00:04Europe 1 Soir Week-end avec mes débatteurs de la première heure, Raphaël Stainville, directeur adjoint de la rédaction du JDD.
00:10Bonsoir Raphaël.
00:11Bonsoir Stéphanie.
00:12Gilles Boutin, journaliste en politique économique au Figaro.
00:15Bonsoir Gilles.
00:16Bonsoir Stéphanie.
00:17Vous l'avez suivi certainement messieurs, plusieurs milliers de personnes étaient donc rassemblées à Marseille en hommage à Médic et Sassi,
00:23tuées en guise d'avertissement le 13 novembre sur fond de narco-trafic.
00:30De nombreuses personnalités politiques de tous bords étaient sur place.
00:35Bonsoir Jean-François Guéraud.
00:37Bonsoir Madame.
00:38Commissaire général, auteur des Sociétés du silence, l'invisibilité du crime organisé aux éditions Fayard.
00:45On est vraiment heureux de vous recevoir ce soir Jean-François Guéraud puisque vous êtes l'un des meilleurs spécialistes français du crime organisé.
00:52Alors je sais que vous n'aimez pas forcément, parce que vous êtes encore en activité, commissaire général, commenter l'actualité mais quand même.
01:00On a entendu tout à l'heure le maire de Marseille lors de cette marche blanche nous dire,
01:05bon on va parler d'unité, on ne va pas trop dramatiser, on n'est quand même pas dans le palerme des années 80.
01:11Vous qui avez écrit ces combien ?
01:13Presque 500 pages de livres consacrés en grande partie à la mafia italienne, à tous ces systèmes, à l'univers de ces mafias.
01:21Est-ce que vous feriez la même analyse que Benoît Payan ?
01:25Alors je ne me permettrai évidemment pas de commenter une déclaration d'un maire.
01:31Je rappelle simplement que son prédécesseur pendant près d'un quart de siècle a répété à l'envie que Marseille n'était pas Chicago.
01:37Donc je ne sais pas ce que l'on dira dans dix ans.
01:39Ceci dit, en effet, Palerme dans les années 80-90 a été un moment très particulier de l'histoire de l'Italie et du crime organisé
01:48parce qu'on a eu une famille de la Cosa Nostra et Corleone qui ont mené une politique d'assassinat
01:53et en fait de terrorisme qui était une politique de grande visibilité et de confrontation avec l'État
01:58mais anormale par rapport à ce qu'est normalement une mafia, c'est-à-dire un univers du silence, de la discrétion et de l'invisibilité.
02:06Cette parenthèse est refermée car la mafia a compris que ce moment d'hubris, de folie des grandeurs, lui avait coûté très très cher.
02:12Et ce que l'on vit actuellement à Marseille, c'est l'antithèse de ce qui est fondamentalement un territoire contrôlé par une vraie société secrète criminelle,
02:20une vraie mafia, et cela n'a en effet rien à voir.
02:23– Ça n'a rien à voir parce que clairement vous faites la différence, d'ailleurs ce qu'a fait l'écrivain italien hier dans le Figaro, Rodrigo Roberto.
02:34– Roberto, oui merci, je cherchais son nom, Raphaël, en effet.
02:37Il disait en France clairement, on ne fait pas la différence entre le système mafieux et le système criminel et c'est là notre erreur.
02:45Est-ce que vous partageriez justement ce diagnostic ?
02:48Parce que lui justement, il estime déjà qu'on est dans ce système mafieux.
02:53Mais vous, vous nous dites non, pas nécessairement. Justement, c'est presque l'inverse.
02:57– Alors, il y a un problème de qualification qui n'est pas uniquement un problème théorique, c'est un problème de compréhension du réel.
03:05Il faut accorder beaucoup d'importance aux qualifications parce que les mots précèdent les choses.
03:09Et si on qualifie mal le réel, soit en le relativisant, soit en l'exagérant, on risque de l'invisibiliser.
03:15Qu'est-ce que c'est qu'une mafia ?
03:16Ce n'est évidemment pas ce que la langue journalistique et politique nous décrit, c'est-à-dire un synonyme de criminalité organisée.
03:22Une mafia en criminologie, c'est un type très particulier d'organisations criminelles.
03:27Il y en a une dizaine à travers le monde.
03:29L'archétype en est Cosa Nostra en Sicile.
03:31Et ce sont des organisations qui ont une sociologie de société secrète.
03:35C'est l'exception.
03:36La plupart des organisations criminelles sont de vulgaires bandes criminelles.
03:40Ce qui n'enlève rien à leur dangerosité.
03:42Mais on n'est pas dans le même univers sociologique.
03:46Le jour où on aura une vraie mafia à Marseille, tout sera calme, mais on aura définitivement perdu le contrôle du territoire.
