Alexandre Jardin, écrivain et metteur en scène. Auteur de « Les#Gueux » aux éditions Michel Lafon, fondateur du mouvement du même nom. Tristan Mendès-France, maître de conférences associé à l’université Paris-Cité, spécialisé dans les cultures numériques, ancien chroniqueur à France Inter. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-11/le-debat-du-7-10-du-mardi-26-aout-2025-8699003
00:00La grande matinale, Sonia de Villers, Nicolas de Morand.
00:05Et débat ce matin sur ce mouvement né sur internet et qui appelle à bloquer le pays le 10 septembre prochain.
00:13Pas de leader affiché, pas de revendication précise, se disant parfois souverainiste et anti-européen.
00:21Le mouvement rappelle à certains les gilets jaunes.
00:24Et il est soutenu par la gauche des socialistes aux insoumis en passant par les verts.
00:30Et une partie du rassemblement national.
00:32Sommes-nous face à une bulle numérique ou au contraire face à quelque chose de plus profond qui travaillerait, agrègerait les colères des français ?
00:43On pose ces questions à Tristan Mendes France.
00:46Bonjour.
00:46Bonjour à tous.
00:47Maître de conférence associé à l'université de Paris Cité, spécialiste des cultures numériques.
00:55Et à Alexandre Jardin.
00:57Bonjour.
00:57Vous êtes écrivain, metteur en scène et militant associatif, auteur de ce livre qui s'intitulait « Les gueux » aux éditions Michel Laffont, fondateur du mouvement du même nom qui est né pour lutter contre les zones à faible émission.
01:14Je vous avais reçu à ce même micro et à cette même heure il y a quelques mois pour en parler.
01:19Alors question simple pour commencer, quel regard portez-vous chacun sur « bloquons tout » entre guillemets ?
01:26Assiste-t-on à une renaissance des gilets jaunes comme certains le pensent ?
01:32Ou à un mouvement plus diffus, plus insaisissable qui peut rester cantonné aux réseaux sociaux ?
01:39OVNI, Tristan Mendes France ?
01:41Il y a des points communs évidents avec la mouvance des gilets jaunes, clairement, dans le fait que c'est une mouvance qui est horizontale, qui apparaît d'abord sur les plateformes sociales, qui n'a pas de leader, de meneur identifiable à ce jour.
01:57Donc ça c'est les points communs.
01:59Il y a des revendications communes aussi qui refont surface.
02:02Il y a des revendications gilets jaunes qu'on voit apparaître aussi, notamment sur le référendum d'initiative citoyenne, par exemple.
02:10Et puis on a aussi, pour parler assez simplement, des militants gilets jaunes qui se reconnaissent dans cette mouvance, je parle plutôt de mouvance que de mouvement, de mouvance du 10 septembre.
02:20Donc ça c'est les points communs aujourd'hui.
02:23Maintenant il y a quand même des questions profondes qu'on peut se poser.
02:26Est-ce que c'est la même chose ? Je ne sais pas.
02:28Ça pourrait tout à fait faire pchit le 10 septembre.
02:31Mais en tout cas la filiation est évidente, il est normal qu'on fasse le parallèle.
02:38Comment voyez-vous ce mouvement qui occupe la conversation politique, si j'ose dire, et médiatique ?
02:45Il y a une crise de déconnexion.
02:47Tout le monde le voit.
02:49Donc on aura des mouvements comme ça, qui vont naître tant qu'on n'aura pas reconnecté notre pays.
02:56Vous avez évoqué une des réponses à la reconnexion.
03:00Un grand outil démocratique qui est le RIC.
03:02Nous c'est ce qu'on pense dans le mouvement des gueux.
03:04Et nous n'avons rien à voir avec le mouvement du 10 septembre.
03:08Pourquoi ?
03:09Pourquoi ?
03:10Pourquoi justement ?
03:11Alors qu'on peut se retrouver dans...
03:13C'est ça !
03:14Dans certaines...
03:15Et puis même on pourrait dire que formellement, internet, les réseaux...
03:19Oui, mais pourquoi ? Parce que nous on se bat pour des causes.
03:22Nous ne sommes pas un mouvement politique, au sens partisan.
03:26Et le 10 septembre est revendiqué par des organisations politiques, est aujourd'hui repris par des organisations...
03:32Récupérés, vous dites.
03:33Oui, mais ça n'a rien de scandaleux.
03:36On est en démocratie.
03:38Mais donc ça ne peut pas nous concerner.
03:40Puisque nous on se bat sur des causes qui rassemblent 8 Français sur 10.
03:45On s'est battus sur la ZFE.
03:47Cet été on s'est énormément battus pour que le décret de...
03:51Sur la PPE qui allait faire exploser...
03:56L'énergie.
03:56Votre facture d'électricité soit suspendu.
03:59On va continuer à se battre parce que c'est une cause absolument centrale.
04:03Et on est en train de rassembler dans le club des gueux l'ensemble de la société civile, professionnelle, associative, mais hors parti politique.
04:14Donc on ne peut pas être...
04:16Et on va lancer nos actions sur les parkings français à partir du 29, avec l'ensemble des mouvements professionnels qui rejoignent le club des gueux.
