- il y a 3 heures
La journaliste enquêtrice s'est notamment fait connaître pour son travail sur les algues vertes en Bretagne. Son travail d'enquête historique sur le remembrement a permis de saisir les enjeux d'une transformation du territoire qui s'est déployé au service du modèle agro-industriel.
Retrouvez "La Terre au carré" sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre
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00:00Musique
00:00L'invité au carré, aujourd'hui,
00:20Inès Léraud, journaliste et documentariste.
00:23France Inter
00:24La Terre au carré
00:27Si je me remémore quelques épisodes saillant de plus de 50 années de vie militante,
00:35je me dois de distinguer deux périodes distinctes.
00:37La première, essentiellement consacrée à un militantisme social classique
00:41dans les sphères syndicales et politiques.
00:43Puis, au-delà de 1968, la recherche d'une action beaucoup moins idéologique,
00:47plus proche des préoccupations des populations,
00:49d'une politique concrète prenant en particulier plus en considération
00:53la nécessité de faire face aux risques propres à la société industrielle.
00:58Mais toute lutte militante implique au minimum des perspectives
01:01sur un autre mode de relations sociales,
01:04conditions de nouveaux liens sociaux, de nouveaux rapports sociaux.
01:07Encore faut-il que ces mouvements sociaux ne reproduisent pas en interne
01:11les mêmes relations de pouvoir et la même délégation de pouvoir
01:14qui sont la règle dans la société ambiante.
01:17Car dans ce cas, ceux qui auront conquis le pouvoir dans les mouvements sociaux
01:21se considéreront comme ceux qui savent et qui, à ce titre,
01:24devront être les interlocuteurs privilégiés des institutions.
01:28Puis, leurs interlocuteurs deviendront des partenaires que l'on se doit de ménager.
01:32Et c'est ainsi que nombre de syndicats et associations
01:34en viennent à une certaine collaboration avec les institutions
01:38abdiquant du même mouvement leur rôle de contre-pouvoir.
01:42On me dira que l'on ne peut pas toujours être contre,
01:44et il est vrai que viendra un jour très lointain
01:47où il sera possible d'être pour.
01:49Mais tant que la société sera totalement prisonnière
01:51des relations de pouvoir propres à la démocratie de délégation,
01:55il n'y a d'autre solution que d'assumer le contre.
01:57Car en entrant dans un système de délégation de pouvoir,
02:00qu'on le veuille ou non,
02:01ont taré en interne dialogue et ouverture à la critique
02:04qui sont les conditions indispensables à une véritable démocratie
02:08et à une société fondée sur la solidarité.
02:11Henri Pesra risque, science et contre-pouvoir un parcours.
02:142008.
02:20Bonjour Inès Léraud.
02:21Bonjour.
02:22Henri Pesra, qui est décédé en 2009,
02:24a été toxicologue et militant.
02:26Il a été l'un des pionniers en France du combat contre la miante.
02:29Il ne supportait pas, écrivait le journal Le Monde au moment de ce décès,
02:34que des hommes empoisonnent sciemment d'autres hommes.
02:37Il a été pour vous, je crois, une très grande source d'inspiration.
02:40Oui, en effet.
02:44Et malheureusement, j'ai raté ma rencontre avec lui parce que j'avais prévu de l'interviewer.
02:49Et il est décédé quelques jours avant la date de cette rencontre.
02:53mais moi, j'ai entendu parler de lui quand j'avais une vingtaine d'années.
02:59À cette époque, je rencontrais des collectifs de malades parce que ma mère faisait partie d'un de ces collectifs.
03:04Et les malades, c'était des malades environnementaux, des gens qui étaient contaminés par les métaux lourds.
03:10Il disait, il faut qu'on aille parler avec Henri Pesra.
03:12Lui, il a réussi à amener son alerte à bien au bout de quelques décennies.
03:17Il a réussi à faire interdire l'amiante en 95-96.
03:21Et c'est pour ça que je voulais absolument le rencontrer.
03:25Et finalement, j'ai fait avec ce que j'avais.
03:29J'ai fouillé dans les archives et j'ai cherché des écrits de lui.
03:32J'ai même repris des études de philosophie pour faire un mémoire sur son travail.
03:37Et j'ai rejoint une association qui a été montée par ses collaborateurs et collaboratrices
03:42qui s'appelle l'association Henri Pesra, Travail, Santé, Environnement.
03:46Donc c'est dire aussi l'importance qu'il a eue dans votre propre parcours.
03:49On en parlera aussi avec les reportages tout à l'heure.
03:52Est-ce que votre enquête sur les algues vertes lui doit beaucoup d'ailleurs ou pas ?
03:56En fait, j'ai été adhérente de cette association pendant des années.
04:03Et ça m'a permis d'avoir beaucoup d'outils, de travail, de connaissances scientifiques,
04:09de connaissances médicales, de connaissances environnementales,
04:12de me construire politiquement, de regarder le réel autrement.
04:20Et puis ça m'a alimentée en sujet d'investigation.
04:24Et c'est avec l'association Henri Pesra qu'on est venus en Bretagne
04:28enquêter ensemble avec différents membres,
04:30des inspecteurs du travail, des médecins du travail, des sociologues, des chercheurs, des juristes.
04:35Sur différents sujets, parmi ces sujets, il y avait en effet la question des algues vertes.
04:38Les luttes qu'il a menées à Henri Pesra ont fini aussi de l'épuiser.
04:41Est-ce que c'est un paramètre récurrent dans la vie des lanceurs d'alerte
04:45ou des journalistes d'investigation ?
04:47Est-ce que vous-même, vous aviez conscience du coût personnel
04:50que ça représenterait de vous engager à ce point dans vos reportages ?
04:53Je pense que je ne me posais pas la question.
04:56C'est pour ça que je l'ai fait.
04:57Ce n'est pas la question parce que, comme je l'ai dit au départ de notre entretien,
05:03il y a une histoire familiale, personnelle, derrière mon engagement dans l'investigation.
05:10Ça a vraiment été un moteur.
05:13Ça m'a poussée à me surpasser.
05:16Et c'est vrai qu'au bout d'un moment, après je dirais peut-être dix ans d'enquête,
05:22je me suis retournée sur le chemin que j'avais parcouru et je me suis dit
05:27j'aurais dû être accompagnée par un psychologue,
05:29j'aurais dû apprendre à avoir des temps personnels et pas...
05:33Je travaillais tout le temps, tout le temps, tout le temps.
05:35Tous les livres que j'ai pu lire, que je lisais pendant cette période,
05:40mes premières années d'enquête, ça ne concernait que mes sujets.
05:43Je ne lisais plus de romans.
05:43J'étais complètement absorbée par mon sujet et je me suis dit
05:47que oui, je m'étais pas mal abîmée et que j'aurais dû faire autrement.
