20dont j'ai parlé déjà
22:21qui lui m'a fait reprendre
22:22la maîtrise du temps.
22:23J'ai eu un aumônier,
22:24un aumônier catholique,
22:25il est venu frapper
22:25dans ma cellule.
22:26Il venait visiter
22:27un autre détenu
22:28qui n'était plus là.
22:29Il m'a dit
22:29« Excusez-moi,
22:30je me suis trompé. »
22:31Je lui ai dit
22:31« Moi aussi,
22:31je me suis trompé,
22:32je suis là quand même.
22:33Donc tu vas rester là,
22:34viens, on parle. »
22:34C'est quoi ?
22:35C'est des clubs ?
22:35Basis, deux moyens clubs.
22:36J'étais un peu en mode
22:37pas content.
22:38Et il m'a dit
22:38« Vous avez l'air
22:39de ne pas être bien, monsieur. »
22:40Je lui ai dit
22:40« Ah oui, mon père,
22:41si c'est comme ça
22:42que je dois t'appeler,
22:42bien sûr que je vais pas bien. »
22:43« Et tu sais pourquoi ? »
22:44Il m'a dit
22:45« Non, parce que je crois bien
22:46même que Dieu
22:46ne pourra pas me pardonner
22:47pour ce que j'ai fait. »
22:48Et il m'a dit une phrase
22:49qui m'a bouleversé
22:50jusqu'à maintenant.
22:51Il m'a dit
22:51« Mais monsieur,
22:51détrompez-vous
22:52parce que Dieu
22:53éprouve ceux qu'il aime.
22:54Ce qui vous a éprouvé,
22:55c'est qu'il sait
22:55que vous possédez en vous
22:56les ressources
22:57pour surmonter cette épreuve. »
22:59Je ne sais pas
22:59comment ça résonne
22:59dans ta poitrine
23:00ce que je viens de te dire
23:01mais dans la mienne
23:02à cette heure-là de ma vie,
23:03ça m'a montré
23:03que j'étais un prince
23:04habillé en mendiant
23:05depuis 20 ans
23:05parce que moi,
23:06je voulais que ma mère
23:07elle m'aime.
23:07Elle était en train
23:08de me dire
23:08qu'il existait une force
23:09quelque part
23:10qui pourrait m'aimer
23:11mieux que les hommes
23:11pourraient le faire
23:12tous réunis.
23:13Moi, je n'avais aucun patrimoine
23:14ni héritage
23:15spirituel, philosophique
23:16ou religieux.
23:17J'étais un animal
23:18dans la savane
23:18avec juste un croc.
23:21Et bien là,
23:21ça m'a fait voir
23:22le monde autrement.
23:23Ça m'a ramené
23:23une perspective.
23:24Et la dernière,
23:25pas des moindres,
23:25c'est cette femme
23:26que j'ai rencontrée
23:26par correspondance
23:27qui m'a accompagnée
23:28durant ma peine
23:29avec une relation épistolaire
23:30et avec elle,
23:31on vit des jours heureux
23:32et avec nos deux anges
23:33que je salue ici
23:34et maintenant
23:34qui ont fait de moi
23:35l'homme que je suis aujourd'hui.
23:37Comment tu as imaginé
23:37le jour de ta libération
23:38et comment ça s'est réellement passé ?
23:39Tu vois, paradoxalement,
23:40quand on est en prison,
23:42on essaie de gérer
23:43sa peur,
23:44toutes ses faiblesses,
23:44ses fragilités,
23:45tout ça,
23:46on met de côté.
23:46Et du coup,
23:47on a un seuil de tolérance
23:48très très très haut.
23:49Mais quand tu arrives
23:50vraiment près de la sortie,
23:52toutes tes peurs
23:52sont exacerbées.
23:53Tu as peur de péter un plomb
23:54à la dernière minute
23:55et du coup,
23:55de rallonger ta peine.
23:56Tu as peur
23:57de ne pas pouvoir résister
23:58à une provocation
23:59d'un détenu
23:59ou bien même
24:00d'un membre du personnel
24:01et de rallonger ta peine.