03:54Si vous deviez décrire aujourd'hui les réseaux de narcotrafiquants qui agissent notamment à Marseille, comment vous les qualifieriez ?
04:01Ce sont des bandes criminelles.
04:03La DZ Mafia, c'est une bande criminelle ?
04:06C'est une bande criminelle.
04:07Et je le répète, ça n'enlève rien à sa richesse, sa puissance.
04:10Mais ce sont des structures d'une autre nature.
04:14Est-ce que, justement, vous pensez qu'on va arriver à cette camorisation ?
04:18Vous employez le terme, je crois, dans votre livre, de certains territoires en France.
04:22On a bien compris que, selon vous, on n'y était absolument pas, que ce n'était pas la même manière d'agir.
04:28Mais est-ce qu'on a ce risque d'y arriver ?
04:30Est-ce que, d'après les profils, j'imagine que vous les avez quand même étudiés de près ?
04:34On a vu, d'ailleurs, sur les réseaux sociaux hier, ces images assez terrifiantes et violentes de cette DZ Mafia
04:40qui arrive, alors, effectivement, pas du tout discrète, dans un quartier sensible de 7 pour prendre le pouvoir ?
04:46On n'en est pas là.
04:47On n'en est pas là, mais je comprends tout à fait le propos de Roberto Saviano,
04:52quand il fait un parallèle avec la situation italienne,
04:54dans la mesure où ce qui est commun, c'est un processus d'inversion, de contrôle territorial,
05:02c'est-à-dire qu'il y a une concurrence de souveraineté sur ces territoires,
05:06une concurrence entre l'appareil d'État, qui est seul légitime, la légalité,
05:11et aujourd'hui des organisations criminelles qui exercent,
05:15ou qui tentent d'exercer un pouvoir social et économique.
05:18Donc cette inversion de souveraineté sur certains territoires français
05:21peut faire penser à des processus que l'on rencontre en Italie,
05:25mais en réalité, dans la plupart des pays à travers le monde, sur la planète,
05:29parce qu'on n'a pas voulu voir que depuis le milieu du XXe siècle,
05:33et surtout depuis la chute de la fin de la guerre froide,
05:38la planète s'est profondément criminalisée.
05:41Soit sous le joug d'organisations criminelles,
05:44soit parce que des États gangstérisés gèrent des rentes criminelles.
05:48Et ce qui nous attend au XXIe siècle, c'est la centralité,
05:52donc du jeu d'organisations criminelles et d'acteurs criminels.
05:55Ça veut dire quoi, la centralité ?
05:58C'est-à-dire que le phénomène ne sera plus marginal, contrôlable et contrôlé.
06:03Ce sont des pouvoirs qui vont s'inviter dans les mécanismes,
06:07à la fois dans le fonctionnement des marchés économiques et financiers,
06:10qui vont corrompre les administrations,
06:12et qui à un moment donné vont exercer une forme de tutelle
06:16ou vont rapidement s'assurer une forme d'accommodement avec le pouvoir politique.
06:24Donc une corruption vraiment démocratisée, si j'ose dire.
06:28Oui, ce n'est pas très optimiste, ce que vous nous dites, mon cher Jean-François Guéraud.
06:33Oui, j'évite toujours de faire de la psychologie,
06:35j'essaye simplement de porter un diagnostic un peu froid sur la réalité.
06:39En effet. Gilles Boutin.
06:42Oui, d'abord pour revenir sur la phrase de Benoît Payan,
06:45dire que Marseille n'est pas Palerme tend à minimiser la situation.
06:49En tout cas, sans que les Français aient une connaissance précise
06:52de ce qui caractérisait Palerme dans les années 80,
06:56on comprend que derrière, tout comme vous le disiez, Marseille n'est pas Chicago.
06:59Je crois qu'il est assez malvenu de minimiser ce qui se passe à Marseille.
07:03Il y a suffisamment de morts comme cela.
07:04Ce qui amène une question, c'est-à-dire que peu importe la nature,
07:09est-ce une mafia ou n'est-ce pas une mafia ?
07:11La grande question, c'est la réponse.
07:12Et vous l'évoquez, c'est très compliqué parce que c'est mondial.
07:14Mais au-delà de la lutte à la fois mondiale et aussi au niveau des systèmes,
07:18enfin des réseaux, par quoi passe la réponse ?
07:22Est-ce que la réponse peut aussi passer par le terrain, tout simplement,
07:24par l'occupation, c'est-à-dire rendre impossible l'exercice du métier,
07:29si l'on peut appeler ça un métier, de distributeur de drogue ?
07:33Faut-il augmenter les effectifs d'une police d'occupation de terrain ?
07:37Ou convoquer l'armée ?
07:39C'est une question que je pense, beaucoup de gens se demandent,
07:42en se disant, mais comment on va faire pour rendre un peu de sécurité au quotidien
07:45aux gens qui vivent en enfer dans ces quartiers ?
