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00:00Aujourd'hui, ils sont en grève au Pérou, mais avant cela, ils sont descendus dans la rue au Bangladesh, au Maroc, en Indonésie ou encore au Kenya.
00:12Ils ont même contribué au renversement d'un régime à Madagascar.
00:16Ils, ce sont les jeunes de la Gen Z. Ils sont nés entre la fin des années 1990 et le début des années 2010.
00:23Ils ont grandi avec la culture digitale et ils ne se contentent pas de rester derrière leurs écrans.
00:27Qui sont ces militants d'un genre nouveau que l'on présente souvent comme apolitiques et pacifiques ?
00:34Que veulent-ils ? Quel est leur projet ? Et surtout, faut-il s'en méfier ?
00:37On va en parler avec vous, Michel Vieverka. Bonsoir.
00:40Vous êtes sociologue, directeur d'études à l'EHESS, co-auteur du livre The Family aux éditions Kalman Levy.
00:46Vous signez également un article dans le Média en ligne The Conversation de mai 68 à la génération Z, ce que les révoltes apportent à la démocratie.
00:54Oui. Tout d'abord, diriez-vous que toutes les Gen Z se ressemblent, qu'elles ont les mêmes revendications dans tous les pays ou bien elles ont chacune leur spécificité ?
01:04Elles ont évidemment chacune leur spécificité.
01:07Tout simplement parce que les pays sont différents, l'histoire est différente, les problèmes sont différents.
01:13Mais le plus important, c'est quand même le point commun, je dirais le plus central.
01:18C'est que cette génération qui se mobilise n'agit pas seulement pour elle-même.
01:23Ce n'est pas un mouvement générationnel qui dit « nous voulons plus pour les jeunes », point final.
01:28C'est un mouvement qui met en avant des revendications qu'on peut appeler démocratiques, ou si vous préférez, citoyennes,
01:36qui demandent d'avoir accès, que tout le monde ait accès à l'éducation, à la santé, au logement,
01:42qui veulent qu'on en finisse avec des pouvoirs plus ou moins corrompus,
01:47et qui le font en principe, et le plus souvent possible, sans violence.
01:52Mais la violence, elle n'est parfois pas très loin.
01:53Le point commun, c'est vraiment qu'une génération se dresse dans un certain nombre de pays
02:03pour des motifs différents, mais toujours pour des valeurs universelles.
02:08C'est pour toute la société qui se mobilise,
02:10ce n'est pas simplement pour les gens qui ont entre 20, 22, 25 ans et 30 ans.
02:16Est-ce qu'ils se mobilisent justement dans des pays où la démocratie est en péril ?
02:21Disons qu'ils se mobilisent dans des pays où la démocratie, si elle existe, est illibérale, est peu libérale.
02:31On ne les voit pas en France, on ne les voit pas pour l'instant,
02:34on ne les voit pas dans les pays du nord de l'Europe,
02:36on les voit au Maroc, on les voit au Pérou, on les voit en Indonésie, on les voit à Madagascar.
02:41C'est plutôt des gens qui se mobilisent contre des régimes peu démocratiques,
02:45plus ou moins autoritaires, et qui d'ailleurs, la plupart du temps,
02:49n'arrivent pas à répondre autrement à ces mouvements que par la répression,
02:54ce qui crée la spirale de la violence dans laquelle ils sont parfois un peu tentés d'entrer.
02:59Pourquoi ce mouvement est différent de celui des autres générations ?
03:05Alors d'abord, cette jeunesse, elle est totalement numérique.
03:08Elle est née dans le numérique, ou avec le numérique.
03:11Donc elle ne découvre pas les réseaux sociaux, Internet,
03:15et donc ça fait partie de leur culture.
03:17Ils utilisent d'ailleurs des réseaux souvent nouveaux, par exemple,
03:20ou enfin nouveaux en tout cas, qui ne sont pas les réseaux les plus habituelles
03:23dans les manifestations ou les mobilisations plus anciennes.
03:27Par exemple, Discord, ça c'est un premier point.
03:30Un deuxième point, c'est que cette mobilisation, excusez mon jargon,
03:34elle est quand même beaucoup plus horizontale que verticale.
03:38Il n'y a pas une structure, un chef, des gens qui peuvent discuter avec le pouvoir,
03:43négocier, c'est plutôt horizontal, tout le monde se mobilise,
03:47un peu comme les gilets jaunes en France, si vous voulez.
