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00:00Welcome to Cinéastes d'Afrique, the series that puts in light the classics of African cinema
00:13in making us hear the words of those and those who, yesterday like today,
00:18lead to the history of the seventh art on the continent.
00:21I am Gad Ben Salem, author, slammer, comedian and actor in scene,
00:28and I take you today to my country, Madagascar, to talk to you about Tabataba,
00:33made in 1988 by Raymond Radjon Arvel.
00:36A film both poetic and political, which lifts the voile on a dark and too long
00:42unknown to the colonial history of French history, the insurrection of 1947 to Madagascar.
00:47Dès le générique, Raymond puts an introduction and informs the historical context in which
00:55se joue le film. Madagascar 1947, colonie française.
01:00En mars, une insurrection éclate sur l'étendue du territoire.
01:04Répression, 100 000 morts. La République malgache sera finalement proclamée en 1960.
01:12Ce film est dédié à la mémoire du peuple malgache.
01:15Tabataba, ça veut dire plusieurs choses, mais ici on peut le traduire par la rumeur,
01:23au sens du bruit qui court, et le soulèvement aussi. Celui du peuple malgache qui en 1947 s'est
01:30levé et que la France a voulu faire taire. Un grondement étouffé, un murmure de douleur
01:35et de résistance. Une révolte écrasée comme tant d'autres dans l'histoire coloniale
01:39est trop longtemps passée sous silence.
01:41Tabataba, ou les bruits d'une révolte oubliée. Un épisode de cinéastes d'Afrique consacré à Raymond
01:51Rajan Narivello, une série produite par RFI en collaboration avec la Cinémathèque Afrique de
01:56l'Institut Français.
01:58Moi, en fait, ce qui m'intéressait le plus, c'était cette espèce de violence psychologique,
02:04physique et morale, hein, la destruction des villages, la destruction de la civilisation,
02:09en fait. Tabataba, c'est ça, c'est cette espèce de volonté de détruire les choses, de détruire
02:15psychologiquement, physiquement Madagascar, quoi. C'est ça, Tabataba. Et c'est ça qu'ils
02:21n'ont pas réussi, en fait. Les Français n'ont jamais réussi à le détruire.
02:29Avec son premier long-métrage, Raymond Rajan Narivello redonne une voix à celles et ceux
02:34qui ont longtemps été réduits au silence. Il propose un regard intime sur des événements
02:39survenus à peine 40 ans plus tôt. Pour comprendre ce qui l'a conduit à réaliser
02:45ce film de fiction, retrouvant-le sur RFI au micro de Maxime Grimbert, il revient sur
02:50son enfance et sur le moment précis de sa vie où il a pris connaissance de l'histoire
02:53des insurrections de 1947.
02:56Là, en fait, la genèse de mon film, c'était très simple. C'est qu'un jour, mon grand-père,
03:01il a réuni ses petits-enfants et quelques enfants du village et il a dit, voilà, on va vous raconter
03:08ce qui s'est passé en 1947. Moi, j'avais une douzaine d'années à l'époque.
03:13J'étais ici sur des nates et ils ont mis une chaise. Donc, nous, on pensait, oui, bien sûr,
03:18c'était la chaise où il va s'asseoir pour raconter l'histoire. Et finalement, ce qui s'est
03:23passé, c'est qu'il y a des gens qui ont transporté un homme, qui ont posé cet homme sur cette
03:28chaise et cet homme a raconté son histoire. Et cet homme a dit, voilà, moi, à l'époque,
03:33je faisais partie des rebelles et on nous a fusillés dans la forêt. On a été attrapés
03:39par les soldats sénégalais et on nous a fusillés. Et moi, je n'étais pas mort, mais j'étais
03:43blessé quand on a 12 ans. Vraiment, ça a fait tilt dans ma tête. Il a dit, comme
03:50je savais un peu comment survivre et tout ça, je faisais comme les singes. Je prenais
03:54des feuilles et je les mâchais, je les mettais sur mes blessures et j'ai survécu comme ça.
