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00:00Avec mes camarades de la deuxième heure, bonsoir Sébastien Ligné, chef du service politique de valeurs actuelles, bonsoir Gilles Boutin, journaliste au Figaro et bonsoir Guillaume Perrault, ça fait beaucoup de journalistes du Figaro, rédacteur en chef histoire au Figaro, présentateur de Parlez-moi d'histoire sur le Figaro TV, auteur de Voyage dans l'histoire de France chez Perrin.
00:22Mon cher Guillaume, il y a eu le procès Sarkozy, il y a eu plusieurs points de droit qui ont été soulevés et non des moindres, bien sûr il y a l'exécution provisoire, on a démontré et on s'interroge aussi sur cette exécution provisoire qui est décidée non pas par le PNF mais par le tribunal de Paris,
00:43donc les trois juges et cette présidente qui est beaucoup critiquée dans cette affaire, qui décide donc de cette exécution provisoire et mandat de dépôt différé.
00:53Et en fait, ça ouvre évidemment, Henri Guénaud au grand rendez-vous Europe 1 CNews Les Echos dimanche disait, je pense assez justement, il y aura un avant et un après de ce procès.
01:05Mais vous, sans pour autant remettre en cause ce que dit Henri Guénaud, vous dites mais de tout temps, il y a eu un affrontement entre les juges et le pouvoir.
01:13Oui, il y a eu un affrontement en France, l'histoire de France est très marquée par cet affrontement entre magistrats et politiques.
01:19Sous l'ancien régime, les parlements, ce qu'on appelait les parlements qui étaient en fait des cours de justice, étaient en conflit ouvert avec l'autorité royale, ça empoisonnait tout le XVIIIe siècle
01:29et ça a été une des causes, parmi d'autres, de la Révolution française.
01:32Et en réaction, les hommes de 1789, les révolutionnaires, ont interdit aux juges judiciaires, c'est-à-dire le juge qu'ils venaient de créer,
01:41puisqu'ils ont réorganisé complètement la justice française, ils ont interdit aux juges judiciaires de faire comparaître devant eux les ministres et les hauts fonctionnaires.
01:50Ça c'est fondamental, c'est une loi de 1790.
01:52Donc ils se sont protégés en fait, d'une certaine manière.
01:54Ils se sont protégés, oui, ça paraissait à l'époque une conséquence du principe de la séparation des pouvoirs.
02:00Le pouvoir politique d'un côté, l'autorité judiciaire de l'autre.
02:03J'ai dit autorité judiciaire parce que traditionnellement, la tradition républicaine ne reconnaît pas à la justice la qualité de pouvoir.
02:11On ne parlait pas, pendant un siècle, on n'a pas parlé de pouvoir judiciaire.
02:13On disait autorité.
02:14On disait autorité, c'est un cran en dessous.
02:16Et si vous regardez la constitution de la Ve République, il n'y a pas l'expression pouvoir judiciaire.
02:21Encore en 1958, on parlait d'autorité.
02:22Parce qu'on était encore échaudé par le pouvoir royal ?
02:25Parce que les seuls vrais pouvoirs sont ceux issus du suffrage universel.
02:29C'est ça, la clé, le peuple.
02:32Donc le pouvoir législatif avant tout, et depuis 1962, le pouvoir exécutif désigné maintenant au suffrage universel direct.
02:40Alors que l'autorité, c'est bien sûr important, mais l'autorité judiciaire avait pour tâche exclusive d'appliquer de façon stricte et scrupuleuse la loi votée par le Parlement.
02:52Et alors, on dit souvent que dans les années 70-80, en fait, il y a eu un changement de dogme chez les magistrats,
03:01qu'avec l'arrivée de Robert Badinter, on a mis de côté l'emprisonnement, il a fallu toujours laisser une deuxième chance à celui qui a été jugé,
03:12à celui, pas forcément de le mettre en prison, appeler ça laxisme si vous voulez, mais enfin il y a eu une autre façon de juger.
