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L'invité du Grand Entretien par Marion L'Hour et Ali Baddou est Alfred de Montesquiou pour son livre Le crépuscule des hommes (Robert Laffont). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/le-grand-entretien-du-dimanche-14-decembre-2025-2404665
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00:00Et dans le grand entretien ce matin avec Marion Lourdes, nous avons le bonheur de recevoir un écrivain, journaliste, grand reporter.
00:07Il a reçu le prix Albert Londres et il raconte dans son dernier livre, le crépuscule des hommes chez Robert Laffont, le procès de Nuremberg.
00:17C'était il y a tout juste 80 ans, le procès de Nuremberg par ceux qui l'ont observé et raconté.
00:23Les journalistes, photographes, écrivains, Joseph Kessel, John Dospasso, Selza Triolet, peut-être le plus grand procès de l'histoire, le premier en tout cas à avoir été filmé.
00:36Il a posé les bases du droit international moderne, un procès qu'on a dit shakespearien et on va comprendre pourquoi.
00:43Bonjour Alfred de Montesquieu.
00:45Bonjour Ali.
00:45Et bienvenue, l'enquête est passionnante, elle a remporté le prix Renaudot Essay et c'est largement mérité.
00:52Et félicitations, le livre, il est déjà adapté en documentaire, deux épisodes au cœur de l'histoire disponible sur Arte et que vous avez réalisé.
01:03Questions, réactions chers auditeurs sur le procès de Nuremberg où Goering et 20 autres nazis sont jugés au 01 45 24 7000 ou l'application Radio France.
01:16Alfred de Montesquieu, c'était il y a 80 ans, le 20 novembre 1945, s'ouvrait donc le procès de Nuremberg.
01:24Il y a eu depuis des centaines de livres d'historiens pour raconter ce procès mais vous le faites de manière inédite.
01:32On suit des journalistes, ils sont américains, russes, français.
01:35C'est Madeleine Jacob, résistante et reporter pour le journal Front Tireur.
01:41C'est Joseph Kessel qui deux mois à peine avant le procès était encore pilote dans une escadrille qui bombardait l'Allemagne.
01:50La grande histoire vue par ceux qui la vivent au présent et qui en témoignent.
01:55Qu'est-ce que ça montre que le travail d'historien ne montre pas Alfred de Montesquieu ?
02:00Oui, question pointue. Effectivement, moi je ne suis pas historien, je suis reporter de formation et de métier et de passion.
02:08Et mon idée n'était pas de re-raconter le procès qui a déjà été analysé par les plus grands.
02:13Mon idée c'était de raconter le regard porté sur le procès, ce qui est très moderne d'ailleurs.
02:18Et c'est une phrase de Robert Jackson, le procureur général, qui dit
02:21« Ce qui compte ce n'est pas tellement le jugement des nazis, c'est la mise en récit de ce jugement. »
02:26Et l'idée sous-jacente, c'est qu'en fait il n'y a pas une vérité absolue, ce n'est pas une vérité mathématique.
02:31L'endroit dont vous regardez, vous parlez de Madeleine Jacob, si vous êtes français ou américain,
02:36enfin si vous êtes par exemple, vous avez vécu occupé par les nazis, vous avez subi les raves de la Gestapo,
02:42vous avez subi les couvre-feu, vous n'avez pas la même perception du procès que si vous êtes anglais,
02:46vous avez été bombardé mais vous n'avez pas été occupé, ou américain, ou les russes avec leurs 10 millions de morts si vous voulez.
02:51Donc chacun en fait voit le procès et voit les accusés différemment, il y a 21 accusés,
02:57et chacun ne voit pas les mêmes accusés comme étant les pires.
03:00C'est ça qui est intéressant.
03:01Donc il n'y a pas de vérité mathématique devant un événement majeur, même si on sait qu'il est majeur.
03:05On va en parler, on va prendre le temps de rentrer dans ce procès absolument hors normes,
03:09traduit simultanément en 4 langues, c'est complètement nouveau, c'est une première également.
03:14La salle 600, c'est là où se déroule le procès à Nuremberg, une ville détruite à 90% par la Royal Air Force,
03:22une ville en ruine où l'on sent encore l'odeur des cadavres sous les décombres.
