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00:00C'est l'heure de retrouver l'invité d'au cœur de l'info et ce soir on s'intéresse à la solitude, un mot qui ne veut franchement pas dire la même chose selon que l'on est un homme ou une femme.
00:09Depuis des siècles, la solitude des femmes dérange, elle est suspecte quand celle des hommes, elle, est admirée, voire romancée.
00:16On dit qu'une femme seule fait peur aux autres, parfois même à elle-même.
00:20Lorraine Bastide, elle, en fait une force dans son ouvrage « Enfin seule ».
00:23Aux éditions Alary, elle revendique l'enfant solitude, un état qui n'a rien à voir avec le célibat, ni même avec l'isolement, mais un espace choisi, lucide, presque un luxe, celui d'habiter sa vie pleinement sans avoir à être la moitié de quelqu'un.
00:38Bonsoir Lorraine Bastide.
00:40Bonsoir Nina.
00:41Ravie de vous avoir avec nous sur ce plateau.
00:43On va peut-être d'abord définir ce que c'est qu'une femme seule, à quoi ces mots renvoient-ils aujourd'hui ?
00:49En français, il faut toujours un peu préciser de quoi on parle quand on parle de solitude.
00:53Parce que, par exemple, en anglais, il y a plusieurs mots qui servent à désigner le fait d'être seule et le fait de se sentir seule.
00:58C'est pas pareil « lonely » et « alone ».
01:01Alors, en français, il faut toujours un peu préciser de quoi on parle quand on parle de solitude.
01:06Il y a tout un champ lexical qui s'associe à la vie privée, à la vie sexuelle des femmes, quand on dit « une femme seule ».
01:13Ça va systématiquement convoquer l'image de Bridgette Jones, l'image de la vieille fille avec ses chats.
01:18Alors qu'effectivement, comme vous l'avez rappelé dans l'introduction, un homme solitaire va plutôt renvoyer au visionnaire, à l'artiste, au génie.
01:27Donc c'est un peu à ça que j'ai voulu m'attaquer dans ce livre.
01:28Pourquoi le mot « solitude » ne renvoyait pas à la même réalité selon qu'on parle d'un homme ou d'une femme ?
01:34Et justement, à quoi ça renvoie quand on dit « femme seule » plus spécifiquement ? Comment c'est perçu, en fait, dans la société ?
01:39Par la négative, souvent.
01:41Je pense qu'il y a effectivement un ressenti d'échec, de honte.
01:46Et c'est quelque chose que j'ai surtout observé en regardant des femmes seules autour de moi,
01:50qui avaient une vie épanouissante, un travail, des activités culturelles, amicales, sociales, très joyeuses,
01:57mais qui continuaient à ressentir une forme d'échec dans leur quotidien parce qu'elles n'étaient pas en couple ou parce qu'elles n'avaient pas d'enfant.
02:04Donc en fait, moins que la solitude, je dirais que c'est le fait de ne pas être en couple qui est extrêmement stigmatisé socialement
02:10et que dans la solitude, au contraire, on peut trouver une forme de force et de rayonnement.
02:15On reviendra ensuite à la méthode pour y parvenir, mais pour définir justement ces notions,
02:21vous citer dans votre livre Emmanuel Macron qui, en janvier 2024, appelait, je cite,
02:27au réarmement démographique de la France pour lutter contre, je cite toujours, le fléau de l'infertilité.
02:37En gros, si vous êtes seul, dites-vous, c'est-à-dire sans mari, sans descendance.
02:41Et là, je vous cite, vous n'êtes rien de moins que la honte de la France.
02:45C'est vraiment comme ça que vous l'interprétez.
02:46En tout cas, c'était important pour moi de rappeler parce que c'est vrai que les lois ont évolué.
02:51C'est sûr qu'aujourd'hui, les femmes ont le droit, en tout cas en France, à l'avortement, à la contraception,
02:56qu'a priori, on a le droit d'être célibataire, on a le droit de ne pas avoir d'enfant.
02:59Personne ne va venir nous punir directement si on n'est pas en train d'accomplir ce destin maternel.
