Anamaria Vartolomei incarne Maria Schneider : "Ce n'est pas le moment de céder au silence"

  • il y a 4 mois
Transcript
00:00 L'histoire de Maria Schneider, c'est quoi ?
00:03 Parce que c'est l'histoire du tango, c'est une bribe de sa vie.
00:09 C'est pas l'histoire de Maria Schneider.
00:10 Et résumer Maria Schneider au dernier tango serait
00:14 aller à l'encontre de tout ce qu'elle aura essayé de transmettre
00:18 comme message et comme combat tout au long de sa vie.
00:21 Vous avez qui en tête pour le rôle masculin ?
00:25 Pas mal d'acteurs ont eu peur du rôle.
00:28 Et puis Marlon Brando m'a dit oui.
00:31 Brando ?
00:32 Vous seriez la deuxième tête d'affiche avec lui.
00:37 À qualité.
00:39 Alors j'ai découvert le dernier tango à Paris
00:42 lorsque j'avais travaillé sur Méduse, un film de Sophie Lévy.
00:46 Parce que la réalisatrice m'avait parlé de Maria en tant qu'inspiration pour le rôle.
00:50 Elle avait en tête Maria comme figure, ses cheveux.
00:57 Je ne la connaissais pas, elle m'a raconté l'histoire du dernier tango à Paris.
01:01 Et il me semble que je l'ai vu, je ne sais pas si c'était dans la foulée,
01:05 mais en tout cas quelques temps après.
01:07 Ce que j'en ai pensé, il m'est resté son énergie à elle, sa grâce,
01:13 sa fougue, son incandescence et sa beauté.
01:17 Mais très peu de choses du film, parce que je trouve qu'il a très mal vieilli.
01:20 Je me suis un peu ennuyée d'ailleurs, à vrai dire.
01:22 Quand je veux partir, je m'en allais.
01:26 J'en peux plus ici.
01:29 Oh non, oh non, je pars.
01:33 Je n'en veux plus.
01:35 Plus jamais.
01:39 Le problème avec l'histoire de la scène, c'est qu'elle a vachement été fantasmée, même à l'époque.
01:46 On cataloguait le film de pornographie parce qu'on pensait qu'il y avait eu pénétration.
01:51 Et puis parce que quand on dit, on pose le mot "viol" sur la situation,
01:56 les gens associent souvent le viol à de la pénétration, ce qui n'est pas le cas.
02:00 Enfin moi, ce n'est pas ma définition du viol en tout cas.
02:03 Je considère que ce qui s'est passé est un viol, bien que l'acte ait été simulé.
02:09 Et donc ça, je suis contente que les films viennent aussi poser un avis plus clair sur ça,
02:16 un constat plus clair sur ça, parce que ça enlève un peu quelques fantasmes et quelques mythes liés autour de la scène.
02:23 Et oui, c'est choquant parce que même quand on sait que Bertolucci a dit qu'il a fait ça pour avoir la réaction de Maria,
02:30 sa réaction de femme et pas sa réaction d'actrice, on comprend que lui-même avait conscience qu'il allait au-delà du cadre professionnel et du travail.
02:39 Donc c'est une humiliation, c'est de la manipulation, c'est une trahison et c'est un crime au fond.
02:46 Donc oui, c'est inquiétant.
02:50 Vous avez quel âge, Maria ?
02:53 19.
02:55 En lisant, vous avez dû voir que vous y étiez souvent nue.
03:02 Ça vous dérange ?
03:06 Non. Enfin, ça dépend comment...
03:10 C'est surtout les scènes d'amour.
03:14 Qu'est-ce qu'il faudra faire ?
03:16 Comme dans la vie.
03:18 Je plaisante. Vous en faites pas.
03:23 On filmera ça le plus artistiquement possible.
03:27 Mais il faut quand même avoir en tête que c'est le sujet du film.
03:32 Mon relation physique, intense, je vous ai dit.
03:36 Je me suis très bien entendue avec Jessica Pallut, la réalisatrice.