03:28Ce qui est très impressionnant, c'est qu'il y a le grand absent évidemment Hitler,
03:33il y a évidemment l'assassin du siècle Himmler qui n'est pas là,
03:37mais il y a Goering, il y a 20 autres criminels qui sont là et vous racontez au fond que ce procès-là,
03:47il a été monté comme un théâtre shakespearien.
03:51Pourquoi ? Pourquoi cette référence à Shakespeare alors qu'on est dans tout sauf du théâtre ?
03:57Alors oui, la justice est très théâtrale et de toute façon c'est une catharsis un procès, un grand procès.
04:05Et là, en particulier, la salle 600 dont vous parliez a été remodelée,
04:10et là où sont le fond de la salle, dans le palais de justice de Nuremberg,
04:14qui a été plus ou moins épargné par les bombes parce qu'il est en banlieue de la ville.
04:18Donc il est abîmé, il est retapé vite fait par les prisonniers de guerre, notamment des SS.
04:23Il faut faire attention, il faut leur prendre les pelles le soir, tout ça, pour ne pas qu'ils s'en servent comme armes.
04:27Mais le fond de la salle du palais de justice, c'est un écran, ce n'est pas les juges.
04:31Et donc la notion de spectacle est installée pendant tout le procès.
04:34Et l'aspect shakespearien en particulier, je pense que vous faites allusion au jeudi 29 novembre, voilà, tout à fait.
04:41Jeudi 29 novembre 1945.
04:44Voilà, ce jour-là, le procureur Jackson, qui comprend que le procès a très mal démarré,
04:48que les accusés en fait ricanent de cette justice très procédurière, très petite bourgeoise.
04:54Il y a des images terribles qu'on voit dans mon documentaire,
04:56où Goering et Ribbentrop, ils se tordent l'écho de rire et ils ont des larmes qui sont mauvaises.
05:01Ils se foutent de la gueule, pardon pour les auditeurs, mais c'est incroyable.
05:04Et Jackson se rend compte qu'il faut qu'il reprenne la main.
05:07Et là, le jeudi 29, dans l'après-midi, on éteint les lumières, les rideaux sont déjà toujours fermés,
05:12et on projette à l'écran le premier grand film-preuve de l'histoire.
05:16C'est la première fois que des images filmées sont projetées.
05:19Ce sont des preuves.
05:19Ce sont des preuves.
05:20Il y a un affidavit au début, c'est-à-dire le colonel dit,
05:22et ces images ont été tournées à l'ouverture de Buchenwald, de Dachau,
05:25ou par les Anglais à l'ouverture de Bergen-Belsen.
05:28Et ce sont des preuves.
05:29Et là où c'est shakespearien, c'est que Jackson, qui est un grand lecteur de Shakespeare,
05:34s'est souvenu de Hamlet, acte 3, scène 2,
05:36où Hamlet sait qu'ils sont les coupables, mais ne peut pas vraiment les prouver,
05:40et prouver leur culpabilité, fait venir une troupe de théâtre
05:44et leur fait jouer un meurtre avec les circonstances du meurtre de son père.
05:47Et il demande à ses meilleurs amis de regarder le visage des suspects
05:54pour que les rictus de honte...
05:55Pour repérer l'assassin.
05:56Voilà.
05:57Parce qu'il va se trahir pendant que la pièce est jouée.
06:00Et là, du coup, à Nuremberg, Jackson a fait insérer un fin liseré de lumière
06:06qui rétroéclaire les visages des accusés
06:09pendant qu'eux voient la projection de leur crime à l'écran.
06:12Et Kessel a des mots extraordinaires,
06:13parce qu'en fait, mon roman entier est un jeu de regard.
06:16Nous regardons Kessel, qui regarde les accusés,
06:19qui eux-mêmes regardent l'écran sur lequel est projeté leur crime.
06:22Et Kessel dit, voilà, on voyait,
06:24Göring serra ses mâchoires à les rompre,
06:27Ribbentrop détournait le regard,
06:30Hans Frank, le boucher de la Pologne,
06:31qui a des centaines de milliers de morts sur sa conscience,
06:34se met à pleurer.
06:34Alors, est-ce qu'il pleure de honte ou de remords,
06:36ou est-ce qu'il pleure parce qu'il comprend qu'en fait,
06:38ce qu'il attend, c'est la corde ?
06:39On n'en sait rien.
06:40Mais nous, en tout cas, le livre, c'est un livre sur le regard,
06:42le regard porté.
