Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:007h-9h, Europe 1 Matin. Il est 7h10 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin la soeur du djihadiste français Boubaker El Hakim, Fatma A.
00:10Bonjour Fatma. Bonjour. Bienvenue sur Europe 1, vous avez 33 ans, vous êtes la soeur de Boubaker El Hakim qu'on surnommait il y a quelques années de cela l'émir français de Daesh.
00:23Boubaker donc c'est votre grand frère, il vous a fait subir l'enfer dans votre jeunesse avant de partir en Irak et de devenir quelques années plus tard un des cadres les plus importants de l'état islamique à Raqqa en Syrie.
00:35Vous avez raconté votre histoire dans un livre qui vient de paraître Fatma, ça s'appelle Mon frère, le djihad, Daesh et moi, c'est co-écrit avec Magaliser et c'est paru donc aux éditions du Seuil.
00:46Alors votre frère Fatma n'est pas très connu du grand public, des services de renseignement en revanche il l'était beaucoup plus, il est l'un des premiers français qui est parti combattre les américains en Irak dès le début, dès 2003, c'est un des pionniers du djihad français.
01:02Tout à fait oui, d'ailleurs il y a aussi mon autre grand frère qui est le premier djihadiste français mort en Irak à Fallujah, exactement, en 2004.
01:12Alors on va raconter un peu votre histoire Fatma parce que c'est de vous qu'il s'agit, vous avez grandi à Paris en partie dans le 12e arrondissement puis ensuite vous avez déménagé dans un HLM du 19e arrondissement de Paris, donc tout près des Buttes Chaumont.
01:27Et connu pour cette fameuse filière des Buttes Chaumont dont votre frère va faire partie, vous êtes la dernière d'une fratrie de 5 enfants et parmi eux il y a Boubaker, c'est le fils adoré de votre mère, racontez-nous, dès 14 ans Boubaker prend le pouvoir dans votre famille.
01:45C'est ça, tout à fait, en fait on n'avait pas de papa donc il n'y avait que ma mère qui s'occupait de nous, c'était le plus grand mais mis à part le fait que c'est le plus grand, il était très charismatique, très virile, il avait beaucoup de... il avait une pression à la maison et on sentait que c'était un homme, déjà bien même avant qu'il soit adulte, on avait l'impression qu'il était beaucoup plus âgé, c'est surtout ça qui a fait qu'il a déjà un caractère très fort.
02:13Alors il va tomber dans l'islam radical, dans l'islam djihadiste, votre frère Boubaker, comment ça se passe Fatma ?
02:19Ça a été très rapide, tellement rapide, je pense qu'on ne l'a pas vu venir, ça a été suite à une manifestation de la Palestine à l'époque, je me rappelle que c'était l'intifada.
02:29On est en l'an 2000, c'est ça.
02:30C'est ça, il y avait une très très grosse manifestation, on était à la Place de la République, je me rappelle encore, donc on est partis le lendemain, je me rappelle toujours, j'étais dans le balcon avec ma maman, elle étendait le linge et tout d'un coup il sort et il dit maman j'ai fait la prière du matin, donc la prière de l'aube et là il y a ma mère qui est super heureuse, elle le prend dans ses bras.
02:48Et bien sûr il faut le comprendre parce qu'il était un petit peu dans les deals, dans des trafics de stups, donc pour une maman, je pense que pour une maman seule, vivant seule avec 5 enfants dans une cité, pour elle c'était très bien, qu'ils se rangent un petit peu dans le chemin de la religion, c'était bénéfique.
03:08Elle n'a pas vu au début, ça c'est sûr, on ne l'a pas vu d'ailleurs.
03:11Mais ça a été très très rapide, vous savez ce n'est pas l'islam qui l'a radicalisé, il était déjà beaucoup plus radical, déjà autoritaire, déjà naturellement il était beaucoup radical, donc l'islam ça a été une petite porte pour lui.
03:31Alors à cette époque vous avez 11 ans et à partir de ce moment Fatma, votre frère Boubaker va vous imposer une loi de fer, il vous interdit notamment d'aller à l'école à cause d'un carnet qu'il va retrouver dans votre chambre.
