Jean-Marc Jancovici, ingénieur polytechnicien fondateur de Carbone 4 président du Shift Project et membre du Haut Conseil pour le climat explique lors de la conférence Agora ENSAE pourquoi il a évolué sur la taxe carbone. Il revient sur la fiscalité du diesel, les effets de long terme sur la consommation d’énergie et montre que la taxe carbone ne peut plus être l’outil principal pour les particuliers faute de temps pour s’adapter. Il défend une transition fondée sur la réglementation comme la fin des voitures thermiques ou l’interdiction des logements F et G tout en réservant la taxe au secteur industriel où elle fonctionne. Une intervention claire sur les outils efficaces pour accélérer la décarbonation.
00:00A partir du moment où vous avez un impôt de dissuasion, il ne faut pas que ces recettes concourent au budget général, le fonctionnement ordinaire,
00:05parce que sinon, vous vous retrouvez dans la situation perverse où vous avez intérêt à maintenir la nuisance pour conserver la fiscalité.
00:13Et avec la taxe carbone, c'est exactement le même problème.
00:16C'est-à-dire que maintenant que c'est devenu une assiette, un impôt pas très élevé, parce qu'elle existe la taxe carbone aujourd'hui en France,
00:22et maintenant qu'elle est devenue un impôt pas très élevé sur une assiette très large, dont l'État dépend alors que l'État est à l'âge,
00:30et que ça ne sert pas à décarboner l'économie, vous vous retrouvez coincé avec un impôt qui était censément un impôt de dissuasion,
00:37qui devient un impôt de rendement, et à ce moment-là, vous avez envie de le garder, donc vous avez en fait envie de garder vos automobilistes à pétrole.
00:42Vous avez un temps défendu la taxe carbone, puis vous avez changé, entre guillemets, de position au fil du temps.
00:56Qu'est-ce qui a motivé ce changement ? Aujourd'hui, quel rôle vous attribuez à la taxe carbone,
01:04et plus généralement aux outils fiscales dans la transition ?
01:09Alors vous avez effectivement, il y a maintenant quasiment 20 ans, fait une déclaration d'amour à la taxe carbone dans un livre qui s'appelait « Le plein s'il vous plaît ».
01:15Alors « Le plein s'il vous plaît », ça ne veut rien dire. Est-ce que ça dit quelque chose avec vos jambes dans cette salle, cette expression ?
01:20Non, strictement rien.
01:22Alors ça date de l'époque où les appareils de lecture de cartes bancaires n'avaient pas remplacé les pompistes.
01:30Donc vous alliez à la pompe à essence, et vous n'aviez pas affaire à un automate, vous alliez affaire à un être humain, avec deux bras, deux jambes.
01:37Et la personne, l'être humain, en général un type revêche avec un mégot au bec, non il n'y a pas de mégot au bec, c'est interdit de fumer dans les stations serviciennes,
01:45avec un air pas toujours très aimable, arrivait à côté de la voiture et vous disait « Je vous en mets combien ? ».
01:51Et quand vous vouliez qu'il fasse le plein, vous lui disiez « Le plein s'il vous plaît ».
01:53C'est une expression qu'on entendait dans toutes les pompées à essence à l'époque.
01:56Et donc ce titre du bouquin, parce qu'on parlait d'énergie, on avait trouvé ça marrant comme titre.
02:04Et dans ce titre, on expliquait qu'effectivement on avait un problème avec les énergies fossiles, puisqu'elles étaient en train de dérégler qu'il y a,
02:09et donc il y avait une solution très simple, c'était que les rendre plus chères.
02:12C'est à partir du moment où on limite l'accès par un enchaînement du prix, ça marche très bien.
02:18Et du reste, il y a un domaine dans lequel ça a très bien marché cette affaire-là, c'est la diésilisation du parc automobile français.
02:22« Pendant des décennies, on a moins fiscalisé le diesel que l'essence dans ce pays ».
02:29Alors, je ne sais pas exactement pourquoi on a fait ça, je n'ai pas eu le temps de chercher, jamais.