03:20Mais en réalité, là on fait un grand saut, parce qu'on passe de 1789 à 1981 à peu près.
03:28Mais entre-temps, qu'est-ce qui s'est passé ?
03:31Eh bien, ce qui s'est passé, c'est la tradition qui a été fixée par les républicains comme Jules Ferry à la fin des années 1870,
03:38et qui a été observée pendant près d'un siècle, jusqu'à la fin des années 1960.
03:42Vous prenez la magistrature de 1880, vous prenez celle de 1960, c'est la même.
03:47C'est la même.
03:47C'est-à-dire, qu'est-ce que c'est concrètement ? Interdiction de se syndiquer, interdiction de faire grève, interdiction de commenter la politique du gouvernement,
03:56encore moins une réforme législative débattue par le Parlement.
03:59Donc on rend les choses plus étanches qu'aujourd'hui, on pourrait dire.
04:01Je dirais que les obligations qui posaient sur les magistrats étaient beaucoup plus strictes à l'époque qu'aujourd'hui.
04:07Et puis arrive mai 68.
04:09Mai 68, ce n'est pas seulement les étudiants dans la rue et une grève générale, c'est aussi la création du syndicat de la magistrature.
04:18Ce n'est pas très connu.
04:18C'était en juin 1968.
04:21Et les slogans que certains jeunes magistrats scandent au palais de justice à ce moment-là sont clairement des slogans d'extrême-gauche.
04:29C'est tout à fait factuel.
04:30Il n'y a pas de procès d'intention.
04:32Vous écrivez dans le Figaro, le 8 juin 1968, salle des criés du palais de justice de Paris,
04:37une poignée de jeunes magistrats balayent les interdits de leur corps édictés sous Jules Ferry
04:41et créent le syndicat de la magistrature, le fameux.
04:45Qu'on appelle dans les milieux judiciaires, le syndicat.
04:49Les pères fondateurs se nomment Louis Jouenet, Pierre Lyon-Camp, Dominique Charvet et Jean-Pierre Michel.
04:55Oui, c'est de l'histoire.
04:57Et un de ses personnages invite ses collègues, je cite, à « s'aborder leur profession pour faire place à cette justice spontanée qui a surgi dans les favelas du Chili ».
05:07À l'époque où le Chili, c'était le Chili d'Alende qui faisait rêver toute la gauche et singulièrement l'extrême-gauche.
05:12Et il y a une harangue célèbre d'Oswald Baudot en 1973 qui est, encore une fois, on a l'impression d'être outrancier en la citant, mais je ne suis que factuel.
05:24Il déclare en 1973 « Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l'enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l'ouvrier contre le patron, pour le voleur contre la police ».
05:37Alors, pour être tout à fait juste, ceux qu'on a appelés les « juges rouges », c'est ceux-là qu'on désignait à l'époque, d'abord, ils n'ont jamais dépassé les 35% des voix aux élections professionnelles.
05:47Donc, ce n'est pas tout le corps judiciaire.
05:48C'est à peu près le cas aujourd'hui, on dit souvent que c'est 30%.
05:51Voilà, donc ce n'est pas tout le corps judiciaire, c'est une partie du corps judiciaire.
05:55Mais enfin, 30%, c'est déjà très significatif.
05:58Ensuite, il faut aussi convenir que dans ces années 70, ils avaient face à eux une institution judiciaire encore très hiérarchisée et qui était très critiquée pour sa soumission au pouvoir politique, pour les raisons que je viens d'expliquer.
06:12Et elle passait aussi pour être très respectueuse, trop respectueuse, jugeaient certains, de l'ordre social.
06:17Donc, il y a aussi ce contexte, finalement, ils étaient à l'unisson de la critique sociale qui était très virulente dans la France des années Pompidou-Giscard.
06:25Ça fait du bien de se remémorer tout ça. Sébastien Ligné.