03:49Ça donne beaucoup plus de force d'un côté à ces mobilisations,
03:53mais c'est aussi leur faiblesse, parce que quand vous avez une organisation très faible,
03:58pas de leader vraiment accepté, il y a une ou deux exceptions,
04:01mais dans l'ensemble, il n'y a pas de leadership, vous n'avez pas non plus
04:04de capacité à monter au niveau politique, à passer de la contestation
04:10à la négociation, au débat, au traitement politique de vos demandes.
04:15Et donc, ça vous affaiblit.
04:17C'est un peu ce qu'on avait vu d'ailleurs aussi avec les gilets jaunes.
04:20Et donc, c'est une génération qui est forte, horizontalement,
04:23mais qui n'est pas dotée, qui ne veut pas se doter d'organisations fortes,
04:28de fortes structures.
04:29Est-ce qu'elle arrive jusqu'à présent, justement, à échapper à la récupération politique ?
04:35Pas toujours, pas toujours.
04:37Il y a l'expérience bien connue de Madagascar,
04:40où le mouvement de cette génération Z, le mouvement est très puissant,
04:46le pouvoir lui-même est très faible,
04:48et les militaires font un coup d'État, ou presque,
04:51enfin on peut dire un coup d'État, en s'appuyant sur cette contestation.
04:55Donc, on peut dire que comme cette contestation n'était pas capable elle-même
04:58de se constituer en force politique, les militaires en ont profité.
05:04Dans d'autres pays, c'est différent, ils obtiennent des résultats,
05:08mais cette génération ne veut pas prendre le pouvoir.
05:11Elle ne dit pas que c'est à nous de diriger le pouvoir d'État, ce n'est pas ça.
05:14Elle dit qu'il faut que ça change, on veut plus de droits.
05:16Alors, on en a assez des dépenses somptuaires,
05:19on en a assez de voir dépenser beaucoup d'argent pour des choses superflues,
05:24alors qu'on a besoin d'accès à l'éducation, d'accès à l'eau, à l'électricité,
05:28au logement, à la santé.
05:30C'est bien plus urgent que de construire des stades ou des terrains de golf,
05:35ou des choses qui sont en tout cas moins urgentes.
05:37Vous la présentez comme une génération sensée.
05:41Moi, j'ai choisi comme titre de cette question qui fâche,
05:43« Faut-il se méfier de la Gen Z ? » car certains la décrivent comme une génération
05:47qui vit surtout dans l'émotion, dans l'instant présent,
05:50qui n'a pas réel projet de société derrière,
05:53qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez.
05:55C'est une vision, j'imagine, que vous ne partagez pas ?
05:58Écoutez, ceux qui font cette critique en France
06:01sont des gens qui ne voient tellement pas plus loin que le bout de leur nez
06:04que l'horizon le plus lointain auquel ils peuvent penser,
06:08c'est la présidentielle de 2027, si elle a lieu en 2027.
06:12Ce n'est pas très loin comme horizon.
06:16Pas du tout.
06:16Ce sont des gens qui disent qu'on veut des droits nouveaux,
06:18on veut des réformes, on veut en finir avec un certain nombre de choses.
06:22Ils n'ont pas un projet construit,
06:23ils n'ont pas une plateforme, si vous voulez, politique construite,
06:26mais ils ont une vision, ils ont un horizon,
06:28ils ont l'idée d'un changement.
06:31Donc, je les défendrai de ce point de vue-là,
06:34de façon tout à fait nette.
06:36Tout à fait net, est-ce qu'il faut s'en méfier ?
06:40Je pense que ceux qui sont des tenants de l'idée que rien ne doit changer,
06:47que tout est très bien comme ça en Indonésie, au Maroc, au Népal, à Madagascar, etc.,
06:52ceux qui trouvent que tout va très bien là-bas,
06:54évidemment, se méfient des gens qui veulent que ça change.
06:58C'est un problème éternel.
07:00Les contestations transforment les sociétés par le bas,
07:04et ceux qui ne veulent pas que la société se transforme s'en méfient.
07:07Ah, on voit, c'est très intéressant, le drapeau, ce symbole,
07:11vous avez vu ce crâne, avec parfois, en plus, un chapeau de paille au-dessus.
07:15Repris d'un jeu vidéo.
07:17Pardon ?
07:18Repris d'un jeu vidéo, n'est-ce pas ?
07:19C'est sur le manga One Piece.
07:22C'est un manga cultissime.
07:25Tous les jeunes connaissent ce manga,
07:27ils en sont à peut-être 100, 110, 120 numéros,
07:30je ne sais pas, quelque chose d'extraordinaire.
07:32C'est une quasi-industrie.