04:00Et après, quelques jours après, il y a des villageois qui m'ont retrouvé, qui m'ont
04:03caché, qui m'ont revenu dans le village et j'ai survécu. Mais j'ai été complètement
04:07paralysé. Donc, à 12 ans, quand on nous raconte comme ça, on voit cet homme avec toutes
04:13ses blessures, avec tous ses souvenirs. C'est comme une claque. Et moi, je m'étais
04:18dit qu'un jour, je voudrais raconter cette histoire de 1947 aux gens, parce que lui, il
04:24nous a raconté cette histoire.
04:27Ah, monsieur l'instituteur.
04:29Monsieur le chef de Gaton.
04:30Bonjour. Nous allons procéder à l'élection des députés. Je compte sur votre participation.
04:36Voici les bulletins.
04:38Je suis prêt à faire mon devoir, monsieur le chef de Gaton, mais...
04:41Quelque chose ne va pas ?
04:43Je vois pas le bulletin de Gaton et MDRM.
04:45MDRM interdit !
04:47Ce parti dont vous parlez est un parti sédicieux. D'ailleurs, il ne s'est jamais inscrit sur
04:53les listes du chef de district. Pour la République, ce parti n'existe pas.
04:57Dans ces cas, je n'ai pu vous être d'aucune utilité.
05:01Monsieur l'instituteur, revenez ! Revenez ! Ne tirez pas ! Revenez ! C'est un ordre !
05:08Tabatab prend donc pour toile de fond l'insurrection anticoloniale de 1947 à Madagascar.
05:15Un soulèvement violemment réprimé par l'armée française, mais qui marquera un tournant décisif
05:21et ouvrira la voie à l'indépendance en 1960.
05:26La scène que nous venons d'entendre témoigne de la brutalité exercée contre les Malgaches
05:30et de l'intransigeance des autorités coloniales françaises, refusant alors toute perspective
05:36d'émancipation. Marie Ranzanour, autrice du roman Feu, Fièvre, Forêt, consacrée à
05:42l'insurrection de 1947, revient sur cette séquence et son contexte historique.
05:48Alors effectivement, dans le film Tabatab de Raymond Rondanarville, il y a cette scène
05:54où le chef de canton français vient, armé de tirailleurs, pour proposer aux villageois
06:00de participer au vote de leurs députés. Donc le film s'ouvre sur une visite au village
06:06d'un député du MDRM, mouvement démocratique de la rénovation malgache, qui vient animer
06:12les velléités indépendantistes auprès du village. Rijnanarville montre bien cette dichotomie
06:18qu'il y a entre ce personnage qui est habillé à l'occidental, en costume trois pièces,
06:22en chaussure de cuir, avec sa petite serviette sous le bras, alors que les villageois sont habillés
06:28de façon traditionnelle, en Rabanne, etc. Donc il y a une vraie demande démocratique
06:34qui se fait à ce moment-là, et c'est l'échec de cette voie parlementaire
06:38et cette dénégation par l'autorité française de l'indépendance malgache
06:42qui va mener aux événements, en fait. Et l'histoire leur donne raison,
06:46puisque l'indépendance est refusée par les urnes. Et le 29 mars,
06:50les forces en présence attaquent le camp militaire de Mouramang et s'ensuit
06:54une flambée des violences sur toute l'île. Le parti à la suite des événements de 47
06:59sera interdit, effectivement. Tous les mouvements insurrectionnels
07:02seront décapités et ça sonne la fin du mouvement insurrectionnel,
07:06en tout cas officiellement, puisque de nombreux insurgés vont rester
07:12dans le maquis et pratiquer une forme de guérilla pendant plusieurs mois,
07:17voire quelques années, puisque le théâtre d'opérations extérieures
07:19sera levé seulement en 51.