03:05Néanmoins, notre président de la République actuelle continue d'encourager le natalisme.
03:10On sait qu'aux États-Unis, les Américaines, une grande partie des Américaines,
03:13ont perdu le droit de recourir à l'avortement dans de nombreux États
03:16en raison de la décision de la Cour suprême qui a déconstitutionnalisé ce droit.
03:19On ne l'avait pas vu venir non plus.
03:21Il y a beaucoup de pays européens où on est en train de perdre le droit de contrôler son corps.
03:24Donc je pense qu'il faut vraiment qu'on garde à l'esprit, en tant que femme,
03:27que cette espèce de volonté de contrôler nos utérus,
03:31de nous pousser à un destin reproductif, est encore très présent au XXIe siècle.
03:36Et qu'il faut qu'on reste vigilante si on veut garder notre liberté.
03:39Donc être une femme seule, aujourd'hui, c'est une notion profondément politique.
03:43C'est très politique, évidemment.
03:45Pas parler de solitude des femmes, c'est pour moi extrêmement...
03:49C'est un combat féministe, en réalité.
03:50Et justement, cette solitude, elle est féministe, justement, dites-vous.
03:54Pourquoi est-ce que c'est si subversif, aujourd'hui, de se dire qu'une femme seule peut être heureuse ?
03:59C'est quelque chose que personne n'arrive à croire.
04:01En tout cas, c'est déjà une réalité.
04:04Moi, ce que j'ai voulu essayer de comprendre, c'est que pourquoi, en France, il y a 11 millions de personnes qui vivent seules,
04:09dont 6 millions sont des femmes, et qu'on continue encore d'associer l'idée d'une femme qui vit seule à une forme d'échec ?
04:14Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi il y a un tel décalage entre la réalité sociologique et ce qui se passe dans les imaginaires ?
04:20Et comme souvent, ce qui pèse, c'est des archétypes, c'est des mythologies, c'est des espèces de propagandes, en fait,
04:26qui, pendant des siècles, nous ont un peu lavé le cerveau et nous ont poussé à penser que le destin d'une femme était de prendre soin des autres.
04:33On nous programme vraiment à ça, dans l'éducation, mais aussi dans les représentations au cinéma, dans les séries, dans les livres, et ça depuis plusieurs siècles.
04:42Donc, en fait, vouloir contredire cette idée-là, c'est un peu aller déprogrammer plusieurs siècles d'archétypes, quoi, pour essayer de faire émerger des nouvelles représentations.
04:55Mais vous, vous allez encore plus loin, vous dites qu'une femme ne peut être heureuse que seule.
04:59Alors, c'est mon petit pied de nez, c'est un moment où j'essaye de dire, en fait, que, finalement, ce que j'essaye de démontrer dans ce livre,
05:07c'est que, dans la solitude, les femmes ont la possibilité d'accéder à une entente avec elles-mêmes, à un dialogue avec elles-mêmes, et à se sentir bien avec soi.
05:17Et ça, je pense que, par définition, quand on est femme, on nous empêche un petit peu d'accéder à ça.
05:22J'ai l'impression que, quand on est femme, dès l'adolescence, il y a tellement d'injonctions, on nous renvoie tellement à l'idée qu'il faut plaire,
05:29qu'il faut séduire, qu'il faut se conformer à certains critères de féminité, qu'il ne faut pas vieillir, qu'il ne faut pas grossir.
05:34On nous apprend à nous désaimer.
05:36Et en étant perpétuellement assignée au couple, ou alors aux soins des autres, notamment des enfants,
05:41on a rarement l'espace de pouvoir rentrer dans un dialogue apaisé avec soi-même.
05:46Donc, mon pari, c'est ça, c'est que, dans la solitude, les femmes peuvent, non seulement, trouver une forme d'épanouissement,
05:51mais aussi la chance inespérée de pouvoir, en fait, s'aimer elles-mêmes.
05:54Mais quand vous dites assignée au couple, vous parlez du couple hétérosexuel, ou de toute forme de couple ?
05:59Alors, au couple hétérosexuel, évidemment, oui, vous avez raison de le souligner.
06:02Donc, vous excluez le couple homosexuel de cette solitude subie, de ce couple subi ?
