00:00Ainsi soit-il, c'est le prix à payer, se disait Bilal Sec en attachant une dernière bandelette de tissu autour des chevilles d'un défunt qu'il avait enveloppé dans son suaire.
00:24De ce malheur peut surgir la chance de ma vie.
00:26Aucun de mes 71 prédécesseurs, passeurs du récit des origines, n'a pu mettre ses pas dans ceux des ancêtres partis du double pays pour le bel horizon.
00:40Je serai le premier à retrouver la route qu'ils ont suivie.
00:44J'éluciderai les mystères de la parole sacrée, dont la signification s'est égarée sur les sentiers innombrables des possibles.
00:51Pour être voyant, il faut avoir vu. Afin que mes yeux puissent remonter les siècles, sonder les cœurs et les esprits des anciens, je partirai d'Egypte à pied pour rejoindre ma patrie.
01:06Dussais-je y mettre des années ?
01:08Entre odyssées initiatiques et récits mythologiques, son nouveau livre nous emmène de l'Egypte ancienne au Sénégal.
01:16David Diop, connu pour ses romans qui interrogent l'histoire, la colonisation et les migrations, est l'invité de Alaphiche.
01:23Bienvenue à tous et bonjour David Diop.
01:25Bonjour.
01:25Merci beaucoup d'être avec nous pour parler de « Où s'adosse le ciel » paru chez Juillard.
01:31C'est votre troisième roman, notamment après « Frères dames », on s'en souvient, ce magnifique livre sur le destin de deux tirailleurs sénégalais pris dans la folie de la Première Guerre mondiale.
01:40Je rappelle que vous aviez reçu le prix Goncourt des lycéens, mais aussi que vous avez été le premier Français à avoir été récompensé du très prestigieux prix britannique international Booker Prize.
01:51En un mot, ça avait marqué quand même un tournant, j'imagine, pour vous, dans votre vie d'écrivain.
01:55Oui, ça m'a permis de finalement rencontrer des lecteurs, des antipodes, on va dire, du bout du monde.
02:04Et c'est une joie immense de pouvoir finalement être lu aussi bien en Inde qu'en Afrique, qu'en Europe, qu'aux Etats-Unis, aux Amériques.
02:16Donc ça, c'est fantastique.
02:18Et ce roman a touché des lecteurs dans le monde entier.
02:21Vous êtes donc de retour aujourd'hui avec ce troisième livre qui est une fresque mythologique, poétique, qui relie donc, je le disais, l'Égypte ancienne au Sénégal du 19e siècle.
02:31En préparant cette interview, j'ai lu que vous avez raconté que, alors que vous aviez 16 ans, je crois, vous avez assisté à une conférence du grand penseur sénégalais Cher Antadiop à Dakar.
02:40Et déjà, il faisait ce lien entre Égypte ancienne et Afrique de l'Ouest.
02:45Est-ce que c'est de là qu'est née peut-être l'idée de ce livre ?
02:49Alors oui, quand j'ai un projet de roman, je me rends compte qu'il remonte à très loin.
02:56Et j'ai eu la chance d'assister à une époque où l'université de Dakar ne s'appelait pas encore l'université Cher Antadiop.
03:05À une conférence qu'il avait donnée à ce moment-là.
03:07J'avais 16 ans et c'était une conférence qui était organisée par Paté Diagne, qui était un grand aussi philosophe au Sénégal.
03:16Et j'avais été extrêmement impressionné par ce qu'il a dit des liens entre l'Égypte antique et l'Afrique noire.
03:24Et il a dit une chose qui était évidente dans le fond.
03:27Eh bien, l'Égypte est en Afrique.
03:29Et donc, les liens entre l'Égypte antique et l'Afrique m'ont toujours interrogé.
03:34Et je pense que ça a été un moment fondateur dans l'idée d'écrire ce roman.
03:40Voilà, et qui mène donc à ce livre.
03:42Ce roman qui est construit un peu comme une double épopée.
03:47Il y a celle de Bilal Sey, qui est donc un pèlerin sénégalais.
03:50Il est rescapé d'une terrible épidémie de choléra à la fin du 19e siècle.
03:54Et il rentre donc par ses propres moyens de la Mecque au Sénégal.
03:57Et à ce récit se mêle celui du périple de 2000 ans plus tôt du grand prêtre d'Osiris,
04:05chassé d'Égypte par le pharaon Ptolémée.
04:07Et qui emmène donc avec lui ses premiers Égyptiens en Afrique de l'Ouest.
04:11Qu'est-ce qui vous a intéressé justement ?
04:13Et pourquoi raconter ce périple avec ses deux temporalités si éloignées ?