06:27Oui, c'est un article passionnant sur cet équilibre entre ces trois grands blocs législatifs, exécutifs et judiciaires.
06:34Et on a en effet l'impression que depuis quelques décennies, au moins, le bloc judiciaire, la branche judiciaire, est en train de prendre le dessus et est en train de devenir presque un ordre religieux, si vous voulez.
06:44C'est-à-dire qu'on en discutait avant que les micros s'allument.
06:46C'est-à-dire qu'il y a parfois presque l'impression d'un délit de blasphème quand on ose critiquer une décision de justice, comme si l'ordre judiciaire était forcément moral et forcément implacable.
06:57Cet ordre-là ne pouvait pas se tromper.
06:59Ça me rappelle cet épisode à la télévision chez Léa Salamé quand Sonia Mabrouk a dit à Élise Lucet,
07:04mais vous devriez faire un cash investigation sur France Télévisions.
07:07Et là, il y a Élise Lucet qui dit, comment ?
07:09Mais vous n'y pensez pas !
07:11Et ce qui est vraiment passionnant, c'est qu'en réalité, on se rend compte que le politique a donné toutes les armes au judiciaire, toutes les armes.
07:20Si vous reprenez l'affaire Sarkozy, qui est la base de notre discussion, les trois points de désaccord ou de tension sur le dossier Sarkozy sont des décisions politiques à la base.
07:31On a parlé évidemment du parquet national financier, création de François Hollande pour expier les fautes de l'affaire Cahuzac.
07:37On parle de l'exéduction provisoire automatique pour les atteintes à la probité, c'est la fameuse loi Sapin 2 de 2016.
07:44Et même l'association de malfaiteurs, la fameuse, l'association de malfaiteurs, parce qu'il n'y a pas que la gauche qui est coupable,
07:49l'association de malfaiteurs avait été supprimée sous Mitterrand.
07:54Et lors de la cohabitation, lorsque Chirac arrive à Matignon, il réhabilite cette question de l'association de malfaiteurs
08:01en élargissant même le cadre d'application de cette association, notamment pour réussir à débusquer les chefs terroristes
08:08qui ne peuvent pas être liés directement par des actes, des écrits, des messages clairs et précis.
08:15Et donc cette association de malfaiteurs a été aussi agrandie par le pouvoir, notamment de droite à cette époque-là.
08:20Et ce qui provoque la condamnation de Nicolas Sarkozy aujourd'hui.
08:23Tout ça pour dire que le politique a donné toutes les armes, et le politique ne doit s'en vouloir qu'à soi-même aujourd'hui.
08:28Guillaume Perrault.
08:29Alors ce qui me paraît vrai, c'est incontestable, c'est qu'en effet, il y a un corporatisme du corps judiciaire,
08:34à tel point qu'au sein du Conseil supérieur de la magistrature, il y a des membres élus sur liste syndicale, qui sont des juges,
08:40mais vous avez aussi des personnalités désignées, qui ne sont pas des magistrats.
08:43Et les magistrats désignent ces membres en les appelant les laïcs.
08:47Ce qui veut dire qu'ils appartiennent à un ordre très particulier.
08:50Bon, ça c'était une parenthèse pour réagir à ce que disait mon confrère.
08:54Mais, en tout cas, ce qui est sûr, c'est que dans les années 70,
08:57les magistrats les plus à gauche, et qui se revendiquaient comme tels,
09:01ont commencé d'abord par mettre en cause des chefs d'entreprise.
09:05Parce que c'était le capital.
09:06Parce que c'était le capital, et parce que c'était plus facile de s'attaquer à un chef d'entreprise du BTP qu'à un ministre.
09:11Donc, ils ont commencé par là.
09:13En 1975, pour la première fois dans notre histoire judiciaire,
09:16un chef d'entreprise est mis en détention provisoire après un accident du travail mortel sur un chantier.
09:24Et finalement, il va avoir un non-lieu, il va être innocenté, mais enfin, ça a marqué les esprits.