04:25C'est-à-dire qu'on considère que Macron, au fond, a dynamité la société civile en prétendant qu'elle avait pris le pouvoir avec lui en 2017.
04:34Donc il faut la reconstruire.
04:36Souvenez-vous, c'était quand même ça.
04:38Aujourd'hui ça fait sourire, mais à l'époque c'était ça.
04:41Donc on est en train de rassembler autour du club des gueux des forces professionnelles.
04:47Et aujourd'hui il y a 32 mouvements, aussi bien la coordination rurale, les pêcheurs artisans, UFC que choisir, les boulangers, l'hôtellerie, les bouchers.
04:56Et on va se battre cause après cause, alors que le 10 septembre c'est une révolte pour virer Macron.
05:02C'est autre chose.
05:03C'est autre chose.
05:05Tristan Mendès, France.
05:06Alors pour le moment, cette mouvance est difficilement qualifiable.
05:10Il n'y a pas de tête, comme je disais à l'instant.
05:13Il y a des moments forts dans l'éclosion de cette mouvance en ligne, avec évidemment l'irruption mi-août de Jean-Luc Mélenchon et de LFI qui décident de s'associer à ce mouvement.
05:27Ils précisent bien qu'ils ne veulent pas en être la tête, mais symboliquement ça imprime à cette mouvance effectivement une tonalité.
05:33Et d'appeler le même jour à la grève générale.
05:35Et appeler effectivement à la grève générale le même jour.
05:39Donc ça imprime à ce mouvement évidemment une tonalité idéologique assez marquée.
05:43Et qui peut d'ailleurs être délétère pour ce mouvement en lui-même.
05:47Dans la mesure où si effectivement la gauche devait symboliquement s'emparer de cette mouvance,
05:52ça va repousser l'autre polarité idéologique, plutôt de droite, voire d'extrême droite, voire une partie de la complosphère qui va s'en décrocher.
06:01Et ça pourrait effectivement pour le coup amoindrir toute la dynamique qu'il y avait et qu'on pouvait voir chez les Gilets jaunes.
06:08Reste qu'aujourd'hui, dans cette mouvance du 10 septembre, on voit malgré tout des communautés assez toxiques s'agrégées.
06:15On a des mouvances qui sont complotistes, d'extrême droite, anti-vax, pour le Frexit, qui se reconnaissent dans ce mouvement,
06:23qui sont marginales et j'insiste là-dessus, ne représentent absolument pas le tout.
06:27Mais c'est les mêmes débats qu'on avait avec les Gilets jaunes.
06:29A chacun, sa perception des Gilets jaunes.
06:31Tout le monde disait les Gilets jaunes c'est ceci, c'est cela, ça n'est pas ceci, ça n'est pas cela.
06:35C'est un peu tout à la fois.
06:36C'est un peu la problématique à laquelle on est exposé aujourd'hui.
06:38Reste que pour les Gilets jaunes aujourd'hui, je vois deux écueils assez simples.
06:42La récupération politique d'un côté et donc la perte de la dynamique de l'agrégation des forces.
06:47Ou, deuxième option, il n'y a pas une captation politique.
06:49Et dans ces cas-là, on est sur le syndrome Gilet jaune, c'est-à-dire un géant impuissant politiquement
06:55à traduire ses revendications auprès de la puissance publique.
06:59Ces mouvements non structurés, non dirigés, non portés par un visage qui assumerait l'ensemble du discours,
07:11sans véritable plateforme, Alexandre Jardin, sont destinés à échouer ?
07:19On a vu ce que ça a donné.
07:21On en a tiré des conséquences.
07:22C'est pour ça qu'on a créé l'association Légueux.
07:25C'est pour ça qu'aujourd'hui, on réunit une plateforme qui réunit des secteurs économiques,
07:32de simples citoyens, du monde associatif.
07:35Et on est convaincus que, sans structuration, la société civile va se faire bouffer.
07:41Elle va se faire bouffer.
07:42On l'a vécu avec Macron, qui avait fait une OPA extraordinaire.
07:48On sait très bien que ça a donné le pouvoir aux déconnectés.
07:51Et que la crise des connexions s'est encore plus aggravée.
07:56Donc, aujourd'hui, il faut qu'il y ait une puissance.
07:59C'est à ça que sert la plateforme Légueux.
08:01Je dis bien qu'on commence humblement à partir du 29.
08:05Ça sera sur les parkings.
08:06Symboliquement, c'est quoi les parkings ?
08:08La France va sur les parkings.
08:10Elle va faire ses courses.
08:11La France ne vit pas que dans les centres-villes.
08:13Elle vit aussi à l'extérieur.
08:14Donc, à partir du 29, vous entendrez partout parler.
08:19On va publier les lieux de rassemblement.
08:22Il faut que cette société civile se parle.
08:24Il faut que les paysans puissent parler avec l'ensemble des professions.
08:28Votre mouvement est populaire ou populiste ?
08:31Il est profondément pour le référendum d'initiative citoyenne.