24:03Tu as peur aussi
24:03de récidiver
24:04parce que tu envoies
24:05des mecs qui partent,
24:06qui viennent en prison
24:06trois fois dans l'année.
24:07Et toi,
24:08tu n'as pas envie de revenir
24:08mais lui non plus sûrement.
24:10Mais pourtant,
24:10il est revenu.
24:11Donc ça fait peur.
24:11J'étais en centre de détention,
24:13j'avais la clé de ma cellule,
24:14j'étais ouvert
24:14et je bloquais ma porte
24:16avec un torchon
24:16pour ne pas qu'on rentre
24:17dans ma cellule,
24:18pour ne pas que je pète
24:18les plombs avec les gens.
24:19Ensuite,
24:20je suis sorti
24:20et qui est venu me chercher ?
24:21Un ancien détenu
24:22avec qui j'avais dealé
24:23dans les promenades.
24:24Il me dit,
24:24écoute Karim,
24:25sur le chemin,
24:25il me dit quoi ?
24:25Il me dit,
24:26dans dix jours,
24:26on fait un brinx.
24:27Dix minutes,
24:27cent mille euros.
24:28Un brinx,
24:28tu vois ce que c'est Thomas ?
24:29C'est un braquage,
24:30c'est ça ?
24:30C'est un braquage
24:31d'un camion
24:31qui distribue de l'argent
24:33dans les distributeurs
24:34ou qui récupère l'argent
24:35chez les commerçants.
24:36C'est des camions blindés.
24:37Mais moi,
24:38j'avais fait des promesses
24:39à la mère du gars
24:40qu'on avait tué ce soir-là.
24:41Moi,
24:41j'avais fait des promesses
24:42à cette femme
24:42qui se projetait avec moi.
24:43Et moi,
24:44je m'étais fait des promesses
24:44dans mon bout de miroir.
24:46Bien sûr qu'il a fallu
24:46que je lui dise non.
24:47Alors dix jours après,
24:48je vais te dire,
24:48j'étais où ?
24:49J'étais dans la file d'attente
24:49du Resto du Coeur
24:50avec ma femme enceinte
24:51de sept mois.
24:52Mais dix jours après,
24:52moi,
24:53je suis rentré avec mon colis
24:54et eux,
24:54ils sont repartis
24:54pour 15 ans de prison.
24:56Donc si tu veux,
24:56j'avais imaginé ma sortie
24:57comme elle s'est déroulée,
24:59c'est-à-dire sans récidive,
25:00avec une gestion
25:01de mes tentations
25:02et de mes démons.
25:03As-tu gardé des séquelles
25:04de la prison
25:05et si oui,
25:06lesquelles ?
25:06Bien sûr qu'il y a
25:07des stigmates post-carcérales.
25:09Il y a des traces qui restent
25:09parce que ce n'est pas anodin
25:11d'avoir vécu enfermé
25:13pendant des années.
25:14Il faut aussi comprendre
25:15que les cellules,
25:16elles sont la plupart du temps
25:17faites à la fenêtre.
25:18Il y a ce qu'on appelle
25:19des caliiboutis.
25:21Donc c'est des sortes
25:21de grillages très,
25:22très serrés
25:23qui obstruent ta vision
25:24et qui changent même
25:25ta vision,
25:26qui déforment ta vision.
25:29Il y a énormément
25:30de lumière artificielle
25:31comme ici
25:32et très peu de lumière naturelle.
25:33Et donc du coup,
25:34moi, par exemple,
25:35une des traces,
25:36Oscar Serrin,
25:37c'est celle de pleurer
25:38lorsqu'il y a du soleil.
25:39Donc là, on est en mode canicule,
25:40donc je ne t'explique même pas.
25:41Mais au-delà de ça,
25:43j'ai mis plusieurs mois
25:43à vivre dans plusieurs pièces
25:45de mon propre appartement.