06:08Alors, quand on parle d'injonctions sociétales, évidemment, les injonctions sont très hétéronormatives,
06:13même s'il y a une évolution certaine.
06:15Ces quelques dernières années, au niveau de ce qui se passe au cinéma, dans les séries, etc.,
06:20on sait que, généralement, on pousse les femmes aux couples hétérosexuels.
06:25Néanmoins, je pense que, dans l'amour, on peut trouver, dans toutes les formes de couple,
06:30quel que soit le genre des partenaires, cette relation un peu toxique ou un peu dévorante
06:35qui fait qu'on va complètement s'oublier soi-même dans l'histoire d'amour.
06:38Ça, je crois que c'est vraiment indépendant du genre.
06:41Donc, vous prenez la solitude ?
06:44Pas du tout, parce que, comme vous avez lu mon livre,
06:46et je sais que vous avez compris qu'au contraire,
06:49moi, je revendique la possibilité d'avoir une vie amoureuse et sexuelle épanouissante,
06:52mais sans se rattacher à cette idée.
06:54En fait, moi, ce que j'interroge, c'est pourquoi, dans la société,
06:57il faudrait qu'on ait toujours un plus sain avec nous ?
06:59Pourquoi, pour être complète, il faut qu'on ait une moitié avec nous,
07:02en permanence, quelqu'un qui pilote la voiture de notre vie à nos côtés ?
07:07Et je pense qu'on peut tout à fait vivre une vie seule,
07:10en étant seule au volant de sa voiture, si vous voulez cette métaphore,
07:14je continue de l'affiler.
07:15Mais en même temps, avoir une vie amoureuse, sentimentale, sexuelle, épanouissante,
07:19mais très, très éloignée, en fait, des carcans et des nécessités,
07:23surtout, de devoir vivre ensemble, construire ensemble, se projeter ensemble.
07:29On n'est pas obligé de vivre comme ça.
07:30Et je crois qu'aujourd'hui, il y a énormément de jeunes femmes
07:33et de jeunes garçons, d'ailleurs, aussi,
07:35qui sont en train de mettre tout ça beaucoup en question.
07:38Mais est-ce que ce n'est pas un luxe réservé à celles qui en ont les moyens ?
07:42Vous le dites, d'ailleurs, qu'en France, 5 millions de femmes vivent sous le seuil de pauvreté.
07:46Comment on fait pour parler d'émancipation dans ces conditions-là ?
07:48Il y a une inégalité économique face à la solitude ?
07:51Totalement. Et c'est pour ça que c'est un combat féministe.
07:53C'est-à-dire, parler de réclamer la capacité pour les femmes de pouvoir vivre seules,
07:57c'est réclamer la capacité pour les femmes de pouvoir gagner autant d'argent que les hommes,
08:00de pouvoir avoir leur propre logement, de pouvoir s'autonomiser.
08:03On sait qu'il y a énormément de femmes qui sont victimes de violences,
08:06qui ne peuvent pas quitter le foyer conjugal, faute d'avoir une autonomie financière.
08:10Donc, évidemment, ça a tout à voir avec les contraintes matérielles.
08:14Et ça a à voir aussi avec Virginia Woolf.
08:16Il y a 100 ans, dans une chambre à soi,
08:18l'écrivaine anglaise nous disait que pour qu'une femme puisse penser par elle-même,
08:22il fallait qu'elle ait un espace à elle et un peu d'argent de côté.
08:25C'est encore le cas aujourd'hui.
08:27Évidemment, c'est inimaginable si on n'a pas un peu d'autonomie financière.
08:30Mais aujourd'hui, et c'est aussi pour ça que je parle d'enfin solitude,
08:35les femmes ont accès aux privilèges historiques.
08:38Je pense qu'il y a toute une génération aujourd'hui de pionnières
08:40qui ont pour la première fois l'autonomie professionnelle, financière, économique
08:45et la possibilité de vivre seules,
08:47qui n'ont plus besoin d'être dans un couple marital pour vivre leur propre vie.
08:51Et ça, c'est vraiment très très récent à l'échelle de l'histoire.