09:30Ensuite, arrive l'alternance en 1981.
09:33Et là, il y a toute une génération des jeunes contestataires du début des années 70 du syndicat de la magistrature
09:39qui vont faire de belles carrières au sein du ministère de la justice et dans les juridictions,
09:44et qui vont arriver tout en haut de la hiérarchie judiciaire.
09:48Puisque, pendant dix ans, vous avez de 80 à 86, et de 88 à 93,
09:55sous les deux présidences François Mitterrand,
09:57vous avez le même conseiller à Matignon, pour la justice,
10:00qui est une des personnalités que vous avez citées,
10:02et qui était un des fondateurs du syndicat de la magistrature.
10:04Donc, il y a une grande continuité,
10:05il y a une grande continuité dans les nominations et les choix qui sont faits.
10:10Mais je ne voudrais pas tout ramener au syndicat de la magistrature,
10:13parce que le problème me paraît beaucoup plus large.
10:15Le basculement du rapport de force, il s'est accentué dans les années 90.
10:19C'est là où vraiment on a changé de monde,
10:21parce qu'il y avait un désenchantement politique,
10:23et que l'opinion était prête à soutenir.
10:25Il y a une fameuse loi de 1994, mais on va y revenir juste après une première.
10:29Avec que des confrères ce soir, Sébastien Ligné de Valeurs Actuelles,
10:32Gilles Boutin du Figaro, Guillaume Perrault,
10:34rédacteur en chef Histoire au Figaro,
10:35présentateur de Parlez-moi d'Histoire sur le Figaro TV.
10:38On en était après, effectivement, cette affaire Sarkozy qui a marqué les esprits.
10:44On se demandait d'ailleurs s'il allait y avoir un sondage bientôt
10:47sur la façon dont les Français ont, j'allais dire,
10:52reçu cette affaire Sarkozy, ce jugement,
10:55qui a été très critiqué.
10:58Guillaume Perrault, on venait juste avant la pause publicitaire
11:02d'évoquer les années 90 pour les magistrats,
11:04avec, je le disais, une date importante de 1994,
11:07parce qu'il y a la loi Bain d'Inter,
11:08mais effectivement, c'est dans ces années-là
11:10qu'il y a des choses qui se passent très importantes.
11:13Oui, c'est là que le climat change,
11:15parce que l'opinion devient moins indulgente
11:17envers ses dirigeants.
11:19Après 20 ans de crise économique,
11:21il y a des Français qui se tournent de plus en plus
11:22vers la voie pénale, qui ose porter plainte au pénal.
11:25Avant, on se contentait d'aller devant le Conseil d'État
11:27pour avoir une indemnisation pour les mêmes faits.
11:29Il y a une montée en puissance de tous les juges,
11:32le Conseil constitutionnel,
11:33la Cour européenne des droits de l'homme,
11:35la Cour de justice de l'Union européenne,
11:37avec le traité de Maastricht en 92.
11:39Et il y a ce phénomène qui aurait été impensable auparavant,
11:42que des juges d'instruction commencent à perquisitionner
11:45au siège de partis politiques.
11:47Et la première fois de notre histoire, c'est 1992,
11:49c'est Van Urimbeek dans l'affaire Urba.
11:52Rappelez-vous, un système de fausses factures
11:54de financement occulte du PS
11:56par l'intermédiaire de ses municipalités.
11:59Et Van Urimbeek réalise une perquisition
12:01au siège du Parti socialiste,
12:02qui à l'époque est le parti au pouvoir,
12:04le parti de François Mitterrand.
12:06Le choc est énorme,
12:07d'autant plus que le garde des Sceaux de l'époque,
12:10qui était Henri Nallet,
12:12avait été le trésorier de la campagne présidentielle
12:15de Mitterrand en 88.
12:16Donc évidemment, le couplage des fonctions
12:18n'était pas très judicieux, pas très heureux.