25:46J'ai mis aussi plusieurs mois
25:47à accepter
25:48que les fenêtres soient fermées
25:49dans ma maison,
25:50de fermer la porte à clé.
25:51J'ai accepté
25:52de fermer la porte à clé,
25:53carrément.
25:53Tu sais encore aujourd'hui,
25:54pour tout te dire,
25:55une simple odeur,
25:56elle me ramène
25:57dans le fond de ma cellule.
25:58Et en quoi, concrètement,
26:00c'est plus compliqué
26:01de se réinsérer
26:02dans la vie quotidienne
26:04quand on est l'ancien détenu ?
26:05En fait, si tu veux,
26:06autant il y a le choc carcéral,
26:07autant il y a le choc post-carcéral.
26:09Quand tu as été habitué
26:10à vivre dans un espace réduit,
26:11dans un temps contraint,
26:12avec un lit superposé,
26:14un tabouret
26:14qui te sert de table basse,
26:15dans un espace
26:16de 9 mètres carrés,
26:17moi, tu vois,
26:18j'avais un trois pièces.
26:19Ma femme, elle me disait
26:20« Mais pourquoi tu restes
26:21dans le salon,
26:22assis sur le canapé,
26:22devant la table basse,
26:24alors qu'il y a une cuisine,
26:24il y a une chambre ? »
26:25J'avais plus l'habitude
26:26de l'espace.
26:27Ensuite, moi,
26:28il n'y avait pas de trame
26:29quand je suis rentré,
26:30il n'y avait pas l'euro,
26:30il n'y avait pas de téléphone portable.
26:32J'avais l'impression
26:32d'être quelqu'un
26:33d'un autre siècle.
26:35J'avais peur tout le temps.
26:36J'avais peur que sur ma tête
26:37soit marqué,
26:38comme quoi je sors de prison.
26:39Mais est-ce que vous avez
26:40un soutien psychologique
26:41à la sortie ?
26:41Tu peux en avoir un,
26:42mais t'es tellement pris
26:43dans le tumulte
26:44d'essayer de te réinscrire socialement,
26:46de retrouver un travail,
26:47d'avoir un logement,
26:48de fonder ta famille,
26:49de retrouver tes codes
26:49et tes repères de société,
26:51tout ça, c'est compliqué.
26:52Et le soutien, en vérité,
26:53il ne faut pas que dehors.
26:54Tu vois, là,
26:55t'es un petit peu
26:55dans les idées reçues de la société.
26:57La société, elle pense souvent
26:58que la réinsertion,
27:00ça se passe le dernier jour
27:01de la prison quand tu sors.
27:02Que c'est à ce moment-là
27:03qu'il faut voir un psy,
27:03que c'est à ce moment-là
27:04qu'il faut voir un addicto,
27:05que c'est à ce moment-là
27:06qu'il faut voir une assistante sociale.
27:07Mais non, c'est déjà trop tard.
27:08La réinsertion, ça commence
27:09dès la première seconde
27:10d'incarcération.
27:11C'est là où il faut
27:11travailler sur toi-même.
27:12Donc moi, j'ai eu cette chance.
27:14Tu vois, Thomas,
27:14je ne peux pas te dire
27:14que je suis représentatif
27:15de la population pénale.
27:17Moi, tu tapais à ma porte
27:18de cellule
27:18et tu me demandais
27:19ce que je voulais,
27:19je te disais
27:20« je veux m'en sortir ».
27:21Aujourd'hui, tu tapes
27:22à la porte des détenus,
27:23tu lui demandes ce qu'il veut,
27:24tu dis « je veux sortir ».
27:25Entre « je veux m'en sortir »
27:26et « je veux sortir »,
27:27il y a une différence.
27:28J'avais certaines, peut-être,
27:29prédispositions psychologiques
27:31du fait des misères
27:32qui m'est arrivées
27:39autant pour moi
27:40que pour la société.
27:41Il fallait que je profite
27:42de ce temps mort
27:42pour me reconstruire
27:44et m'explorer.