08:54Par exemple, en France, ça ne fait que quelques dizaines d'années
08:56que les femmes ont le droit d'avoir un compte en banque,
08:58de gagner leur propre argent.
09:00Donc, je pense qu'effectivement, c'est encore loin d'être une réalité possible
09:04pour toutes les femmes,
09:05mais qu'on est de plus en plus nombreuses à pouvoir y accéder.
09:08Et je veux que celles qui y accèdent puissent le faire
09:10en étant heureuses et fières de pouvoir le faire.
09:13Oui, parce que c'est vrai que pour l'instant,
09:14c'est un constat que vous faites dans le monde occidental,
09:18ou en tout cas en France.
09:20Ce n'est pas du tout le cas dans plein de pays
09:22où la condition des femmes recule de jour en jour.
09:25Évidemment, oui, oui.
09:27Dans le monde, la condition des femmes recule à énormément d'endroits,
09:30mais pas forcément aussi très loin de nous.
09:32Il y a même des personnes en France, des partis politiques,
09:35qui voudraient aussi que les conditions des femmes reculent.
09:38Donc, je pense qu'il faut vraiment être en permanence
09:39extrêmement vigilante sur ces questions-là, oui.
09:42Pour être un peu provoque,
09:44qu'est-ce qui distingue votre concept d'enfin solitude
09:48d'une simple injonction à se débrouiller toute seule, en fait, finalement ?
09:53Finalement, j'aime bien cette phrase, au fond.
09:55Je n'ai même pas envie de la contredire,
09:56parce que se débrouiller toute seule, c'est pas mal, en fait.
09:59C'est chouette d'avoir la possibilité
10:00et d'avoir les armes aussi bien psychologiques, matérielles,
10:04pour pouvoir se débrouiller toute seule,
10:05pour pouvoir ne dépendre de personne.
10:08Mais ce que je veux essayer de montrer dans mon livre,
10:10c'est que, quand on a cet ancrage en soi,
10:13on se relie mieux aux autres.
10:14Et je ne veux surtout pas qu'on croie
10:15que je suis en train de prôner un repli sur soi,
10:18un isolement, en disant
10:20« Restez chez vous, dans votre coquille,
10:22et vous serez mieux »,
10:22parce que c'est au contraire.
10:24Je pense qu'en se libérant des injonctions,
10:26notamment familiales et maritales,
10:28une femme qui est en pleine possession de sa vie,
10:30se relie mieux aux autres,
10:32peut nouer des relations amicales
10:34beaucoup plus belles, beaucoup plus profondes,
10:35beaucoup plus joyeuses,
10:36être une meilleure citoyenne,
10:37s'investir dans une association,
10:40en politique, écrire, créer, penser.
10:43Et je crois qu'en fait,
10:44le très beau paradoxe de cette solitude
10:46que je prône pour les femmes,
10:48c'est qu'elle est là pour finalement nourrir le monde
10:50et permettre aux femmes de rendre
10:51tout ce qu'elles ont en elles
10:52hors de leur foyer, vers le reste du monde.
10:55Et vous vous inscrivez d'ailleurs pour cela
10:57dans une lignée d'autrices féministes,
11:00de grandes penseuses,
11:02effectivement, Virginia Woolf,
11:03vous citez Ovidi aussi jusqu'à aujourd'hui.
11:06Vous notez, vous démontez aussi une autre fiction dans votre livre
11:11et c'est là où je trouve que le livre est très agréable à lire
11:13parce qu'il alterne entre passages historiques,
11:16voilà, retours sur quelques notions
11:19qui ont été totalement construites au cours de l'histoire,
11:23comme celle de la femme au foyer
11:24qui, dites-vous, est un modèle
11:27qui a été créé au 19e siècle.
11:29Est-ce que vous pouvez nous rappeler
11:31comment il est né ce concept de femme au foyer ?
11:34Oui, c'est vrai que je trouve que c'est très important
11:35de parler d'histoire.
11:37J'ai beaucoup parlé d'histoire dans ce livre
11:38parce que c'est grâce à l'histoire
11:39qu'on comprend comment sont construits ces archétypes
11:41dont je vous parlais tout à l'heure.
