Thomas Melonio, chef économiste de l'Agence française de développement (AFD), revient sur l'impact de la guerre commerciale lancée par Donald Trump, après une nouvelle surenchère sur les droits de douane américains.
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00:00L'invité éco, Camille Revelle.
00:04Bonsoir à toutes et à tous, Donald Trump double la mise.
00:07La surtaxe américaine sur les importations d'acier et d'aluminium passe de 25 à 50% aujourd'hui.
00:12Bonsoir Thomas Melogneau.
00:13Bonsoir.
00:14Vous êtes chef économiste de l'agence française de développement, l'AFD.
00:18Cette guerre commerciale dont on parle depuis des mois, depuis l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche,
00:22quel impact a-t-elle sur les pays les plus pauvres ?
00:25Alors elle a un impact qui est assez sérieux, à la fois dans les pays émergents,
00:28au premier chef, la Chine, qui est l'objet des principales mesures commerciales.
00:31C'est vrai aussi du Mexique voisin immédiat des Etats-Unis, dont vous venez parler à l'instant.
00:35Mais c'est vrai aussi peut-être de pays auxquels on pense moins souvent
00:37et qui peuvent bénéficier d'accords commerciaux avec les Etats-Unis
00:40et se retrouvent aujourd'hui avec des difficultés un peu plus grandes.
00:43Donc par exemple en Afrique, ça peut être un pays comme Madagascar
00:46qui exporte du textile vers les Etats-Unis
00:48ou bien l'Afrique du Sud qui exporte des composants automobiles.
00:51Donc il peut y avoir des conséquences sur des pays dont on ne parle pas forcément très souvent.
00:54Et dont nous sommes là pour parler ce soir.
00:55Il y a un accord commercial qui est en vigueur depuis l'an 2000
00:58entre les Etats-Unis et une trentaine de pays d'Afrique.
01:01L'AGOA, accord qui doit être renégocié cet automne en septembre 2025.
01:06Quel avenir il a d'après-voilà ?
01:08Je sais qu'on n'a pas de boule de cristal mais quel peut être son avenir aujourd'hui ?
01:11Oui, c'est vrai que les droits de douane changent à peu près tous les jours.
01:13Vous venez d'en parler.
01:14Donc c'est difficile de faire des prévisions.
01:15Deci dit, on peut penser que l'AGOA ne permettra plus aux pays africains
01:19de faire des exportations sans droits de douane vers les Etats-Unis.
01:22Donc c'est essentiellement dans le secteur textile pour des pays comme Madagascar, les autos, l'automobile
01:26que les conséquences seront les plus sérieuses.
01:28Ça c'est pour le continent africain.
01:30Après il y a d'autres pays dans le reste du monde qui ont des enjeux commerciaux avec les Etats-Unis.
01:35Et en particulier on peut penser à des pays d'Asie du Sud-Est comme le Vietnam qui est très exposé
01:38parce qu'il importe de Chine pour réexporter vers les Etats-Unis.
01:41Donc ce type de pays, le Vietnam est très exposé aux mesures commerciales américaines.
01:46et dans les récentes prévisions par exemple de la Banque Asiatique de Développement,
01:49c'est un des pays qui peut perdre le plus en raison des tensions commerciales actuelles.
01:54Il y a une double peine pour certains de ces pays, à la fois avec des hausses de droits de douane
01:58et les coupes qu'on voit dans les budgets de l'aide au développement ?
02:02Alors c'est très clair.
02:03Ce ne sont pas forcément les mêmes pays qui vont subir les conséquences des droits de douane d'un côté
02:06ou des baisses de l'aide au développement.
02:08Certains en effet peuvent être affectés par les deux.
02:10Sur les droits de douane, ce sont plutôt des pays industriels qui exportent de manière significative vers les Etats-Unis.
02:16Donc le Vietnam dont on a parlé, ça peut être le Bangladesh, ça peut être Taïwan qui exporte beaucoup de puces par exemple vers les Etats-Unis.
02:24Ça c'est plutôt sur la partie commerciale.
02:26Sur l'aide au développement, les grands pays qui ont perdu suite à la destruction du USAID, c'est d'abord l'Ukraine.