12:21Et il a donné l'ordre au parquet,
12:23c'était légal à l'époque,
12:24de classer sans suite le volet marseillais
12:26de l'affaire Urba.
12:28C'était légal, mais ça n'a pas passé.
12:30Et l'opinion s'est révoltée.
12:32Et la figure du petit juge,
12:34qui allait moraliser la vie publique,
12:36est apparue,
12:37et allait dominer toute la vie politique,
12:40et politico-médiatique,
12:42des années 90 et 2000.
12:43Il y avait un storytelling,
12:44Gilles Boutin,
12:45du Figaro.
12:46Oui, Guillaume,
12:47ce qui est frappant dans la décision concernant Nicolas Sarkozy,
12:50c'est la très mauvaise communication de la magistrature,
12:53qui donne le sentiment d'être dans sa tour d'ivoire.
12:56Et on faisait une analogie avec un clergé,
12:57on a effectivement l'impression d'avoir un clergé
12:59qui regarde ses oeilles de très loin,
13:01et ne prend pas la peine d'expliquer son message.
13:05Est-ce que ce phénomène de tour d'ivoire
13:09a toujours existé ?
13:10Les magistrats français de toute éternité
13:12ont-ils été très distants, finalement,
13:15avec les citoyens,
13:16qui, paradoxalement,
13:18seraient les premiers à devoir être informés,
13:21au-delà de la simple décision judiciaire,
13:23des écrits judiciaires,
13:25mais d'aller vraiment faire l'explicitation ?
13:28Il y a quelque chose d'un peu clérical,
13:30en effet, dans cette profession.
13:32Le système français du concours y contribue,
13:35puisque quand vous avez 23 ans,
13:36vous entrez dans le corps judiciaire
13:38parce que vous avez réussi le concours,
13:39et vous y restez jusqu'à la retraite.
13:41Alors que dans les pays anglo-saxons, par exemple,
13:43ce sont souvent des avocats confirmés
13:45qui ont fait une première partie de carrière
13:46au sein du barreau,
13:47qui deviennent juges.
13:48Donc, chez nous, c'est beaucoup plus étanche.
13:51Et donc, évidemment,
13:52le corporatisme est d'autant plus fort,
13:55et le sentiment de séparation vis-à-vis de l'opinion
13:58que vous évoquez,
13:59et il s'explique aussi par la singularité de ce métier,
14:02c'est une position d'autorité,
14:05elle implique une certaine distance,
14:06en tout cas, c'est comme ça qu'ils le conçoivent,
14:08et ils ont le sentiment
14:09que s'ils expliquaient trop leur décision,
14:12peut-être que l'autorité,
14:13la décision de justice,
14:15ils perdraient.
14:16Il y a aussi la tradition de la collégialité
14:18qui fait qu'on ne sait pas qui a voté quoi.
14:20On ne sait pas qui a voté quoi.
14:21Alors qu'aussi,
14:22dans des décisions de justice aux Etats-Unis,
14:25on sait qui a voté quoi.
14:27Et on publie éventuellement des opinions dissidentes.
14:30Chez nous, il n'y a pas cette tradition.
14:31Donc, la collégialité, le secret,
14:33et d'ailleurs aux assises,
14:35on brûle l'urne dans laquelle ont voté les jurés.
14:39Donc, pour préserver le secret des délibérations
14:41qui est inscrit dans la loi.
14:42Tout ça, ce sont des éléments, peut-être,
14:45de réponse à ce que vous évoquez.
14:46Sébastien Ligné.
14:47Justement, est-ce que l'une des pistes
14:49pour rétablir cette confiance
14:51entre le peuple et la justice
14:52ne serait-elle pas de redonner au peuple
14:55le bras judiciaire ?
14:58Et que, par exemple,
14:59pour les affaires concernant des représentants politiques,
15:01ce soit au peuple, par des jurés populaires,
15:04de juger ces représentants ?