02:34J'ai eu l'hypothèse, qui est qu'au moment où le fuel a commencé à sortir du chauffage après les chocs pétroliers,
02:40on s'est retrouvé avec trop de fuel sur les bras, et comme quand vous raffinez du pétrole,
02:45vous ne pouvez pas choisir à la carte ce que vous allez sortir, ça vous sort toujours une fraction de fuel,
02:49une fraction d'essence, une fraction de kérosène, une fraction de bitume, une fraction de naftar,
02:53vous ne pouvez pas dire, moi je veux de l'essence, c'est comme ça.
02:56Les raffineurs se sont retrouvés avec plein de fuel sur le bras, sauf que le fuel et le diesel, c'est pareil.
03:00C'est le même produit, c'est les mêmes molécules, le fuel domestique et le diesel.
03:04Et donc je pense qu'ils ont aidé, ce qui se passe toujours avec les industriels quand ils ont un problème,
03:09ils vont voir l'État en disant « ce serait quand même bien d'arranger la fiscalité, la poursuite de nous ».
03:12Et du coup, le diesel s'est retrouvé moins taxé que l'essence.
03:17C'est mon hypothèse, je n'ai pas été vérifié, mais c'est mon hypothèse.
03:20Toujours est-il que le diesel est moins taxé que l'essence, en 30 ou 40 ans de temps, ça a totalement dieselisé le parc.
03:27Donc, fort de cette observation, et fort d'une autre observation qui était que dans les pays dans lesquels
03:33le prix de l'essence à la pompe était cher depuis longtemps, parce que les pays avaient commencé leur histoire
03:37comme consommateur, comme importateur de pétrole, tous les pays qui ont commencé leur histoire pétrole,
03:42l'histoire de la mobilité automobile comme importateur de pétrole, ont des carburants fortement taxés.
03:47Tous les pays qui ont commencé l'histoire automobile comme producteurs de pétrole, ont des carburants peu taxés.
03:52C'est le cas des États-Unis, c'est le cas des pays du Golfe, etc.
03:57Donc quand les pays ont commencé comme producteurs de pétrole, et la Norvège et la Grande-Bretagne,
04:02qui sont venus producteurs sur le tard, en fait, ils ont toujours eu des carburants domestiques assez taxés,
04:06parce qu'ils avaient démarré l'histoire automobile comme importateurs de pétrole.
04:09Alors, ils n'ont pas changé d'allée.
04:11Et on avait remarqué avec un rangeant, qui incidemment est un ancien de cette maison,
04:16qui est mon associé chez Carbon4, on avait remarqué, et avec qui on a écrit le principe bouple,
04:21une longue histoire ensemble, on avait remarqué que là où le sang s'était cher depuis longtemps,
04:29en gros, la consommation des voitures était divisée par deux par rapport à la...
04:32Donc la voiture européenne standard consommait deux fois moins que la voiture américaine standard.
04:37Et l'explication qu'on y voyait, c'était que depuis des décennies, l'essence valait plus cher.
04:42Donc on s'est dit, si on augmente graduellement le prix de l'énergie fossile,
04:47eh bien, graduellement, les gens vont se convertir à autre chose.
04:51Et dans notre esprit, donc la taxe carbone doit être graduelle,
04:55parce que si vous faites des augmentations brutales, les gens n'ont pas les moyens de se retourner.
05:00Donc il faut que ce soit progressif, il faut que ce soit annoncé.
05:03Et à ce moment-là, par ailleurs, l'offre a le temps de venir en face.
05:06C'est-à-dire à partir du moment où vous dites, où vous annoncez que ça va être de plus en plus cher,
05:08les constructeurs autoboïdes ne sont pas fous pour continuer à vendre des bagnoles,
05:12ils vont ajuster la consommation de telle sorte qu'ils vont faire un peu d'efficacité énergétique,
05:15alléger la bagnole, qu'est-ce que je sais, de telle sorte qu'on en consomme moins.
