Le féminisme face au capitalisme

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00:00 *Musique*
00:19 Il y a bien sûr les lois qui encadrent les obligations des entreprises en matière d'égalité
00:24 femmes-hommes, des rémunérations égales pour un travail identique, la proportion des femmes dans les conseils d'administration
00:30 et tout cela doit être rendu public. Mais les entreprises sont-elles pour autant devenues des militantes féministes ?
00:37 Pour les autrices que nous recevons aujourd'hui, cette attention marquée pour l'égalité entre les genres n'est pas dépourvue d'intérêt
00:44 et d'ailleurs ce n'est pas totalement nouveau. Mais alors comment fonctionne la récupération marketing de la cause féministe ?
00:52 Nous allons réfléchir à toutes ces questions ce midi dans le club de lecture de France Culture
00:56 accompagné comme tous les jours par les lecteurs et les lectrices du Book Club.
01:00 *Voix de David et Daphné* Chaque cause est une occasion de vente. Cette phrase résonne en moi en tant que finalement indice de performance et de productivité.
01:07 *Musique*
01:14 Les voix de David et Daphné, lecteurs et lectrices du Book Club qu'on va retrouver dans le courant de cette émission.
01:18 Bonjour Audrey Millet.
01:19 Bonjour.
01:20 Vous êtes chercheuse à l'université d'Oslo, spécialiste de l'industrie de l'habillement.
01:24 L'autrice de plusieurs essais d'ailleurs sur l'histoire et l'industrie de la mode dont le livre "Noir de la mode"
01:29 et aussi "Les deux sous du maillot de bain, une autre histoire du corps".
01:32 Deux livres que vous avez publiés aux éditions Les Périgrines et où vous publiez aujourd'hui cet essai intitulé
01:39 "Wokewashing, capitalisme, consumérisme, opportunisme".
01:44 Voilà pour le titre complet.
01:46 Vous avez dit à la fin de votre livre que le néolibéralisme est le meilleur ami de la femme.
01:51 Il a même dit de vous récupérer et transformer le féminisme pour en faire un féminisme néolibéral.
01:56 Est-ce que vous pouvez commencer par nous définir ce qu'est le féminisme néolibéral ? Qu'est-ce que ça signifie ?
02:02 Oui, le féminisme néolibéral est cette tendance, cette dynamique qui permet finalement aux entreprises d'inclure les femmes dans un système économique.
02:14 C'est cette théorie du ruissellement, du féminisme du ruissellement.
02:19 C'est-à-dire que par exemple on va pouvoir vanter les qualités des femmes qui se sont engagées dans l'économie,
02:27 par exemple les chefs d'entreprise, celles qui font très bien leur to-do list, par exemple.
02:32 En vantant ces qualités, on va cautionner un système social, économique et politique.
02:40 C'est un peu la théorie des "Women Economics" qui est un livre de 2009 et qui parie juste après le crâne boursier de 2008, voyez-vous,
02:49 et qui explique qu'en fait ce système a craqué, cette bourse a craqué parce qu'elle était viriliste et patriarcale.
02:58 Les femmes vont pouvoir aider le système, sauf que le système on ne l'interroge pas.
03:03 C'est une idée qui se développe après cette crise de 2008 où on dit, si je résume, qu'en investissant dans les femmes,
03:10 on minimiserait les risques et on augmenterait d'ailleurs les bénéfices de l'entreprise.
03:14 Absolument, il faut légitimer un capitalisme mondialisé.
03:19 Les femmes doivent soutenir la rentabilité, celle qui structure le monde, celle qui structure nos quotidiens.
03:27 Je vous donne un exemple très précis, vous avez par exemple la campagne de Nike Girl Effect
03:34 qui soutient le fait que les filles et les filles pauvres notamment doivent s'investir dans l'économie
03:40 et qu'elles seront une solution pour le système.
03:44 En fait, cette campagne-là vantait des prêts pour les petites africaines, pour qu'elles achètent une vache ou pour qu'elles puissent s'acheter un uniforme.
03:53 Donc on est toujours finalement dans ce système libéral, féministe, c'est une cause parmi d'autres.
04:00 Et en fait, si vous n'êtes pas dans le système, presque le discours c'est que vous n'êtes pas une femme ou que vous ne faites pas bien le job.
04:06 - Alors vous parlez d'autres wachismes, si je puis dire, dans votre livre.
04:13 Mais comme on s'intéresse évidemment ce midi à la cause féministe, on a évidemment pour réfléchir et vous faire échanger,
04:21 on va inviter Sandrine Olin, bonjour ! - Bonjour !
04:23 - Vous avez travaillé dans le secteur des affaires publiques et de la finance au sein d'entreprises du CAC 40 pendant de nombreuses années,
04:28 après des études de sciences humaines et de sciences politiques.
04:32 Vous publiez votre tout premier essai intitulé "Chères collaboratrices", avec un double sens bien sûr aux éditions de La Découverte.
04:40 Essai que vous avez sous-titré "Comment échapper au féminisme néolibéral"
04:43 et on comprend donc mieux pourquoi est-ce qu'on vous a invitées toutes les deux dans ce book club.
04:48 Comment vous vous définissez ce féminisme néolibéral ? Qu'est-ce que vous vous mettez sous ce terme-là ?
04:53 - Je crois qu'il y a un autre aspect du féminisme néolibéral qu'on peut aller chercher chez Michel Foucault,
04:59 qui a écrit à la fin des années 70 "Naissance de la biopolitique"
05:02 et c'est un ouvrage, c'est un ensemble de cours au Collège de France où il s'intéresse en fait à l'émergence du néolibéralisme.