04:18Alors, j'avais vraiment envie de raconter une migration.
04:23Donc j'ai fait des recherches, ça m'a pris du temps parce que je ne suis pas égyptologue.
04:27J'ai lu donc 3500 ans d'histoire égyptienne.
04:35Et je suis tombé sur une période où en Égypte, à la basse époque,
04:39il y a des pharaons grecs qui veulent mettre la main sur les temples d'Égypte,
04:44de Haute-Égypte, c'est-à-dire du sud de l'Égypte.
04:48Et par ailleurs, il y a une tradition des griots au Sénégal,
04:51c'est transmetteur d'histoire à l'oral, qui a été documenté depuis le XVIIe siècle,
04:57qui affirme qu'il y a eu six migrations.
05:01C'est six migrations de l'Égypte ancienne au Sénégal,
05:05et constituent entre le VIe et le IIIe siècle avant Jésus-Christ.
05:08Et je suis tombé un jour sur une période, donc une date qui aurait pu expliquer,
05:14ou qui pouvait motiver ce départ, c'est cette insistance qu'ont eues les pharaons grecs
05:21à essayer de maîtriser ces temples, dont le temple d'Osiris, qui se trouvait à Abydos,
05:28et essayer finalement de prendre la main sur ces temples,
05:32parce qu'ils constituaient une richesse économique.
05:34Et donc je me suis dit, ça peut motiver une migration vers l'extrême Occident,
05:40vers le pays d'Osiris.
05:42C'est-à-dire qu'Osiris va toujours là où s'adosse le ciel,
05:47et en Afrique de l'Ouest, là où s'adosse le ciel,
05:52la partie la plus occidentale de l'Afrique de l'Ouest, c'est le Sénégal.
05:56Et c'est un périple de plusieurs milliers de kilomètres,
05:59qu'ils parcourent à 2000 ans d'écart, tous à pied,
06:02avec ce qui marque quand même, c'est cette détermination, ce courage,
06:06parce qu'évidemment il y a énormément d'embûches.
06:08C'était aussi ça votre envie, raconter le courage de vos héros ?
06:12Oui c'est ça, c'est à la fois le courage de ces Égyptiens qui partent,
06:16leur ambition aussi, parce qu'il y a une fable politique dans ce récit-là,
06:21mais le courage aussi de Bilal Sec, mon narrateur,
06:24qui est un griot et qui est le passeur,
06:26le 72e passeur de cette histoire des origines,
06:29qui se dit, il faut que je survive pour transmettre cette histoire,
06:33parce que si je m'en vais, cette histoire disparaît.
06:36Donc ça c'est de la fiction, mais je veux dire,
06:39c'est vraiment essentiel pour moi aussi de mettre en scène
06:43le courage de ce passeur du champ des origines.
06:47Et alors vous insistez, c'est évidemment essentiel en Afrique,
06:50sur cette oralité.
06:51Ce qui est drôle, c'est que vous, vous écrivez,
06:52paraît-il, vos romans à la main sur des carnets.
06:57Est-ce que finalement il y a aussi cette dimension de transmission,
07:00de préservation de ces histoires,
07:02avec cette volonté de vouloir les coucher par écrit ?
07:04Je pense, oui.
07:06Je pense que, eh bien, moi je suis un homme de l'écrit,
07:10donc j'ai envie aussi de fixer un peu, peut-être,
07:15même si c'est par la fiction,
07:16et que la fiction peut-être dépasse ou enrichit l'histoire,
07:20ou les données historiques,
07:22les textes par écrit.
07:24Vous dites d'ailleurs,
07:25j'aime raconter des histoires qui nous racontent,
07:28ou me racontent.
07:29Vous allez le voir, ça va sans doute vous intéresser,
07:31parce qu'ici, en France, un nouveau lieu raconte l'Afrique
07:34et assure la transmission de ces histoires.
07:37La maison des mondes africains, dit Mansa,
07:40a ouvert début octobre en plein cœur de Paris,
07:42et notre reporter Florence Gaillard
07:44s'est rendue sur place pour nous.
07:45Regardez.
07:45Un ancien atelier de confection à Paris
07:51pour accueillir Mansa, la maison des mondes africains.
07:57Mansa, nommée comme le souverain de l'Empire mandingue au XIVe siècle,
08:01est dédiée à la création contemporaine venue d'Afrique et de ses diasporas.
08:05Des Amériques à l'Océanie,
08:08des Antilles au continent européen.
08:10Notre but, il est simple,
08:14c'est, comme je le disais,
08:16c'est de faire découvrir tous ces savoirs
08:18qui viennent des mondes africains.
