Au menu ce samedi : un débat sur les finances publiques, un crochet par Londres, une questions sur l'amour au travail et un focus sur les ultra-riches. Reportage sur les vies et stratégies des fameux 0,01% et entretien avec Gabriel Zucman, l'économiste qui veut les soumettre à un impôt plancher.
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00:00Nous continuons la discussion avec notre invité, c'est un passionné de piano je crois, mais c'est pas pour ça qu'on l'a invité.
00:05Bonjour Gabriel Zuckmann.
00:07Bonjour.
00:07Vous êtes professeur à l'école normale supérieure, vous êtes aussi le directeur de l'Observatoire européen de la fiscalité.
00:14On dit de vous que vous êtes la bête noire des ultra-riches.
00:17Le fisc français, on l'a entendu, n'évalue pas le nombre de ces ultra-riches.
00:22Qui sont-ils ? Comment vous l'évaluez-vous ?
00:24Dans la proposition de loi qui a été adoptée par l'Assemblée nationale en février
00:27et qui va être examinée au Sénat le 12 juin, c'est les 1800 environ foyers fiscaux qui ont plus de 100 millions d'euros de patrimoine.
00:37C'est une définition comme une autre, mais c'est de ça dont on parle aujourd'hui.
00:40Pourquoi est-ce que c'est important ? Parce que c'est la catégorie de la population pour lesquelles le taux effectif d'imposition,
00:47tout prélèvement obligatoire confondu, devient nettement inférieur au taux effectif des autres catégories sociales,
00:54des classes moyennes, des classes populaires, des classes moyennes supérieures.
00:57Donc c'est ça le problème aujourd'hui, c'est ça le problème qu'il faut résoudre.
00:59Ce que vous dites, c'est qu'ils contribuent moins, c'est régressif, c'est ça que disent les économistes.
01:03En France, comme vous le savez, on a un taux de prélèvement obligatoire qui dans l'ensemble est élevé,
01:0750% environ du revenu national.
01:10Quand on essaie de calculer ce que payent les différentes catégories sociales,
01:14quand on ajoute tout, la TVA, l'impôt sur le revenu, la CSG, les cotisations sociales,
01:19peu ou prou, tout le monde paye 50%.
01:21Les classes populaires, les classes moyennes, les classes moyennes supérieures, les riches,
01:24sauf, il y a une exception, les ultra-riches, les centimillionnaires,
01:29pour lesquels le taux de prélèvement baisse à 27% environ, soit presque deux fois moins.
01:35Et alors vous défendez donc l'idée d'une taxe de 2% sur ce patrimoine,
01:39au-dessus de 100 millions d'euros.
01:40Cette idée, vous l'avez défendue au G20, c'était à la demande du président du Brésil, Lula.
01:44Chez nous, ça inspire cette proposition de loi écolo,
01:49qui arrive au Sénat, vous l'avez dit, jeudi prochain, Sénat majoritairement à droite.
01:52Est-ce que vous croyez vraiment qu'elle va advenir, cette taxe Zuckmann, qu'elle a une chance ?
01:57Je pense qu'elle finira par être adoptée.
02:01La question, c'est combien de temps ça va prendre.
02:02Vous savez, en 1909, la Chambre des députés a voté l'impôt sur le revenu,
02:08à l'issue d'années, même de décennies de débats parlementaires.
02:11Et le Sénat, à majorité conservatrice, a bloqué pendant 5 ans, jusqu'en 1914,
02:17ce qui n'a pas forcément été de nature à bien préparer la suite.
02:20Là, la question, c'est est-ce qu'on va perdre de nouveau 5 ans ou est-ce qu'on y va ?
02:25On vote, sachant qu'il s'agit d'une mesure qui, comment dire,
02:28qui effectivement a été conçue dans le cadre de discussions au G20
02:32et qui se voulait de ce fait consensuel.
02:35C'est-à-dire que c'est un objectif sur lequel on peut tous être d'accord.
02:38Bien sûr, dans les démocraties, il y a un débat à avoir sur le bon niveau de progressivité.
02:44Mais là, ce dont on parle, ce n'est pas de créer de la progressivité.
02:47C'est d'effacer la régressivité qui existe aujourd'hui.