27:45Donc, dans 9 mètres carrés,
27:46j'avais tout regardé,
27:47chaque mosaïque,
27:48je connaissais même
27:49le « j'avais donné des blases
27:50aux cafards ».
27:50Et il n'y avait qu'un seul truc
27:51que je n'avais pas bien regardé,
27:53c'était moi-même.
27:53Et donc, j'ai profité
27:54de ce temps pour me trouver.
27:55Mais du coup, Karim,
27:56qu'est-ce que tu en as fait,
27:57toi, de ton après-incarcération ?
27:58Je vais te dire un truc, Thomas.
28:00Tu sais ce que j'ai fait
28:00de ma liberté ?
28:01J'en ai fait ma peine.
28:02Parce que j'ai estimé
28:03que dans mes 9 mètres carrés,
28:04j'avais jamais eu l'occasion
28:05de m'amender.
28:06J'avais jamais eu l'occasion
28:07de réparer ce que j'avais cassé
28:08dans notre société.
28:09J'ai jamais eu l'occasion
28:10dans mes 9 mètres carrés
28:11de montrer le meilleur
28:12de moi-même
28:13à tous ces gens
28:13qui m'avaient condamné
28:14pour ce que j'avais fait
28:15un soir dans ma vie.
28:16Alors maintenant que je suis sorti,
28:17ma peine à moi, c'est quoi ?
28:18C'est d'aller à la rencontre
28:19de ces jeunes qui pensent
28:20qu'il faut aller en prison
28:20pour devenir des bonhommes.
28:21C'est d'aller à la rencontre
28:22de ces détenus
28:23qui pensent qu'ils sont bons
28:24qu'à aller en prison
28:25peine après peine.
28:26C'est pour leur dire
28:27qu'il ne tient qu'à eux
28:27de devenir les acteurs principaux
28:29de leur peine.
28:30Il ne s'agit pas
28:30de prendre les coups
28:31de la justice comme ça
28:32en baissant la tête
28:33et en bombant le torse
28:34dans une promenade.
28:35Il s'agit de reprendre
28:36en main sa vie
28:37et d'utiliser ce temps
28:38pour se réparer.
28:39Et donc maintenant,
28:40je dédie ma vie
28:41à aller à la rencontre
28:41de ces gens
28:42pour leur prouver,
28:43les convaincre par l'exemple
28:44que le changement,
28:45il est possible
28:46chez un individu.
28:47Donc voilà,
28:47moi, ma vie maintenant,
28:48c'est la prison.
28:53Personne ne me l'a donné
28:53à part moi.
28:54Alors si pour la justice,
28:56c'est terminé pour moi,
28:57ça ne fait que commencer.
28:58Est-ce qu'en dehors
28:59des jeunes qui ont fait la prison,
29:01tu t'adresses à d'autres personnes
29:02pour parler de ton histoire ?
29:03Déjà, bien sûr,
29:04je parle avec les jeunes
29:05qui sont allés en prison.
29:06Mais je parle aussi
29:06et surtout aux jeunes
29:08qui veulent aller en prison.
29:09Et je parle aux jeunes
29:10qui sont en prison.
29:11Et pas que aux jeunes,
29:11parce que des fois,
29:12dans les groupes que je rencontre,
29:13tu as un gamin de 18 ans
29:14et tu as un mec
29:14de 56 piges.
29:15C'est les mêmes messages
29:16parce que c'est
29:17les mêmes traumatismes,
29:18c'est les mêmes parcours.
29:19L'enfermement,
29:19que tu es 18 ans
29:20ou que tu es 100 ans,
29:21ça fait mal.
29:22Ça fait mal au corps,
29:23ça fait mal au cœur,
29:24ça fait mal à la tête.
29:25Donc oui,
29:25je parle à tout le monde,
29:26en fait, tu vois.
29:27Tellement j'ai vu
29:28qu'il y avait des gens
29:28qui voulaient parler
29:28un petit peu avec moi
29:29par rapport à mon expérience
29:30et comme je raconte
29:31mon histoire assez souvent.