05:07 Et il met en avant deux choses, notamment le fait que le néolibéralisme transforme l'individu en individu entrepreneur de lui-même.
05:15 Donc finalement tous les individus deviennent des espèces de micro-entreprises
05:18 qui doivent évoluer selon les règles du marché, se comporter selon les règles du marché.
05:23 Et la deuxième idée qu'il met en avant, c'est le fait qu'on serait tous finalement...
05:27 nos capacités pour être vues comme du capital, assimilées à du capital.
05:31 Et si on analyse le langage courant et le discours qu'on utilise un petit peu tous les jours,
05:36 on se rend compte qu'on parle de capital santé, de capital séduction, de capital employabilité.
05:40 C'est un mot qui est vraiment entré dans le langage courant.
05:43 Et c'est intéressant je trouve pour analyser les questions féministes aujourd'hui.
05:47 Et notamment la manière dont c'est repris dans l'entreprise.
05:50 Est-ce que ça veut dire que jusque-là les femmes y échappaient à cette emprise ?
05:54 Non, non, non, les femmes n'y échappaient pas.
05:56 Mais en effet les années 70 sont les années terribles.
06:00 Lorsque j'ai écrit ce livre, j'ai vu quatre fois, je crois, le capitalisme ou le néolibéralisme,
06:07 un terme qui date de la fin du 19e siècle, donc il ne faut pas attendre la seconde guerre mondiale.
06:12 Quatre fois j'ai vu son cadavre.
06:14 Après les krachs boursiers du 19e siècle, mais il s'en sort, formidable.
06:19 Ensuite, durant la grande dépression bien entendu, 29-30, mais il s'en sort encore.
06:25 Et après la seconde guerre mondiale, où en fait l'entreprise allait très très mal.
06:32 Donc il a fallu inventer une mythologie, la mythologie de la liberté.
06:38 C'est un mot magnifique, nous sacrifions tous à cette liberté bien entendu.
06:42 Sauf que c'est cette petite poupée gigogne, vous savez ces poupées russes,
06:46 la liberté d'expression, la liberté de la presse, en fait ce sont des petites poupées.
06:51 Et la plus grande liberté, c'est la liberté d'entreprendre.
06:54 Donc là bien entendu on a les travaux de Michel Foucault sur la biopolitique qui sont essentiels,
06:59 et qui expliquent que l'individu est capital.
07:02 Et on a eu cette grande grande publicité du prix Nobel, le prix Nobel de l'économie.
07:10 Donc Milton Friedman, qui n'est pas un prix Nobel,
07:13 qui est en fait un prix de la banque de Suède en l'honneur d'Alfred Nobel.
07:17 Et Milton Friedman a ce prix "Nobel".
07:22 Et bien c'est un néolibéral, 40% des prix Nobel d'économie sont issus de l'école de Chicago, néolibéraux.
07:30 Et bien même Milton Friedman, on va même lui donner sa propre télé-réalité pratiquement,
07:34 son émission de télévision, pour vanter les bienfaits du capital, celui qui va vous libérer.
07:39 Alors on a évidemment Reagan et Thatcher avant,
07:42 mais Deng Xiaoping juste avant en fait, qui ouvre déjà l'économie.
07:47 C'est véritablement un système mondial qui se met en place,
07:51 et de manière, si vous voulez, collective.
07:54 C'est dire que l'individu seul ne peut pas contrer ces formes de puissance.
08:00 Parce que toutes ces entreprises, le business est tout à fait capable de céder lorsqu'ils veulent céder collectivement.
08:07 Donc on se retrouve un peu seul, et seul-e-s, face à ce système.
08:12 Et c'est pour ça d'ailleurs que vous vous alertez en fait sur cette idée que,
08:16 en donnant cette forme de liberté d'entreprendre,
08:19 on isole en quelque sorte les femmes et on les empêche de réagir.
08:23 On verra d'ailleurs comment vous voyez et vous esquissez des pistes de solutions,
08:28 ou en tout cas effectivement des idées qui peuvent permettre de contrer ça.
08:32 Alors dans votre livre, Sandrine Olin, vous mêlez du vécu et des réflexions.
08:39 Daphné, notre lectrice, qui est également libraire à Paris,
08:43 le piète à terre, a lu "Chère collaboratrice", et voici ce qu'elle en retient.
08:47 "Chère collaboratrice", c'est un essai qui décortique très clairement les logiques de récupération du féminisme
08:54 par le système capitaliste néolibéral.
08:57 Il est vraiment intéressant car il ne se focalise pas seulement sur le pinkwashing,
09:01 donc pas seulement sur la question des représentations,
09:04 mais Sandrine Olin va vraiment voir ce qui se passe à l'intérieur des entreprises
09:08 et la manière dont le féminisme s'inscrit dans le corps des travailleurs et travailleuses
09:14 en tant que, finalement, indice de performance et de productivité.
09:18 Du travail en entreprise, c'est un sujet, je trouve, qui est assez peu abordé dans la production éditoriale féministe,
09:24 et donc ça méritait une bonne actualisation.
09:27 Et puis Sandrine Olin, elle le rend vraiment accessible,
09:30 à la fois des notions économiques qui ne sont pas évidentes, puis aussi des concepts des auteurs.
09:35 Donc c'est un très bon essai, en fait, pour s'intéresser à la question.
09:39 - Sandrine Olin, notre lectrice nous dit que le féminisme devient un indice de performance et de productivité.
09:46 Comment est-ce qu'on en est arrivé là ?
09:48 - En fait, c'est une des raisons pour lesquelles je me suis intéressée vraiment à ce sujet.