03:44Ça a été le tournant, j'étais dans la chambre, le bureau il était à côté de la porte et j'avais un petit carnet rouge avec des fleurs roses et c'était un carnet téléphonique avec des lettres et moi j'écrivais en fait tous les prénoms des personnes qui étaient dans ma classe ou peut-être même de mon école, je n'ai pas trop le souvenir, mais j'ai ce souvenir d'avoir écrit ce prénom Oussama avec un cœur parce que ce garçon me défendait énormément à l'époque, j'étais un petit peu ronde.
04:11C'est un petit garçon qui est dans votre classe.
04:14Et qui est gentil avec vous, c'est ça ?
04:16Tout à fait et à cause de ça, ça a été la malédiction.
04:20Donc depuis ce jour il a trouvé ce carnet, il est rentré dans la chambre, il a pris le carnet, il l'a arraché et là il m'emmène dans le salon, il m'a tenu les pieds et après il m'a frappé.
04:31Je n'ai pas le souvenir, il m'a frappé avec quoi ? Je ne sais pas, si c'est un bâton, si c'est une ceinture, je n'ai pas le souvenir.
04:37Donc je ne vais pas inventer, mais il m'avait frappé et ce jour-là il y avait ma mère qui me regardait et il y avait mon frère qui me dépasse de 3 ans, Ali, qui pleurait.
04:45Il lui a dit si toi tu pleures encore, tu vas avoir la même chose.
04:49Et c'est quoi votre vie justement à partir de ce moment où vous n'allez plus à l'école Fatma ?
04:53Ça a été un enfer, ça a été la maison 24h sur 24.
04:57C'est comme je le disais d'ailleurs, d'avoir porté le niqab, vous savez c'est le voile intégral qui cache les yeux, le visage.
05:05Vous savez que ce n'était pas tellement nécessaire de le porter vu que je ne sortais pas.
05:09Vous avez 11 ans et vous portez le niqab ?
05:11Oui totalement et je me rappelle qu'il y avait même cette période où il y avait la canicule.
05:15Il y avait une période où il y avait la canicule en France et c'est à ce moment-là,
05:19et les seules sorties qu'on faisait c'était pour aller au taxiphone et pour appeler mon frère qui était en Syrie.
05:25A cette époque, parce qu'il étudiait entre guillemets la langue arabe, qui bien après est parti bien au-delà de la langue arabe.
05:33Mais effectivement ça a été un enfer, j'étais dans la maison toute la journée cloîtrée.
05:39C'est bien pour cela que j'étais même en surpoids à un moment donné, je ne faisais que de manger.
05:43Et vous savez, je ne vais pas vous mentir, je n'ai aucun souvenir de ce que je faisais à la maison.
05:47Je n'ai pas de souvenir et je pense que c'est normal parce que je ne faisais rien en vrai.
05:51Donc là on est en 2003, après la Syrie, votre frère Boubaker part en Irak combattre les Américains pendant des années.
05:58Il fait des allers-retours avec la France sans être inquiété.
06:01En 2009 finalement il est arrêté et depuis sa cellule il vous ordonne de vous marier avec Peter Scheriff
06:08qui a été condamné en septembre dernier pour son rôle dans l'attentat de Charlie Hebdo en 2015.
06:13Comment se passe la vie maritale avec Peter Scheriff, Fatma ?
06:18Déjà au début ça va, pour moi ce n'était pas très merdique qu'au début.
06:24Il y a eu cette première relation qui s'est avérée avec lui quand on était tout seul.
06:29Et après j'ai fugué une première fois parce que j'en avais marre.
06:33Et quand j'ai fugué la première fois j'ai cru en fait que quand j'allais fuguer on allait ressentir ma peine,
06:37qu'on allait ressentir que je n'étais pas bien, que je n'étais pas d'accord.
06:40Et vous voyez même après ma première fugue, je ne suis pas partie voir une assistante sociale ou aller porter plainte.
06:46Pour moi c'était quelque chose qui était impossible, c'était impossible.
06:50J'ai tellement peur de mon frère, de tout ce qui l'entoure, c'est même pas que lui, de tout ce qui l'entoure.
06:56Donc par la suite Peter Scheriff m'a emmenée chez sa mère et c'est à ce moment-là que j'ai été séquestrée.
07:02Exactement, que la porte de la maison a été fermée à clé, tout à fait.