08:34Le point commun, on est convaincu que cette question, la question que vous venez de poser,
08:42elle va s'opposer de manière continuelle tant qu'il n'y aura pas de reconnexion.
08:47Au fond, pourquoi est-ce que vous posez la question ?
08:50Parce que la réponse m'intéresse.
08:52Mais oui, mais parce qu'un système déconnecté fabrique des pulsions comme ça.
08:56Alors qu'à partir du moment où vous avez un ordre démocratique,
09:01à partir du moment où le peuple peut s'exprimer directement et compléter la démocratie représentative,
09:07lorsqu'elle déconne, lorsqu'elle est trop loin du peuple,
09:11la République prendrait en charge.
09:13Et elle prendra en charge parce que je ne vois pas comment on peut sortir de cette crise des partis.
09:17Aujourd'hui, je pense que tous les gens qui étaient devant leur télé ou devant les radios
09:20ou écoutaient leur radio hier soir, étaient atterrés.
09:26Atterrés.
09:26Vous parlez là de François Bayrou ou de l'ensemble des réactions à sa conférence de presse ?
09:31De l'ensemble des réactions partisanes.
09:34On ne parlait pas de la facture d'électricité.
09:37On ne parlait pas des voitures interdites dans certaines villes.
09:41On ne parlait pas de la vie des gens.
09:44Donc les gens qui rejoignent le mouvement des gueux,
09:46ils le font individuellement, ils le font avec leurs associations.
09:49Nous avons besoin d'une plateforme qui va se battre, hashtag, cause après cause.
09:56Et derrière ça, c'est-à-dire en faisant de l'unité.
10:00En faisant de l'unité.
10:01Et à terme, notre projet politique, il est simple.
10:04On veut un système très inspiré du modèle suisse,
10:08qui est quand même un modèle de démocratie.
10:10Mais vous voyez bien que s'il y a de la colère légitime,
10:15ça va se traduire par du n'importe quoi.
10:17s'il n'y a pas une organisation démocratique.
10:20Et c'est ce que le mouvement des gueux porte.
10:23Sur le 10 septembre, populaire, populiste ?
10:26Christian Mendès France ?
10:27C'est un mélange un peu des deux.
10:28Évidemment, ça dépend des communautés qui s'y reconnaissent.
10:32Populaire clairement, populiste pour certaines franges, il n'y a pas de doute.
10:35La question vraiment que moi je me pose, c'est est-ce que ça va faire pchit ou pas ?
10:38C'est vraiment ça la question que je me pose.
10:40Qu'en pensez-vous alors ?
10:41Je n'ai évidemment pas la réponse.
10:43En tout cas, c'est indexé sur plusieurs choses.
10:45Il faut d'abord garder à l'esprit que toute cette effervescence en ligne
10:48ne représente pas toujours la réalité.
10:51On a par exemple, je ne sais pas moi, des Florian Philippot ou des Asselineau
10:54qui ont une empreinte phénoménale en ligne, mais phénoménale,
10:57avec des centaines de milliers d'abonnés.
10:59Et ils pèsent 1% aux dernières européennes.
11:01Ce que je ne veux pas dire, c'est que le bruit en ligne ne se traduit pas forcément dans la réalité.
11:06Et je pense que ce mouvement est profondément indexé à la rentrée,
11:10à la virulence et à la puissance de la rentrée sociale, clairement.
11:14On verra ce qui se passera le 8.
11:15Je pense que le 8 va soit assécher le mouvement, soit le revigorer.
11:20Et puis, on a aussi les couacs politiques, évidemment,
11:23les phrases qui peuvent allumer et énerver ce moment du 10 septembre.
11:27– Alexandre Jardin ?
11:29– C'est très important ce que vous venez de dire.
11:31À un moment, il faut que tous ces mouvements soient connectés avec le réel.
11:36C'est pour ça que nous, on travaille avec des fédérations professionnelles.
11:39Parce que là, il y a des gens, il y a des professions,
11:41il y a des tracteurs, il y a des camions,
11:43il y a vraiment une société réelle.
11:45Il y a des gens qui produisent.
11:47Et ce que j'ai entendu dans toutes nos réunions,
11:49c'est une colère invraisemblable lorsqu'on leur a dit, en gros,
11:52le 10, restez à la maison et les travailleurs vont continuer à travailler.
11:57Ils avaient l'impression d'un remake de Covid.
12:01– Oui, un confinement.
12:03– Mais oui.
12:04– À base sociale.
12:05– Oui, mais ils l'ont pris comme ça, parce qu'eux, ils doivent bosser.
12:08Les bateaux doivent sortir, les tracteurs doivent…
12:10Donc, ils le vivent très mal.
12:14Donc, tous ces mouvements, à un moment,
12:16doivent trouver une traduction dans des forces réelles,
12:19réelles, des forces sociales, des forces vives du pays.
12:22– Merci à tous les deux, Alexandre Jardin,
12:25les gueux aux éditions Michel Laffont, Tristan Mendès France,
12:29maître de conférences associé à l'université de Paris-Cité.
12:33Rendez-vous donc le 10 septembre pour voir si c'est une bulle numérique ou autre chose.
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