06:43Alors, c'est difficile quand on vous lit de faire la part entre le roman et l'essai,
06:46parce que vous avez le prix Renaud de l'essai,
06:48et pourtant c'est un roman,
06:49il y a un travail de documentation énorme.
06:51Vous citez parfois Marc Bloch, l'immense historien,
06:54qui disait, l'histoire aide les hommes à mieux vivre.
06:56Comment est-ce que cette histoire, elle nous aide à mieux vivre ?
06:59Oui, alors, juste pour répondre à la première question,
07:02c'est un roman, c'est un roman vrai.
07:03C'est-à-dire qu'en fait, ça se lit comme un roman,
07:05mais tout est véridique.
07:06Il y a des pages entières de bibliographie derrière.
07:09Et tous les événements, même les plus petits qui sont relatés, sont véridiques.
07:12En fait, c'est une période trop grave de l'histoire,
07:14je trouvais, pour raconter des fariboles.
07:16Il y a trop de dangers de révisionnisme,
07:18de relativisation, de ceci, de cela.
07:20Je voulais que le lecteur ou la lectrice qui prenne ce livre
07:24sache que tout ce qu'il y apprendra est véridique.
07:26Voilà, ça c'est la première chose.
07:28Ensuite, sur Mar Bloch, oui, effectivement,
07:30le titre paraît sombre, si vous voulez.
07:32On se dit, voilà, le crépuscule des hommes.
07:34C'est la fin, en tout cas, d'une certaine vision de l'homme
07:37qui est née avec Platon ou humaniste.
07:40La foi dans le progrès, la convergence du beau, du bon et du bien,
07:44si vous voulez, qu'une grande civilisation
07:45qui a produit Kant et Mozart puissent s'écréter ensuite.
07:49C'est un peu la fin d'une foi dans l'être humain.
07:51Mais c'est aussi le crépuscule, il faut le savoir,
07:54il y en a deux en astronomie.
07:56Il y a le crépuscule descendant qu'on connaît,
07:57qui va vers la noirceur.
07:58Le soir.
07:59Il y a l'aube.
08:00Il y a le crépuscule du matin, le crépuscule ascendant.
08:02Et je pense que Nuremberg, c'est aussi une ombre portée sur nos vies,
08:06bien sûr, l'ombre de la Shoah portée sur toute l'Europe.
08:10Mais c'est aussi, il y a un faisceau lumineux,
08:14il y a quelque chose de lumineux dans Nuremberg,
08:15notamment l'établissement du crime contre l'humanité.
08:18Le crime contre l'humanité, le crime de génocide.
08:21C'est ce qui va permettre ensuite de qualifier la Shoah
08:23de crime contre l'humanité.
08:25Absolument.
08:25Alors, le génocide, ça sera 1948 à Chaillot,
08:29à quelques mètres d'ici.
08:30Mais le crime contre l'humanité, c'est Nuremberg.
08:33Et c'est quand même, l'idée sous-achante,
08:35c'est qu'une vie humaine est absolument sacrée.
08:37Et qu'elle est universellement sacrée.
08:39Et quand on dit que le crime contre l'humanité
08:41est un crime rétroactif,
08:43mais imprescriptible et universel,
08:44c'est l'universalité,
08:46ce que ça exprime sur ce que c'est qu'une vie humaine.
08:49Aucun motif politique,
08:51ou militaire, ou géostratégique,
08:52ou que sais-je,
08:53n'autorise à prendre une ou plusieurs vies humaines.
08:56Même si j'obéis à mon chef, par exemple.
08:58Et ça, effectivement,
08:59vous soulignez un autre point très important.
09:02L'une des autres conquêtes juridiques de Nuremberg,
09:05au-delà de la conception du crime contre l'humanité,
09:08c'est la notion de responsabilité pénale individuelle du dirigeant.
09:12C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'obéissance à un chef,
09:14il n'y a pas de mandat politique
09:15qui vous autorise à commettre des crimes pénalement répréhensibles.
09:19Vous parliez d'une vie humaine.
09:21Le 28 janvier 1946,
09:23la salle 600,
09:24elle fait face au premier témoignage d'un rescapé des camps.
09:27C'est celui d'une résistante,
09:28Marie-Claude Vaillant-Couturier.
09:30Elle livre un récit,
09:31je cite,
09:32« D'une barbarie parfois inouïe,
09:34si stupéfiante que l'interprète peine à trouver les mots,
09:38fermez les guillemets,
09:39et vous dites qu'il va donner au procès de Nuremberg
09:42une dimension fondamentale.