09:53 C'est-à-dire qu'on a vu l'émergence et l'engouement des entreprises pour ces questions d'égalité homme-femme
09:59 et les mesures et les propositions qu'elles faisaient pour les femmes, notamment cadres en entreprise.
10:05 L'argument qu'elles mettent en avant souvent, c'est de dire que c'est pour l'image de marque,
10:10 l'image employeur, pour attirer des talents dans l'entreprise.
10:14 Il y a aussi cette idée qui est répétée, et on pourra y revenir,
10:17 sur l'idée qui est véhiculée notamment par le cabinet de consultants McKinsey,
10:21 qui dit que la diversité est bonne pour le business, la diversité rapporte de l'argent à l'entreprise.
10:25 Mais je pense que derrière ça, il y avait aussi une question de productivité.
10:29 C'est une manière de répondre au problème de productivité que connaît l'économie depuis une dizaine d'années.
10:36 Il n'y a plus de gain de productivité, la productivité stagne, et donc à long terme, plus de gain de productivité.
10:41 Ça veut dire que les profits vont petit à petit s'arrêter pour les entreprises.
10:44 Ces politiques d'inclusion, de diversité, d'égalité, je pense, ont pour but, entre autres,
10:50 d'essayer de stimuler la productivité des travailleurs et des travailleuses,
10:54 et en particulier des travailleurs et des travailleuses qui font partie de populations habituellement discriminées,
10:59 notamment par le monde de l'entreprise, en essayant d'avoir des travailleurs et des travailleuses
11:04 plus engagés au travail pour produire plus.
11:07 C'est une manière d'aller extraire plus de force de travail chez ces personnes.
11:13 Et je pense que c'est un des effets assez forts de ces mesures mises en place.
11:18 - Audrey Millet, c'est ce que vous mettez sous l'appellation "femme-washing", l'un de ces fameux "walk-washing"
11:25 que vous décrivez dans votre livre. Peut-être qu'on connaît maintenant ce terme "walk".
11:29 Est-ce que vous pouvez nous raconter pourquoi vous l'utilisez pour décrire ce dont vient de parler Sandrine Hoerner ?
11:35 - Oui, alors, en fait, j'ai commencé ce livre parce que je voyais les débats à la télé ou dans la presse
11:42 sur les "walks anti-walk", donc progressistes, ou quand on est un peu plus méchant, pro-LGBT,
11:48 ou alors conservateurs ou réactionnaires. Et ça me semblait un peu stérile.
11:53 En fait, ces premiers "walks", ces premières personnes éveillées qui se disent éveillées,
11:58 ce sont les romantiques au début du XIXe siècle. Ils veulent changer de monde, ils en ont marre de l'industrialisation,
12:03 ils souffrent, ils ne veulent plus cette architecture néoclassique, rigide, qui finalement gèle leur créativité.
12:12 Jusque-là, on est tous d'accord et on a tous envie d'être réveillés chaque matin.
12:16 Et là, les entrepreneurs arrivent, on est en pleine industrialisation, on peut faire des produits moins chers,
12:20 ils disent "mais très bien, on va leur donner de la diversité, on va leur donner de nouveaux produits".
12:24 Et au même moment, je rebondis sur ce que disait Sandrine, on arrive dans une course à la productivité
12:31 et à la création du marché du travail. Vous n'êtes plus payé pour votre oeuvre, c'est-à-dire pour la cuillère que vous fondez chaque journée,
12:40 pour le livre que vous écrivez, vous êtes payé pour vos horaires. Et il y a comme ça toute une productivité qui se met en marche
12:47 et qui va récupérer chaque revendication sociale et politique. Des ouvriers font grève à la fin du XIXe, ils font grève pourquoi ?
12:58 Leur vie est terrible ? Très bien, on va casser les grèves, puis on va un peu augmenter les salaires, comme ça ils pourront acheter nos produits.
13:06 Et ça se passe toujours comme ça. Et aujourd'hui, les réclamations des femmes sur notamment "je fais ce que je veux de mon apparence",
13:13 en fait, elles sont toutes reprises de cette manière. Quand je pense à un des slogans Chanel "oublier le fond de teint, choisissez la confiance",
13:24 ce sera grâce à ce fond de teint. Vous avez comme ça divers types de slogans qui sont assez terribles.
13:30 Qu'est-ce que ça veut dire ce slogan ? Quelle est la démarche de l'entreprise quand elle fait ça ?
13:35 Ça veut dire qu'avec Chanel, vous allez acquérir la confiance. Donc il y a aussi, et ça c'est très très important,
13:41 surtout dans le milieu de l'habillement, des cosmétiques, des apparences, c'est garder le consommateur et la consommatrice dans un état de faiblesse adolescent.
13:50 Dans cette angoisse d'être, de ne pas être, de ne pas être assez bien. Dans ce malaise, dans ce mal-être.
13:58 Si vous allez bien, vous n'avez pas besoin d'acheter finalement. Donc il y a vraiment ce système-là.
14:03 Je vous prendrai un autre exemple, moi que j'ai trouvé tout à fait hallucinant. Un tee-shirt Dior vendu pour la modique somme de 750 euros.
14:12 "We should all be feminist", voilà le slogan, "Made in Italy". Alors je précise qu'en Italie, il n'y a pas de SMIC déjà.
14:20 Et que je ne sais rien sur les conditions de travail. J'ai peu d'informations sur l'interdiction du sablage, sur le contrôle des salaires,
14:29 et sur toutes ces femmes qui sont 80%. Des ouvriers sont des ouvrières dans l'industrie de l'habillement.