02:32On en parle souvent parce qu'évidemment le gouvernement ukrainien est affaibli par la baisse du soutien militaire mais aussi du soutien civil.
02:38Ça va être la Palestine à laquelle on pense souvent en raison du drame qui s'y déroule.
02:42Et comme vous le savez, l'aide humanitaire est très limitée aujourd'hui.
02:45Elle arrive peu et en plus les financements ont baissé.
02:48C'est vrai aussi en Afrique, sur des pays comme la République démocratique du Congo, l'Ethiopie par exemple,
02:53ou bien le Liberia qui bénéficiait de financements américains très importants.
02:56Donc eux vont être affectés plutôt par la baisse des financements des développements.
02:59Il y a autant de pays que de situations mais est-ce que par exemple une solution serait de se tourner vers un autre grand marché,
03:03un grand rival des Etats-Unis ou de se tourner encore plus d'ailleurs vers un pays qu'est la Chine ?
03:08Alors la Chine va certainement essayer d'utiliser cette situation pour augmenter son influence.
03:12Très récemment par exemple, la Chine a annoncé qu'elle augmenterait sa contribution à l'Organisation mondiale de la santé.
03:17C'est une organisation à laquelle les Etats-Unis ont retiré leurs contributions.
03:21Les Etats-Unis ont décidé de supprimer 500 millions de dollars.
03:24Mais les Chinois ne vont pas compenser la totalité de la baisse des Etats-Unis.
03:26Ils vont mettre autour d'une centaine de millions de dollars par exemple à l'OMS.
03:29Donc pour accroître leur influence, ceci dit, ça ne va pas compenser les baisses américaines
03:34parce que les financements américains étaient tellement gros, à peu près 42 milliards de dollars,
03:37c'était le budget de l'USN, que personne ne pourra s'y substituer.
03:41Alors quels autres leviers ? De l'investissement privé, de l'épargne nationale ?
03:45Il y a autant de leviers que de pays j'imagine ?
03:47Alors il y a quelques contributions qui peuvent être augmentées.
03:51Bill Gates par exemple a annoncé qu'il allait augmenter les financements de sa fondation
03:55pour atteindre quelque chose de l'ordre de 9 milliards de dollars par an.
03:59Mais quand vous passez de 6 à 9 milliards de dollars, c'est une augmentation très substantielle
04:02et il faut s'en féliciter, mais ça ne va pas compenser plus de 40 milliards de baisse.
04:07Donc ça c'est du côté plutôt des bonnes nouvelles avec certains acteurs privés importants,
04:10philanthropes, qui peuvent compenser.
04:12Après la réalité, c'est vrai que beaucoup de pays en développement vont devoir davantage se financer par eux-mêmes
04:17Dans certains cas, il y a déjà par exemple des banques publiques ou des administrations
04:21qui ont la capacité à lever l'impôt ou à mobiliser l'épargne.
04:24Dans d'autres pays, il va falloir s'adapter assez rapidement
04:26pour pouvoir financer davantage l'investissement par les ressources des pays eux-mêmes.
04:30Je voudrais qu'on parle de la France, de votre propre porte-monnaie à vous à l'Agence française de développement.
04:35Le gouvernement a baissé d'entière l'enveloppe de l'aide publique au développement
04:38pour le budget de cette année, près de 2 milliards d'euros sur fonds de lutte contre le déficit.
04:44Quel impact ça a eu pour vos missions ?
04:46Alors d'abord, on ne peut pas complètement comparer la situation américaine avec la situation française.
04:50Aux Etats-Unis, USAID a été qualifié d'organisation criminelle.
04:53En France, en Europe, on ne constate pas du tout de remise en cause des institutions de développement
04:57pour leur caractère moral ou immoral.
05:00Donc ça, on n'a pas du tout cette situation.
05:02En revanche, c'est vrai que le budget pour la politique de développement, de solidarité,
05:07est très tendu cette année parce qu'on doit faire des économies pour le budget de l'État.
05:11Je ne le conteste pas du tout, mais ça amène à des baisses de moyens,
05:14notamment en dons pour les pays les plus pauvres.