29:33Du coup,
29:33j'en ai écrit un bouquin,
29:34Itinéraire d'un enfant cassé,
29:36dans lequel je raconte
29:36toute ma life.
29:37Et ça parle à des gens
29:38que je ne connais même pas.
29:38Même chez mon éditeur,
29:40de gens que je ne connais pas,
29:41des mamans,
29:41de gars qui sont en prison.
29:42Et la maman,
29:43elle me dit quoi ?
29:43Elle me dit,
29:44monsieur,
29:44je tiens à vous remercier
29:45parce que je viens
29:46de finir votre livre
29:47et en fait,
29:47je vous remercie
29:48parce que maintenant,
29:48je comprends pourquoi
29:49mon fils,
29:49il n'est plus pareil le lundi
29:51et le mercredi
29:51quand je vais le voir au parloir.
29:52Parce qu'en fait,
29:53lui, il ne me dit pas au parloir
29:54ce qu'il vit dans la prison
29:55mais vous, dans le bouquin,
29:56vous racontez tout.
29:57Maintenant,
29:57j'ai l'impression
29:57de mieux comprendre mon fils
29:58quand je vais le voir.
29:59D'autres mamans qui m'écrivent
30:00pour me dire merci monsieur
30:01parce que maintenant,
30:02je déculpabilise
30:02de l'incarcération de mon fils.
30:04Depuis votre bouquin,
30:05je sais que j'ai ma part
30:06mais il a fait ses choix.
30:07Donc en fait,
30:08si tu veux,
30:08tu vois,
30:08si je me suis permis
30:09de raconter ma vie,
30:10de m'exposer à ce point,
30:12c'est parce que j'ai compris
30:12que la vie d'un homme,
30:14quand elle est bien racontée,
30:15en fait,
30:15elle raconte la vie
30:16de tous les hommes
30:17avec un grand H.
30:18Alors je m'expose,
30:19c'est vrai,
30:19parfois même dans mon plus simple appareil,
30:21psychologiquement,
30:22mais ça aide l'autre
30:23à se sentir compris,
30:24à savoir que ce qu'il est en train de vivre,
30:26il y a déjà quelqu'un
30:26qui l'a vécu
30:27et qu'il y a moyen de s'en sortir.
30:29Donc ça crée de l'espoir.
30:30Sinon,
30:30je n'aurais pas raconté ma life.
30:31C'est trop dur
30:32de raconter sa vie en vrai.
30:33Et du coup,
30:34tu retiens quoi
30:34de toutes ces années de prison ?
30:36Ce que je retiens,
30:36c'est que la liberté,
30:37c'est vraiment ce qu'on a
30:38de plus précieux.
30:39Sauf que tu t'en rends compte
30:39que quand t'en es vraiment privé,
30:41tu me rends compte
30:42qu'il y a beaucoup de choses impalpables
30:43qui sont beaucoup plus précieuses
30:44que tout ce qu'on peut toucher en vrai.
30:47Ta liberté,
30:47tu ne la vois pas.
30:48Ta dignité,
30:49tu ne la vois pas.
30:49Ton humanité,
30:50tu ne la vois pas,
30:50mais ça vaut tout l'or du monde.
30:52Et quelque chose aussi
30:53d'extrêmement précieux,
30:55moi,
30:55toute ma richesse,
30:56en fait,
30:56elle n'est pas dans mon compte en banque,
30:58elle est dans le temps qui passe.
30:59Chaque minute,
30:59pour moi,
31:00c'est un trésor
31:01parce que c'est l'occasion
31:01de faire quelque chose de nouveau,
31:03quelque chose à toi.
31:05C'est l'occasion de créer de l'avenir.
31:07La chose qui reste,
31:08évidemment,
31:08c'est la culpabilité.
31:09Parce que tu vois,
31:10moi,
31:10je voulais quand même,
31:11mais je n'aimais personne.
31:12Moi,
31:12je voulais qu'on me fasse confiance,
31:15mais je ne faisais confiance en personne.