05:19Alors ça, ça marche quand vous avez beaucoup de temps devant vous,
05:23quand vous êtes constant dans l'effort, c'est-à-dire que vous augmentez la taxe de manière visible, prévisible, etc.
05:28Et par ailleurs que vous ne faites pas une erreur, qui est très fréquente,
05:31c'est de confondre les impôts de rendement avec les impôts de dissuasion.
05:35Alors, je vais vous expliquer.
05:36Quand vous voulez dissuader les gens de fumée et que vous mettez des taxes monstrueuses sur les paquets de cigarettes,
05:41aujourd'hui, 80% d'un paquet de cigarettes, c'est des taxes, au niveau du prix,
05:45vous devez faire très attention à une chose, c'est que ça ne doit pas servir à payer
05:50les professeurs des écoles et la scolarité à l'ENSAE,
05:54parce que sinon, le jour où vous avez atteint votre but avec des paquets hors de prix
05:57et que les gens s'arrêtent de fumer,
05:59vous n'avez plus de quoi payer les enseignants à l'ENSAE et les professeurs des écoles.
06:02Donc, si vous voulez que ces recettes, il ne faut surtout pas les affecter à autre chose
06:10que à dissuader les gens de fumée.
06:11Et autrement, à partir du moment où vous avez un impôt de dissuasion,
06:14il ne faut pas que ces recettes concourent au budget général le fonctionnement ordinaire,
06:17parce que sinon, vous vous retrouvez dans la situation perverse
06:20où vous avez intérêt à maintenir la nuisance pour conserver la fiscalité.
06:25Et avec la taxe carbone, c'est exactement le même problème.
06:28C'est-à-dire que maintenant que c'est devenu une assiette,
06:31un impôt pas très élevé, parce qu'elle existe la taxe carbone aujourd'hui en France,
06:35et maintenant qu'elle est devenue un impôt pas très élevé sur une assiette très large,
06:39dont l'État dépend alors que l'État est à l'âge,
06:42et que ça ne sert pas à décarboner l'économie,
06:45vous vous retrouvez coincé avec un impôt qui était censément un impôt de dissuasion,
06:49qui devient un impôt de rendement, et à ce moment-là, vous avez envie de le garder,
06:51donc vous avez en fait envie de garder vos automobilistes à pétrole.
06:55Alors, j'ai changé d'avis, pourquoi ?
06:58J'ai changé d'avis parce que maintenant, 20 ans sont passés,
07:00qu'on n'a plus le temps d'attendre,
07:02et que la taxe carbone comme instrument brutal, ça ne marche pas,
07:05parce que les gens doivent avoir le temps de faire essai-erreur.
07:09Donc si ça monte très lentement, ils ont le temps de faire essai-erreur.
07:11Si ça monte très brutalement, ils n'ont pas le temps de faire essai-erreur.
07:14Ils ne peuvent faire qu'un essai, et si ce n'est pas bon, ils sont coincés.
07:17Donc aujourd'hui, je suis devenu beaucoup plus partisan de la réglementation,
07:21qui permet d'aller beaucoup plus vite.
07:22Par exemple, dire en 2035 qu'on ne vendra plus de voitures thermiques,
07:25ça c'est une réglementation.
07:27Dire à partir de maintenant, vous n'avez plus le droit de louer des appartements F et G,
07:31c'est une réglementation.
07:32Et cette réglementation, elle permet d'aller beaucoup plus vite.
07:35Elle est beaucoup plus visible.
07:37Elle permet éventuellement, dans la population, de trier entre les gens qui ont les moyens par eux-mêmes
07:41de respecter la réglementation, qui vous dites que c'est comme ça, qu'il n'a pas le choix,
07:45et les gens qui n'ont vraiment pas les moyens que vous cédiez.
07:47Donc un truc qui était une très bonne idée, par exemple, c'était le leasing social,
07:50qui était une prime à l'accès à la voiture électrique, sous condition de ressources,
07:54et sous condition de kilométrage parcouru.