15:06Ça n'existe pas, en tout cas j'ai vérifié,
15:09j'ai pas l'impression que ce soit un processus
15:10qui existe dans les sociétés occidentales,
15:12même aux Etats-Unis,
15:13où les jurés populaires sont un petit peu plus démocratisés
15:15que chez nous.
15:15Mais je pense qu'il y aurait peut-être
15:17une porte de sortie vers le haut
15:19et que, finalement,
15:20il y aurait quelque chose de presque démocratique
15:22à ce que ce soit les représentants,
15:24que les représentants soient jugés par ces citoyens.
15:25Est-ce que déjà, dans l'histoire, Guillaume Perrault,
15:27il y a eu cette configuration-là,
15:29avec un juré populaire
15:31qui jugeait des affaires judiciaires
15:35et non pas des affaires d'assises,
15:37des affaires pénales ?
15:38Alors, pendant quelques années,
15:39sous la Révolution française,
15:40les juges ont été élus.
15:42Élus parmi les simples citoyens.
15:43Ils n'ont pas nommé sur des critères de compétence.
15:46C'est-à-dire qu'il fallait trouver du monde.
15:48On se rapprochait.
15:48Comme il n'y avait plus personne.
15:49On se rapprochait, oui.
15:51On se rapprochait du système.
15:52Mais ça n'a pas duré très longtemps
15:55et on est revenu à un système professionnel.
15:58À vrai dire, le sujet se présentait différemment
16:02puisque, au XIXe siècle,
16:04il était impensable.
16:06Le droit pénal ne s'immisçait pas
16:08dans le fonctionnement de l'État.
16:10Donc, la question ne se posait pas en ces termes.
16:12On jugeait que s'il y avait...
16:15D'abord, certes, il y avait des possibilités
16:18de poursuite pour des corruptions.
16:19En général, c'était devant la Chambre Haute,
16:22sous la monarchie de Juillet,
16:23sous le Second Empire.
16:27La Chambre Haute pouvait devenir
16:29une haute cour de justice
16:30et juger des ministres ou des membres
16:33de la Chambre des Pères
16:35pour des faits de corruption.
16:36C'est arrivé.
16:37Il y a eu des condamnations
16:38sous la monarchie de Juillet.
16:39Donc, le régime entre 1830 et 1848.
16:41Mais c'était tout à fait exceptionnel.
16:43L'idée générale, c'est que le droit pénal,
16:46la sanction des crimes et des délits
16:48devaient être distincts du droit administratif
16:50qui régissait l'État.
16:51Et le conseil d'État,
16:54qui est juge administratif,
16:55il n'est pas seulement conseiller du gouvernement,
16:57il est aussi juge administratif,
16:59sa première vocation était de protéger l'État.
17:01Pourquoi ces privilèges ?
17:02Au nom de l'intérêt général,
17:04pour que la France soit bien gouvernée.
17:05Ça, c'était le discours de l'époque
17:06que je vous restitue.
17:07Est-ce que vous faites une corrélation
17:09entre l'instabilité politique
17:12qui a eu lieu pratiquement
17:13dans tout le XIXe siècle ?
17:14C'est un exemple,
17:15c'est pratiquement un cas d'école
17:16avec je ne sais pas combien de régimes
17:18qui se sont succédés
17:19entre l'Empire,
17:22vous parliez de la monarchie de Juillet,
17:23entre-temps,
17:24on a eu le retour du roi,
17:26puis après un empereur,
17:27et puis ensuite Napoléon III,
17:30puis ensuite la Commune,
17:32ensuite il y a eu
17:33les débuts de la Troisième République.
17:35Ça a été quand même,
17:37pardonnez-moi,
17:38mais un foutoir épouvantable
17:39qu'évidemment,
17:41on ne voudrait pas voir revenir aujourd'hui,
17:44même si,
17:45et j'en fais partie,
17:46certains observateurs disent
17:49qu'on est peut-être
17:49à la fin d'un cycle historique,
17:51mais on ne l'accepte pas
17:52parce qu'on est derrière
17:53notre série Netflix
17:54et derrière notre téléphone portable,
17:55donc on est trop dans une zone de confort
17:57pour accepter la fin de ce qui pour...