03:41 Je lui faisais confiance. C'est une réalisatrice, c'est une femme que j'aime et qui aime ses acteurs et qui a tout fait,
03:48 qui a tout mis en œuvre avec énormément de bienveillance pour que Matt Dillon et moi soyons à l'aise, en particulier sur cette scène,
03:55 pour laquelle on a aussi bénéficié de l'aide d'une coordonnatrice d'intimité
03:59 qui venait lier un peu tout ça.
04:02 Oui, un tournage dans sa globalité éprouvant et intense,
04:07 parce qu'on passe de la timidité, la pudeur de l'adolescence à Maria, la jeune femme,
04:13 avec ses désirs de comédienne.
04:16 Je le disais tout à l'heure, mais sa foule, sa liberté.
04:20 Aussi, la fête, le goût de la nuit.
04:24 Et puis ensuite, la suite la plus tragique de sa vie, qui aura été faite de honte, de dépression, de drame et de drogue.
04:33 C'est vrai qu'on arpente plein de chemins sinueux et assez intenses.
04:41 Mais c'était dur parce que c'était éprouvant.
04:46 Il y avait beaucoup de choses à jouer.
04:48 Il y avait autant un monologue intérieur à se raconter, à créer.
04:55 Parce que c'était une femme qui était beaucoup dans sa bulle,
04:57 qui s'était vachement protégée du regard des autres, qui était très malheureuse, qui était brisée.
05:01 Donc ça, ça épuise au jeu.
05:03 Et pour la scène du tango, bizarrement, j'arrivais pas à m'arrêter de pleurer ce jour-là.
05:10 Je pense que j'avais un peu conscientisé.
05:12 Enfin, non, même pas. Je pense que c'était inconscient, mais j'avais assimilé la violence de la scène.
05:18 Et en la jouant, j'ai compris, j'avais l'impression d'un peu toucher du doigt ce que Maria avait réellement subi et son trauma par la suite.
05:30 Sauf que moi, j'ai été prévenue et j'ai été entourée, protégée et regardée avec bienveillance et respect.
05:37 Et Maria, ça aura été tout le contraire.
05:41 Tu es vraiment malade.
05:43 Parfait.
05:46 C'est super.
05:50 On termine la lumière et on tire.
05:53 En fait, depuis ce matin, quand je rencontre les interviews, on me demande,
06:02 est-ce que vous connaissiez l'histoire de Maria Schneider et puis l'histoire de Maria Schneider, c'est quoi ?
06:07 Parce que c'est l'histoire du tango, c'est une bribe de sa vie.
06:13 Ce n'est pas l'histoire de Maria Schneider.
06:15 Et résumer Maria Schneider au dernier tango serait aller à l'encontre de tout ce qu'elle aura essayé de transmettre comme message et comme combat tout au long de sa vie.
06:25 Donc, je pense que c'était important de montrer son histoire en passant par l'adolescence,
06:35 en voyant aussi qu'elle a eu un cadre familial très fragilisé, qu'elle n'avait pas vraiment de socle sain autour d'elle.
06:44 Et puis la suite, bien sûr, il y a forcément la bascule avec le dernier tango.
06:49 Et puis la suite qui ne sera que la conséquence, voire la fatalité de cette bascule-là, justement.
06:57 Je trouve que le film rébouille à un moment opportun parce qu'il vient poser aussi des images sur des choses qui peuvent être entendues de loin ou qui sont encore trop enfouies.
07:09 Et ce que j'espère, puisqu'on est quand même à Cannes et que c'est génial pour le sujet du film,
07:14 on bénéficie aussi d'un tremplin et d'une mise en lumière immense.
07:18 J'espère que le nom de Maria dans le film sera enfin entendu.
07:23 J'ai pas écrit ce scénario, j'ai pas réalisé ce film. Je suis pas responsable de tout ça, moi.
07:30 Bertolucci s'est enfui, Brando aussi.
07:34 Il mangeait tout seul à Paris avec la presse qui écrit tous les jours des horreurs sur moi.