11:42Et effectivement, au 19e siècle,
11:44en fait, il faut savoir que les femmes
11:46des classes populaires
11:48travaillaient dans les usines au début du capitalisme
11:51et qu'il n'y avait pas forcément
11:52une espèce de distinction
11:53entre les ouvriers et les ouvrières.
11:55Beaucoup de femmes voulaient travailler.
11:56Mais il y a eu un moment où tout le monde s'est mis d'accord,
12:00patron, État et ouvrier, pour dire
12:02« Attendez, si les femmes commencent à travailler,
12:04à s'encanailler, à avoir des idées politiques,
12:06qui va s'occuper des enfants ?
12:08Qui va préparer la gamelle de l'ouvrier ?
12:09Qui va aussi faire les bras
12:12qui travailleront à l'usine demain ? »
12:14Donc il y a toute une propagande
12:16qui est mise en place dans la société,
12:18au niveau étatique, mais aussi au niveau patronal,
12:20pour inciter les femmes,
12:22les femmes de bonnes mœurs,
12:23les femmes qui sont des bonnes femmes,
12:25qui accomplissent leur destin de femme,
12:27sont celles qui restent à la maison
12:28pour s'occuper du linge,
12:31de la nourriture,
12:32et des enfants, de l'ouvrier.
12:34Donc il y a vraiment un moment
12:35où on voit que le travail productif
12:38est remis aux hommes,
12:40et le travail reproductif,
12:41gratuit, donc non rémunéré,
12:43est remis entre les mains des femmes.
12:44Et c'est à ce moment-là
12:45qu'on crée la petite cellule familiale,
12:47le papa, la maman, les enfants,
12:49qui vit dans une unité séparée.
12:50Pendant des siècles,
12:51on ne vivait pas tout à fait comme ça.
12:53On était plus dans des grandes maisonnées,
12:55les familles étaient beaucoup plus mélangées,
12:57et ce destin de la femme au foyer
12:58qui n'est vraiment dévoué
12:59qu'à la vie, qu'au quotidien,
13:02de son mari et de ses enfants,
13:03c'est en réalité une invention
13:04très très récente.
13:05Et au même moment,
13:06on voit apparaître l'archétype
13:08de la vieille fille.
13:09On commence un petit peu
13:10à shamer les femmes célibataires.
13:12Il y a Balzac qui écrit son roman
13:14La vieille fille
13:14à cette même période.
13:16Et donc c'est là que naît
13:17l'opprobre jetée sur les femmes
13:19qui n'accomplissaient pas leur destin
13:21de devenir femme au foyer.
13:22Mais qu'est-ce que vous répondez
13:23à toutes ces femmes ?
13:24Elles sont nombreuses
13:25et elles existent,
13:26qui font le choix
13:26et qui s'épanouissent
13:27dans ce rôle de mère au foyer.
13:30Mais évidemment !
13:31Vous avez dit les deux mots clés.
13:34Tant que c'est un choix,
13:35tant qu'elles sont épanouies,
13:36moi je veux que les femmes
13:37puissent faire exactement ce qu'elles veulent
13:38sans ressentir la moindre honte.
13:40Je ne veux pas que les femmes célibataires
13:41aient honte de ne pas avoir d'enfant,
13:42de ne pas être mariée.
13:43Je ne veux pas que les femmes au foyer
13:44aient honte d'être des femmes au foyer.
13:45En revanche,
13:46ce que je trouve aussi intéressant,
13:47c'est que dans les années 50,
13:48en France,
13:48il y avait pratiquement une femme sur deux
13:49qui était femme au foyer.
13:51Aujourd'hui,
13:51je crois qu'on est autour de 14%.
13:52Donc c'est une réalité sociologique
13:54qui est vraiment devenue
13:54assez minime.
13:57Et pourtant,
13:57ça reste un idéal assez fort.
