Aujourd'hui, dans « Les 4V », Gilles Bornstein revient sur les questions qui font l’actualité avec Clémentine Autain, députée NFP de Seine-Saint-Denis.
00:00Bonjour Clémentine Autain, le ministre de l'Intérieur et le garde des Soseron d'à Marseille aujourd'hui après l'assassinat de Mehdi Kessassi.
00:10Laurent Nunez a parlé de points de bascule, est-ce qu'il a raison ?
00:14Oui, je pense que c'est un événement ce qui s'est passé et je voudrais d'abord dire ma tristesse et toute mon empathie que je veux exprimer pour Amine
00:25qui a perdu non seulement son frère Mehdi mais aussi un autre frère.
00:31Donc c'est une famille qui est douloureusement endeuillée et je pense que c'est un choc dont nous devons faire quelque chose politiquement.
00:39Moi je connais bien ce sujet du narcotrafic parce que dans la circonscription que je représente, il y a notamment la ville de Sevran.
00:46Le nord de la Seine-Saint-Denis.
00:47Au nord de la Seine-Saint-Denis où il y a, on le sait, une plaque tournante de la drogue.
00:52Et au mois de septembre, je suis allée à un hommage parce qu'un jeune homme, père de deux enfants, a été assassiné dans le cadre d'un règlement de compte.
01:03Et quand je suis allée à l'hommage qui a été rendu par la famille, les proches, j'ai discuté avec de nombreux jeunes du quartier.
01:10Et de quoi m'ont-ils parlé ?
01:12Au fond de la même chose que ce dont parle Mehdi dans la tribune qu'il a rédigée pour le journal Le Monde
01:19ou dans les interviews qu'il donne depuis hier courageusement.
01:22Il dit une chose simple, il dit « nous comptons nos morts, mais que fait l'État ? »
01:27Et je pense que l'État doit agir correctement.
01:31Il y a une part qui relève bien sûr de la répression.
01:34Et notamment, cette répression pour moi, elle doit aller chercher les têtes de réseau.
01:39Ce sont des milliards d'argent qui sont brassés.
01:42Et donc, il faut d'abord s'attaquer aux réseaux de blanchiment et donc investir dans les cellules qui permettent, en gros, d'aller traquer cet argent
01:56et donc de retrouver les commanditaires d'une certaine manière.
01:59Et aussi tous les réseaux de renseignements qui sont, à mon sens, affaiblis.
02:04Et ça, c'est une première chose.
02:05Il faut investir dans la police de proximité qui a été démantelée, notamment sous Nicolas Sarkozy.
02:11Et donc, on n'a plus les moyens dans nos quartiers populaires d'avoir une police qui est au contact de la population
02:18et qui a un autre rapport que cette police nationale aujourd'hui.
02:22Et puis enfin, c'est l'essentiel, je dirais, c'est tout le volet prévention.
02:27Et ce volet prévention, comme le dit Amine très bien, il commence par le fait que les services publics ont abandonné nos quartiers populaires
02:36et que les jeunes, chez nous, n'ont pas de perspective, n'ont pas d'avenir, ne savent pas où se projeter.
02:43Donc, ça commence à l'école.
02:44C'est aussi les perspectives dans l'emploi.
02:47Qu'est-ce qu'on leur propose ?
02:48Comment on fait pour que les habitants des quartiers populaires ne se sentent pas très jeunes, relégués, en fait, sans avenir ?
02:56Les moyens des réseaux sont infinis.
02:57Vous n'avez pas le sentiment que, quels que soient les emplois qu'on pourra leur proposer,
03:01les réseaux seront toujours plus forts parce qu'ils pourront toujours mettre plus d'argent sur la table ?
03:04Il y a pas une certaine forme de naïveté de dire que, si on leur donne à tous un emploi,
03:08eh bien, ils ne tomberont pas dans le deal ?
03:11Alors, bien sûr, si vous comparez entre même un emploi qui pourrait être correctement rémunéré
03:16et ce qu'on peut gagner avec le deal, parfois, il n'y a pas photo.
03:20Mais quand on tombe dans ce mécanisme-là, c'est aussi qu'on n'a pas l'espoir de pouvoir avoir une vie digne correctement par le travail.
03:30Et c'est aussi qu'on se sent abandonné.
03:32C'est aussi qu'on a vécu des discriminations en chaîne.
03:36Le racisme, c'est tout ça.
03:37Et que l'État ne nous donne pas de place dans cette société, ne nous permet pas d'être valorisés.
03:45C'est pas qu'une question d'argent.
03:47Vous voyez ce que je veux dire ?