07:21J'ai d'abord choisi ce village parce que je voulais vraiment
07:26une totale authenticité, c'est-à-dire que je voulais que le film
07:28ait vraiment une date, c'est-à-dire 1947, par rapport à l'image,
07:33par rapport au décor, si vous voulez. Donc j'ai cherché, j'ai fait mes repérages
07:36dans plusieurs villages et tout ça. Moi, j'ai vu que les villages étaient
07:39vraiment très loin dans la montagne et tout ça. Et donc, ce que j'ai fait,
07:42j'ai trouvé celui-là. Il était assez beau, mais il y avait quelques trucs
07:45à l'intérieur avec des toits en tôle ou des choses comme ça.
07:48Donc j'ai décidé de garder celui-là en arrangeant le village.
07:50Donc j'ai refait tout le décor des villages, j'ai remis de la paille
07:54sur les toits en tôle et rhabillé les quelques trucs
07:58qui faisaient 1960-1970.
08:00J'ai découvert Tabataba quand j'étais encore enfant. Je ne saurais dire
08:07exactement quel âge j'avais, mais je me souviens du choc que ce film m'a
08:11procuré dès le premier visionnage. C'était sans doute en VHS, à la télé
08:16ou peu importe, mais en tout cas, c'était un 29 mars, jour de la commémoration
08:21de l'insurrection de 1947. À travers le petit écran, il me reste l'image de silhouettes fugaces.
08:29Mais plus que les images elles-mêmes, ce sont les ambiances, les couleurs et les sons qui m'ont marqué.
08:35Dans le cinéma de Raymond Razon Arvelo, il existe une dimension avant tout sensorielle,
08:40presque physique. Quelque chose que je ne comprenais pas encore,
08:43mais qui s'adressait directement à mon inconscient de jeune homme malgache.
08:47Comme si cette histoire faisait partie de ma propre mémoire.
08:51C'est d'ailleurs ce que le cinéaste raconte sur RFI en 1988,
08:54au micro de Catherine Ruel, journaliste et spécialiste des cinémas d'Afrique.
08:59Il y a aussi un parti de mise en scène à l'intérieur qui est très malgache.
09:03On verra comment les gens vont le recevoir.
09:05Qu'est-ce que vous voulez dire par très malgache ?
09:07C'est-à-dire que les malgaches croient par exemple à ce qu'il est invisible,
09:10croient à la suprématie des morts, aux ancêtres et tout ça.
09:14Et du fait que ces gens-là, ces ancêtres, les morts et tout ça,
09:17ça devient petit à petit une force pour eux.
09:19Ils ne sont pas vraiment perdus, ils sont protégés aussi quelque part.
09:24Ils sont là, presque sereins, mais ils savent qu'il se passe plein de choses à l'extérieur.
09:28Mais ils attendent, ils disent qu'il va revenir, il va revenir en général et tout ça,
09:33jusqu'au moment où l'armée de la pression arrive.
09:36C'est vraiment une histoire qui est très malgache par rapport même aux gens qui jouent.
09:40Les gens qui jouent dedans déjà, c'est des non-professionnels, c'est vraiment les gens du village.
09:46C'est des gens qui n'ont jamais vu de cinéma de leur vie, qui n'ont jamais vu de théâtre de leur vie.
09:49Je les ai fait jouer, c'est aussi un pari, mais c'est comme ça.
09:52Et c'est aussi cette espèce d'essayer de traduire la philosophie malgache à travers le film, si vous voulez.
10:00Et c'est ça un peu peut-être qui, je ne vais pas dire que c'est incomprensible,
10:03parce que c'est très incomprensible, mais qui peut-être n'est pas actuel ou quelque chose comme ça.
10:08Je vous avais pourtant prévenu, monsieur l'instituteur.
10:12La rumeur que vous colportez, vous et vos amis,
10:15ont amené un certain nombre de paysans à un puissant de leur café à monsieur Justin.
10:19Et vous, vous allez être jugés.
10:22Ils vont vous mettre en prison.
10:25Peut-être même, vous l'aurez bien cherché.