02:50C'est-à-dire, très concrètement, pour que les gens comprennent,
02:53ce que ferait cette mesure, ce n'est pas le grand soir fiscal,
02:55c'est juste s'assurer que les milliardaires ne payent pas moins de taxes
02:58que leurs secrétaires ou leurs chauffeurs.
03:01Et vous dites qu'il y a consensus.
03:02Alors, il y a consensus, en effet, sur le fait que, sans doute,
03:05ils paient moins de taxes que leurs chauffeurs.
03:07En revanche, il n'y a pas consensus sur le fait que tout le monde va y aller.
03:10Et c'était ça, la réponse sur TF1 d'Emmanuel Macron.
03:13Il dit « Est-ce que vous pensez que si on le fait seulement en France,
03:15les gens vont gentiment rester chez nous pour être taxés ? »
03:19Vous, Gabriel Zuckman, vous pensez que oui,
03:21le chef de l'État dit non et le gestionnaire de fortune
03:23qu'on vient d'entendre dans le reportage, il dit « Ah ben non, ils vont partir. »
03:26Oui, alors la question de l'exil fiscal, bien sûr, il faut la prendre au sérieux.
03:29Et la meilleure façon de la prendre au sérieux,
03:31ce n'est pas d'interroger les gestionnaires de fortune sur le sujet,
03:34mais c'est de se pencher sur les études universitaires, académiques, sur la question.
03:41Toutes les études aboutissent à la même conclusion,
03:44qui est la suivante.
03:45L'exil fiscal, il n'est pas nul, mais il est rare.
03:48Quantitativement, c'est faible.
03:50Je vais vous parler d'une étude, par exemple,
03:52la meilleure qui a été réalisée récemment par Camille Landais,
03:55ex-président délégué du Conseil d'analyse économique,
03:58et ses collègues, ils ont étudié le cas du Danemark et de la Suède,
04:03et ils ont montré qu'un changement de 1% de l'imposition des grandes fortunes
04:07se traduit à très long terme par un exil fiscal de 2% de la population concernée.
04:12Donc 98% restent, 2% partent à très long terme,
04:16mais surtout, très important, quelles sont les conséquences de cet exil ?
04:19Une baisse de l'emploi agrégé de 0,05%
04:23et une baisse de l'investissement de 0,07%.
04:26C'est très faible.
04:27Alors peut-être que l'exil ne serait pas le problème.
04:30En revanche, l'impact sur l'image de la France, l'attractivité,
04:32on s'est donné beaucoup de mal quand même pour faire venir des grandes boîtes étrangères.
04:37Est-ce que ça ne peut pas donner, cette taxe Zuckman,
04:40un effet Cuba sans le soleil ?
04:42Comme disait Emmanuel Macron de la taxe à 75% de François Hollande.
04:46Là, on ne parle pas de taxation des entreprises.
04:48Les entreprises ne sont pas concernées.
04:49Rien ne va changer pour les multinationales étrangères.
04:51Mais surtout, ce qu'il faut bien comprendre,
04:54c'est qu'est-ce qui va faire l'attractivité de la France au XXIe siècle ?
04:57Ce n'est pas d'offrir des taux zéros,
05:00comme un vulgaire paradis fiscal, pour les milliardaires.
05:03C'est au contraire la qualité de nos infrastructures publiques,
05:06de nos services publics, de notre santé, de notre éducation.
05:09Et pour ça, on a besoin de recettes fiscales.
05:12On n'a pas besoin d'austérité, on n'a pas besoin de couper les budgets.
05:14On a besoin, le gouvernement nous dit, même s'il s'est discuté, bien sûr, contesté,
05:18de trouver 40 milliards.
05:19Est-ce qu'on va les sabrer dans les services publics ?
05:22Ou est-ce que simplement, on va mettre en œuvre un dispositif anti-abus
05:25qui aille chercher l'argent de façon extrêmement ciblée
05:29chez ceux qui, non seulement sont extrêmement fortunés,
05:31ont plus de 100 millions d'euros de patrimoine,
05:33mais chez la partie de cette population
05:35qui, aujourd'hui, paye moins de 2% de son patrimoine en impôts
05:40à cause de l'optimisation fiscale ?