18:00Je crois que c'est Michel Onfray
18:02qui parlait de la fin de Rome.
18:04Bon, on n'en est quand même pas là,
18:06mais est-ce que vous faites
18:08une corrélation
18:09entre cette instabilité politique
18:11au 19ème
18:11et, j'allais dire,
18:12l'inconstance aussi
18:13du système judiciaire ?
18:16Il n'y avait pas vraiment
18:16une inconstance du système judiciaire
18:18parce que ce qui est frappant,
18:19c'est que...
18:20Il y avait une évolution en tout cas.
18:21L'irresponsabilité...
18:22C'était en construction.
18:23Oui, mais tous les régimes
18:25ont maintenu le principe
18:26qu'on maintenu la protection
18:27des ministres
18:29et surtout des hauts fonctionnaires.
18:30C'est surtout ça
18:31qui préoccupait à l'époque.
18:32Les préfets, par exemple,
18:33il fallait que le Conseil d'État
18:34ou l'accord de cassation
18:35donnent leur feu vert
18:36à des poursuites
18:37et ça n'arrivait pas.
18:38Et les penseurs libéraux
18:39de l'époque,
18:40au 19ème siècle,
18:40comme Tocqueville,
18:41s'en scandalisaient.
18:42Ils disaient,
18:42regardez, cet article
18:43qui assure la protection
18:44des hauts fonctionnaires,
18:45par-delà toutes les révolutions,
18:47tous les régimes
18:48l'ont maintenu
18:48jusqu'à la Troisième République.
18:50Et on appelait ça
18:51le privilège de juridiction.
18:53Le privilège de juridiction,
18:54il a été abrogé en 1993.
18:56Dans le contexte
18:59qu'on vient d'évoquer
18:59de ce chamboulement
19:01des années 1990
19:02où on a jugé,
19:04qu'on a estimé,
19:05parce que l'opinion publique
19:06le souhaitait,
19:07que les ministres,
19:08que les préfets,
19:09parce que les préfets
19:10ont joué un grand rôle
19:11dans cette affaire,
19:12on devait être jugé
19:13dans les mêmes conditions
19:14que tout le monde.
19:15Mais est-ce qu'aujourd'hui,
19:15il n'y a pas quelque chose
19:16de paradoxal
19:17avec, d'un côté,
19:18la Cour de justice
19:19de la République,
19:20d'un côté,
19:21la HATVP,
19:22et puis,
19:23d'un autre côté,
19:23aussi des immunités,
19:25qu'elles soient parlementaires,
19:26présidentielles,
19:27après, on rattrape
19:28les personnes.
19:30Je ne sais plus
19:30qui me disait l'autre jour
19:31qu'en Corée du Sud,
19:32chaque président sortant
19:34a été rattrapé
19:35par la justice
19:36et foutu au trou.
19:37Est-ce qu'il y a
19:39une espèce de bulle
19:40comme ça
19:40dans lesquelles
19:40on se dit
19:41qu'on est protégé
19:41parce qu'on a une immunité
19:42et puis derrière,
19:43on est rattrapé par les affaires ?
19:44Est-ce qu'il ne serait pas mieux
19:45de ne pas avoir de bulle
19:46et puis, finalement,
19:47tout le monde est injusticiable
19:50comme un autre ?
19:52Ils le redeviennent
19:53et Jacques Chirac
19:54a été le premier
19:54à le constater
19:55puisqu'il a fini quand même
19:56par être condamné en 2011.
19:58Rappelons que
19:58le premier ancien président
20:00condamné au pénal,
20:01ce n'est pas Sarkozy,
20:02c'est Jacques Chirac,
20:03on l'a oublié
20:03parce qu'il n'est pas allé en prison.