07:39 Des horreurs, je te jure.
07:41 Je vois qu'il y a des changements, même là, je vois que Judith Godrech, c'est un peu allié à Rachida Dati,
07:48 qui met en œuvre des choses qui, pour le coup, viennent vraiment apporter du soutien et de la protection vis-à-vis des enfants et des victimes, etc.
07:59 Donc je trouve qu'il y a des choses qui évoluent concrètement.
08:03 Mais c'est juste inquiétant de se dire que le film fait écho à l'actualité
08:07 et que les phrases que Maria Schneider dit dans le film peuvent être encore prononcées par des actrices aujourd'hui
08:15 ou qu'on les a entendues autour de nous ou qu'on peut lire aussi dans la presse.
08:21 Mais je suis positive et je me dis qu'il faut continuer d'avancer, qu'il faut continuer de se battre.
08:28 Bien qu'on entende que ça fait chier, que c'est redondant, qu'on ne parle que de ça,
08:35 c'est pas le moment de céder à ce qu'on attend de nous, à savoir au silence.
08:43 - Et si vous avez mal ? - Pas seulement.
08:46 - Quel genre de douleur ? - Ça fait comme des crampes.
08:50 Autour de moi, j'ai des femmes... J'aime m'entourer de femmes brillantes et engagées
09:00 qui sont là pour s'entraider et pour... Comme Jessica d'ailleurs, elle fait partie de ces femmes-là.
09:07 Il y a ma mère, il y a mes copines qui sont des modèles et plein d'autres gens que je regarde aussi,
09:13 que j'admire et que j'ai la chance de côtoyer de par mon métier d'actrice.
09:18 Donc c'est génial, puisque c'est très enrichissant. On rencontre forcément des gens inspirants.
09:24 Audrey, Emma... Je pense que c'est là où j'ai compris à quel point j'avais besoin d'une relation assez forte
09:35 avec celle ou celui qui me dirige, parce que je me sens beaucoup plus libre dans le jeu de proposer et d'oser des choses
09:46 quand je sais qu'en face j'ai quelqu'un qui me comprend, que je connais.
09:50 Je crois que j'ai besoin quand même d'un... Quand je travaille sur des rôles comme ça,
09:55 qui sont des rôles assez lourds, qui peuvent être troublants ou durs, etc.
10:01 J'ai besoin en face d'avoir un partenaire, un allié.
10:05 Audrey est venue appuyer ça et ça a été l'une des plus belles rencontres de cinéma,
10:16 parce que c'est une femme que j'estime beaucoup, que je trouve très intelligente, que je trouve brillante même,
10:23 et qui apporte aussi un regard très juste sur ce qu'est la femme, sur sa place dans le système social.
10:38 Je pense qu'elle s'inspire aussi d'Annie Hernaud, et c'est pas pour rien qu'elle a décidé d'adapter un de ses livres.
10:44 Mais oui, j'en garde un bon souvenir. J'aimerais bien qu'on puisse se retrouver sur un plateau qui sait.
10:54 J'ai l'impression que le point commun entre tous les personnages que je joue...
10:59 Moi j'aime bien jouer les gens qui désirent mettre en œuvre des choses et que la société en empêche.
11:09 Et je crois qu'il y a ça dans Montecristo, Aïdé est quand même sous l'emprise du comte de Montecristo,
11:14 et elle avait décidé de s'autoriser à céder à l'amour alors qu'elle se le refusait,
11:24 parce qu'elle n'était pas là pour ça, parce qu'on lui a fait comprendre qu'elle n'était pas là pour ça,
11:28 qu'elle avait une mission précise, etc. Donc c'est une femme qui s'émancipe aussi de l'emprise psychologique d'un homme.
11:33 Et puis Maria est quand même une femme qui aura tenté de s'émanciper de l'emprise du regard des autres sur elle.
11:40 Donc je pense que ce sont en général des femmes qui tendent vers la liberté.
11:45 [Sous-titres réalisés par la communauté d'Amara.org]

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