07:56Mais autrement, ça ciblait les gros rouleurs, ayant peu de moyens.
08:00Et ça a été un énorme succès, du reste.
08:02Le gouvernement avait prévoyé d'ouvrir le guichet sur toute l'année et de faire, je crois quoi, 25 ou 30 000.
08:07À fin février, ils avaient atteint les 30 000, et donc ils ont à tout arrêté, parce que...
08:11Donc les gens sont par contre la voiture électrique quand c'est accessible.
08:16Et donc, ce qu'il faut faire aujourd'hui, c'est la réglementation, aider les gens qui...
08:22Et la taxe, elle ne peut être là qu'en mesure d'accompagnement, pour éviter l'effet rebond.
08:30Et autrement, si les gens se mettent à consommer beaucoup moins, il ne faut pas que, du coup,
08:34comme ça leur coûte beaucoup moins cher, le surplus de pouvoir d'ajac, ça dégage,
08:37aille s'investir dans d'autres trucs qui vont remplacer la billeante, d'accord ?
08:40Donc il faut en même temps que la consommation baisse, le prix monte.
08:43Mais ça doit être une mesure d'accompagnement, ça ne doit pas être une mesure principale.
08:47Il y a un domaine dans lequel ça marche bien, la taxe, en fait, c'est dans le domaine industriel.
08:51Parce que les particuliers, ils n'ont pas les moyens d'embaucher une armée de consultants
08:55pour savoir à partir de quel prix du carbone ils ont intérêt à changer leur bagnole,
08:58changer leur chaudière, changer je ne sais pas quoi, ils n'ont pas les moyens de faire ça.
09:01Par contre, l'industriel a tout à fait les moyens de faire ça.
09:03Donc la boîte, elle a tout à fait les moyens d'embaucher un diplômé de cette école,
09:07avec son tableur Excel, qui va lui dire, à 53,2 euros la totte de CO2,
09:11tu as intérêt à passer de tête-pensée à tête-pensée à tête-pensée.
09:13Et à 352,7 euros, tu as intérêt à passer de tête-pensée à tête-pensée à tête-pensée.
09:17Donc ça marche bien dans le domaine industriel.
09:21Et du reste, la Grande-Bretagne est sortie du charbon dans la production électrique
09:25avec une taxe carbone sur la production électrique.
09:27Donc ils ont taxé le CO2 issu des centrales électriques,
09:29et en l'espace de 15 ans, ils sont passés du charbon au gaz dans la production électrique.
09:33Ils se sont totalement débarrassés du charbon.
09:35Donc ça marche pas.
09:35Ils ont baissé le contenu carbone de leur électricité plus vite que les Allemands.
09:39Après, ça en parle pas, mais ils ont rien qui baissait plus vite.
09:42Donc dans le domaine industriel, dans le domaine économique,
09:44j'ai envie de dire, ça peut marcher comme outil principal.
09:47Pour les particuliers, maintenant j'en suis revenu,
09:48je pense que ça doit être une mesure d'accompagnement,
09:50mais ça peut pas être un outil principal.
09:53Merci beaucoup.
09:55Ah si, je vais faire une petite pique pour des chercheurs de cette école.
09:57Une des raisons pour lesquelles ça continue à avoir beaucoup de partisans
10:02dans le monde économique,
10:04c'est que les modèles économiques savent faire de l'élasticité prix-volume sur des prix,
10:10ils ne savent pas traiter les conséquences d'une réglementation.
10:15Donc dans le modèle économique, comme on a que des prix et des élasticités,
10:19tous les chercheurs continuent à ne parler que de taxes.
10:22Ils ne parlent pas de réglementation parce qu'ils n'ont pas d'outils
10:24pour savoir ce que ça peut produire comme effet.
10:25C'est pour ça que notre ami Goyer continue à adorer la taxe carbone,
10:30tout simplement parce qu'il n'a pas d'outils.
10:31Vous savez, quand on a qu'un marteau, tout le problème ressemble à un clou.
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