10:31Léhide, gars !
10:32Je m'empêche la gueule !
10:34Je m'empêche la gueule, Léhide, gars !
10:35Léhide !
10:37Cette scène d'affrontement, qui met face à face des paysans malgaches,
10:44des militaires français, des tirailleurs africains
10:47et des officiers malgaches ralliés à l'armée coloniale,
10:50constitue l'un des moments forts du film.
10:53Sur le plan cinématographique,
10:55elle se distingue par un travail remarquable sur les sons et les lumières
10:58qui renforce l'intensité dramatique.
11:01Mais au-delà de l'esthétique, c'est aussi une séquence hautement symbolique
11:05qui incarne la façon dont le film choisit de raconter les massacres de 1947.
11:11L'autrice Marie Ranzanour nous en propose sa lecture.
11:15Alors, dans « Table à table » de Raymond Adanavelle, il y a effectivement une scène qui est centrale,
11:21qui se passe dans une gare, dans le sud-est de Madagascar.
11:25Donc, l'instituteur du village, qui a refusé de voter,
11:28puisque le parti du MDRM n'était pas représenté dans les bulletins que le chef de canton lui amène,
11:33sera emprisonné dans un wagon, puis exécuté par un turailleur au moment de l'explosion des violences.
11:39De façon métaphorique et symbolique, cette scène fait référence à la fusillade du wagon
11:43qui a eu lieu dans la même région, dans le sud-est de Madagascar,
11:47qui est un des événements les plus sanglants de 1947,
11:51où un grand nombre d'insurgés seront enfermés dans un wagon,
11:55puis fusillés de façon sommaire par les tirailleurs sur ordre de l'autorité militaire française.
12:01Donc, les événements de 1947 se sont majoritairement produits sur la côte est de Madagascar, sud-est.
12:08L'épitome qu'on cite souvent, c'est Buramang, qui est au nord-est de Tanarive,
12:13qui est une base militaire française qui sera attaquée dans la nuit du 29 au 30 mars 1947,
12:19et qui est donnée de façon académique comme le point de départ, en tout cas, de l'insurrection.
12:24M, comme Madagascar, la terre de nos ancêtres.
12:51C'est la phrase que les enfants du village répètent en chœur autour de leur instituteur, Raoumbi.
12:58Cette figure marquante du film incarne cet indépendantiste qui croit encore à une voie pacifique vers la décolonisation.
13:06Dès cette scène inaugurale du film, Raymond Razonarvello suggère que l'indépendance n'est pas seulement l'affaire des militants ou des adultes,
13:14mais qu'elle concerne aussi les enfants.
13:17C'est à travers leurs yeux que l'histoire se raconte,
13:19et plus particulièrement à travers Soule, un garçon de 12 ans dont le regard d'enfant éclaire tout le récit.
13:27Et 12 ans, c'est aussi l'âge qu'avait Raymond quand on lui a raconté pour la première fois les histoires de 1947.
13:34C'est à travers l'œil d'un enfant de 12 ans.
13:38Et lui, c'est le personnage qui va en fait hériter de toute cette histoire.
13:42Bon, il y a, disons, trois personnages principaux, des deux malgaches.
13:46Il y a la vieille qui a fait un peu la mémoire qui se passait avant.
13:49Elle dit, ouais, on va encore s'enfuir dans la forêt, ça sert à rien, moi je reste là, de toute façon je ne peux pas partir et tout ça.
13:56Et lui, le môme, il a un peu l'œil de tout ça, quand il regarde, il ne comprend pas pourquoi les gens bougent, ne bougent pas.
14:06Pourquoi est-ce que son frère, qui est un peu le symbole de la force à l'intérieur, va faire la guerre, quoi.
14:13Disons qu'il va faire la guerre.
14:15Il va devenir lui-même une rumeur parce qu'on va dire qu'il est général, on va dire qu'il va revenir et tout ça.
14:19Et c'est comme ça, quoi.