05:50Au sujet du poids de l'engagement, on va écouter un extrait des algues vertes
05:53de Pierre Jolivet, tiré de votre bande dessinée,
05:55où il est question de Daniel Mermet, ancien de France Inter,
05:58et de Morgane Large, votre consoeur journaliste en Bretagne.
06:02Ça me rappelle ce que disait un grand reporter avec qui j'ai travaillé, Daniel Mermet.
06:05Il disait que les journalistes nationaux ne savent rien, mais peuvent tout dire.
06:07Et les journalistes locaux savent tout, mais ils ne peuvent rien dire.
06:09J'ai écouté vos émissions.
06:10Et vous, vous savez beaucoup de choses.
06:12Et moi, bah...
06:13Moi, je dis tout ce que je peux.
06:18C'est aussi parce que je suis un peu locale.
06:19J'habite ici, maintenant.
06:23Ah voilà.
06:25Faut que tu saches.
06:26Un matin, j'emmenais mes gamins à l'école.
06:28Et juste avant de rentrer dans ma voiture,
06:30je remarque qu'on avait desserré les boulons de méroir arrière.
06:33Et t'as fait quoi ?
06:35Bah, j'ai porté plein de contre-X.
06:36C'est en cours.
06:38Donc fais gaffe, quoi.
06:39Poit-Bats.
06:40Voilà, Clémentine Poit-Bats
06:42et Céline Saletz qui joue votre rôle dans ce film,
06:44Les Argues Verts de Pierre Jolivet.
06:47Est-ce que les menaces et les intimidations,
06:49Inès Léraud, sont toujours présentes en Bretagne
06:51quand on fait ce métier de journaliste d'investigation aujourd'hui ?
06:54Bah, en effet, oui.
06:56C'est vrai que les premières intimidations que j'ai rencontrées
06:59ont fini par être médiatisées.
07:01Donc les procès en diffamation,
07:02notamment les déprogrammations dans des salons du livre,
07:06les pertes de subventions quand j'étais invitée par des associations,
07:09les menaces de mort sur mes témoins,
07:11notamment sur Morgane Large,
07:13qui est journaliste et qui a été témoin dans mon travail,
07:15qui s'est fait déboulonner trois fois sa roue de voiture.
07:19Et depuis, des menaces ont continué.
07:23La cellule Déméter qui vient chez moi sans me prévenir.
07:28Voilà, je vais à une fête d'école de ma filleule
07:31et je me fais...
07:33On me demande...
07:34Enfin, les agriculteurs de la FNSEA,
07:36d'autres parents d'élèves me demandent de quitter,
07:39assez violemment, cette fête.
07:40Ou encore des procès en diffamation
07:42qui nous ont attaqué,
07:45moi-même et le médias Plan que j'ai cofondé.
07:49Mais effectivement, on voit que...
07:51Et il n'y a pas que nous, les inspecteurs du travail,
07:54des simples citoyens qui tentent d'enquêter sur la qualité de l'eau,
07:57subissent différentes menaces.
07:58Oui, ça fait partie...
07:58Je ne m'y attendais pas, en fait.
07:59Ça fait partie du boulot.
08:00C'est ça qui est incroyable, en fait.
08:02C'est qu'il faut absolument composer avec ça.
08:04Oui, et en fait, ce qui nous a sidérés,
08:07c'est qu'on a dénoncé ça dans un premier temps
08:10et en fait, on n'a pas eu de soutien,
08:13on n'a pas eu d'aide.
08:14Ma consoeur Morgane Large a demandé, par exemple,
08:16avoir simplement un numéro à appeler
08:18quand il y avait des intrusions chez elle.
08:20Elle ne l'a pas obtenue.
08:22Et en parallèle, le gouvernement a monté
08:24avec le ministère de l'Intérieur,
08:25la Gendarmerie Nationale et la FNSEA,
08:27la cellule d'Eméter,
08:28pour surveiller et punir les personnes
08:32qui s'intéressaient de trop près à l'agriculture industrielle,
08:35qui enquêtaient ou qui dénonçaient l'agriculture industrielle.
08:37Donc on voit que nous,
08:38qui sommes des personnes plus vulnérables,
08:40des lanceuses et des lanceurs d'alerte,
08:42souvent pigistes, non salariés,
08:45on est encore fragilisés davantage.
08:49Et le secteur très puissant sur lequel on enquête,
08:51qui est un secteur stratégique pour la France,
08:53aussi important que l'armement,
08:54il a encore plus de moyens,
08:57policiers notamment, pour le défendre.
08:59Votre premier basculement vers l'enquête,
09:01ça vient d'un événement intime,
09:03la maladie de votre mère.
09:04Comment est-ce que tout ça s'est passé ?
09:06Est-ce que vous pouvez nous raconter ça ?
09:07Alors en fait, effectivement,
09:09quand je suis adolescente,
09:11ma mère commence à développer des symptômes très curieux,
09:15qu'elle met sur le compte de la vieillesse,
09:17alors qu'elle n'a pas 50 ans,
09:18de la fatigue, des allergies alimentaires,
09:22des problèmes de mémoire,
09:23des problèmes cognitifs,
09:24des problèmes d'élocution.
09:26Et en fait, elle va aller de cabinet médical
09:30en cabinet médical,
09:31on ne va rien trouver,
09:32on va finir par lui dire que
09:33ses problèmes sont psychologiques.
09:35Et en fait, c'est des années plus tard
09:38qu'elle va rencontrer un médecin
09:40qui s'est suicidé depuis,
09:42mais qui est considéré comme un lanceur d'alerte
09:44sur la question des métaux lourds,
09:46le docteur Jean-Jacques Mellet,
09:48qui va diagnostiquer chez elle
09:49une pollution de contamination par les métaux lourds.
09:53Et lui, en fait,
09:54il connaît la médecine allemande
09:56et il connaît les moyens de diagnostic
09:58de la médecine allemande.
09:59Et moi, je l'accompagne à ce moment-là,
10:01dans cet événement,
10:02dans les rencontres avec des médecins français,
10:04et je comprends avec elle,
10:05et grâce à ce docteur Mellet,
10:08à quel point la médecine française
10:09n'est pas formée à la médecine environnementale,
10:13aux pollutions à faibles doses.
10:14Elle ne sait pas les diagnostiquer,
10:15elle fait des prises de sang,
10:16alors que c'est indétectable dans le sang,
10:18les doses sont trop faibles.
10:19Il faut aller chercher,
10:21dans le foie, le rein,
10:23les organes filtrants,
10:24la masse de métaux.
10:26Donc c'est le mercure dans les plombages,
10:28en l'occurrence ?