20:04Il n'est pas allé en prison,
20:05il a eu deux ans avec sursis,
20:07mais il avait une telle popularité
20:09que ça a glissé sur lui,
20:10sur son image publique
20:11comme l'eau sur les plumes
20:12du canard
20:13et que, finalement,
20:14personne ne lui en a tenu grief
20:16contrairement à Sarkozy
20:17qui est beaucoup plus clivant.
20:18Gilles Boutin,
20:19on parlait de ces juges d'instruction,
20:21quel regard portez-vous sur eux ?
20:23Sont-ils des chevaliers blancs
20:25ou alors des Robespierre en puissance ?
20:27Ils jugent à charge et à décharge.
20:29Alors, ils sont censés
20:29instruire à charge et à décharge
20:32et donc délivrer des non-lieux,
20:34c'est-à-dire au cours de leur enquête.
20:36L'ambiguïté de leur position,
20:38c'est qu'ils sont à la fois magistrats,
20:41policiers, enquêteurs
20:42et donc...
20:43Et donc tout puissants.
20:44Alors, ils l'étaient,
20:45ils le sont moins qu'avant
20:46parce que depuis 2000,
20:48depuis la loi du 15 juin 2000,
20:50il y a un deuxième magistrat
20:52qui doit donner son feu vert
20:53pour leur pouvoir le plus redoutable
20:55qui est de mettre quelqu'un en prison
20:56sans jugement.
20:57On appelle ça la détention provisoire.
20:59Quand on voit comment ça se passe,
21:00on pense, comme moi,
21:01qu'il n'est pas injuste
21:02qu'il y ait un double regard
21:03et un deuxième magistrat
21:05qui, d'ailleurs,
21:06dans les 9-10e des cas,
21:08donne son accord
21:09à la demande de mise sous écrou.
21:10C'est Balzac qui a lancé
21:13l'expression de l'homme
21:14le plus puissant de France
21:15à propos du magistrat instructeur.
21:18Ça a été vrai longtemps.
21:20En fait, si vous voulez,
21:21ce qui est terrorisant,
21:22c'est le pouvoir
21:22de mettre les gens en prison,
21:24de juger de leur honorabilité,
21:25d'établir leur culpabilité.
21:27Ce pouvoir, il est terrorisant
21:28dans tous les systèmes judiciaires,
21:29qu'ils soient accusatoires
21:30comme aux Etats-Unis
21:31ou qu'ils soient inquisitoires
21:33comme le modèle français.
21:35Aucun...
21:36Enfin, tous peuvent être critiqués.
21:38Moi, le problème me paraît plutôt
21:40l'état d'esprit général,
21:41c'est le moralisme ambiant.
21:43Le moralisme,
21:44l'absence de connaissances concrètes
21:46du fonctionnement de l'État,
21:48du fait qu'on peut avoir
21:51un regard qui,
21:53si vous voulez,
21:53on peut appliquer littéralement
21:55les dispositions du code pénal,
21:57mais elles sont tellement générales
21:59qu'elles laissent une large place
22:01à la subjectivité du magistrat.
22:03C'est plutôt ça, à mon avis,
22:03le point le plus litigieux.
22:05Merci beaucoup, Guillaume Perrault,
22:06d'avoir été avec nous,
22:07rédacteur en chef histoire au Figaro
22:08et présentateur de Parlez-moi d'histoire.
22:10C'est sûr,
22:11le Figaro TV,
22:12puis on peut lire, bien sûr,
22:13votre livre Voyage
22:14dans l'histoire de France.
22:16C'est aux éditions Perrault
22:19dans la collection Tempus.
22:21Voilà pour l'histoire,
22:23mais nous, on revient
22:24avec Gilles et avec Sébastien
22:26pour parler de politique,
22:27bien sûr,
22:28dans un petit instant sur Europe 1.
22:29A tout de suite.
22:29Sous-titrage Société Radio-Canada
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