14:20En choisissant la fiction plutôt que le documentaire, Raymond Razzonarvello aborde l'insurrection de 1947 à travers des personnages chargés de symboles.
14:33Ici, on assiste à une scène où l'armée coloniale française incendie un village au cœur de la forêt.
14:39La grand-mère du jeune Soulu, assise avec dignité dans son fauteuil en rotin, attend l'arrivée de l'armée française.
14:46Elle devient l'incarnation d'un Madagascar éternel.
14:50A la fois résignée face à la domination coloniale et pourtant indomptable, capable encore de rire et de tourner le colonisateur en dérision.
15:01En privilégiant l'intime et le symbolique plutôt que le spectaculaire,
15:05le cinéaste trouve une manière sensible d'évoquer cette page douloureuse de l'histoire de notre pays.
15:12Mais malgré tout, ce choix n'a pas facilité la production.
15:16Le film a mis des années à voir le jour.
15:18Et alors que le tournage avait commencé, l'ambassadeur de France à Madagascar a décidé d'annuler la subvention accordée par le ministère des Affaires étrangères en France.
15:27Raymond revient sur ce parcours semé d'obstacles.
15:31Je n'ai pas eu du tout aucune aide de l'État.
15:34J'ai eu une aide du ministère de la coopération.
15:38Mais ce qui s'est passé, en fait, c'est que le ministère de la coopération a donné cette aide au scénario et tout ça.
15:43Et quand je suis arrivé à Madagascar, l'ambassadeur de France, qui s'appelle Alain Brie, a dit,
15:48ah non, pas du tout, moi, je n'accepte pas du tout ce film, je retire cette aide.
15:51Parce que le sujet les a gênés ?
15:53Parce que le sujet les a gênés en disant que ce n'est pas très bien pour la France de donner de l'argent alors qu'elle a participé à la répression.
16:01Et donc, cet argent a été retiré.
16:04Et j'ai eu vraiment des problèmes parce que ça m'a valu un arrêt de tournage d'un mois et demi.
16:08Et moi, je pensais que le film s'est arrêté complètement parce que les techniciens sont rentrés à Paris.
16:13Après une semaine de tournage, les techniciens sont rentrés à Paris.
16:16Bien sûr, ils n'ont pas voulu rester parce qu'ils n'étaient pas payés.
16:20C'était l'argent sur lequel on allait payer.
16:22Ils ne sont pas restés.
16:24Donc, il fallait trouver d'autres.
16:26Donc, après un mois et demi, je suis retourné à Madagascar.
16:28Et j'ai demandé aux autres techniciens.
16:30Ils ont dit non, non, non, on ne revient pas.
16:32Et j'ai dû changer l'équipe entièrement, sauf ingénierie.
16:35Et au niveau des autorités malgaches ?
16:36Au niveau des autorités malgaches, ils m'ont laissé faire en fait.
16:41Ils ne sont pas manifestés, rien.
16:45Ils m'ont dit, ah bon, il fait un film, bon, on verra bien.
16:50Au lendemain des indépendances, le cinéma sur le continent africain s'est heurté à une double contrainte.
16:57D'un côté, la France voulait garder la main sur les récits venus de ces anciennes colonies.
17:02Et de l'autre, comme Raymond l'a expliqué, la plupart des gouvernements africains soutenaient peu leur production artistique.
17:12Des films comme Tabatab ont ainsi rencontré de nombreux obstacles.
17:16Pourtant, aujourd'hui, ces œuvres sont reconnues à la fois pour leurs valeurs artistiques
17:21et pour leur rôle dans la prise de conscience collective autour des réalités coloniales.
17:27L'autrice Marie Ranzanour souligne à quel point l'art demeure un outil essentiel de réappropriation d'une histoire longtemps étouffée.
17:36Ce que je trouve le plus intéressant dans le film Tabatab de Raymond Ranzanarville,
17:40c'est le choix de la fiction pour parler d'événements historiques.
17:43C'est un choix que j'ai fait également.