09:43Il fait entrer les camps d'extermination dans le prétoire. »
09:47Absolument.
09:47En fait, elle décrit des choses tellement horribles
09:49que le juge l'interrompt en disant
09:50« Écoutez, ça va, je vous remercie,
09:52on a compris ce qu'était un camp de concentration. »
09:54Et là, c'est le procureur français qui se lève
09:57pour dire « Non, non, vous avez compris ce qu'est un camp de concentration,
10:00cette dame est en train de vous expliquer autre chose
10:02qui est un camp où on descend du train directement pour mourir.
10:05Ce que Marie-Claude appelle les gaz.
10:07On va vers les gaz. »
10:08Et donc, elle explique ce qu'est un camp d'extermination.
10:12Et aussi, elle ne cesse de dire
10:13« Ah, je suis, j'ai survécu parce que je n'étais pas juive. »
10:16Donc, elle fait aussi rentrer le génocide dans sa dimension juive
10:20dans le procès,
10:21ce qui n'était pas l'objectif au début du procès.
10:23Le procès était là surtout pour juger les nazis
10:25pour crime de guerre d'agression.
10:27C'était un peu la clé de voûte du procès de Nuremberg.
10:29Interdire la guerre d'agression.
10:31Bon, Poutine n'est pas au courant.
10:32Mais depuis Nuremberg, c'est interdit.
10:34C'est interdit, c'est la raison pour laquelle je parlais de génocide.
10:37Il y a un témoignage qui bouleverse le cours du procès Alfred de Montesquieu.
10:42Ce n'est pas celui d'un témoin,
10:46c'est celui d'un bourreau, Rudolf Hess,
10:48le responsable du camp d'Auschwitz.
10:51Et là se joue quelque chose de fondamental.
10:53Lui, il ne minimise absolument pas la réalité des chiffres,
10:57de l'horreur dans ce qu'il dit à la barre.
11:00Et il va parler de la solution finale.
11:02Oui, alors Rudolf Hess, il est arrêté très brièvement,
11:05enfin il est arrêté dans les premiers jours d'avril,
11:09dénoncé par sa femme.
11:09Il était caché comme porché près de la frontière danoise.
11:13Et ils l'ont amené en avion directement à Nuremberg.
11:15Et là, bizarrement, c'est les avocats de la défense
11:19qui vont commettre une erreur tactique de leur point de vue.
11:21C'est-à-dire qu'en fait, Hess est convoqué comme témoin de la défense
11:25par l'avocat de Keltenbrunner,
11:27Ernst Keltenbrunner, le chef de la Gestapo,
11:29le numéro 2 d'Himmler, le numéro 2 de la solution finale, si vous voulez.
11:33Le créateur de la Gestapo d'ailleurs.
11:34Oui, l'un des co-créateurs, avec Göring d'ailleurs,
11:38qui est là dans la salle.
11:40Et Rudolf Hess, qui était en cavale,
11:44donc il n'a pas compris finalement que le Reich était terminé,
11:46et qui est complètement imprégné, imbibé d'idéologie nazie,
11:51ne minimise pas.
11:52Il est très fier en fait.
11:53Il est fier de son accomplissement industriel.
11:55C'est une machine qui tourne et tout ça.
11:57Ça va d'ailleurs poser un problème aux historiens
11:59parce que non seulement il reconnaît les chiffres,
12:01mais il les exagère.
12:02Il se réclame d'avoir tué 2 millions de personnes à Auschwitz.
12:05Il en a tué 1 million.
12:07Il a même 3 millions dans votre livre,
12:08avec la faim, les maladies en plus.
12:10Oui, avec les maladies en plus.
12:10Mais il se vante d'un chiffre qui est excessif.
12:13Et d'ailleurs, dont se serviront ensuite
12:15certains révisionnistes pour essayer d'attaquer
12:17l'histoire de la Shoah.
12:20Mais donc quand Heuss parle,
12:22notamment interrogé par la Défense,
12:26là, ce jour-là,
12:27les accusés qui jusqu'à présent
12:29pensaient pouvoir retourner le procès
12:31pour en faire une espèce de tribune politique
12:32pour défendre l'accomplissement
12:35de l'Allemagne face aux menaces
12:37du communisme ou que sais-je,
12:38ce jour-là, ils comprennent qu'ils sont morts.