13:59Je parle dans mon livre
14:00de ces vidéos
14:02qu'on voit passer
14:03beaucoup sur Instagram
14:04de Trad Wives
14:05qui sont des jeunes femmes
14:06généralement très belles,
14:08très bien maquillées,
14:08qui nous expliquent
14:09qu'elles sont bien dans leur foyer
14:10à faire des gâteaux
14:11pour leur mari,
14:13à surtout ne pas travailler,
14:14à rester au service
14:15de leurs enfants.
14:16Et en fait,
14:17elles sont présentées
14:17comme des influenceuses
14:18avec une vie très glamour,
14:20très désirable.
14:21Et je trouve ça incroyable
14:22qu'il y ait encore aujourd'hui
14:23sur les réseaux sociaux
14:24toute une espèce de propagande
14:26un peu
14:26pour nous faire croire
14:27que c'est ça
14:28le bon mode de vie
14:29pour les femmes.
14:30Alors qu'aujourd'hui,
14:31bien sûr,
14:31les femmes travaillent
14:33et ont inventé
14:35plein d'autres façons
14:36de s'épanouir.
14:36Mais ce que vous dévoutez
14:37très bien justement
14:38dans votre livre
14:38à propos des Trad Wives,
14:40c'est qu'en fait,
14:40ce ne sont pas des Trad Wives
14:41parce qu'elles passent leur temps
14:43à filmer,
14:43à faire du montage,
14:44à mettre des lumières.
14:45À avoir des partenariats
14:46commerciaux.
14:47En fait,
14:47c'est des chefs d'entreprise.
14:49Donc voilà,
14:50vous vous rappelez aussi
14:50que toute cette propagande
14:52est fondée
14:53sur le mensonge.
14:55Et souvent,
14:56elle est porteuse
14:56d'un message
14:57d'extrême droite
14:58raciste derrière.
14:58Oui,
14:58pour les Trad Wives,
14:59ça vient surtout
14:59des Etats-Unis
15:00qui, bien sûr,
15:02sont au service
15:03du Parti républicain.
15:05Vous opposez justement
15:06une carte patriarcale
15:07du monde
15:08à une cartographie féministe
15:10qui, elle,
15:11ne chercherait pas
15:12à dominer
15:13puisqu'on est sur France 24
15:14et qu'on s'intéresse
15:16beaucoup à l'ordre mondial
15:17sur cette chaîne.
15:19Dites-nous,
15:19Lorraine Bastide,
15:20comment vous voyez
15:20un monde
15:21qui serait dirigé
15:21par les femmes ?
15:23Alors,
15:23j'ai envie d'apporter
15:24une petite précision quand même.
15:26Être femme
15:26ne suffit pas
15:27à être féministe.
15:28Et ça,
15:29c'est quand même
15:29aussi très important.
15:30Je ne me bats pas
15:31contre les hommes,
15:32je ne me bats
15:32contre le sexisme
15:33et les idées patriarcales.
15:35Et bien malheureusement,
15:36aujourd'hui
15:36et partout dans le monde,
15:37les idées
15:38d'extrême droite,
15:39les idées
15:40conservatrices
15:41qui veulent lutter
15:42contre le droit des femmes
15:43à disposer de leur corps
15:44sont portées par des femmes.
15:46Donc, voilà,
15:47être une femme,
15:48ce n'est pas du tout
15:48la clé
15:49pour proposer
15:52un destin
15:52favorable aux femmes.
15:55Après,
15:56je pense qu'un monde
15:57féministe,
15:58ça c'est quelque chose
15:59que j'ai traité
15:59dans mon précédent livre
16:01qui s'appelle
16:02Futur,
16:02aux mêmes éditions,
16:03aux éditions Alary,
16:04comment le féminisme
16:04peut sauver le monde.
16:07Je proposais vraiment
16:07de regarder le monde
16:09avec un regard féministe
16:10et c'est un regard
16:11qui serait beaucoup plus
16:12ancré sur le soin.
16:14Moi, je crois beaucoup
16:14à cette pensée du care,
16:16à cette idée en fait
16:16que revaloriser le soin
16:18de l'autre
16:19comme une valeur
16:20beaucoup plus importante
16:21en fait
16:22que la défense
16:23ou que la guerre
16:23par exemple,
16:24revaloriser les personnes
16:25qui prennent soin,
16:27que ce soit dans la société,
16:27qu'elles soient mieux payées
16:28ou que ce soit au sein
16:29des familles,
16:30au sein des foyers,
16:31ça pour moi,
16:31ce serait vraiment
16:32la première chose à faire
16:33pour que le monde
16:33soit plus féministe.