17:44Il convoque tout un langage qui est très, très poétique, une scénographie qui est quasi théâtrale
17:48pour parler d'événements assez crus, très, très durs.
17:52Et pour moi, c'est aussi un témoignage que l'appropriation des événements culturels
17:58doit se faire aussi par toutes les formes d'art qui sont à notre disposition,
18:02que ce soit la photo, la poésie, la littérature, le cinéma, la dramaturgie,
18:07parce qu'il n'est jamais simple de parler d'événements historiques
18:09qui sont aussi durs et aussi traumatiques.
18:13Et justement, la fiction, c'est un moyen de s'approprier de façon beaucoup plus vraie,
18:18il me semble, et intime, cette narration historique,
18:22parce que justement, elle met en exergue des passions, des voix,
18:27des éléments organiques qui font appel à la chair, à l'humain, à la voix, à l'immatériel,
18:34là où l'histoire, l'historiographie, les archives, la recherche,
18:38qui sont évidemment essentielles, ne retracent pas, en fait,
18:42à la fois la poésie de nos cultures, mais aussi la violence de la colonisation
18:46comme elle l'a pu l'être.
18:48Et si on ne voit pas la violence dans les yeux,
18:50comme une violence faite d'homme à homme, d'une main sur un autre corps,
18:54en fait, on ne voit pas la violence coloniale pour ce qu'elle est.
18:57Après sa sélection au Festival de Cannes en 1988,
19:12une première pour le cinéma malgache,
19:15Tabataba sort dans les salles de cinéma en France et à Madagascar en 1989.
19:20C'est seulement le quatrième long-métrage de l'histoire du cinéma malgache.
19:25Mais sa sortie coïncide avec une période de transition pour le cinéma.
19:31Les salles obscures se font de plus en plus rares sur l'île rouge,
19:34remplacées par des vidéoclubs et l'arrivée de la télévision par câble et par satellite.
19:39Alors, si le film a le mérite d'exister à Madagascar,
19:42c'est surtout sur la scène internationale, à travers les festivals,
19:46qu'il connaît un véritable rayonnement.
19:48En fait, c'est une espèce d'ironie du sort.
19:51C'est que, bon, on avait demandé, donc, à l'époque du ministère de la Culture,
19:56de sortir le film à Madagascar.
19:58Et, en fait, eux, ils avaient fait un autre film,
20:01qui s'appelait Yil Tzuver.
20:04Et pour ne pas concurrencer l'autre film, ils ne voulaient pas qu'on sorte le film.
20:07Et, en fait, l'ironie du sort, c'est qu'il y avait un festival français.
20:13Au Centre culturel Albert Camus, ils ont fait un festival de films français.
20:18Et on a inscrit Tabataba dans le festival.
20:22Et la première projection, c'était incroyable,
20:24parce qu'il y avait des queues de presque, je dirais, peut-être un kilomètre.
20:29Et donc, après ça, quand les agriculteurs malgaches ont vu qu'il y avait une importance,
20:32et c'est là où ils ont permis à Tabataba de passer dans les autres salles à Madagascar.
20:37Et c'est là où s'est recommencé l'histoire de Tabataba.
20:41C'est incroyable, tous les gens, l'engouement par rapport à ce film,
20:44parce qu'en plus, ce film, donc, il a été à Cannes,
20:48donc, il a obtenu le prix du public,
20:50après, il a été à Carthage, il a obtenu le prix du premier oeuvre,
20:52donc, quand même, il a eu des prix et tout ça.
20:54Et tout le monde voulait vraiment le voir.
20:56Et partout, partout, partout.
20:58Et moi, j'ai envoyé une cassette vidéo au village où on a tourné,
21:02parce que quand même, il n'y avait pas d'électricité là-bas,
21:06au village où on tournait.
21:07Donc, ils ont été à Fanadine pour regarder le film.
21:09Et moi, je n'étais pas là, mais les gens qui étaient là,
21:12ils ont dit, mais vraiment, ton film, c'était vraiment...