05:41Pour lutter contre les abus, le gouvernement, lui, il a une autre proposition.
05:44L'année dernière, il a fait une contribution différentielle sur les hauts revenus.
05:48Et cette année, pour 2026, il planche à Bercy sur un dispositif anti-optimisation.
05:55Alors, je sais que vous êtes reçu à Bercy, vous vous êtes consulté.
05:58Est-ce que ce dispositif anti-optimisation, ça vous paraît satisfaisant comme idée ?
06:03Toute la question, c'est à quel taux ?
06:05On parle tous de la même chose.
06:07C'est-à-dire, et d'ailleurs, je salue les progrès et l'évolution de la discussion sur ces sujets.
06:12Tout le monde est d'accord qu'il y a un problème d'optimisation parmi les milliards.
06:16On l'a dit.
06:17Tout le monde est d'accord que le mécanisme le plus puissant pour s'attaquer à ce problème,
06:20c'est le mécanisme de taux plancher ou de taux minimum.
06:22Parce que ça vient s'attaquer à toutes les formes d'optimisation, quelles qu'elles soient.
06:27Troisièmement, maintenant, tout le monde comprend que pour que le taux minimum fonctionne,
06:29il faut qu'il soit exprimé en pourcents, non pas du revenu, car le revenu est très facilement manipulable,
06:35mais en pourcents du patrimoine.
06:38Et vous mettez l'outil de travail dans le patrimoine ?
06:39Tout le patrimoine, au-delà de 100 millions d'euros.
06:41C'est ça qui fait hurler le patronat.
06:43Le four du boulanger, si vous voulez, n'est pas concerné par définition.
06:46On ne va taxer que les personnes qui ont plus de 100 millions d'euros de patrimoine.
06:51Parfois, les gens définissent l'outil de travail comme étant la détention de beaucoup d'actions.
06:56Oui, mais le patrimoine des milliardaires, c'est que ça.
06:59D'accord, donc si vous excluez l'outil de travail, vous exonérez 100% de leur fortune.
07:03Et c'est le problème fondamental avec le dispositif proposé par le gouvernement,
07:07qui propose un taux minimum de 0,5%,
07:09mais excluant le patrimoine professionnel,
07:13c'est-à-dire 90% du patrimoine des personnes concernées.
07:15Donc en fait, le taux réel n'est pas 0,5%, mais 0,05%.
07:20Quand nous, on propose 2%.
07:22Donc il y a juste un écart de 1 à 40%.
07:24D'un côté, on a un dispositif, le taux plancher de 2%,
07:27qui peut rapporter de l'ordre de 20 milliards d'euros.
07:29Pas tout à fait négligeable dans l'équation budgétaire actuelle.
07:32De l'autre, on aurait quelque chose qui rapporterait 40 fois moins.
07:34Alors dans l'équation budgétaire actuelle,
07:36il y a ceux qui vraiment disent,
07:37c'est bon Gabriel Zuckman, on est déjà les champions du prélèvement obligatoire,
07:41vous n'allez pas nous rajouter une taxe.
07:43Et qui cependant veulent trouver des solutions.
07:44Ils disent, on va regarder du côté des dépenses.
07:46Si on faisait des dépenses publiques mieux ciblées,
07:50si on faisait en sorte qu'elles ne bénéficient pas aux plus aisés,
07:54par exemple qu'on rognait des niches,
07:55qu'on désindexait les super retraites,
07:58est-ce que ça c'est suffisant ?
08:00Oui, écoutez, c'est un peu ce que,
08:02d'une certaine façon, ce que proposait de faire Musk.
08:04C'est toujours facile de dire, on va faire baisser les dépenses.
08:07Et puis après, quand ils sont au pouvoir,
08:09et qu'ils essaient de les faire baisser,
08:11finalement, qu'est-ce qu'il a récupéré Elon Musk avec son Doge ?
08:14Peanuts ! Très peu de choses.
08:16Surtout, ce que je voudrais dire,
08:17c'est que, évidemment, on va tous devoir faire des efforts,
08:20compte tenu de la situation dégradée de nos finances publiques.