08:20C'est aussi de comprendre
08:22pourquoi la France est ce qu'elle est aujourd'hui,
08:24par son histoire.
08:25C'est aussi de le raconter par l'art
08:27et d'arriver avec une approche, je dirais,
08:29qui est peut-être moins frontale
08:30et qui permet de rassembler beaucoup plus de monde.
08:33Pour démarrer le cycle des expositions,
08:36Elisabeth Gomis a fait appel à Roxane Banga,
08:39une artiste internationale
08:41qui consacre ses installations aux femmes noires,
08:44à leurs visages, leurs gestes et leurs traditions.
08:48J'ai créé Noir, cette maison-là,
08:51pour toutes les personnes qui me ressemblent
08:55et qui, comme moi,
08:57n'ont jamais vraiment eu d'espace
08:59qui prend en compte leur pluralité,
09:05leur multitude.
09:07Je suis une femme qui est autant française
09:12que guadeloupéenne, que camerounaise,
09:15que caribéenne.
09:18Je suis vraiment multiple.
09:20Et en fait, il n'y a pas d'endroit
09:21qui accepte cette pluralité d'horizons,
09:25de cultures, etc.
09:27Parmi les figures tutélaires de l'exposition,
09:31les mères et grand-mères de l'artiste.
09:33Sur cette fraise qu'il y a derrière moi,
09:36ma grand-mère maternelle,
09:39donc tout à droite,
09:40ma mère au centre
09:42et moi, du coup, à gauche.
09:45Et dans cet espace,
09:47donc du salon,
09:48il y a aussi une autre femme
09:49qui est ma grand-mère paternelle.
09:53Et toutes ces femmes, donc,
09:54qui sont là,
09:56je les représente dans ma maison,
09:58dans Noir,
09:59car elles sont là
10:00et elles me protègent.
10:05De la bibliothèque au salon,
10:07de la teinture à la musique,
10:09l'exposition Noir
10:10rend hommage à la douceur
10:12et à la force des femmes
10:13issues des mondes africains.
10:17Les femmes africaines,
10:18ça pourrait faire un beau sujet
10:19de roman pour vous, non, David Dior ?
10:21Oui, bien sûr.
10:22Ce sont des femmes multiples.
10:26C'est-à-dire, l'Afrique est tellement grande
10:27et ce sont aussi des femmes,
10:31les femmes qui se transmettent.
10:33Ce qu'on a entendu dans ce reportage,
10:34j'imagine que ça résonne
10:35un peu avec votre démarche d'écrivain.
10:37On l'avait vu dans vos premiers livres,
10:39L'attraction universelle,
10:40c'était cette délégation sénégalaise
10:41qui se rend dans l'exposition universelle.
10:43Frère d'âme, j'en ai parlé
10:45sur les tirailleurs sénégalais.
10:47Est-ce que c'est aussi une façon,
10:49en se réappropriant par la fiction l'histoire,
10:51de raconter tout ça
10:52avec un point de vue africain ?
10:55Oui, oui. En fait, je dois dire
10:58que j'ai une double sensibilité culturelle.
11:02Je suis à la fois africain et européen.
11:06Et la littérature me permet, finalement,
11:08de faire rencontrer ces deux sensibilités culturelles.
11:12et c'est pour moi important.
11:16Je me rends compte qu'en écrivant,
11:19je suis moi, mais un moi multiple.
11:22Et pour moi, cette démarche de la Maison de l'Afrique,
11:25elle a été exprimée par cet artiste
11:28que vous avez interviewé.
11:31On a un peu la même façon de voir les choses.
11:34Dans cette rencontre de plusieurs identités
11:37ou de plusieurs sensibilités culturelles,
11:39elle est très importante dans l'acte artistique.
11:42Merci beaucoup, David Diop,
11:44d'être venu sur le plateau de Alafi.
11:46Je rappelle que Où s'adosse le ciel
11:47est publié chez Julliard.
11:49Et merci, évidemment, à vous de nous avoir suivis.
11:51N'oubliez pas de nous retrouver sur France24.com
11:53ainsi que sur tous nos réseaux sociaux.
11:55On se quitte avec une autre belle exposition
11:57à voir en ce moment à la Tate Moderne de Londres,
11:59entièrement consacrée, elle,
12:01à l'art moderne du Nigeria.
12:03Plus de 300 objets d'une soixantaine d'artistes
12:05sont exposés pour refléter l'étendue
12:07et la richesse de la production artistique
12:09des artistes nigérians.
12:11Je vous laisse découvrir et vous liez à très vite.
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