10:28Donc elle, on imagine,
10:29oui, elle a des quantités énormes
10:31de mercure dans le corps,
10:34en l'occurrence dans les organes filtrants,
10:36et on suppose que c'est lié
10:38au plombage à mercure qu'elle a en bouche,
10:40qu'elle a depuis toute petite,
10:41elle en a 14,
10:43c'est énorme.
10:44Et effectivement,
10:45il y a eu un procès de santé publique
10:46en 1994,
10:48en Allemagne,
10:48qui a fait interdire ces plombages,
10:50et ils sont toujours,
10:51en tout cas comme moi,
10:51j'enquête,
10:52ils sont toujours posés en France.
10:52Ça fait l'objet d'une série
10:54documentaire pour France Culture
10:56qui s'appelait
10:56Les Mercuriens,
10:57en 2014,
10:58on va en écouter un extrait,
10:59et c'est votre mère,
11:00justement,
11:01qui s'exprime à votre micro.
11:02Sauf qu'au départ,
11:03déjà,
11:04on ne saurait pas mis ces plombages,
11:05on n'aurait pas ces problèmes-là.
11:09Comme je vais mieux
11:09dans mon corps physique,
11:11en question fatigue,
11:14enfin,
11:14que je crois voir physiquement
11:15que je vais mieux,
11:16j'ai le visage moins gonflé
11:17qu'avant.
11:17Donc ces petits symptômes
11:20d'amélioration physique
11:22me donnent tellement le moral
11:25que je ne me rends pas compte
11:27que j'avais régressé nerveusement,
11:31et la vie redevenait difficile
11:33entre ton père et moi.
11:36Il me le disait bien,
11:38mais je ne voulais pas l'admettre.
11:41Maintenant, oui,
11:42je m'en rends compte.
11:43Mais ça fait chebourdant
11:44en même temps.
11:46Parce que je réalise
11:47que c'est vrai
11:48que j'ai récupéré
11:48des vapeurs de bergue.
11:52Votre mère,
11:53donc en 2014,
11:54Inès Léraud,
11:54à votre micro.
11:56Et vous redécouvrez finalement
11:57aussi sa voix
11:58à travers cet extrait.
12:00Est-ce que c'est compliqué
12:01d'interviewer sa propre mère
12:02quand elle est journaliste ?
12:03Moi, j'adore, en fait.
12:06Si je ne m'étais pas investie
12:07dans tous ces sujets
12:09finalement politiques
12:10et ces questions,
12:13ces enquêtes,
12:14moi, ce qui me passionne vraiment,
12:15c'est le documentaire intime.
12:16c'est que j'ai enregistré
12:19ma mère,
12:20mon grand-père.
12:22J'aime beaucoup.
12:23Je trouve que le micro
12:25permet de mettre
12:26comme une troisième personne
12:29neutre entre nous
12:30et de revisiter
12:31notre relation autrement.
12:33Et j'aime beaucoup.
12:34J'aime beaucoup ça.
12:35Avec toute une légèreté
12:36aussi matérielle.
12:37Parce qu'être reporter
12:38avec un micro pour la radio,
12:40c'est aussi quelque chose
12:41de très simple.
12:42Il y a juste deux personnes
12:43qui se parlent
12:44et un micro tendu,
12:45en fait.
12:46C'est ça.
12:46En fait, j'ai fait des études
12:47de cinéma
12:48et ça ne m'a pas du tout
12:49donné envie de travailler
12:50dans le cinéma,
12:51de participer aux premiers tournages
12:52parce que j'avais vraiment
12:53l'impression de voir
12:54une débauche de matériel
12:56et puis des tables régies
12:57avec une débauche
12:58de nourriture
12:59et des équipes énormes
13:01qui bloquaient des rues,
13:02qui empêchaient les habitants
13:03de circuler librement
13:04dans leur propre quartier.
13:05Et quand j'ai découvert
13:06la radio,
13:06que je pouvais partir
13:07moi-même simplement
13:08avec un magnétophone
13:10et un micro,
13:11j'ai découvert la légèreté
13:12de cette production,
13:13ça m'a conquise
13:14comme la BD ensuite.
13:15Et donc c'est dans cette maison
13:17Radio France
13:17que vous avez beaucoup
13:18beaucoup travaillé ?
13:19Oui, j'ai travaillé
13:20une quinzaine d'années
13:21pour France Inter
13:21et pour France Culture
13:22comme reportrice.
13:24Et vous le dites souvent,
13:25cette enquête familiale
13:26qui concernait votre mère,
13:28ça a aussi construit
13:30votre regard
13:30sur la question
13:31des conflits d'intérêts ?
13:33En effet, en fait,
13:36je me suis intéressée
13:40à la filière du médicament,
13:42à l'industrie pharmaceutique
13:43et puis j'ai fait notamment
13:45pour France Culture
13:45un documentaire
13:46sur les antidépresseurs
13:47et en fait,
13:48je n'ai pas de formation journalistique.
13:50On va dire,
13:51je débarquais
13:52et je n'en revenais pas
13:53de découvrir
13:54que les psychiatres
13:55que j'interviewais
13:55travaillaient pour
13:56l'industrie pharmaceutique aussi,
13:58étaient financés,
13:59avaient des voyages financés.
14:00Enfin, j'ai découvert
14:00tout ce système,
14:01y compris dans la formation
14:02à la fac de médecine,
14:04la présence
14:05de l'industrie pharmaceutique
14:06et ça, oui,
14:07formait mon regard.
14:08C'est ce que dénonçait
14:09beaucoup Henri Pesra d'ailleurs,
14:10c'est le fait
14:11que des scientifiques
14:12comme lui
14:12aient des conflits
14:13d'intérêts énormes
14:14et ça le rendait dingue
14:15en réalité
14:16de voir que la science
14:17se prêtait aussi
14:18à cautionner
14:20des intérêts industriels
14:21par exemple.
14:23Et aussi,
14:23là où Henri Pesra
14:24est très fort
14:25et a vraiment structuré
14:26ma pensée,
14:26c'est qu'il a beaucoup
14:27étudié la construction
14:28des normes
14:29et des seuils
14:29dans notre société
14:30qui dit ce qu'on considère
14:31comme normes
14:32acceptables pour l'eau potable,
14:34pour l'air qu'on respire,
14:34pour le sol, etc.
14:35Il faut bien comprendre
14:36que ce ne sont pas du tout
14:37des valeurs scientifiques,
14:38ce sont les produits
14:40de confrontation
14:42entre l'industrie
14:43et le secteur
14:44de la santé publique
14:45et le fruit
14:46de négociations,
14:46de bras de fer.
14:47En tout cas,
14:48cette vocation d'enquêtrice
14:49vous a mené
14:50donc en Bretagne,
14:51là où vos travaux
14:51ont pris une ampleur nationale.
14:53On va y revenir
14:54avec vous dans un instant
14:55autour des algues vertes
14:56en particulier
14:57et ce sera juste après
14:59Joy Crooks
14:59sur France Inter.