07:48C'est une question légitime.
07:50Là, on entre sur un terrain politique, au sens le plus noble du terme.
07:55L'histoire du crime organisé nous apporte quelques leçons,
08:00aussi bien aux Etats-Unis d'ailleurs qu'en Italie.
08:02En Italie, l'Etat s'est réveillé, d'abord de manière isolée,
08:08dans les années 80, c'était quelques juges, quelques policiers,
08:12ça leur a coûté leur vie, et puis à partir des années 90,
08:15il y a été une réponse organisée.
08:17On voit très bien qu'en Italie comme aux Etats-Unis,
08:19le seul moyen de faire reculer réellement,
08:22de déraciner une partie du crime organisé,
08:25c'est par une action répressive continue et constante.
08:29C'est simple, clair et net, c'est difficile à faire,
08:34mais c'est ça la solution.
08:36Alors, évidemment, on peut toujours envisager d'autres méthodologies,
08:42le fait qu'il y ait une réaction de la société,
08:44on l'a vu en Italie avec l'antimafia sociale,
08:47avec un retour, un discours sur le retour à la légalité et au civisme,
08:50c'est très bien, il y a l'action des maires,
08:52on peut toujours envisager des politiques d'éducation ou préventives,
08:59mais en réalité, la solution est dans une action répressive continue,
09:03à partir d'un diagnostic éclairé.
09:06Alors, effectivement, là, vous allez peiner,
09:08alors je sais bien que vous ne faites pas de psychologie,
09:10mais enfin, je me permets quand même de vous dire,
09:12vous allez peiner beaucoup de politiques de gauche,
09:15parce qu'on en entendait encore aujourd'hui,
09:17qui nous disait, attention, trop répressif,
09:21ça a d'ailleurs produit des erreurs au Mexique, notamment,
09:25donc vous, c'est intéressant ce que vous nous dites,
09:27parce que vous connaissez extrêmement bien ces dossiers,
09:29vous nous dites, non, il faut aller vers beaucoup plus de répression aujourd'hui.
09:34Le meilleur outil, c'est celui de la loi,
09:36et d'une politique pénale adaptée.
09:39Voilà.
09:40Essayons, enfin, débarrassons-nous de concepts comme guerre,
09:45l'armée, etc.
09:46Revenons à des choses simples, claires,
09:49une action répressive, bien sentie,
09:50avec de bons outils et de bonnes lois.
09:53Aujourd'hui, on a quelques handicaps.
09:54On a en particulier ce qu'on appelle la filière d'investigation,
09:58une police judiciaire en France qui est très malade,
10:00depuis à peu près trois décennies.
10:02Il y a des causes profondes à cette maladie,
10:05qui tient en particulier à l'état de notre droit,
10:07à l'état du droit pénal et de la procédure pénale.
10:10Revenons à des choses simples et claires,
10:12celles qu'on doit faire dans un pays démocratique.
10:15Jean-François Guéraud,
10:17dans la nouvelle loi narcotrafic de juin 2025,
10:20il y a le statut du repenti.
10:22Vous en parlez beaucoup dans votre livre,
10:24ces grandes figures mafieuses,
10:25avec ces témoignages de repenti.
10:27Est-ce que pour vous,
10:28ça peut véritablement quand même changer la donne ?
10:31La France a voté en 2025 une très bonne loi,
10:35qui a importé en particulier l'article 41 bis du Code pénitentiaire italien,
10:40c'est-à-dire en fait tout simplement les quartiers de haute sécurité
10:43que nous avions supprimés en 1981.
10:48On a amélioré un dispositif qui existait déjà,
10:50qui est celui des collaborateurs de justice.
10:52Donc il y a eu tout un tas de progrès juridiques très très nets.
10:58Ces réformes législatives, à elles seules, ne suffiront pas.
11:02La marche est beaucoup plus haute.
11:04Et comme je le disais, il faut que nous ayons une réflexion,
11:06mais c'est en dehors de mon champ de compétences,
11:09à la fois sur ce qu'est aujourd'hui le Code de procédure pénale.
11:11C'est un sujet très technique, très peu médiatique,
11:15mais c'est l'outil de travail des policiers.
11:17Et puis d'autre part, sur ce qu'est la politique anticriminelle,
11:19il faut que dans ce pays, on remette la prison au milieu du village,
11:23pour utiliser un proverbe ancien.
11:27Merci, merci beaucoup Jean-François Guéraud.
11:29Les sociétés du silence aux éditions Fayard.
11:32J'invite nos auditeurs à lire ce livre,
11:35qui va d'ailleurs nous plonger dans certains films même,
11:38qu'on a pu voir l'univers des mafias italiennes.
11:42C'est passionnant.
11:42Merci en tout cas à vous d'avoir été avec nous sur Europe 1.
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