16:35Mais est-ce qu'on ne retomberait pas
16:36justement dans ce cliché du care
16:37en asservissant à nouveau
16:40les femmes à ce rôle
16:41du soin,
16:41de la protection ?
16:42Oui, mais en fait,
16:43le problème,
16:43c'est que tous ces gestes
16:45de soin,
16:45comme ils ont été relégués
16:46aux féminins,
16:47ils ont été dépréciés.
16:48En fait,
16:49il faudrait les revaloriser.
16:50Pourquoi dans la société,
16:51les personnes qui s'occupent
16:52de l'hygiène,
16:53de l'alimentation,
16:54de la santé,
16:55des personnes les plus pauvres,
16:56des personnes âgées,
16:57des enfants,
16:57sont les personnes
16:58les moins impayées ?
16:59Des personnes qui sont
17:00souvent des femmes,
17:00souvent issues
17:01de l'immigration ?
17:02Ça montre en fait
17:02qu'il y a une espèce
17:03de dépréciation
17:04pour tous ces gestes
17:05qui sont pourtant
17:05des gestes vitaux.
17:06Je pense que les remettre
17:07au centre de la réflexion politique,
17:09ce serait la meilleure façon
17:10de rétablir un peu de justice
17:12dans la société.
17:13Le temps file.
17:14On va en venir
17:15à la méthode
17:16que vous proposez.
17:17Cette méthode,
17:18elle consiste d'abord,
17:19selon vous,
17:20à apprendre à échapper
17:20à la surveillance.
17:22Pour conquérir sa solitude,
17:23il faut d'abord apprendre
17:24à se libérer
17:25du regard extérieur
17:26et surtout
17:26de la validation
17:27du monde extérieur.
17:30Vous avez cette phrase
17:31très forte.
17:31Le patriarcat n'a pas besoin
17:32de gardien de prison.
17:33Vous l'évoquiez
17:34juste avant.
17:36Cette surveillance,
17:37en fait,
17:38elle est intégrée.
17:39Alors,
17:39comment on s'en sort,
17:40finalement ?
17:41En tout cas,
17:42en avoir conscience,
17:42je pense que c'est déjà
17:43un très bon début.
17:44C'est vrai que je me suis rendue
17:45compte qu'il y avait
17:46cette idée de surveillance
17:47qui était centrale
17:48dans mon livre.
17:49Qu'est-ce qui faisait
17:49que je me sentais si bien,
17:50si soulagée dans la solitude ?
17:52C'est que je ne me sentais plus
17:53sous surveillance.
17:54Et pourtant,
17:55j'ai réalisé qu'en tant que femme,
17:57je me scrute.
17:58Mes rides,
17:59de mon poids,
18:01est-ce qu'il ne faut pas
18:02que je vieillisse trop ?
18:03Et c'est vrai que je me suis rendue
18:04compte que ces injonctions
18:05à la beauté
18:06étaient en fait une façon
18:07pour le patriarcat
18:09de continuer
18:10à nous mettre sous cloche
18:11même quand on n'avait plus
18:12réellement de regards
18:13braqués sur nous.
18:14Je pense que
18:15plutôt que de vouloir
18:16à tout prix s'en libérer,
18:18simplement l'identifier
18:19et comprendre ça
18:20comme un mécanisme,
18:21ça permet en fait
18:22d'en être plus tout à fait
18:23prisonnière.
18:24Parce que je ne veux surtout pas
18:25avoir l'air de dire
18:26c'est sans nous maquiller,
18:27parce qu'on peut trouver aussi
18:29beaucoup de plaisir,
18:30beaucoup de joie
18:31à se faire belle,
18:32à vouloir être belle,
18:33mais simplement ne plus le subir,
18:35ne plus le voir comme une obligation
18:36et pouvoir s'autoriser aussi
18:37les jours où on n'a pas du tout
18:38envie de le faire,
18:39de s'en libérer totalement.