15:00Inès Léraud.
15:01C'est parti.
18:59D'abord, est-ce que vous êtes arrivée en Bretagne ?
19:01Parce que vous n'êtes pas originaire de Bretagne.
19:03Non, en fait, c'est une longue histoire.
19:06Je ne sais pas, je pourrais remonter au début de cette histoire il y a très longtemps.
19:10Mais en fait, surtout, je m'intéresse aux questions des expositions des salariés aux produits toxiques.
19:18Ça, c'est grâce à Henri Pesra, parce qu'il disait toujours,
19:20les travailleurs, les ouvriers, c'est les sentinelles de l'environnement.
19:23Il faut s'intéresser à leur santé pour comprendre les enjeux de santé publique.
19:27Et du coup, je fais beaucoup d'émissions dans des usines,
19:30sur des salariés exposés à la chimie, au plastique, à la radioactivité, à l'amiante, etc.
19:35Et puis un jour, je m'intéresse aux salariés, aux ouvriers, aux agriculteurs exposés aux pesticides.
19:41Et je vais à une réunion dans le Jura, où là, je vais rencontrer Serge Lequéo,
19:45qui est un ancien facteur à la retraite et qui défend des salariés agricoles
19:50d'une coopérative qui ont été gravement intoxiqués par des insecticides.
19:54Et lui, il me convainc de venir en Bretagne faire une enquête.
19:59Et en fait, depuis Paris, je vais quelques jours comme ça par mois en Bretagne.
20:05Mais je me rends compte que le mur du silence est tellement puissant
20:08que je ne vais pas pouvoir travailler de cette façon.
20:10Il va falloir que je crée des vraies relations de confiance avec mes témoins.
20:13Et la seule solution que je vois, c'est de m'installer en Bretagne
20:16pour pouvoir enquêter en immersion, vivre au milieu de ces gens
20:19et construire un rapport de confiance.
20:23Donc, c'est le seul moyen d'établir effectivement des relations,
20:26c'est d'être sur place et de pouvoir passer du temps
20:29et pas juste être là comme un journaliste en visite.
20:32Exactement. C'est impossible, en fait.
20:34Avec les agriculteurs, ce n'était pas possible.
20:35C'était un milieu que je ne connaissais pas.
20:37Et je me rends compte qu'ils sont dans une telle méfiance
20:39par rapport aux journalistes qu'ils ne vont rien me dire.
20:43et je pense m'installer quelques mois en Bretagne
20:48et ça fait dix ans que j'y suis finalement.
20:50Cette enquête ne se finit pas.
20:51Votre enquête justement sur les algues vertes
20:53vous a confronté à des morts humaines
20:55et donc à beaucoup de dénis, vous le dites.
20:57Comment est-ce que vous avez vécu ces différents aspects ?
21:00Ma confronte à des morts humaines et des morts animales.
21:02C'est important dans tous ces sujets de santé publique
21:05de voir que toutes les espèces qui sont touchées
21:08et les liens qu'il y a entre les espèces sauvages,
21:11les animaux d'élevage, les ouvriers et puis le grand public.
21:15En fait, tout le monde est touché d'une façon ou d'une autre.
21:22Moi, en tout cas, sur les algues vertes,
21:24ce qui me passionne d'un point de vue très pragmatique,
21:27c'est que sur tous les sujets sur lesquels j'enquête depuis des années,
21:30le lien de causalité est très difficile à démontrer
21:32parce que les effets arrivent dix ans, voire plusieurs décennies
21:35après l'exposition à l'amiante ou à la radioactivité
21:38ou à d'autres produits, aux pesticides, etc.
21:40Alors qu'avec les algues vertes, on a des morts
21:44qu'on retrouve directement sur place.
21:46Ils sont morts instantanément.
21:48Et en plus, on a des morts collectives,
21:50par exemple, une arde de sanglier
21:53ou plusieurs chiens ou un cavalier
21:55qui est dans le coma et son cheval qui est mort.
22:00Donc, on ne peut pas dire que c'est des êtres vivants
22:04qui ont eu des problèmes cardiaques, isolés.
22:06On voit bien qu'il y a une cause toxique qui est en jeu.
22:09Et du coup, c'est passionnant dans ce dossier
22:12de voir comment le déni se construit malgré tout
22:15alors que les preuves scientifiques sont sous nos yeux, en fait.
22:20Et ça, moi, je l'ai presque vécu vraiment comme un polar.
22:26Comme, c'était assez, en plus, cette enquête sur les algues vertes, je veux dire,
22:32en plus, à cette époque, il y avait beaucoup de scientifiques
22:35qui avaient travaillé sur le sujet, qui n'avaient pas réussi à publier.
22:37Il y avait beaucoup de censures.
22:38Donc, j'étais vraiment soutenue, épaulée par des scientifiques.
22:41J'avais beaucoup d'éléments.
22:43Et c'était captivant de voir comment la société bretonne
22:46refusait de voir la réalité en face.
22:49Et ça faisait tellement écho avec ce qui se passe
22:51dans notre société en général, face aux enjeux climatiques aujourd'hui.
22:54Vous parlez au passé.
22:56Est-ce que les choses ont changé à ce titre ?
22:58Oui, vraiment.
22:59En fait, la bande dessinée, elle a jeté un pavé dans la mare
23:02que je soupçonnais pas du tout, que mes éditeurs soupçonnaient pas,
23:05que personne soupçonnait.
23:06Et puis, le film Les algues vertes a vraiment rendu ce sujet très populaire.
23:12Donc, aujourd'hui, moi, quand je suis arrivée,
23:16personne ne disait que les algues vertes,
23:17personne ne le disait publiquement, en tout cas,
23:19que les algues vertes, c'était causé par l'agriculture intensive,
23:23qu'elles pouvaient tuer.
23:25Personne n'en parlait dans les discours politiques.
23:27Aujourd'hui, ça fait partie d'un programme scolaire.
23:29C'est tous les candidats aux élections,
23:31aux différentes élections en région Bretagne, notamment,
23:33parlent du sujet des algues vertes.
23:35Il n'est plus question de remettre en cause le fait que c'est...
23:38Pour autant, est-ce que ça a changé les pratiques des industriels sur place ?
23:41Pour autant, ça n'a pas changé les pratiques des industriels sur place, non.
23:44Et ça, c'est quand même désespérant, non ?
23:46En fait, c'est désespérant, mais c'est vrai que...
23:50En fait, c'est tellement...
23:52C'est tellement complexe, et...
23:56Enfin, notre système économique est pris dans une machine folle
24:00qui est quasiment décorrélée, en fait, de nos savoirs.
