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  • il y a 4 jours
Le 16 juillet 2020, Keziah Nuissier est violemment interpellé par des gendarmes et des policiers à Fort-de-France, en Martinique. Alors qu’il est lui-même accusé de violences, il dénonce un déni de justice avant l’ouverture de son procès.

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00:00Quand j'ai vu qu'ils m'ont mis derrière le fourgon et que je prenais des coups,
00:14en fait j'ai cru que j'allais mourir vraiment.
00:16On me dit crève, meurt, regarde-moi, regarde-moi et en fait il enfonce son pouce dans mon
00:27œil gauche. C'est bien, nettoie le sang, nettoie le sang comme si de rien n'était.
00:32C'est assez paradoxal parce que je vais être jugé mais les gendarmes qui m'ont passé à tabac ne
00:38seront pas inquiétés. Je comprends juste pas, je comprends pas du tout. Je suis peut-être
00:42citoyen français mais là dans mon affaire c'est moi face à la France en fait, face à la justice
00:48française, face aux forces de l'ordre française. Pour moi c'est un déni de justice.
00:57Je m'appelle Kézia Nussier, j'ai 27 ans, je suis étudiant en audiovisuel, je viens de Martinique.
01:04J'ai grandi dans des familles qui à certains niveaux, que ce soit artistiquement ou politiquement
01:10parlant, étaient dans le militantisme. Ma mère, elle est danseuse belay, c'est une danse traditionnelle
01:15martiniquaise. Quand on pratique le belay, on est obligé d'être un peu militant parce que c'est
01:21l'identité martiniquaise qu'on remet en avant. Ma première manif c'était en 2009. Il y avait une
01:29très grosse grève générale par rapport à la vie chère en Martinique. J'avais 11 ans. Je me rappelle
01:38qu'à l'époque j'ai déjà à 11 ans, j'avais pris le micro devant la préfecture. J'avais dit que je
01:44comprenais pas comment une petite partie de la population martiniquaise pouvait dominer une partie
01:50beaucoup plus importante. Dans les Antilles françaises en Martinique. Comme la Guadeloupe
01:56voisine, ce territoire paie aujourd'hui encore les conséquences de l'utilisation massive d'un
02:02pesticide, le chlordécone. Au lycée, j'ai eu mon meilleur ami qui a été diagnostiqué avec des
02:09cellules cancéreuses et ça m'a beaucoup marqué et j'ai fait beaucoup de recherches par rapport à tout ça.
02:14Au lien qu'il y avait entre le photo de cancer en Martinique, c'est à partir de là que j'ai commencé à
02:20vraiment aller manifester dans la rue, etc. Je venais avec mon tambour et j'accompagnais les
02:26manifestants avec des rythmes de belay. En 2020, c'était vraiment une période où on subissait une
02:34forte répression nous en tant que militants. Alors le 16 juillet au matin, je constate qu'il y a trois
02:42militants que je connais très bien, qui ont été placés en garde à vue. Et comme à l'habitude, les
02:51autres militants se sont organisés et il y a une manifestation de soutien qui s'est organisée devant
02:56le commissariat. Je m'y suis rendu avec ma mère dans l'après-midi. On arrive et c'était assez calme en
03:03fait. C'était une manifestation pacifique. Les gens étaient en train de parler entre eux. Donc moi,
03:08je viens, j'ai mon tambour, je le pose. Il y a un gendarme qui décide de le prendre en fait, de
03:14prendre un des tambour. Et ça nous est déjà arrivé en manifestation que des gendarmes prennent les
03:20tambours au belay et les envoient en fait. Ils les balancent, ils les cassent, ils les fracassent au sol.
03:25Et ce sont des tambour qui sont considérés comme des instruments sacrés en Martinique. En voyant ça,
03:31moi, mon premier réflexe, c'est d'aller récupérer le tambour des mains du gendarme. Donc je m'avance,
03:36les bras en l'air pour bien montrer que je ne cherche aucune violence et aucun affrontement. Et
03:43j'essaie d'aller récupérer le tambour. Et en fait, en me rapprochant du tambour et du gendarme qui avait
03:49le tambour, je constate que ma mère est en train d'essayer de récupérer le tambour elle aussi. Il y a une
03:56sorte de couru, ça me pousse. J'arrive au niveau du gendarme. Il tombe sur ma mère. Donc moi,
04:02mon premier réflexe, c'est en fait, littéralement, j'arrive au niveau de ses épaules. Je le prends
04:07comme ça et je le déplace sur le côté. C'est là que je me prends vraiment une pluie de coups de matraque.