18:41Je pense que voilà,
18:42comprendre aussi
18:42que ça vient
18:43de quelque chose
18:44d'extrêmement économique,
18:46c'est le capitalisme
18:47qui a inventé aussi
18:48toutes ces crèmes
18:49qu'il faut qu'on se mette,
18:50on nous en vende toujours plus.
18:52Donc voilà,
18:53lire, se renseigner,
18:54comprendre la pensée féministe,
18:55ça permet déjà
18:56de franchir un pas
18:57et de se libérer
18:58de cette sorte
18:59de male gaze
18:59intériorisé.
19:01C'est l'expression
19:01que vous utilisez,
19:02vous affirmez
19:02quand je suis seule
19:03je n'ai pas à être belle.
19:05C'est assez violent
19:06de se dire
19:06que quand on n'est pas
19:08maquillée,
19:10quand on se laisse aller,
19:11on est forcément moche,
19:12c'est ça que vous dites ?
19:13Non, c'est pas ça
19:13que je veux dire.
19:14Mais par contre,
19:15c'est vrai que je sens
19:15un relâchement de mon corps,
19:17c'est vrai que là,
19:18je vous parle à la télévision,
19:19je me sens obligée
19:20de sourire,
19:21d'avoir les jambes
19:22de me positionner
19:23d'une certaine façon
19:23de me tenir.
19:25Et quand je suis seule
19:25chez moi,
19:26effectivement,
19:26je peux m'abâchir,
19:28je peux me faire
19:29un chignon à l'arrache
19:30et partir de m'aboulocher.
19:32Moi, je me trouve jolie
19:32comme ça.
19:33Alors, il nous reste
19:34une toute petite minute,
19:35malheureusement,
19:36on n'aura pas eu le temps
19:37de tout aborder.
19:38Mais alors,
19:39ce que vous conseillez,
19:40je le dis très rapidement
19:41puisqu'on manque de temps,
19:42c'est d'abord
19:43d'ouvrir sa maison,
19:45de ne pas cantonner
19:46justement
19:47la femme
19:49dans son foyer
19:50qui est le premier lieu
19:51des violences.
19:52Vous le répétez beaucoup
19:53dans le livre.
19:54Et enfin,
19:55cette solution inattendue
19:56qui arrive à la fin du livre,
19:57sans vouloir divulgacher,
19:59vous conseillez
20:00de nous parler à nous-mêmes.
20:01Oui, exactement.
20:02Oui, c'est vraiment la clé.
20:03Mais je pense que,
20:04en fait,
20:04c'est drôle
20:05qu'on fasse passer
20:06le fait de se parler
20:07à soi-même
20:08comme un signe
20:09de folie
20:09ou d'irrationalité
20:10alors que c'est quelque chose
20:11de très, très rationnel
20:12qui a même été démontré
20:13par la recherche en psychologie.
20:14On a une voix intérieure.
20:16Et je pense que
20:16dans la solitude,
20:17même si au début,
20:17c'est difficile,
20:18même si au début,
20:19on est face à un vide,
20:20à un trou noir,
20:21quelque chose de très angoissant,
20:22au bout d'un moment,
20:23on sent en soi
20:24s'élever une voix
20:25qui est notre voix authentique,
20:26qui est notre voix intérieure.
20:28Et rentrer en dialogue
20:29avec cette voix,
20:30c'est une façon,
20:31en fait,
20:31très simple
20:31de se réconcilier
20:32avec soi-même.
20:33Et moi,
20:34je me parle beaucoup
20:34à moi-même
20:35et je me suis rendu compte
20:35que probablement,
20:36une grande partie
20:37de ma joie quotidienne
20:38résidait dans ce dialogue
20:39que j'entretenais avec moi.
20:41Lorraine Bastide,
20:42merci beaucoup.
20:43Et je vous invite
20:43à découvrir ce livre
20:45qui s'adresse aussi aux hommes.
20:46Tout à fait.
20:47Il y a beaucoup d'hommes
20:47qui le lisent
20:48et qui l'apprécient.
20:49Merci.
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