14:35 Mais on a cette extraction finalement des potentiels de savoir-faire, cette extraction de nos revendications sociales et politiques.
14:46 C'est une récupération très claire de cette revendication, comme vous venez de le dire, Sandrine Olin.
14:51 Oui, je crois qu'il y a aussi un vrai désenchantement aujourd'hui par rapport au monde du travail.
14:55 Et en fait, ces discours féministes là, en tout cas ces pseudo discours féministes, sont une manière de réenchanter le capitalisme
15:02 et de réenchanter le lieu de travail, le monde du travail. On va se sentir davantage valorisé et donc on va donner davantage de ses capacités au travail.
15:11 Et pour répondre sur la question de la confiance en soi, effectivement, c'est ce qu'on pourrait appeler avec un oeil un peu Foucauldien,
15:18 une technique de soi. Et c'est une manière finalement aussi de s'auto-contrôler, de s'auto-régulier, de travailler sur cette confiance en soi.
15:25 Il y a cette idée que les femmes manqueraient plus de confiance en elles-mêmes par rapport aux hommes, ce qui est d'abord une construction sociale et pas forcément toujours vraie.
15:35 Mais en tout cas, c'est de nouveau une manière de dire à l'individu, c'est de votre responsabilité de travailler sur vous-même,
15:41 de travailler sur vos capacités pour augmenter la valeur de votre capital.
15:45 - Est-ce qu'on est surpris de se dire qu'une entreprise, ce que vous venez de décrire, fait en sorte que ces travailleurs et ces travailleuses se sentent bien et du coup produisent plus ?
15:55 - Est-ce qu'on est surpris ? Non, c'est la base de l'entreprise. C'est la base de l'entreprise et c'est notre, je ne vais pas dire cher ami, Milton Friedman,
16:07 qui écrit dans le New York Times en 1970 "La responsabilité sociale des entreprises est d'augmenter leurs profits".
16:15 Alors, je vais préciser aussi que Friedman a écrit son livre "Capitalisme et liberté", voyez, l'association est quand même magique, en 1962 avec sa femme Rose.
16:25 Il n'y a pas que les hommes qui vont organiser tout ça. Non, non, mais le but d'une entreprise, c'est de faire de l'argent.
16:31 Ensuite, on sait très très bien aujourd'hui qu'on atteint un plafond et effectivement il y a ce réenchantement du monde.
16:37 Il faut trouver de nouvelles causes sociales pour faire acheter. Alors, on a les femmes, on a évidemment les causes raciales, on a bien entendu Pride.
16:49 Alors, quand vous achetez un t-shirt arc-en-ciel et qu'il a été fait au Myanmar, moi je vous déconseille, si vous êtes homosexuel, d'aller au Myanmar.
16:57 Enfin, c'est vraiment pas une super destination de vacances. Mais c'est tout à fait logique.
17:04 Ensuite, il faut qu'il soit transparent. Et lorsqu'on met en valeur quelque chose, par exemple ces fondations des femmes, la fondation LVMH, donc L-E-2-L-E-S,
17:17 moi je ne sais pas actuellement si LVMH contrôle les salaires, je ne sais pas dans quelle mesure ils regardent bien ce que font leurs sous-traitants.
17:28 Et on a énormément en fait de gender-washing pour les femmes. Je pense notamment à Always.
17:36 Always s'était associé en 2011 avec Walmart. Si vous achetiez trois paquets de serviettes hygiéniques, vous en aviez un gratuit.
17:46 Donc là on reprend un message féministe comme argument marketing. Il faut savoir que ces fameuses serviettes, vous pouvez les consulter sur #myalwaysexperience,
17:58 qui en fait a été le hashtag de l'Ouest, qui a été repris par les consommatrices du Kenya.
18:04 Parce qu'elles ont comparé les serviettes vendues au Kenya à 50 centimes le paquet, et les serviettes aux Etats-Unis.
18:11 Je vous laisse regarder, ce n'est pas la même chose. Et les filles ont eu des dermatites, des contacts, des éruptions cutanées et des brûlures.
18:19 C'est ça le gender-washing.
18:21 C'est la réutilisation pour le marketing de ces revendications aussi, de ces spécificités dont vous parliez.
18:27 Sandrine Olin, je disais que vous m'alliez votre réflexion à votre vécu, et du coup vous vous intéressez à ces entreprises qui, en apparence, vous dites,
18:36 semblent s'attaquer à ces inégalités entre les hommes et les femmes, à l'intérieur même de leur organisation, si je puis dire.
18:43 Vous dites qu'il y a des actions qui ciblent directement les femmes, la formation au leadership, la mise en place de réseaux d'entraide, du mentora,
18:50 et même des campagnes de communication.
18:53 Ça veut dire quoi ? C'est toujours dans cette idée, il faut redonner une place aux femmes, afin qu'elles produisent plus. C'est ça votre analyse ?
19:01 Je pense qu'il y a l'idée, d'une part, de montrer qu'elles font quelque chose et de se donner une image progressiste.
19:08 Il y a effectivement à aller chercher un meilleur investissement des femmes dans l'entreprise.
19:16 Mais de manière un peu plus large, je pense qu'en produisant ce type de discours et en occupant le débat sur ces questions-là,
19:25 et en ayant un discours qui est très individualiste, très individualisant et responsabilisant pour les personnes,
19:33 on leur dit "on va vous donner des formations pour vous permettre d'avoir plus de capacités pour faire des choses, etc."