24:06Et que, du coup, en me penchant notamment sur l'histoire
24:10de l'agriculture intensive, j'ai mieux compris, en fait,
24:13les ressorts et les mécanismes.
24:15Et bon, j'accepte la situation telle qu'elle est.
24:19Je comprends qu'on est...
24:20À quel point on est impuissant, en fait, vis-à-vis de cette machine capitaliste.
24:25On va écouter la voix, justement, de Vincent Petit.
24:27C'est lui, l'homme au cheval, précisément.
24:29Il s'exprimait à votre micro pour France Inter en 2016.
24:32Je me promène à cheval sur la grève de Saint-Michel en grève,
24:36quelques minutes.
24:37À la fin de mes évolutions, je descends du cheval.
24:41Tout d'un coup, je m'enfonce dans une vasière.
24:44Je m'enfonce jusqu'aux genoux d'un coup.
24:45Mon cheval, qui était à côté de moi, pareil, met les antérieurs dedans.
24:49Et ensuite, en quelques instants, il fait un arrêt respiratoire.
24:52J'ai juste eu le temps de crier un ramasseur d'alles qui était sur son tracteur
24:57à quelques dizaines de mètres de venir nous aider.
25:00Et à partir de là, je garantis que c'est un rideau noir
25:03et que je n'ai plus aucun souvenir de comment ils s'y sont pris
25:07pour me sortir de là, me ranimer, me mettre dans une ambulance.
25:11Voilà le témoignage de Vincent Petit, qui a eu la chance, lui, de s'en sortir.
25:15Ça n'a pas été le cas de Jean-René Offrayen, par exemple,
25:19dont la Cour administrative d'appel de Nantes a reconnu en juin dernier
25:23l'État en partie responsable de sa mort à Ilyon, dans les Côtes d'Armor.
25:28Ça, c'est une première dans le dossier des algues vertes.
25:31C'est vrai que c'est énorme.
25:33J'étais à cette audience et oui, c'était très émouvant.
25:38J'étais avec la famille Offray et de voir que tout ce que cette famille a mis en place
25:46pour faire reconnaître la responsabilité de l'État dans la mort de cet homme
25:51qui était un grand sportif, apporter ses fruits.
25:54Jean-René Offray, pardon, j'ai mal prononcé son nom tout à l'heure.
25:57Apporter ses fruits et voilà, c'est une grande étape en fait
26:03dans l'histoire du combat contre les algues vertes.
26:05Donc ça, c'est du côté de la justice, mais vous dites par contre
26:08que du côté des industriels bretons, les choses ne bougent pas.
26:11Non, mais moi, je vis en Bretagne, je vis au milieu d'agriculteurs,
26:14y compris conventionnels, intensifs.
26:16Et en fait, c'est intéressant de skiter avec eux parce que clairement,
26:19ils me disent mais nous, on lit ton travail.
26:22On est entièrement d'accord, mais on ne peut pas faire autrement
26:25que de continuer à s'agrandir, de continuer à faire des crédits,
26:29de continuer à produire plus, de continuer à utiliser de la chimie.
26:31Sinon, on meurt.
26:33Donc voilà, en fait, on est vraiment dans ce dilemme.
26:37Donc, il y a ce rapport aussi avec les syndicats agricoles
26:40qui est extrêmement compliqué.
26:41Vous avez cité la FNSEA tout à l'heure.
26:43Cette semaine, un éleveur, Bertrand Vantot, a été élu président
26:48de la coordination rurale, ce syndicat proche de l'extrême droite.
26:52L'éleveur dénonce régulièrement les actions de ceux
26:54qu'il qualifie d'écologistes intégristes.
26:57Et à peine élu, il a déclaré vouloir faire la peau aux écolos.
27:01Qu'est-ce que ça vous inspire, ça, Inès Léraud ?
27:03En tout cas, c'est sûr que c'est la frange dure de la coordination rurale
27:08qui a remporté ces élections.
27:14Pourquoi une partie des agriculteurs, une partie, pas tous évidemment,
27:17mais se retrouve dans ses propos ?
27:19Et pourquoi les écolos sont devenus des ennemis ?
27:23Ce qui est fou, c'est que ce que Bertrand Vantot ait gagné,
27:29c'est vraiment grâce aux régions du sud de la France
27:32qui sont les plus frappées par les problèmes de ressources
27:35et de changement climatique.
27:36L'eau, par exemple.
27:38Les problèmes de gestion de ressources en eau.
27:41Et donc, on voit ce paradoxe qu'on n'aurait pas pu imaginer
27:46encore il y a quelques années,
27:47mais que plus les effets du changement climatique
27:50et les problèmes environnementaux s'aggravent
27:52et plus le déni se renforce.
27:54Parce que vraiment, ce qui caractérise la coordination rurale,
27:57c'est vraiment son déni face aux enjeux environnementaux.
27:59C'est assez fou.
28:01Et du coup, que ça soit la frange la plus extrême
28:05de ce syndicat déjà très radical anti-écolo
28:08qui soit élu porté par les régions les plus dévastées
28:13par le changement climatique,
28:14ça montre simplement, je pense, une tendance plus large, mondiale
28:21qui est qu'on aurait pu imaginer un scénario
28:26face aux enjeux environnementaux
28:27qui serait un scénario de coopération,
28:30de décroissance, de sobriété
28:31et de coopération comme le proposait par exemple
28:33le philosophe André Gorse
28:34ou bien un scénario où finalement
28:38on va vraiment se battre pour les dernières ressources.
28:41Bien sûr, il n'y en aura pas pour tout le monde
28:42et là on se bat et c'est une espèce de compétition
28:44qui fait beaucoup de victimes en fait.
28:47Mais vous qui êtes sur place en Bretagne,
28:49puisque vous parlez de coopération,
28:50des agriculteurs de la FNSEA ou de la coordination rurale,
28:54vous en avez rencontré évidemment,
28:55il y a un dialogue qui est possible quand même ou pas ?
28:57Oui, alors c'est ça que je voulais dire.
28:58Mais moi je suis en Bretagne
29:00où la coordination rurale n'a pas le même poids
29:02qu'en Occitanie par exemple.
29:04Donc je n'observe pas la coordination rurale de la même façon.
29:07Véronique Lefloc qui était l'ancienne présidente
29:09de la coordination rurale,
29:10c'est vraiment quelqu'un qui était dans le dialogue
29:12et dans une certaine mesure
29:14qui était un vrai contre-pouvoir par rapport à la FNSEA,
29:16qui avait des analyses intéressantes
29:18sur la répartition des richesses dans l'agriculture.
29:20Elle faisait du bio.
29:22Elle faisait du bio,
29:22elle était agricultrice bio,
29:24elle avait témoigné dans un cache-investigation
29:25sur la filière laitière.