07:06Et à ce moment-là je suis restée un bon moment, je me rappelle que ça a duré un bon moment.
07:11Et un 31 décembre je me suis barrée.
07:14Vous profitez que la maman de Peter Scheriff a oublié de refermer derrière elle.
07:18Elle oublie une baguette. J'ai sauvé ma vie grâce à une baguette, oubliée.
07:23En ressortant chercher le pain, elle oublie de refermer derrière elle.
07:26Et là vous profitez de ce moment pour vous échapper.
07:29Exactement, rien que d'en parler je suis tellement heureuse.
07:32C'est un sentiment que j'ai aussi aujourd'hui.
07:35J'avais très peur mais j'étais très heureuse et j'ai pu le faire en fait.
07:39C'est dur, vous savez c'est dur de faire le premier pas. C'est très très dur.
07:43Et alors en 2016 la DGSI vous arrête, les services de renseignement français.
07:47Votre frère vient d'être tué par un drone américain en Syrie.
07:52Vous ignorez alors qu'il est mort et cette garde à vue au siège de la DGSI
07:57c'est un moment très dur pour vous Fatma ?
07:59Ce n'est pas la mort de mon frère qui a été très dure.
08:02Je peux vous rassurer, c'est plutôt la DGSI qui est venue me chercher.
08:05Et c'est à ce moment-là que je m'en rends compte que vraiment notre famille
08:09c'est un cas exceptionnel, il faut le dire.
08:12Je pense que c'est à ce moment-là que je vois que vraiment c'est vrai.
08:16Toute ma famille était là-bas, ma mère, tout s'est chamboulé dans ma tête.
08:21Tout ce que j'ai vécu. Et vous savez, c'était la première fois que je parle de ma famille.
08:26C'est la première fois en fait, c'était avec la DGSI que je parle de ma famille
08:30et surtout que je dis ce que je pense.
08:32Parce que je ne l'ai jamais dit à Hautevoix, à ma mère ou à mes frères.
08:35Et votre famille d'ailleurs, elle est où aujourd'hui ?
08:38Je rappelle, vous avez grandi avec votre maman, vous étiez cinq frères et sœurs.
08:42Ils sont où aujourd'hui ?
08:44Vous voyez, il n'y a plus personne.
08:46Il reste un frère qui est détenu chez les Kurdes, encore là-bas.
08:50Son fils qui a été rapatrié, heureusement.
08:53Je remercie Dieu pour ça.
08:55Et j'ai une sœur, elle aussi, qui vit en France.
08:58Tout se passe bien pour l'instant, ça va.
09:00Elle refait sa vie, elle commence à se reconstruire petit à petit.
09:04Mais clairement, vous vous en rendez compte, c'est une famille de cinq.
09:08Donc cinq frères et sœurs avec une maman, donc six personnes.
09:11Il n'en reste plus personne.
09:13Et votre maman ?
09:15Ma mère, elle est décédée en Syrie, à Raqqa.
09:18J'ai essayé un petit peu d'avoir des informations par rapport à elle.
09:23Donc j'ai su qu'elle est décédée en 2017, à Raqqa.
09:26Et vous, comment vous allez aujourd'hui, Fatma ?
09:29Moi ?
09:31Elle va écouter. Très heureuse.
09:33Vraiment, je suis vraiment heureuse.
09:35Vous avez trouvé un bon mari, c'est ça aussi ?
09:39Un très bon mari, qui s'occupe merveilleusement de moi, de mes enfants.
09:44On a trois enfants, ça se passe super bien.
09:47Et oui, oui.
09:49Des fois, dans des histoires de merde, il y a une bonne fin.
09:52Je l'ai, cette bonne fin.
09:54Effectivement.
09:56C'est loin d'être la fin, vous n'avez que 33 ans.
09:58En tout cas, merci d'être venue témoigner au micro d'Europe 1.
10:00Je rappelle le titre de votre livre, co-écrit avec Magali Serre,
10:03qui était à vos côtés pendant tout au long de cet entretien.
10:06Mon frère, le djihad daesh chez moi, c'est très émouvant, c'est très intéressant.
10:10C'est très dur aussi comme récit, c'est aux éditions du Seuil.
10:13Merci Fatma.
10:14Merci à vous.