19:39 On occulte tout un discours féministe beaucoup plus critique, qui lui, cherche à avoir une analyse sociale, structurelle, historique des inégalités,
19:49 et qui a un discours qui est beaucoup plus intéressant pour nous permettre de comprendre pourquoi, aujourd'hui, dans la société,
19:55 alors que ça fait des dizaines d'années qu'on a ce débat féministe, pourquoi les inégalités persistent encore aujourd'hui.
20:01 Et ce qui est problématique avec le féminisme néolibéral, c'est qu'il semble nous expliquer que si les inégalités persistent encore aujourd'hui,
20:10 c'est uniquement parce qu'on aurait des stéréotypes, des stéréotypes de genre, et que c'est en raison de ces stéréotypes qu'on discrimine les femmes
20:17 ou d'autres minorités. Et je ne remets pas du tout en cause le fait qu'il faut regarder les stéréotypes de genre, c'est aussi utile à comprendre,
20:27 mais ce n'est pas du tout la seule grille d'analyse qu'il faut avoir, et je pense qu'il faut remettre dans le débat cette analyse structurelle, sociale des inégalités,
20:37 qui nous permet de voir comment le capitalisme, en fait, s'est construit sur les inégalités sociales et économiques,
20:42 et comment le capitalisme a besoin de ces inégalités pour perdurer encore aujourd'hui.
20:46 - Ça veut dire que, d'après votre réflexion, le féminisme est devenu une forme de mode dans ces entreprises ?
20:53 Est-ce que c'est devenu quelque chose de banal, un outil de production, presque ? Je ne sais pas si on peut le dire comme ça.
20:58 - De mode, et même presque de technique de développement personnel. J'ai l'impression qu'aujourd'hui...
21:04 Et ça, c'est quelque chose d'assez nouveau qui s'est fait en une dizaine d'années, il y a 10-15 ans, ça ne se faisait pas dans les entreprises de se dire féministe,
21:12 c'était beaucoup trop radical et beaucoup trop militant. Aujourd'hui, j'ai l'impression que ça fait partie du capital culturel, du capital social,
21:19 que les femmes cadres blanches occidentales doivent avoir aussi dans le monde de l'entreprise.
21:24 Simplement, et on le voit chez beaucoup, elles n'ont pas forcément le temps d'aller lire toute la théorie, etc.
21:30 Et donc, en réaction, on peut voir le développement d'une espèce de business qui vient vendre, en fait, des idées féministes faciles,
21:38 peu militantes, peu radicales, et des techniques qui véhiculeraient des messages féministes.
21:46 Mais c'est aussi peut-être une réponse à ce que vous disiez tout à l'heure, à une espèce d'anxiété qui est créée sur le fait que les femmes n'ont pas suffisamment de compétences,
21:54 n'ont pas suffisamment confiance en elles-mêmes, et donc elles vont chercher dans la théorie féministe un moyen de se réconforter aussi par rapport à ça,
22:02 et un moyen de développer, en fait, leurs compétences. Mais ça fait presque... ça rapproche, en fait, le féminisme du développement personnel sur ces questions-là,
22:09 et c'est assez problématique parce que, de nouveau, ça devient quelque chose de très individualiste et individualisant,
22:14 alors qu'on a cruellement besoin de remettre le féminisme dans des structures beaucoup plus collectives.
22:19 Et c'est qu'à travers des luttes plus collectives et des luttes surtout politiques, il faut sortir ça du champ économique et remettre ça dans le champ politique,
22:26 qu'on peut réellement émanciper tous les individus.
22:29 - On a l'impression... Enfin, en tout cas, la question que je voulais vous poser, c'est est-ce que tout cela va de pair avec le développement de ce qu'on appelle la RSE dans les entreprises,
22:37 la responsabilité sociétale des entreprises, qui n'est d'ailleurs pas nouvelle.
22:41 Ça date de l'après-guerre, si je ne dis pas de bêtises, en tout cas de son développement aux États-Unis avant d'arriver comme ça en Europe.
22:49 C'est, selon vous, pas à l'entreprise de prendre en charge ces questions-là ? Ou alors c'est un début, mais il y a un dévoiement ?
22:57 - Ce que j'ai essayé de montrer dans le livre, c'est que pour moi, la question de l'égalité de genre est incompatible avec la structure de l'entreprise telle qu'on la connaît aujourd'hui,
23:09 parce que c'est une structure très concurrentielle et très pyramidale.
23:12 Et structurellement, il ne peut pas y avoir d'égalité dans l'entreprise, il ne peut y avoir qu'une libre concurrence entre individus.
23:17 Et c'est ce que j'ai essayé de montrer, et que ça nous amenait en fait plutôt vers cette libre concurrence.
23:22 - La concurrence, c'est le résultat de tout cela ? Audrey Emilet ?
23:26 - Oui, les libres choses, les libres conclurances, libres échanges, liberté, libéralisme, ce sont toutes ces choses qu'on nous vend.
23:34 Mais en réalité, ça ne se passe pas comme ça. C'est vraiment la liberté d'entreprendre qui passe avant toute chose.
23:41 Ça reposera sur le succès, ça reposera sur la réussite et personnel.
23:45 Et puis si vous n'y arrivez pas, c'est que vous êtes mal organisé. Revoyez votre to-do list.
23:50 - On va écouter à présent David. David, il a lu votre livre "Wokewashing", Audrey Emilet, voici ce qu'il en retient. Il y a une question aussi à la fin.
23:59 - J'attends toujours avec impatience la sortie d'un livre d'Audrey Emilet.
24:03 Moi ce que j'aime dans ce livre, c'est de réussir à mettre en perspective un sujet aussi brûlant et actuel avec son œil d'historienne.