29:28En partie, vraiment,
29:30c'est vrai que, comme je disais,
29:32c'était un rôle de contre-pouvoir
29:33et moi, parmi mes sources,
29:34j'ai des agriculteurs de la coordination rurale
29:38qui sont souvent des dissidents de la FNSEA,
29:40qui étaient à la FNSEA,
29:40le syndicat majoritaire avant,
29:42qui en sont partis
29:43et qui avaient un regard critique
29:45très intéressant sur ce syndicat majoritaire.
29:49Mais je ne suis pas baignée
29:51dans le milieu du Tarn, etc.
29:54Et Nesléro, vous restez avec nous,
29:55vous êtes aujourd'hui notre invitée au Carré.
30:27On est le grain de ta foi,
30:28on me fait déjà savoir
30:29qu'elle s'est fait sa place auprès de toi.
30:32J'suis qu'une particule
30:33qui orbite autour de toi,
30:35qui orbite autour de soi,
30:36qui orbite autour de...
30:38J'suis qu'une particule
30:39quand je m'approche, je me brûle,
30:40si je m'éloigne, je te perds.
30:42À quoi ça sert ?
30:43J'suis qu'une particule.
30:49J'suis qu'une particule.
30:51J'suis qu'elle a réveillé,
30:55parce que t'es la courtelle avec elle,
30:58de façon qu'elle se réveille,
30:59qu'elle te raccère,
31:00qu'elle a réveillé,
31:01quand peut-être tu prends la courre
31:02et des scampettes,
31:03tu t'en fiches,
31:04qui se gêne,
31:05qui se remplace.
31:06J'me sentais m'ennu à tes couches,
31:08j'étais même pas belle
31:09pendant le visio,
31:10avec ma coupe du blaireau,
31:12alors que c'était peut-être la terre,
31:13t'es terre, t'es terre, t'es terre, t'es terre, t'es terre.
31:16T'es t'es tellement beau,
31:19t'es beau quand tu rougis,
31:20tu rougis quand tu parles d'elle.
31:23Mais tu t'inquiètes, c'est pas la peine,
31:26c'est quand même pas une top model,
31:28mais qu'est-ce j'en ai à foutre ?
31:30Puisque tu cèdes.
31:35J'suis qu'une particule,
31:36qui arbitre autour de toi,
31:38qui arbitre autour de soi,
31:39qui arbitre autour de...
31:41J'suis qu'une particule,
31:42quand je m'erre,
31:43quand je me brûle,
31:43si je m'éloigne, je te perds.
31:45Qu'est-ce que c'est pas sincère ?
31:47J'suis qu'une particule.
31:52J'suis qu'une particule.
32:09J'suis qu'une particule,
32:11qui arbitre autour de toi,
32:12qui arbitre autour de soi,
32:14qui arbitre autour de...
32:15J'suis qu'une particule,
32:17quand je m'éloigne, je me brûle,
32:18si je m'éloigne, je te perds.
32:20Qu'est-ce que c'est pas sincère ?
32:21J'suis qu'une particule.
32:27J'suis qu'une particule.
32:33Particule, la voix de Mickey,
32:34à l'instant, sur France Inter.
32:36France Inter.
32:45La terre au carré.
32:47Remembrement, mot magique s'il en est,
32:49capable de déchaîner les passions les plus diverses,
32:52qui vont de l'adhésion totale et inconditionnelle
32:54au refus le plus catégorique.
32:56Et pourtant, le remembrement est loin d'être un problème nouveau,
32:58puisqu'en Bretagne, il a démarré au cours des années 50.
33:01Quoi qu'il en soit, il s'agit toujours d'un thème
33:04qui intéresse ce temps qu'il divise,
33:06les agriculteurs, mais aussi les citadins.
33:08Une archive de 1973 sur FR3.
33:12Inès Léraud, vous qui êtes journaliste d'investigation,
33:15notre invité au carré.
33:16D'ailleurs, vous étiez à ce micro il y a un an
33:18pour cette nouvelle bande dessinée,
33:20Chant de bataille, l'histoire enfouie du remembrement
33:22chez Delcourt avec Pierre Von Hov.
33:24Pourquoi ce sujet, d'ailleurs, est aussi central ?
33:27Et racontez-nous ce qui s'est passé aussi depuis un an
33:29autour du sujet, parce que vous en avez
33:30beaucoup parlé avec le public, vous avez fait
33:32énormément de rencontres, et vous êtes aperçue
33:35à quel point, justement, ce sujet
33:37résonnait encore dans les esprits ?
33:39Pourquoi ce sujet ?
33:40En fait, c'est d'une part parce que
33:42quand je suis venue m'installer en Bretagne,
33:44c'est l'intérêt de se déplacer des centres urbains
33:47pour aller dans les zones rurales qui sont vraiment
33:48à mes yeux sous-documentées.
33:51J'ai été interpellée par les habitants,
33:53notamment les personnes les plus âgées,
33:54qui m'expliquaient que pour elles, ça avait été
33:57un moment de bascule,
33:58en fait, ça avait été une rupture anthropologique.
34:02La physionomie de leur village avait complètement changé,
34:04parce que le remembrement, c'est le moment déjà
34:06où on va passer du cheval au tracteur.
34:08Donc l'économie autour du cheval,
34:11il y avait énormément de commerce, d'artisanat
34:12autour de ces animaux,
34:15et le passage au tracteur va faire
34:16que beaucoup de petits commerces vont fermer.
34:19C'est pour ça aussi qu'il a fallu abattre des haies,
34:21pour laisser les tracteurs rouler tranquillement
34:23sur de grands espaces.
34:24Oui, le remembrement, donc l'abattage entre autres des haies
34:28est lié à la mécanisation,
34:30est fait pour pouvoir mécaniser l'agriculture
34:34et laisser passer les grosses machines.
34:36Et aussi, j'ai découvert,
34:38ce qui était complètement méconnu,
34:40et je ne trouvais aucun écrit sur ce sujet,
34:41qu'il y avait eu des résistances massives
34:43contre le remembrement.
34:45Les paysans s'étaient fortement mobilisés,
34:49à tel point que dans certains villages,
34:51certaines communes comme à Fégréac,
34:53dans le 44,
34:54il avait fallu la présence des forces de l'ordre
34:57qui avaient occupé la commune
34:59pendant deux ans et demi,
35:00pour que le remembrement puisse avoir lieu,
35:03pour que les bulldozers puissent faire leur travail.
35:06Et puis en fait,
35:07j'entendais régulièrement parler du remembrement,
35:10et puis à un moment,
35:10quand je m'intéresse aux algues vertes,
35:12comme je vous le disais tout à l'heure,
35:13je me dis, mais pourquoi ?
35:14Pourquoi on en est arrivé là ?
35:15C'est quoi l'histoire ?