12:40Et c'est l'un des points de bascule du procès.
12:42Après, chacun voit Méditer à sa porte.
12:44Pour moi, il y a deux grands points de bascule,
12:46vous l'avez dit.
12:47Le premier, c'est la dimension humaniste du procès,
12:51enfin, la dimension de la Shoah
12:52qui arrive avec le témoignage
12:54de Marie-Claude Van Couturier le 28 janvier,
12:56vous l'avez dit.
12:57C'est-à-dire un an jour pour jour
12:58après la découverte d'Auschwitz.
13:00Et le deuxième, c'est ce 15 avril 1946.
13:03C'est quand Heuss fait ce témoignage
13:05et que les accusés comprennent
13:08qu'ils ne pourront plus gagner.
13:09Et le procès va rentrer dans une autre phase.
13:11C'est-à-dire qu'en gros,
13:12il ne cherche plus à se défendre,
13:13pour parler trivialement,
13:14il cherche à jouer la montre.
13:16Il cherche à prolonger,
13:17encore une minute, M. Le Bourreau.
13:19Donc, il cherche à se servir de la procédure
13:21pour qu'elle dure le plus longtemps possible
13:22avec comme dernier espoir
13:24que le procès dure tellement longtemps
13:26qu'entre-temps,
13:27les Russes et les Américains
13:29qui viennent rentrer en phase de guerre froide,
13:31parce que la guerre froide commence en gros
13:32le 5 mars,
13:33avec le discours de Fulton,
13:35en gros qu'ils se disputent.
13:36Le rideau de fer.
13:37Et du coup,
13:39à partir d'avril,
13:40tout le monde s'ennuie fermement.
13:41Il faut aussi le dire,
13:42et c'est aussi la difficulté pour moi
13:43dans mon livre,
13:44c'est qu'il fallait raconter l'ennui
13:45sans être trop ennuyeux.
13:47Ce qui est un peu fou,
13:49c'est ce contraste.
13:50C'est-à-dire ces témoignages
13:51qui sont absolument horribles,
13:52absolument poignants,
13:54qui racontent les morts,
13:55qui racontent la Shoah.
13:56L'attitude des bourreaux
13:57qui, eux, jouent la montre,
13:58parfois rigolent,
13:59parfois s'énervent.
14:00Et puis,
14:01le contraste avec les journalistes
14:02qui sont, eux,
14:03dans leur palais,
14:04leur château de Faber-Castell.
14:07Donc,
14:07ils ne sont pas du tout dans la...
14:09Là, on parle au-delà
14:10de la salle 600
14:10où se passe le procès.
14:12De là où ils vivent,
14:13une bâtisse de contes de fées
14:14ou plutôt de contes gothiques,
14:16c'est ce que vous écrivez.
14:17Ils ont leurs amours,
14:18ils ont leur cinéma,
14:19ils ont même leur fête de Noël.
14:20On peut suivre un tel procès,
14:22une telle horreur,
14:23un tel moment historique aussi,
14:25et flirter et faire la fête ?
14:26Paradoxalement, oui.
14:28C'est un peu aussi
14:28ce que je voulais raconter.
14:29Les journalistes
14:30ne sont pas le sujet du livre,
14:32mais ils en sont les héros.
14:33Et effectivement,
14:34là, mon propre passé,
14:35si vous voulez,
14:35de reporter de guerre
14:36a nourri mon écriture.
14:38C'est-à-dire qu'en fait,
14:39vous êtes face à l'horreur,
14:40mais le soir,
14:41il faut continuer à vivre,
14:42il faut même l'évacuer
14:43d'une certaine manière,
14:43la comprendre,
14:44l'appréhender,
14:45l'extérioriser.
14:46Boris Polévoy,
14:47qui est le grand reporter
14:48de guerre soviétique,
14:49qui était présent à Stalingrad
14:52le jour de la reddition
14:53du maréchal Paulus,
14:54qui a fait toute la contre-offensive,
14:55qui était là
14:56à la libération d'Auschwitz,
14:57qui était là à la prise de Berlin,
14:58lui-même,
14:59qui est un bon vivant,
15:01un fêtard,
15:01qui picole,
15:02lui-même dit qu'il fait partie
15:04d'un petit réseau
15:05de trafic de somnifères.
15:06Parce que l'horreur
15:08de ce qu'il voit
15:08dans le prétoire
15:09fait qu'ils n'arrivent plus
15:10à dormir la nuit.