04:13On en a décompté une bonne centaine. Je prends un coup à la tête et je m'évanouis. Je perds totalement
04:25conscience. Pour moi, c'est tout noir. Quelques secondes après, en fait, je reprends conscience et je suis dans
04:32le caniveau, en fait, un genou sur la tête. Une fois que je suis menotté comme une bête, ils me prennent
04:44par les pieds, par les bras et ils m'emmènent vers le commissariat. Il me dépose derrière un fourgon de
04:58gendarmerie. Et en fait, là, je commence à me prendre des coups, en fait. Ils me tapent, je prends des coups de pied,
05:04des insultes. On me dit crève, meurs, sale nègre, tu n'iras plus en manif. Après, il y a un des gendarmes
05:11qui arrive et qui me dit regarde-moi, regarde-moi. Et en fait, il enfonce son pouce dans mon oeil gauche.
05:18C'est justement cette scène derrière le camion. C'est la vidéo qui a été prise par un habitant
05:24Faut y aller. Du haut de son immeuble, en fait, de sa fenêtre. Il a pris la vidéo. C'est cette vidéo-là qui
05:31qui m'a un peu sauvé la vie, en fait.
05:34Oh, regardez les poux.
05:37Il saigne.
05:41Il saigne.
05:46Il saigne.
05:50Il saigne.
05:58Oh, ça a été filmé.
06:06À ce moment-là, j'avais vraiment peur pour ma vie, en fait. J'ai cru que j'allais mourir,
06:12vraiment, ouais.
06:19Le capitaine de police est un des gendarmes qui me prennent et qui m'emmènent dans le
06:23commissariat. Et il m'assoit sur un banc. Je comprends pas trop ce qui se passe, en fait.
06:29Tout ce que je me rappelle, c'est mon sang qui coule à terre et j'avais des vertiges.
06:33Je me sentais pas bien, j'avais des nausées, etc. Donc je suis accusé de violence contre
06:38les forces de l'ordre. Et je reste 48 heures en garde à vue, donc de jeudi à samedi.
06:44Le jeudi, je suis emmené à l'hôpital. Et en fait, le vendredi à 3 heures du matin,
07:04je suis ramené en garde à vue. Et le vendredi soir, je suis ramené à l'hôpital pour passer
07:10des examens. Et il me ramène en garde à vue après. Donc je sors de garde à vue. Je
07:16me rappelle, il y avait énormément de monde qui attendait devant le tribunal, etc. Plein
07:20de gens qui étaient venus m'apporter leur soutien. J'ai découvert après que ça faisait
07:25deux jours, pendant les deux jours de garde à vue que j'avais fait, qu'il y avait eu deux
07:29nuits d'émeutes à Fort-de-France.
07:31Réunion de famille après deux jours mouvementés. Kézia, le jeune interpellé lors des manifestations
07:37avant-hier, retrouve ici sa mère et sa grand-mère. Ils témoignent à la sortie du tribunal.
07:42Ils m'ont donné des coups à la tête, au dos, sur les bras. Ils m'ont piétiné les parties
07:50intimes. La période qui m'a vraiment le plus traumatisé, on va dire, c'est l'après.
07:56L'après garde à vue. Quand je rentre chez moi, je suis fatigué. Je suis désorienté.
08:02Je n'arrivais pas à sortir de mon lit. Je n'avais plus la force musculaire de sortir
08:08du lit. Les membres de ma famille m'ont emmené à l'hôpital pour que je puisse être
08:14ausculté correctement. Le médecin, à la suite de son auscultation, me donne 21 jours
08:21d'ITT. Ce qui ressort, c'est clairement mon œil gauche. On voit qu'il a été touché.
08:27Je n'avais jamais eu autant d'hématomes et de si grosses formes d'hématomes sur le
08:32corps. Ça a changé complètement ma vie. Mais entre 2020 et 2025, j'ai dû m'adapter.
08:39Je faisais du basket. Je ne pouvais plus aller jouer au basket, faire ce genre de choses.
08:45même au niveau des études, etc. Je ne peux plus rester devant un écran ou me concentrer sur les
08:54mots, etc. Tout devenait flou. J'avais des maux de tête, les yeux qui coulaient. J'ai commencé à avoir
09:00double constamment. J'ai dû me faire opérer en 2024 par rapport à ça. Sur le plan psychologique,
09:07ça a eu énormément d'impact parce qu'en fait, on a vécu un véritable harcèlement après. C'est-à-dire
09:14que les forces de l'ordre venaient quasiment tous les deux jours à la maison pour nous faire signer des
09:21papiers ou quoi que ce soit. Sauf que je sors d'un traumatisme assez fort. Et rien que la vue d'un
09:29d'un uniforme, en fait, je pleurais, je stressais, j'avais des crises d'angoisse, etc. Je suis quand même
09:36resté chez moi, enfermé pendant à peu près deux, trois mois. Je ne sortais pas du tout.
09:42Quand j'ai commencé à sortir de chez moi, rien que la vue d'une voiture de police, je sursautais.
09:46Jusqu'à maintenant, c'est compliqué. Je suis suivi par un psychologue. Et jusqu'à
09:51maintenant, je n'ai pas pu retourner en manif, en fait.