21:14Ils ont rigolé de tous les débuts jusqu'à la fin,
21:17ils ont rigolé parce qu'ils se sont vus.
21:21Voilà.
21:22Quand le film est passé sur Canal+,
21:26il y a un garçon qui l'a enregistré
21:28et qui l'a mis sur YouTube.
21:31Et donc, bon, sans me contacter, il n'y a rien,
21:33il l'a mis sur YouTube.
21:34Et après, ce film, il a été piraté à Madagascar
21:37pendant toutes les télés.
21:40Donc, même maintenant,
21:41des fois, de temps en temps,
21:43je sais qu'il a piraté,
21:45par exemple, le jeu de l'indépendance,
21:47il a été passé à la télé, piraté, tout ça.
21:50J'essaie de me battre par rapport à tout ça,
21:52mais bon, c'est compliqué, quoi.
21:54C'est vraiment compliqué.
21:55Mais bon, en tout cas,
21:57je crois que c'est un des films
21:58que les malgaches ont vus, quoi.
22:00Quand on parle de tabac-tabac à Madagascar,
22:02les gens l'ont vu, les films.
22:04Beaucoup de gens l'ont vu, quoi.
22:06Voilà, donc ça a permis ça, effectivement, aussi.
22:10La fin du film,
22:11dans cette atmosphère de silence et de désolation,
22:14m'évoque quelque chose de très personnel.
22:17Permettez-moi un pas de côté.
22:18Je vais vous lire un texte que je viens d'écrire.
22:23Moi, enfant,
22:26vêtu d'une chemise de paille,
22:28j'appelle Nénie, ma mère.
22:30Maman, maman.
22:32Mais elle s'est tue à son tour.
22:35Elle s'est tue, peut-être, à jamais.
22:38Je n'entends plus que le souffle de la colline,
22:41berceau de ma révolte,
22:43témoin du silence des miens.
22:44Je ne vois plus que les traces des murmures qui s'évanouissent.
22:49Le bruit ne court plus.
22:52Il est en marche.
22:53Aujourd'hui,
22:58avec la nouvelle restauration du film,
23:00Tabataba retrouve la beauté de son image d'origine,
23:04son éclat et son grain.
23:06Surtout,
23:07le film peut de nouveau contribuer,
23:09à sa manière,
23:10à une meilleure compréhension de l'insurrection de 1947
23:13à Madagascar,
23:15comme en France.
23:16Car si le film date de 1988,
23:18il a fallu attendre 2005
23:20pour que l'État français commence à reconnaître
23:23la réalité des massacres.
23:25Et 2025,
23:26pour qu'une commission mixte d'historiens
23:28s'attelle enfin à examiner ensemble
23:30cette page sombre de la colonisation française.
23:35Depuis,
23:35le récit de l'insurrection de 1947
23:37continue de nourrir l'imaginaire
23:39d'une nouvelle génération d'artistes
23:41pour qui Raymond a ouvert la voie
23:43en montrant que cette histoire
23:45méritait pleinement d'être racontée.
23:47C'était Tabatab
23:51ou les bruits d'une révolte oubliée.
23:54Un épisode consacré au film Tabatab,
23:56une œuvre essentielle
23:58pour la mémoire de Madagascar
23:59et pour l'histoire des cinémas d'Afrique.
24:02Et si cette traversée sonore
24:04dans l'univers de Raymond Razzonarvel
24:06vous a plu,
24:07prenez le temps d'écouter
24:08les autres épisodes
24:09de la série
24:10Cinéastes d'Afrique.
24:11Cet épisode a été raconté
24:14par Gad Bensalem,
24:16écrit par Maxime Grandbert,
24:18réalisé par Simon De Creuse
24:19et produit par la cellule podcast de RFI.
24:22Il est à retrouver sur RFI Pure Radio
24:24et toutes les plateformes d'écoute.
24:25Sous-titrage ST' 501
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