35:16J'avais vraiment envie de tirer des fils historiques,
35:19et du coup,
35:20je me suis intéressée à ce qu'il y avait,
35:23juste avant l'installation de l'agriculture intensive,
35:25cette étape du remembrement,
35:27qui a lieu principalement après la Seconde Guerre mondiale.
35:29Et qui raconte énormément de l'évolution
35:31de l'agriculture en France,
35:33parce que vous le disiez,
35:34on passe d'une société relativement autosuffisante,
35:37qui est attachée à ses ressources,
35:39avec ensuite un modèle intensif,
35:41qui lui, est basé sur la mécanique
35:43et la rapidité.
35:44Oui, et puis sur des ressources
35:46qui viennent de loin,
35:47le soja, les hydrocarbures,
35:50effectivement, c'est un changement majeur.
35:54Qui a bouleversé aussi les villages,
35:56c'est bien ce que vous racontiez aussi
35:57dans cette bande dessinée,
35:58c'est à quel point, encore aujourd'hui,
36:00des personnes sont marquées
36:02par les conflits aussi,
36:05au sein même des villages,
36:06parce que ça a changé les territoires,
36:08le sol,
36:09mais ça a changé aussi beaucoup les âmes.
36:11En effet,
36:12en fait,
36:12on avait vraiment la population,
36:14la population paysanne,
36:16c'était un monde
36:17où c'est l'interdépendance qui dominait.
36:20Les gens ne s'entendaient pas forcément bien,
36:22mais ils étaient interdépendants,
36:23donc ils étaient obligés
36:24d'être dans une forme de solidarité,
36:26ils vivaient avec leurs ressources locales,
36:28en bois, etc.
36:30Et en fait,
36:31ce remembrement,
36:32il a vraiment privilégié les plus gros,
36:33et il a défavorisé les plus petits agriculteurs
36:36qui ont dû partir,
36:37qui sont devenus ouvriers,
36:38qui sont partis en ville
36:40ou en zone périurbaine,
36:41et il a créé des décisions majeures
36:43dans les villages.
36:44Et aujourd'hui,
36:45là où j'ai vraiment eu l'impression
36:46de faire un travail utile,
36:47c'est que j'avais l'impression,
36:48comme si j'avais travaillé
36:49sur la guerre d'Algérie
36:50il y a quelques décennies,
36:51j'avais l'impression
36:51de travailler sur un sujet
36:53qui avait sclérosé,
36:55en fait,
36:57et ça faisait vraiment du bien
36:59aux gens de revenir sur ce sujet,
37:01j'avais l'impression
37:01de faire un travail mémoriel.
37:03Et donc,
37:04j'étais effarée de voir
37:05dans certains villages,
37:06par exemple en Normandie,
37:08à Géphos,
37:09non, oui,
37:09en Normandie,
37:10dans la Manche,
37:10il y a encore,
37:11à Géphos,
37:12il y a encore deux sociétés de chasse,
37:13celle pour les descendants
37:16des pro-remembrements,
37:18celle pour les descendants
37:19des anti-remembrements,
37:20il y a deux bars,
37:20etc.
37:21Enfin,
37:21les sociétés étaient encore
37:22scindées dans certains endroits,
37:24les voisins ne se parlaient pas.
37:26Et puis,
37:26j'en parle un peu de ça
37:28dans la bande dessinée,
37:28puis après,
37:29quand j'ai fait des rencontres publiques,
37:31quand la bande dessinée
37:32a été publiée,
37:33enfin,
37:34vraiment,
37:34c'était impressionnant
37:35de voir à quel point
37:36quand j'allais dans les zones rurales,
37:38les salles
37:39où je venais parler
37:40étaient remplies
37:41par un public
37:43de tous les âges,
37:44de tous les milieux,
37:45enfin,
37:45on sentait une soif
37:46de revenir sur cette histoire
37:47sur laquelle
37:48il n'y avait eu aucun travail.
37:50Faire un travail utile,
37:51c'est ce que vous venez de dire,
37:52Inès Lérault,
37:52c'est ce qui vous pousse aussi,
37:54c'est un peu votre moteur
37:55dans ce travail
37:55de journaliste d'investigation
37:56et on vous compare parfois
37:58à Erin Brokovitch,
38:00est-ce que vous vous reconnaissez
38:01dans sa préférence ?
38:03Non,
38:03je ne me reconnais pas trop,
38:05je n'ai pas été spécialement
38:07touchée par ce film,
38:08je ne comprends pas pourquoi.
38:10Je pense que c'est vraiment...
38:10C'est Julia Roberts
38:11qui ne vous a pas inspirée ?
38:13Je crois que c'est vraiment
38:14centré sur le personnage
38:15de la journaliste,
38:16alors que quand on est
38:18enquêtrice,
38:19plongée dans un sujet
38:20comme celui-là,
38:20en général,
38:20on se fait complètement discrète
38:22pour pouvoir observer,
38:25comprendre,
38:25on est un peu comme
38:26une sociologue
38:27et du coup,
38:29je me reconnais davantage
38:30par exemple dans le personnage
38:31de l'avocat dans le film américain
38:33Dark Water
38:33de Todd Haynes
38:34où en fait,
38:35le personnage,
38:36il n'a quasiment
38:37aucune caractéristique,
38:39il est complètement
38:39effacé
38:41et c'est vraiment
38:42l'enquête
38:42qui est le sujet principal
38:43de ce film.
38:44Donc,
38:44c'est plus la référence
38:45qui vous intéresse,
38:47plus qu'Erin Brokovitch.
38:49Est-ce qu'on peut faire
38:50un parallèle entre
38:50les luttes paysannes
38:51des années 50
38:51et les luttes écologiques
38:53actuelles ?
38:54C'est ça qui est passionnant
38:55en fait
38:56et ce à quoi
38:57je ne m'attendais pas du tout,
38:58c'est que
38:59quand j'ai écrit
38:59la BD sur le remembrement,
39:02voilà,
39:03il y avait
39:03l'actualité
39:04sur les bassines
39:06avec
39:06ces militants écologistes
39:09qui se faisaient
39:10réprimer
39:11de façon très violente
39:12et moi,
39:14j'enquêtais
39:14sur
39:15d'autres
39:18modernisations agricoles
39:20qui se faisaient
39:20de façon
39:21complètement
39:21antidémocratique,
39:22le remembrement
39:24en l'occurrence
39:25avec
39:26des scènes
39:27qui ressemblaient
39:27forcément aux scènes
39:28de répression populaire
39:29qu'on a pu voir
39:31autour des bassines
39:33qui étaient des scènes
39:34de répression
39:35de paysans
39:35qui s'accrochaient
39:38aux arbres
39:38pour pas qu'on les coupe,
39:40qui s'allongeaient
39:41devant les bulldozers
39:42pour pas qu'ils arrasent
39:43le bocage
39:44qui tentaient
39:45de défendre
39:45des rivières en méandre
39:46avant qu'elles soient rectifiées
39:47etc.