31:16Moi,
31:16je voulais qu'on me pardonne,
31:17mais je n'avais pardonné personne.
31:19Et le sentiment de culpabilité,
31:20ça te ramène à toi-même
31:21et de te dire que
31:22si tu es là,
31:23tu n'es pas une victime,
31:24tu es un auteur.
31:25Et donc,
31:25il ne faut pas voler la vedette
31:27à la victime
31:28parce qu'il y a des vraies victimes.
31:29Dans mon cas,
31:30il y a une mère qui a pu son fils
31:31et il y a un fils qui a pu son père.
31:32Donc,
31:33il ne s'agit pas de me mettre
31:33à leur niveau.
31:34Et donc,
31:35il y a quelque chose à réparer.
31:37La prison m'a appris
31:38l'humilité,
31:39la culpabilité
31:40et l'esprit de responsabilité.
31:42Je perçois une grande sagesse
31:43dans tes mots
31:44et je trouve ça vraiment magnifique
31:45que tu le tournes
31:46de la façon dont tu le tournes,
31:48que tu souhaites aider les autres,
31:49tu souhaites justement
31:50te servir de ton parcours
31:52et de ce que tu as connu
31:53pour permettre aux autres
31:54justement de ne pas faire
31:55les mêmes erreurs.
31:56Ton parcours,
31:56il est aussi inspirant
31:57que le parcours d'un mec
31:59qui a fait des études,
32:00qui est droit depuis toujours.
32:02Enfin, tu vois,
32:02je ne m'attendais pas
32:03à rencontrer un mec
32:03qui ressort vraiment
32:05autant grandi de la prison.
32:07En fait,
32:07je n'aurais pas
32:08de mots à poser.
32:09J'ai juste l'impression
32:10que tu es quelqu'un de grand
32:12et je ne parle pas de taille.
32:13Voilà,
32:13à quoi tu t'attendais
32:14avant de venir ?
32:15Avec quoi est-ce que tu vas repartir ?
32:16Comment est-ce que tu m'imagines ?
32:18Je ne sais pas,
32:18après,
32:19je ne sais pas,
32:19mon daron,
32:20il s'appelle Karim.
32:21Tu me sens peut-être
32:21un mon daron ?
32:22C'est un peu costaud.
32:23Hello Sarah.
32:24Enchanté.
32:26Non, fais ça,
32:27bien, bien.
32:28C'est excellent mon daron.
32:29Ah merde.
32:30Donc les lunettes,
32:30pour le coup,
32:31oui,
32:31j'avais bien imaginé
32:32et pas de cheveux aussi
32:33pour le coup.
32:35En fait,
32:35je ne sais pas,
32:36je n'avais pas mis
32:36de visage sur ta voix
32:38ou j'étais juste porté
32:40par ce que tu me racontais
32:40et ce que tu fais
32:42de ton temps après prison,
32:44si je peux appeler ça comme ça,
32:45je trouve que c'est exceptionnel
32:47et qu'on a besoin
32:47de gens comme toi
32:48aujourd'hui
32:48pour faire bouger les choses
32:50et bouger les mentalités
32:51qui en ont besoin en France.
32:52Je te remercie, Thomas.
32:53Franchement,
32:54c'est touchant aussi,
32:55on ne se connaît pas.
32:56Mais moi aussi,
32:56je tiens te remercier
32:57pour la qualité de tes questions.
32:59Les questionnements que tu te fais,
33:00tu pourrais en avoir
33:00rien à foutre en fait
33:01de la prison.
33:02Peut-être,
33:02je ne sais même pas
33:03si tu es concerné
33:03directement ou indirectement.
33:05En tout cas,
33:05tu t'es senti concerné
33:06par le sujet.
33:07Je ne me suis pas senti jugé,
33:09je me suis senti respecté.
33:10J'aimerais vraiment
33:11que l'ensemble
33:11de la société civile
33:12se pose ce type de questions
33:13et le regard que tu viens de poser
33:15sur la problématique
33:16de la prison.
Écris le tout premier commentaire