24:09 Moi-même, je mène depuis plusieurs années ce combat pour une consommation juste auprès d'entreprises respectueuses des hommes et de l'environnement,
24:16 sans jamais réussir à y poser un mot, le "wokewashing".
24:20 Encore une fois, dans son dernier livre, j'ai pu découvrir et redécouvrir toutes les ficelles des entreprises pour nous pousser à consommer encore plus.
24:26 Chaque cause est une occasion de vendre. Cette phrase résonne en moi et me permet d'être bien plus critique, plus éveillé, mais aussi beaucoup plus en colère sur toutes les ficelles utilisées.
24:37 Chaque page fait vibrer ma corde de consommateur et de citoyen et me permet de comprendre les enjeux démocratiques.
24:44 La plupart des entreprises sont responsables, mais les consommateurs aussi.
24:47 J'aimerais savoir, à parler de ce livre, comment est-il possible de réveiller les consommateurs et les citoyens trop longtemps endormis et qui ont la mémoire un peu trop courte ?
24:56 Je vous remercie.
24:57 Réponse d'Audrey Millet.
24:59 Merci David. Je pense qu'on peut commencer par une chose, moi acheter, tout simplement.
25:05 Prendre plus le temps de regarder qu'est-ce qu'on achète.
25:09 Voilà, ces petites questions que j'ai posées. On regarde l'étiquette, Myanmar, ça ne va pas.
25:14 Les produits cosmétiques aussi, ces produits cosmétiques qui vont, par exemple, vous savez, mettre les rubans roses contre le cancer.
25:21 Mais en fait, on ne sait pas tout à fait ce qu'il y a dedans. Il y a encore beaucoup de questions sur les parabènes, sur les cancers de la thiorite, ce genre de choses.
25:28 Et j'aimerais, en fait, que les politiques, que l'État s'empare de ces questions-là, car je ne vais pas croire sur parole des affiches qui vont m'indiquer fabrication française.
25:40 Et ça a été créé en France, c'est-à-dire designé, mais par contre ça a été fait très très loin et on ne connaît pas toutes les étapes.
25:47 Oui, un sursaut de la politique, parce qu'en réalité, lorsque des entreprises sont aussi puissantes, elles détiennent le pays.
25:56 Et il est très très important de remettre notre souveraineté démocratique en place.
26:01 Alors, acheter c'est voter, ça on le dit souvent, mais il faut le prendre au sérieux.
26:06 Il faut le prendre au sérieux, parce qu'on parle de manipulation, on parle de manipulation au quotidien, c'est-à-dire dans les mails, les applications, les téléphones, sur les réseaux sociaux.
26:15 Il faut être véritablement alerte, alerte sur tout ce qu'on achète.
26:21 Puis si vous avez déjà trois t-shirts noirs, vous n'êtes pas obligé d'en acheter un quatrième.
26:24 C'est pour ça que dans le titre il y a consumérisme et opportunisme aussi, c'est-à-dire que pour vous il y a véritablement cette idée de l'acte d'acheter en fait.
26:35 Le consommateur a beaucoup de choix aujourd'hui et je ne remets absolument pas en cause l'idée de confort et la démocratisation qui date du 19ème siècle, mais pas la massification.
26:49 Pour en revenir à l'égalité homme-femme dans les entreprises, Audrey Meillet disait à l'instant c'est à l'état d'intervenir.
26:56 En ouverture tout à l'heure je disais qu'il y avait des lois qui avaient encadré aussi cette action vers l'égalité, ce mouvement vers l'égalité dans les entreprises.
27:07 Est-ce que c'est suffisant pour vous ? Est-ce que ça participe de ce mouvement qui récupère le féminisme dans les entreprises ? Comment vous analysez-vous ça, Sandrine Hollin ?
27:16 Alors je trouve que les lois elles sont encore un peu timides sur le sujet ou pas appliquées.
27:22 On a une loi sur l'égalité salariale mais on a toujours des inégalités salariales énormes et qui sont liées notamment au manque de transparence.
27:29 C'est extrêmement compliqué d'avoir accès au salaire des autres personnes et de ces pairs masculins en entreprise.
27:34 Il y a un indice qui doit être publié par certaines entreprises mais qui…
27:37 Il y a un indice qui doit être publié et qui montre qu'on n'y est pas du tout.
27:40 Ensuite les lois qui instaurent des quotas dans les conseils d'administration ou les comités de direction, là aussi c'est assez timide parce que ça ne concerne qu'une petite partie des cadres qui travaillent en entreprise.
27:53 Et puis de nouveau c'est l'idée qu'ajouter de la diversité, uniquement parce qu'on aurait plus de femmes dans le conseil d'administration, on aurait une entreprise plus féministe, ce qui est faux.
28:07 Elles ne sont pas forcément féministes donc c'est un peu problématique.
28:12 Mais je voulais justement rebondir sur cette idée de moins consommer que je trouvais très intéressante.
28:18 On est dans une société qui accélère énormément et je trouve qu'un des points, une des mesures vers lesquelles on doit aller justement c'est de ralentir, de moins consommer, de moins acheter pour sortir de cette spirale productivisme consumériste.
28:33 Et ça nous permettrait de relier quelque part la lutte contre le changement climatique.
28:38 Et c'est ce que j'essaye d'expliquer à la fin du livre, c'est qu'on a besoin de plus de convergence des luttes, de ne pas isoler la question du genre ou la question du féminisme et de penser ça ensemble avec d'autres luttes et notamment la lutte écologique.
28:49 - Alizé, autre émission ?
28:51 - Oui, c'est complètement connecté. On ne sauve pas les petits poissons et les petits oiseaux si on ne s'occupe pas aussi des êtres humains.