03:48Moi, je ne suis pas d'accord avec le président de la République qui propose aux jeunes,
03:51les jeunes doivent pouvoir rêver d'être milliardaires.
03:56C'est pas ça le rêve.
03:57Si, c'est que l'argent qui est le moteur dans la société,
04:00alors peut-être que les jeunes, quelque part, ils répondent aussi en disant
04:04« Ah, puisque pour être valorisés, il faut avoir de l'argent, allons là où on trouve de l'argent. »
04:08C'est pas ça, pour moi, la réussite.
04:10Puisque vous parlez du président de la République, il a dit
04:12« Vous achetez un peu de cannabis ou un peu de cocaïne pour votre usage personnel. »
04:17En fait, vous êtes complice de la criminalité organisée.
04:19Il a fustigé les bourgeois qui s'adonnent à ça.
04:21Il a raison. Est-ce que c'est aussi la faute des consommateurs ?
04:24Moi, je ne raisonnerais pas de cette manière-là,
04:27parce que les consommateurs, quelque part, ils sont aussi dans une tragédie qui relève…
04:34Pas tous.
04:35Pas tous, j'entends bien. Tout n'est pas tragique.
04:37Mais ce que je veux dire, c'est qu'on sait bien qu'il y a un enjeu de santé publique autour de ça.
04:42Donc j'aimerais qu'on s'occupe…
04:43Si il n'y a pas de consommateurs, il n'y aurait pas de trafic.
04:44C'est l'évidence. C'est l'évidence.
04:46Et donc, il faut s'attaquer à cet enjeu de santé publique.
04:49Mais je le prendrais plus sous l'angle de la santé publique que de la simple moralisation.
04:54Et par ailleurs, c'est vrai qu'il y a de la cocaïne qui circule dans des milieux bourgeois
04:59qui peuvent, dans le même temps, faire des leçons aux jeunes des quartiers
05:04parce qu'ils sont des dealers et donc des délinquants.
05:07Mais eux-mêmes pourraient se remettre en question.
05:10Mais ce qui est frappant aujourd'hui, c'est que ce ne sont pas seulement les bourgeois
05:15qui s'achètent de la cocaïne ou de l'extasie.
05:18Parce qu'il y a aujourd'hui un trafic qui est si immense que les prix ont baissé
05:23et que ça touche des populations beaucoup plus massives que la simple haute bourgeoisie.
05:28Donc, c'est pour ça que j'insiste sur l'enjeu de santé publique.
05:31Et je voudrais aussi, en termes de solutions, puisque je suis là pour vous parler de solutions,
05:36dire que nous avons à protéger les familles dans les quartiers populaires
05:39et notamment avec l'anonymisation des témoignages.
05:43Moi, ce que j'ai vu, c'est des gens qui sont tenaillés par la porte.
05:45Paris a proposé hier sur l'antenne de France Info.
05:50Oui, exactement.
05:50Mais parce que les gens sont tenaillés par la peur.
05:54Et je veux vraiment témoigner du point de vue de ce que je vois, de ce que je sais.
05:59Tenaillés par la peur même de témoigner.
06:01Voilà, de témoigner.
06:02Et donc, si on veut pouvoir aussi mieux enquêter
06:06et donner les moyens à la police de faire son travail,
06:08il faut faire en sorte de protéger celles et ceux qui savent, qui peuvent parler.
06:15Et enlever cette peur.
06:16Vous savez, c'est terrible de vivre dans l'angoisse
06:19que votre enfant, simplement en se promenant dans le quartier,
06:22la journée ou la nuit,
06:24peut, le soir, je veux dire, se prendre une balle perdue dans la tête.
06:28Il faut comprendre ce que c'est de vivre avec cette peur, ce que ça veut dire.
06:32Et ce sentiment d'abandon.
06:34J'insiste là-dessus.
06:35Les familles, dans ces quartiers-là,
06:37c'est le sentiment que tout s'effondre,
06:39que l'école s'effondre,
06:40qu'il n'y a pas de transport,
06:41qu'il n'y a pas de perspective,
06:42que les services publics ne sont plus là,
06:45ont déserté ces quartiers,
06:46d'être dans des zones où, en fait, l'État n'est plus.
06:49Et vous savez, le trafic,
06:51pourquoi il s'installe dans les quartiers ?
06:53Le lien avec la pauvreté qui a été montré.
06:56Ce n'est pas simplement parce qu'on va trouver des jeunes
06:57qui sont en quête d'avoir de l'argent
07:01et on va avoir des gens pour faire le deal.
07:03Ce n'est pas seulement ça.
07:03C'est qu'ils savent aussi que dans ces quartiers-là,
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