15:11Et du coup,
15:12effectivement,
15:12Madeleine Jacob le raconte aussi,
15:14il y a un bar
15:14où les alcools
15:15sont plus ou moins gratuits,
15:16tous les soirs,
15:17il y a 6 ou 7 journalistes
15:18en coma éthylique
15:19qu'il faut traîner dans leur lit.
15:21Enfin, c'est une fête.
15:21C'est une fête sombre.
15:22Une femme, il faut raconter qui c'est.
15:23C'est une femme juive,
15:25résistante.
15:26Elle était dans les réseaux FTP.
15:27Elle a été traquée
15:28par la Gestapo
15:29pendant 4 ans
15:30et elle écrivait
15:30pour franc-tireur.
15:32Elle était donc là
15:32pour cette raison
15:33dans ce château
15:35dont vous venez de parler
15:36et qui se détachait
15:39sur un ciel bas et lourd,
15:41uniformément gris
15:42pour reprendre
15:42vos expressions.
15:44Il y a des auditeurs
15:46d'Inter
15:46qui vous demandent
15:48mais on ne parle pas des Russes.
15:50On parle beaucoup
15:50des alliés, dit Elena.
15:52Pas des Russes.
15:53Quel était leur rôle
15:53à Nuremberg ?
15:55C'est intéressant
15:55parce que partez
15:56d'une anecdote,
15:57celle des caméras.
15:58Parce qu'il y a
15:59les caméras américaines
16:00et il y a les caméras soviétiques
16:01qui filment
16:02le même procès
16:03mais...
16:04Mais mieux en fait,
16:05paradoxalement.
16:06Les Américains
16:07filment mieux.
16:08Non, les Russes
16:09filment mieux
16:09que les Américains.
16:10Les caméras américaines
16:11sont bien plus performantes.
16:12Alors, techniquement,
16:13les caméras américaines
16:14sont plus performantes.
16:15Mais par contre,
16:16les soldats qui filment
16:18sont...
16:19Il y a eu une bisbille
16:20administrative
16:20entre deux services américains.
16:22Le service de John Ford
16:23qui devait filmer
16:24est parti en claquant la porte
16:25et du coup,
16:26c'est le Signal Corps
16:27parce qu'ils sont un peu
16:27des troufions, pardon,
16:29mais qui filment
16:29et qui d'ailleurs
16:30ne parlent pas vraiment allemand,
16:31ne comprennent pas
16:31ce qu'est une procédure judiciaire
16:33donc ils filment toujours
16:33un peu à côté.
16:34Les archives américaines
16:35ne sont pas dingues.
16:36Les Russes,
16:37leurs caméras sont
16:37beaucoup moins performantes
16:38mais à leur tête,
16:39c'est Roman Carmen
16:40qui est un très grand cinéaste,
16:42un très grand documentariste
16:43qui a déjà filmé
16:44la guerre d'Espagne,
16:45etc.
16:45Et qui a aussi filmé
16:46les petits procès
16:47faits par les soviétiques
16:48dans les territoires libérés
16:50donc notamment à Kharkov
16:51à l'époque,
16:51c'est-à-dire Kharkiv
16:52aujourd'hui contre les nazis.
16:54Et lui comprend très bien
16:55l'enjeu judiciaire.
16:56Donc pour répondre
16:56à l'auditrice,
16:57Helena,
16:57les soviétiques sont
16:58très importants
16:59dans le procès.
17:00C'est l'une des quatre parties
17:01qui jugent.
17:02Il y a donc deux juges soviétiques
17:03parmi les huit juges.
17:04Par contre,
17:05le procès va leur échapper
17:06et va être un peu humiliant
17:07pour Staline
17:07notamment parce que
17:08certains crimes abominables
17:10qu'on a voulu imputer
17:11aux nazis,
17:12par exemple le massacre
17:13de Khatine,
17:14en fait,
17:14est un crime soviétique
17:16et c'est flagrant
17:17dans la salle d'audience.
17:19De même que
17:19la secrétaire de Ribbentrop
17:20qui est présentée
17:21comme l'une des témoins
17:22dit,
17:22vous savez,
17:23il y a le pacte
17:23germano-soviétique
17:24mais je suis désolé
17:25de vous le dire,
17:25il y a une autre chose
17:26qui s'appelle
17:27le pacte Molotov-Ribbentrop
17:29qui sont les clauses secrètes
17:30pour envahir la Pologne.