39:48Et je me disais
39:49mais
39:49waouh,
39:50les paysans
39:51c'était
39:51ils ont été pionniers
39:53dans une lutte écologique
39:54ils l'appelaient pas comme ça
39:56à cette époque
39:56c'était simplement
39:57ils défendaient
39:58leur mode de vie
39:58leurs ressources
39:59et leur territoire
40:02en fait
40:02et c'est pour ça
40:04que c'est hyper intéressant
40:05d'étudier cette histoire
40:07pour comprendre
40:08comment on les a menés
40:09à marche forcée
40:10vers le productivisme
40:11l'agriculture industrielle
40:12l'agriculture hors sol
40:14l'agriculture chimique
40:16et aujourd'hui
40:17on leur reproche
40:18de continuer
40:20à raser
40:21leur haie
40:21de continuer
40:22à couper
40:22leur arbre
40:23enfin
40:23il y a une psychanalyse
40:24de l'agriculture
40:25à faire
40:25parce qu'ils sont
40:26vraiment pris
40:27dans des injonctions
40:28contradictoires
40:28en fait
40:29vous parliez de répression
40:30il y a ces images
40:31récentes de Sainte-Soligne
40:32des répressions policières
40:33comment vous avez reçu
40:36ces images
40:36moi j'y étais
40:38j'étais dans la manifestation
40:41ça m'intéressait de voir
40:43donc en 2023
40:45j'ai fait celle de 2023
40:46ça m'intéressait aussi
40:47de voir ce lieu
40:48de voir comment se passait
40:50cette manifestation
40:51et
40:52là il y a la sortie
40:53des images
40:53récentes
40:54c'est vrai
40:54mais en fait déjà sur place
40:56j'ai décidé de voir
40:57la retranscription
40:58qui en était faite
40:59médiatiquement
40:59alors que sur place
41:01moi j'y suis allée
41:02avec des personnes âgées
41:03etc
41:03qui n'avaient pas pensé
41:05à se masquer
41:06et on était harcelés
41:07par
41:08les bombes
41:10les grenades assourdissantes
41:11etc
41:12enfin
41:12il y avait une violence
41:13vis-à-vis
41:14d'une manifestation
41:15relativement pacifique
41:18qui m'a
41:19qui m'a sidéré
41:21et du coup
41:21je suis quand même contente
41:23que grâce à
41:24des journalistes d'investigation
41:25la vérité soit rétablie
41:26aujourd'hui
41:27sur le
41:28la
41:29la dimension
41:31vraiment
41:32impressionnante
41:34de la violence
41:35policière
41:35qu'est-ce que vous faites
41:37en ce moment
41:37Ines Léros
41:38parce qu'on a envie
41:38de savoir sur quoi
41:39vous travaillez
41:39après donc
41:40les algues vertes
41:40le remembrement
41:41tous ces reportages
41:42qu'on peut encore écouter
41:43d'ailleurs sur Radio France
41:44il y a énormément de choses
41:45que vous avez faites
41:45pour la maison
41:46quels sont les sujets
41:47vous maintenant
41:47qui vous mobilisent
41:49en ce moment
41:51ce qui me mobilise
41:53et puis qui me permet
41:54de retrouver un peu
41:55des ressources
41:56en moi-même
41:57c'est de
41:58et d'ailleurs c'est marrant
41:59parce que dans les rencontres
42:00autour du remembrement
42:01les publics me disaient
42:02beaucoup
42:02mais il y a aussi
42:03beaucoup de choses
42:04extraordinaires qui se font
42:05et pourquoi personne n'en parle
42:06enfin bien sûr
42:07il y a des gens qui en parlent
42:08mais c'est pourquoi
42:08vous vous en parlez pas
42:09pourquoi vous vous concentrez
42:10sur tout ce qui va pas
42:11et c'est vrai que moi aussi
42:12j'avais envie
42:13de peut-être
42:15commencer une série d'albums
42:17sur des innovations sociales
42:19et écologiques
42:21très inspirantes
42:22très astucieuses
42:23qui demandent pas
42:25beaucoup de moyens
42:25et voilà
42:27et donc en ce moment
42:27je suis en train de faire
42:28de recenser ce genre
42:29de situation
42:30et de les documenter
42:31vous travaillez aussi
42:31sur la lactation continue
42:32chez les troupeaux laitiers
42:33ça en fait partie
42:34quel rôle de sujet
42:36c'est ma grande passion
42:37du moment
42:37ah bon
42:38je suis complètement
42:40oui hantée par ce sujet
42:41la lactation continue
42:43chez les troupeaux laitiers
42:44ça fait un peu polémique
42:45parce que
42:46il y a toute une frange
42:48de la paysannerie
42:49qui préférerait
42:50qu'on valorise davantage
42:51les petits
42:52dans les troupeaux laitiers
42:53mais en gros
42:54c'est peu connu
42:55mais quand on fabrique
42:57quand on produit du lait
42:58il faut faire un petit parent
42:59à la mère
43:00la vache
43:00la brebis
43:01la chèvre
43:01qu'on va séparer
43:03de la mère tout de suite
43:04puis qu'on va mettre
43:06dans un endroit
43:06un peu isolé
43:07une niche à veaux
43:08par exemple
43:08et qu'on va envoyer
43:09à l'abattoir
43:10assez vite
43:11et c'est très peu valorisé
43:12pour les agriculteurs
43:13ça leur demande
43:13beaucoup de temps
43:14et il y a des éleveurs
43:15qui mettent en place
43:16la lactation continue
43:17c'est-à-dire
43:17qu'ils traient les animaux
43:18ils se basent un peu
43:19sur les nourrices
43:19chez les humaines
43:20ils traient les animaux
43:22sans faire de petits
43:23et ils se passent
43:24de l'abattoir
43:24et c'est vraiment
43:25des modèles peu connus
43:27et que je suis en train
43:27d'explorer
43:28Merci beaucoup Inès Léraud
43:30d'être venue au micro
43:31de la Terre au Carré
43:31aujourd'hui
43:32en attendant donc
43:33ces prochains reportages
43:35on peut toujours relire
43:36ou découvrir
43:37Chant de bataille
43:38l'histoire enfouie
43:39du remembrement
43:40c'est chez Delcourt
43:40avec Pierre Vonhove
43:42merci beaucoup
43:42et bon retour en Bretagne
43:43Merci
43:44A bientôt
43:44Dans un instant
43:45Fabrice Drouel
43:46avec Affaires Sensibles
43:47Merci à Anna Massardier
43:49qui a préparé ce dossier
43:50Mélissa Etroit
43:51à la technique
43:51Lucie Sarfati
43:53pour la coordination
43:53de l'émission
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