08:23Mais ça va être très difficile,
08:25sans doute impossible,
08:26de demander à qui que ce soit de faire des efforts,
08:29avant que les ménages ultra riches,
08:31et qui aujourd'hui payent très peu,
08:33soient pas un petit peu davantage mis à contribution.
08:36C'est-à-dire que c'est une condition nécessaire,
08:38pas suffisante,
08:39mais nécessaire à toute autre forme,
08:41que ce soit de réforme fiscale,
08:43ou de réforme des dépenses publiques.
08:44Lorsque le Conseil d'orientation des retraites,
08:46c'est l'actu ce matin,
08:47le Conseil d'orientation des retraites qui dit
08:49« Ma préconisation, vu le déficit,
08:52ça va être de faire travailler tout le monde jusqu'à 66 ans et demi. »
08:55Vous en pensez quoi ?
08:56Je pense que ce qui est très important,
09:00ce n'est pas de travailler plus,
09:01c'est d'augmenter la productivité du travail.
09:04C'est ça l'évolution historique au cours du XXe siècle,
09:08c'est qu'on est devenu de plus en plus productif,
09:10en travaillant non pas de plus en plus,
09:13mais de moins en moins.
09:14C'est cette tendance-là qu'il faut poursuivre.
09:16Et pour continuer le progrès vers la productivité du travail,
09:19et à terme, plutôt moins de travail,
09:22la réduction du temps de travail,
09:23il faut investir massivement dans nos services publics,
09:26dans notre éducation, dans notre recherche,
09:28dans notre université.
09:29Quand on regarde l'étude Capgemini,
09:31et toutes les études,
09:32et vous l'avez même dit tout à l'heure,
09:34sur les ultra-riches,
09:35cette semaine il y a eu cette étude de Capgemini,
09:37on voit que la fortune vient de la bourse,
09:40vient des actions,
09:42visiblement c'est ça qui fait les super-riches.
09:44On se dit, est-ce que finalement,
09:46la financiarisation de l'économie,
09:48on ne devrait pas, nous Français,
09:49nous dire que c'est une opportunité,
09:50et tous allaient se mettre dans des fonds de pension,
09:53et acheter des actions ?
09:55Je pense que c'est plutôt une loi générale
09:57des économies capitalistes,
09:59c'est-à-dire, c'est partout le cas,
10:01que plus vous montez dans l'échelle du patrimoine,
10:05plus la part du patrimoine financier est importante,
10:09et au sein de ce patrimoine financier,
10:11la détention d'actions,
10:12qui est en fait le véritable pouvoir économique,
10:15dans nos sociétés de marché.
10:17Donc, c'est le cas,
10:20et la question c'est comment est-ce qu'on permet
10:22à ce pouvoir-là,
10:24de se démocratiser,
10:26plutôt qu'il ne soit que dans les mains de quelques personnes,
10:28qu'effectivement plus de Français
10:29aient accès en partie à ce pouvoir.
10:31Donc si je vous écoute,
10:32les fonds de pension,
10:33ça vous paraît une bonne idée ?
10:34Alors je signale que,
10:35vous connaissez bien la société américaine,
10:37vous avez enseigné à Berkeley,
10:38vous y enseignez encore toujours,
10:40quelques mois l'été,
10:41ça vous paraît intéressant pour les retraites,
10:42les fonds de pension ?
10:43Non mais, c'est un non-débat si vous voulez,
10:45parce que la transition entre le système de répartition
10:48qu'on a à la française,
10:49et un système de fonds de pension,
10:51c'est impossible.
10:52En tout cas à court terme,
10:53et même à moyen terme,
10:53c'est très difficile.
10:54Donc là, ce n'est pas la question du moment.
10:55La question du moment,
10:56c'est qu'on a besoin d'une mobilisation très forte,
10:59pour que le 12 juin,
11:00nos sénateurs,
11:02enterrinent le vote qui a eu lieu
11:03à l'Assemblée nationale le 20 février,
11:05et vote l'impôt planché
11:07sur le patrimoine des ultra-riches.
11:10Gabriel Zuckman, déterminé.
11:12Merci d'avoir accepté l'invitation
11:14d'On n'arrête pas l'écho.
11:15Merci à vous.