07:34Et ce drapeau, c'est le symbole du pirate
07:37qui incarne une révolte permanente
07:40et qui va d'endroit en endroit
07:42et qui, à chaque fois, amène, justement,
07:44la justice, l'égalité, la fin de la corruption, etc.
07:48Donc, ce drapeau, c'est un signe de ralliement
07:50d'une génération dont la culture est aussi faite de manga,
07:54de ce manga-là, en tout cas.
07:55La question, maintenant, c'est de savoir
07:58quel va être l'impact sur le long terme de ce mouvement.
08:01Est-ce qu'il est temporaire ?
08:03Est-ce qu'il ne va durer que quelques mois,
08:05quelques années ?
08:06Ou est-ce qu'il peut vraiment profondément
08:07changer les choses ?
08:09Est-ce que les autorités sont disposées
08:10à intégrer les revendications de cette Gen Z ?
08:14Il n'y a pas de règle.
08:17Je pense que c'est un mouvement
08:18qui peut dépérir complètement dans son ensemble,
08:21qui peut dépérir dans certains pays.
08:24C'est aussi un mouvement qui peut exercer un impact
08:26plus ou moins durable.
08:28Le cas du Maroc est très intéressant.
08:30Au Maroc, ce mouvement a fait bouger le pouvoir royal.
08:34Il ne l'a pas déstabilisé, il ne l'a pas ébranlé,
08:36mais le roi a annoncé un certain nombre de choses
08:41qui donnent plutôt cette satisfaction à ce mouvement.
08:45Donc, ça peut exercer un effet politique.
08:48À Madagascar, comme je vous l'ai dit,
08:49c'est les militaires.
08:50Ailleurs, c'est un président qui démissionne.
08:52Ça peut avoir un impact, mais ça peut très bien aussi retomber.
08:55Les mouvements ne sont pas éternels.
08:58Après tout, ce mouvement, c'est pour ça que j'ai fait un papier
09:00pour dire qu'il y avait un petit côté mai 68 dans ce mouvement.
09:04Si on regarde ce qu'il y a eu entre mai 68 et aujourd'hui,
09:07il y a eu, par exemple, dans le monde arabe,
09:09les fameuses révolutions dans les pays arabes,
09:12qu'il y avait quelque chose qui fait un peu penser à ce qu'on voit là.
09:15Il y a eu la révolution en Ukraine, Maïden, il y a eu d'autres mouvements.
09:19Il y a eu des mouvements comme en Espagne, les Indignés,
09:24le mouvement M15, je crois.
09:26Il y a eu aux États-Unis, Occupy Wall Street.
09:29Tout ça, c'est des mouvements différents qui arrivent,
09:32qui disparaissent, qui font bouger,
09:34qui obligent les pouvoirs à se transformer,
09:37mais parfois pas beaucoup, parfois de façon durable.
09:40Il n'y a pas de règles, mais c'est très important.
09:42Et on peut se demander comment il se fait que dans des pays comme les nôtres,
09:46qui sont plus démocratiques, bien sûr,
09:48mais enfin, où il y a quand même beaucoup de problèmes,
09:49il n'y ait pas ce type de mouvement.
09:52Et moi, je trouve que de ce point de vue-là,
09:53la France est un pays vieux, peut-être même un pays de vieux.
09:57Et donc, en France, il n'y a pas d'individu.
10:02Écoutez, en France, qu'est-ce qu'on a ?
10:03On a des gens qui discutent de la retraite
10:04et des jeunes qui regardent ça de très loin en se disant
10:07« Qu'est-ce que c'est que ça ? »
10:10Nous, c'est pendant 30, 40 ou 50 ans qu'on sera concernés.
10:14Et entre-temps, il se sera passé beaucoup de choses.
10:16Et nous, ce qu'on voudrait, c'est, je pense à un certain nombre de jeunes,
10:19des changements, pouvoir accéder mieux aux études,
10:23pouvoir accéder au logement, pouvoir avoir un revenu, etc.
10:26Et je dirais que ce qui m'intéresse en France, c'est l'absence aujourd'hui
10:31de contestations collectives qui seraient portées par une jeunesse
10:35qui se reconnaîtrait comme telle, mais qui voudraient se mobiliser
10:38pour des changements généraux, pour plus de droits pour tout le monde,
10:41pour plus de citoyenneté.
10:43Ça, on ne l'a pas.
10:44Et je pense que c'est lié, oui, au fait que notre société est un peu vieillie.
10:48Ce sera le mot de la fin.
10:51Merci beaucoup, Michel et la vieille Vorka, pour votre analyse.
10:55Merci de nous avoir consacrés ces quelques minutes.
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