17:31Donc ça veut dire
17:32que la guerre d'agression
17:32qui est l'un des quatre crimes
17:33jugés à Nuremberg,
17:35l'un des juges
17:35en est coupable.
17:37Donc c'est une humiliation,
17:38ça dérape pour les Russes.
17:40Par contre,
17:40ironiquement,
17:41pour les soviétiques,
17:43par contre,
17:43ironiquement,
17:44la captation
17:45et le message
17:46est beaucoup plus réussi
17:47côté soviétique
17:48que côté américain
17:49où finalement
17:50on ne sait pas très bien
17:51par quel bout
17:52prendre ce procès
17:53et le film américain
17:55ne sortira jamais
17:56ou alors très tard
17:57et assez mal
17:58alors que les soviétiques
17:59vont sortir très vite
18:00un film
18:00qui s'appelle
18:01Le jugement des peuples
18:02qui est splendide
18:03et ce film
18:03va faire le tour du monde.
18:04Donc on parlait
18:05de mise en récit
18:05le procès
18:07est un grand succès
18:08humaniste et judiciaire
18:09il faut quand même le dire
18:10malgré de nombreux problèmes
18:11par contre
18:12dans sa narration
18:13Malgré trois acquittements
18:15et un suicide
18:16avant l'indignation générale
18:18Alors il y a
18:19le suicide de Robert Lay
18:20Robert Lay
18:22avant le procès
18:22et juste avant l'exécution
18:24il y a Göring
18:25qui est une humiliation
18:26un camouflet
18:26pour les jolis américains
18:28et il y a trois acquittés
18:29mais vu sur le coup
18:31ça a créé
18:31beaucoup de scandales
18:32mais vu d'aujourd'hui
18:33si vous voulez
18:34tant mieux
18:34c'est la preuve
18:35que la justice
18:36était équitable
18:37c'est-à-dire que
18:38dans le droit positif
18:39dans le droit anglo-saxon
18:40il faut prouver
18:41la culpabilité
18:42des accusés
18:43sur les charges
18:44qui sont retenues
18:45donc les quatre charges
18:46qui sont
18:47complot
18:47guerre d'agression
18:48crime de guerre
18:49et crime contre l'humanité
18:50si vous n'avez pas
18:52vous-même commis
18:52ces crimes
18:53c'est pas
18:54est-ce que c'est un sale nazi
18:55c'est est-ce qu'il a compris
18:56est-ce qu'il a commis
18:57ces crimes-là
18:58or les trois acquittés
18:59donc Chartres
19:00qui est un financier
19:01Van Pappen
19:02qui a amené
19:04Hitler au pouvoir
19:04mais qui ensuite
19:05s'est brouillé
19:05et qui n'était pas
19:06aux manettes
19:07et Hans Frischte
19:08qui était un homme de radio
19:09bon c'était un propagandiste nazi
19:11mais enfin
19:12ici on n'est pas en train
19:13il n'y a pas d'armes
19:14on n'est pas en train
19:15de commettre des crimes
19:15voilà
19:16donc ces trois-là
19:18ont été acquittés
19:19et après ils ont été
19:19rejugés pour nazisme
19:20par les allemands d'ailleurs
19:22alors question plus intime
19:23peut-être
19:23Alfred de Montesquieu
19:25vous dites
19:25on l'entend
19:26que ce procès
19:26il est fondamental
19:27pour montrer la victoire
19:28du droit sur la violence
19:30vous qui parcourez le monde
19:31pour raconter
19:32comme journaliste
19:33le Darf
19:33ou l'Ali
19:34Bila Cyril
19:34Proche-Orient
19:35vous gardez cette conviction
19:37que le droit
19:37l'emporte sur la violence
19:38oui c'est
19:39c'est un postulat
19:42c'est une espérance
19:42parfois
19:43mais
19:43quand on me
19:45ça m'est arrivé souvent
19:46d'avoir des gens
19:47qui me disent
19:47mais qu'est-ce que vous faites
19:48regardez on souffre
19:50qui vous tende un enfant
19:51qui a été bombardé
19:52à l'arme chimique
19:54en Syrie
19:54ou quelque chose comme ça
19:55qu'est-ce que vous faites
19:56pour nous
19:57et on se sent un peu impuissant
19:58avec son petit stylo
19:59son petit calpin
20:00on est un peu couillon