28:59 Alors c'est vrai qu'aujourd'hui il y a beaucoup de marge pour le climat. Si on s'intéresse aussi aux gens, à leurs conditions de travail, vous parlez d'environnement, 80% des rivières en Chine, en fait l'eau n'est plus du tout potable.
29:14 C'est pas possible. Donc les gens la boivent quand même. Donc il y a énormément de produits toxiques qui viennent notamment des teintureries, des usines d'habillement.
29:23 Ça se répercute aussi sur le travailleur qui a des cancers de la peau. Ça se répercute également sur le consommateur qui se retrouve avec du plomb, du mercure, du cadmium et de l'arsenic dans les culottes, dans la lingerie.
29:36 Donc on ne fait pas l'un sans l'autre. Le combat doit être absolument total.
29:40 - Comment on organise ce combat, ce féminisme dans l'entreprise ? Quelles sont les pistes que vous pouvez nous présenter, Sandrine Olin ?
29:47 Je sais que vous vous étonniez dans le début de votre livre, par exemple, que les entreprises prennent des formes féministes mais qu'il n'y ait par exemple pas de syndicats de femmes. Est-ce que c'est l'une des solutions ?
29:58 - Je ne sais pas si c'est la solution mais en tout cas je pense que ça montre qu'on a besoin de remettre en place des rapports de force.
30:05 On a l'impression que s'opposer aujourd'hui c'est devenu un peu malsain alors que c'est aussi une manière de faire progresser le débat, de créer des rapports de force, de créer des mouvements d'opposition.
30:16 Alors peut-être que c'est lié aussi au fait que la place des syndicats dans le monde de l'entreprise est en déclin depuis un certain nombre d'années.
30:24 Il y a très peu de salariés qui sont syndiqués. Mais en tout cas je trouve que c'est une question dont les syndicats doivent évidemment s'emparer.
30:32 Pas forcément en créant des syndicats uniquement sur cette question-là. Mais c'est vrai que c'est une question qui a été un peu délaissée.
30:42 Alors peut-être que l'arrivée de Sophie Binet justement à la tête de la CGT va changer les choses sur ce sujet.
30:48 - Parce que chez les syndicats il y avait aussi souvent beaucoup d'hommes, c'est ça que vous dites ?
30:52 - En fait il y avait aussi cette question, il y a toujours cette question qui revient perpétuellement de hiérarchie des luttes.
30:58 Et on avait l'impression que la lutte pour les droits des femmes ça venait après le reste.
31:03 On demandait des augmentations salariales de manière générale mais ensuite l'égalité entre hommes et femmes arrivait derrière.
31:08 Aujourd'hui j'ai l'impression qu'on va vers une hiérarchie des luttes qui intègre l'écologie mais finalement ça serait d'abord l'écologie et ensuite les autres luttes.
31:15 Et je pense que ça c'est quand même quelque chose d'assez problématique et qu'on doit arriver à combattre.
31:20 D'où cette idée de faire converger les luttes ensemble.
31:23 Et dans le monde de l'entreprise ça peut passer par les syndicats en fait qui sont complètement là pour porter ces questions.
31:28 - Il y a d'autres pistes Audrey Millet ?
31:30 - Les syndicats, moi j'y crois.
31:32 A chaque fois que j'ai vu, comme je vous disais, le cadavre du capitalisme, pour renaître en fait les élites économiques et politiques, cassés les syndicats.
31:44 Donc toute forme d'association positive à l'égard du féminisme.
31:50 On a des associations de consommateurs dès la fin du 19ème de femmes qui font des listes de magasins clean.
31:58 De magasins où la couturière ne va pas aller retourner chez elle avec du travail, ne travaillera pas le week-end.
32:04 C'est très très important ces associations de consommateurs.
32:07 Je pense qu'elles sont tout à fait essentielles.
32:09 Et là ce sont toujours des femmes qui veulent absolument que les gens travaillent dans de bonnes conditions.
32:15 Et elles s'engagent vers des boycott.
32:19 Alors le boycott, je vais juste rayer une idée de suite.
32:22 Si on boycotte un magasin, si on n'y va plus, alors boycotter ça ne veut pas dire qu'on va aller casser les vitrines.
32:28 Si on n'y va plus, le fabricant, l'enseigne, se posera la question de comment faire, comment améliorer les choses.
32:35 Donc oui, le boycott.
32:37 Mais ça a commencé véritablement par ces femmes qui voulaient aussi des étiquettes indiquant le travail libre.
32:43 - Sandrine Olin, peut-être pour terminer cette convergence des luttes,
32:47 effectivement vous vous parlez particulièrement de votre expérience dans l'entreprise,
32:51 mais vers où il faut aller ? Comment on organise cette convergence des luttes du coup ?
32:57 - Ce n'est pas une question très simple.
33:02 Mais peut-être je voulais aussi rebondir sur quelque chose,
33:05 et puis je reviendrai sur cette idée de convergence des luttes.
33:07 Parce que je trouve que les théories queer, par exemple, aident beaucoup aussi à élargir le débat.
33:13 Il faut vraiment sortir juste de la question féministe et aller vers d'autres types de questions.
33:18 Et je voulais justement citer un auteur étasunien queer sur cette question,
33:23 qui parle de l'art de l'échec en fait.
33:26 Et qui dit finalement que l'échec et tenter d'échouer,
33:31 ça offre une manière un peu plus créative et libre d'être au monde,
33:35 dans la mesure où le seul critère de réussite qu'on nous propose aujourd'hui,
33:39 c'est une réussite selon les termes du capitalisme et les termes du néolibéralisme.