09:54Manifestation pacifique ce matin devant le palais de justice pour soutenir le militant
09:59anticlordéconne Kézia Nussier, accusé d'avoir frappé en juillet dernier un gendarme. Il
10:04était jugé ce matin devant un tribunal correctionnel de Fort de France. L'audience,
10:08quant à elle, n'a duré qu'un peu plus de trois heures. Les avocats et le procureur
10:12de la République sont tombés d'accord sur au moins un point, le renvoi de cette affaire.
10:16Il me semble qu'il y a eu trois ou quatre reports de procès. Le procureur de l'époque
10:22a demandé à ce que l'affaire soit dépaysée à Paris.
10:26Ce que je retiens, moi, en l'état actuel, c'est qu'à l'issue de cette enquête, il
10:31apparaît que les poursuites qui sont exercées à l'encontre de M. Nussier sont des poursuites
10:36justifiées parce qu'on ne peut pas accepter qu'un individu s'en prenne ainsi à des forces
10:41de l'ordre et commettent des faits de violence volontaire envers les forces de l'ordre.
10:45Mais il résulte également de cette enquête qu'il y a eu ces actes qui ne sont pas plus
10:50admissibles, qui ont été commis par des militaires de la Gendarmerie nationale sur
10:55la personne de M. Nussier, à un moment donné où l'intéressé était déjà interpellé.
11:00Et donc ces actes également méritent d'être sanctionnés, d'être sanctionnés par un tribunal correctionnel.
11:06Le 1er décembre, je passe en procès devant la juge. Je ne comprends pas. Je ne comprends
11:12juste pas. Je ne comprends pas du tout. Moi, je ne veux pas seulement que ça se règle,
11:16que ça passe. Je veux aussi que j'obtienne justice. Je ne veux pas juste d'un non-lieu
11:23et basta. Je veux vraiment que j'ai subi quelque chose que personne n'aurait jamais dû
11:29bien. Et mes agresseurs ne sont pas des personnes lambda ou des mecs qui sont venus spécialement
11:41pour ça ou me voler ou quoi que ce soit. C'est des personnes qui sont dépositeurs de l'autorité publique.
11:46On demande tout simplement le respect, que ce soit lorsqu'on parle de chlordécone, que ce soit lorsqu'on parle de vie chère.
12:14Tout est une question de respect et de dignité humaine.
12:18Et en fait, quand on se retrouve à manifester pacifiquement et qu'on se fait gazer, matraquer,
12:26poursuivis comme des bêtes dans les rues, on est obligé d'avoir un percement au cœur,
12:30on est obligé d'avoir ce sentiment d'injustice qui revient, ce sentiment de colère aussi qui est là.
12:37Parce qu'en fait, on se dit, mais est-ce que c'est parce qu'on est antillais, en fait ?
12:43Est-ce que si c'était en Normandie ou en Loire-Atlantique, est-ce que ce serait pareil ?
12:49Ce peuple qui s'exprime pacifiquement et qui dénonce cet empoisonnement se retrouve face à une répression violente ?
12:57On est obligé de se dire que c'est injuste, en fait, et que ce n'est pas normal.
13:05Et je pense que personne sur Terre ne pourrait accepter ce genre de situation.
13:12Peu importe son origine, peu importe sa couleur de peau, peu importe son âge, tu ne peux pas accepter ça.
13:19Le procès de Kezia Nussier a lieu le 1er décembre prochain à Paris.
13:23Il comparait pour violence volontaire sur personne dépositaire de l'autorité publique.
13:27En fait, plusieurs gendarmes accusent Kezia d'avoir donné des coups.
13:30De son côté, Kezia a déposé trois plaintes.
13:33La première pour violence par personne dépositaire de l'autorité publique.
13:37La deuxième pour actes de torture et barbarie.
13:40Et la troisième pour faux et usage de faux.
13:42Je dis qu'il y a des éléments qui laissent à penser que tout ça est monté.
13:46Nous le disons depuis le début.
13:47Nous disons qu'il n'y a pas eu de coup de poing.
13:49Nous soutenons aussi que toute cette argumentation est scélérate et fallacieuse.
13:54J'ai discuté avec Eddy Arneton, l'un des avocats de Kezia.
13:57Il m'a affirmé que la dernière plainte, celle pour faux et usage de faux, était en cours d'instruction.
14:02Par contre, pour les deux premières plaintes, celles qui concernent justement les violences,
14:06ils n'ont plus aucune nouvelle.
14:07Je vous rappelle qu'à Street Press, si on peut donner la parole à Kezia et aux autres victimes de violences policières,
14:13c'est grâce à vos dons.
14:14Au moment où j'enregistre cette vidéo, vous êtes déjà 6300 donateurs mensuels.
14:18Mais on a besoin que vous soyez le double d'ici la fin de l'année.
14:21Plus que jamais, Street Press a besoin de vous pour continuer ce travail.
14:25Alors soutenez-nous !
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