05:16Ça, c'est incontestable.
05:17Et alors, qu'est-ce que ça change dans vos missions ?
05:19Est-ce que vous les recentrez ?
05:21Est-ce qu'il y a des projets que vous abandonnez ?
05:23Quel impact ça a concrètement ?
05:24Alors, je pense qu'il est très important pour les gens qui nous écoutent,
05:27on va tenir tous les engagements existants.
05:29C'est-à-dire qu'à la différence de ce qui a pu se tenir aux États-Unis,
05:32tous les projets en cours vont être tenus et achevés tels qu'ils devaient l'être.
05:35En revanche, un moindre budget, ça veut dire qu'on peut lancer moins de nouveaux projets.
05:39Et donc, il y aura des situations parfois difficiles, parfois dramatiques,
05:43mais sur lesquelles on ne pourra pas intervenir.
05:47La France, dit l'Elysée, va recentrer ses efforts là où les besoins sont les plus importants et les plus urgents.
05:52L'AFD, l'Agence française de développement, votre agence,
05:54devra faire l'objet d'une nouvelle explicitation permettant de mieux refléter le mandat de l'opérateur.
05:59Est-ce qu'il y a des enjeux d'efficacité, de transparence aussi, pour vous ?
06:02Alors, bien sûr. Il y a un premier enjeu. Vous l'avez dit à l'instant,
06:04quand on a moins de moyens, il faut les utiliser au mieux.
06:07Au mieux, c'est-à-dire au plan des besoins.
06:09Et on va concentrer l'essentiel des moyens dont on dispose aujourd'hui
06:12vers les pays les moins avancés, c'est-à-dire les pays avec les plus faibles revenus,
06:16les pays les plus vulnérables.
06:17Et face à la difficulté budgétaire, on va encore plus concentrer les moyens là où il y a le plus de besoins.
06:21Ça, c'est une première chose.
06:23La deuxième chose, c'est qu'en effet, ce n'est pas du tout un tabou de dire que l'aide doit être la plus efficace possible.
06:27Dans mes propres équipes, on réalise quasiment 70 évaluations par an pour mesurer l'efficacité des projets qui sont financés.
06:34Et en effet, quand on a moins de budget, on va être encore plus strict dans la sélection des projets
06:38qui peuvent être appuyés pour avoir la plus grande efficacité.
06:41Donc, on est en train de faire ce travail.
06:43C'est un travail en continu, en réalité, pour améliorer en permanence l'efficacité des financements.
06:49On a aussi un fonds d'innovation qui a été créé il y a trois ans maintenant avec Esther Duflo,
06:53qui vise à évaluer systématiquement la situation avant, la situation après, pour mesurer très précisément
06:58les prix Nobel d'économie en 2019, pour mesurer très précisément l'efficacité des projets qu'on finance.
07:03Et pour la transparence ?
07:05Et pour la transparence, bien sûr, l'intérêt de s'associer à des chercheurs renommés ou parfois moins connus,
07:11mais qui peuvent être très bons aussi, c'est de produire des données qui sont indépendantes.
07:14Et ça, ça permet d'améliorer l'efficacité des projets.
07:16Par exemple, il y a beaucoup d'enjeux d'éducation.
07:19L'Afrique, par exemple, est un continent très jeune, mais la qualité de l'éducation n'est pas toujours là.
07:23Et on peut réformer les méthodes d'enseignement en regroupant les enfants, par exemple, par table de niveau,
07:28pour qu'ils apprennent avec un contenu qui est adapté à eux.
07:31On a fait un autre test récemment en utilisant l'intelligence artificielle
07:34pour produire des contenus dans les langues qui sont accessibles pour les enfants,
07:38là encore, pour améliorer les apprentissages.
07:40Donc c'est très important de bien évaluer et d'être innovant, d'utiliser une nouvelle technologie aussi,
07:44pour avoir les meilleurs résultats possibles.
07:45Merci beaucoup Thomas Melonio, chef économiste de l'AFD, l'Agence française de développement.
07:50Vous étiez ce soir l'invité ECO de France Info.
07:51Merci.