33:43 Et donc finalement, chercher à ne pas réussir,
33:46 ou de ne pas essayer de réussir,
33:48 c'est peut-être un moyen pour les gens, et pour les femmes en particulier,
33:51 d'être un peu plus libre et de se détacher en fait de ce patriarcat capitaliste.
33:57 - Se donner peut-être la liberté d'échouer. On va terminer avec cette idée.
34:02 Merci à toutes les deux d'être venues dans le book Club Audrey Millet.
34:04 Vous publiez cet essai intitulé "Walkwashing, capitalisme, consumérisme, opportunisme".
34:10 C'est aux éditions Les Pérégrines.
34:12 Et merci à vous également Sandrine Olin, votre premier essai.
34:14 Chère collaboratrice, "Comment échapper au féminisme néolibéral"
34:18 est disponible aux éditions La Lycoberte.
34:20 Pour poursuivre évidemment cette réflexion, il faut lire ces livres.
34:24 Dans un instant l'épilogue du book Club, mais d'abord 13h25,
34:30 voici les quatre items de Charles Dantzig.
34:32 "Les écrivains à Hollywood est une affaire bien connue.
34:35 Ce qui n'est pas étudié, c'est l'état d'esprit avec lequel ils y sont allés.
34:40 Était-il sincère ou cynique ?
34:42 Il s'agissait d'y être scénariste.
34:45 Le faisait-il pour devenir de bons professionnels ou pour gagner de l'argent ?
34:49 Parmi les cyniques, Dorothy Parker est partie là-bas pour gagner de l'argent sans trop travailler,
34:55 et l'a avoué.
34:56 Elle s'apitoyait sur ses confrères qui prenaient la chose au sérieux.
35:00 Ainsi, Scott Fitzgerald, appliqué, honnête, est trop intelligent pour les esprits sommaires
35:05 qui régnaient et règnent encore à Hollywood.
35:08 Ils sont sommaires parce qu'ils font fabriquer des histoires en fonction d'un public supposé.
35:13 Tout patron d'une entreprise qui la dirige en fonction de ce qu'il pense savoir du public
35:19 est prétentieux, vulgaire et illusionné.
35:22 Il fait souffrir ceux qui travaillent pour lui.
35:24 Un écrivain est contradictoire avec cet état d'esprit.
35:27 Un écrivain de fiction écrit pour l'œuvre même, comme il sculpterait une statue,
35:32 et sans penser au public.
35:34 Il fallait vraiment être cynique ou alcoolique pour supporter Hollywood.
35:38 Ou les deux, comme Dorothy Parker, comme William Faulkner.
35:42 Fitzgerald, lui, n'était qu'alcoolique.
35:44 Son problème est qu'il avait une conscience.
35:46 Cela empêche beaucoup de choses, je l'ai expérimenté.
35:49 Notre tribunal intérieur qui nous menace, et pendant ce temps-là, les autres passent.
35:54 Fitzgerald travaillait à ses scénarios avec autant de sérieux qu'à ses livres.
35:59 Ils étaient trop subtils pour les gens qui l'employaient.
36:02 Pas un seul n'a été retenu.
36:04 Qui peut le plus ne peut pas le moins.
36:07 Sans chercher à se venger de ce qu'il avait subi, Fitzgerald a écrit un roman hollywoodien.
36:12 L'histoire du dernier nabab est racontée par une étudiante, fille d'un producteur de cinéma.
36:17 Le début relate son voyage en avion pour Los Angeles.
36:21 Une des premières scènes à l'intérieur d'un avion de la littérature, on ne le relève jamais.
36:26 On remet à la narratrice un message pour un certain Monroe Starr,
36:30 un associé de son père pour qui elle a toujours eu le bégain, comme on disait alors.
36:35 Son père se déprend de cet associé qu'il tente de faire chanter pour lui faire quitter la compagnie.
36:41 Il va jusqu'à embaucher un assassin pour le tuer.
36:44 Cela se produit alors que le père ayant eu du remords s'apprêtait à annuler le contrat,
36:49 mais il meurt dans un accident d'avion avant d'avoir pu le faire.
36:54 Ironie fataliste très Fitzgerald.
36:57 Je pourrais parler des scénaristes de Hollywood ayant publié des romans, je n'en connais pas de très bon.
37:02 La petite consolation que l'on peut avoir pour Fitzgerald est que, en art, qui peut le moins ne peut pas le plus.
37:09 Les cadres ITM de Charles Danziger retrouvés sur franceculture.fr et sur l'application Radio France.
37:13 Chaque jour, le club de lecture de France Culture est préparé avec cette équipe que je remercie,
37:18 Auréane Delacroix, Zora Vignier, Jeanna Grappard, Didier Pinault et Alexandra Laibegovitch.
37:22 Thomas Beau et Olivier Guérin étaient aujourd'hui à la réalisation et à la prise de son ce midi.
37:26 Jacques Zuber, le book club vous donne rendez-vous ce vendredi au Festival du Livre de Paris.
37:30 Ce sera au Grand Palais FMR pour une émission en direct.
37:33 Nous parlerons de l'écrivain italien Italo Calvino.
37:36 Je vous ai tout dit, c'est tout pour aujourd'hui. Voici l'épilogue.
37:39 Structurellement, il ne peut pas y avoir d'égalité dans l'entreprise.
37:41 Il ne peut y avoir qu'une libre concurrence entre individus.
37:43 Les libres concurrences, libre-échange, liberté, libéralisme, ce sont toutes ces choses qu'on nous vend.
37:49 En réalité, ça ne se passe pas comme ça. C'est vraiment la liberté d'entreprendre qui passe avant toute chose.

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