20:01et une des seules réponses
20:02c'est de dire
20:03mais vous savez
20:03il y a le droit d'ingérence
20:04il y a les casques bleus
20:05il y a l'humanitaire
20:06tout ça étant donné à Nuremberg
20:07et puis aussi
20:08un jour on les jugera
20:09vous savez
20:09un jour on les jugera
20:10et par exemple
20:11le principal génocidaire
20:15du Darfour
20:16où j'ai commencé
20:17ma carrière de journaliste
20:18Alicoucheb
20:19aujourd'hui il est en prison
20:20à la haie
20:21la CPI
20:21c'est l'héritière directe
20:22de Nuremberg
20:23il dort en prison
20:24Alicoucheb
20:24la CPI effectivement
20:25est l'héritière directe
20:27de ce procès
20:27donc on dit
20:28le plus grand procès
20:29de l'histoire
20:30il y a de nombreux auditeurs
20:32et notamment
20:33Philippe qui dit
20:34il faut faire lire
20:35votre livre
20:36au lycéen
20:37Jean-Luc
20:38qui vous demande
20:39et rapidement
20:39est-ce qu'on peut faire
20:40un parallèle
20:40entre les procès de Nuremberg
20:42et aujourd'hui
20:42les crimes de guerre
20:44commis sur différents théâtres
20:45d'opérations
20:46ukraines et ailleurs
20:47vous venez
20:48partiellement
20:49d'y répondre
20:50parce que j'aimerais
20:50qu'on termine quand même
20:52sur l'un des témoignages
20:53les plus forts
20:53que vous restituez
20:54dans votre livre
20:55c'est celui
20:56d'Ernst Michel
20:57découvert par l'armée rouge
20:59en 1945
21:00Ernst Michel
21:01c'est le seul
21:02survivant
21:03de la Shoah
21:04présent à Nuremberg
21:05il travaille
21:06pour une agence allemande
21:07Dana
21:07et il est assis
21:08à quelques mètres seulement
21:09de celui
21:10qui a déporté
21:11toute sa famille
21:12à Auschwitz
21:13on n'arrive pas
21:14à imaginer
21:15comment ça a pu
21:16avoir lieu
21:17et comment ce procès
21:18effectivement
21:19a pu aller
21:20à son terme
21:21et à aboutir
21:22sur fond
21:23de naissance
21:24de la guerre froide
21:25sur fond
21:25d'affrontements
21:26géopolitiques
21:27pour vous
21:28le crépuscule
21:29des hommes
21:30c'est une histoire
21:31qui nous concerne
21:32absolument tous
21:33ou est-ce que
21:34c'est une date
21:35une date
21:36dans les livres d'histoire
21:37pour moi
21:38c'est une histoire
21:39qui nous concerne
21:40qui est extraordinairement vivante
21:41c'est aussi pour ça
21:41que je voulais en faire un roman
21:42je voulais que ça soit
21:43quelque chose d'émouvant
21:44de vivant
21:45vous décrivez
21:46Ernst Michel
21:47il faut imaginer
21:48ce jeune homme de 22 ans
21:49qui est à 6 mètres
21:50de son bourreau
21:51et qui est obligé
21:53de tenir la chaise
21:54devant lui
21:55si vous voulez
21:55pour ne pas
21:55il le dit
21:56c'est pas moi
21:56qui l'invente
21:57pour ne pas sauter
21:58et aller courir
21:59secouer
22:01ou étrangler
22:01Ernst Kaltenbrunner
22:02qui est en face de lui
22:03et pour ne rien vous cacher
22:05je prépare la biographie
22:06maintenant
22:06de Ernst Michel
22:07en bande dessinée
22:08à la réédition
22:09Ah bah écoutez
22:10formidable
22:11merci infiniment
22:12d'avoir été notre invité
22:14merci
22:14après votre César
22:16à la réédition
22:18Alfred de Montescu
22:19le crépuscule des hommes
22:20c'est publié
22:22chez Robert Laffont
22:23dans la collection
22:23Pavillon
22:24et le documentaire
22:25est donc à voir
22:26sur Arte
22:26sur la plateforme
22:28d'Arte
22:28Arte.tv
22:29merci infiniment
22:31merci mille fois
22:32et bonne journée
22:32et bravo
22:33bon dimanche
22:33au revoir
22:34merci
22:35merci
22:36merci
22:37merci
22:38merci
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