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La journaliste Nora Bouazzouni enquête depuis plusieurs années sur le milieu de la cuisine. Elle publie ce mois-ci « Violences en cuisine, une omerta à la française » (Stock, 342 pages, 21,50 euros) et nous explique pourquoi le monde de la gastronomie française a autant de mal à faire son MeToo.

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Transcription
00:00Dans un endroit où on dit tout le temps oui chef,
00:02la notion de consentement, elle est compliquée.
00:05Ce qu'on appelle la gastronomie française,
00:08c'est un système.
00:10Et ce système repose sur l'exploitation
00:13et la maltraitance de travailleurs et travailleuses
00:17qui ont l'impression que c'est normal.
00:19Et quand il ou elle réalise que ce n'est pas normal,
00:22ont l'impression qu'il n'y a rien à faire.
00:24On m'a raconté des violences comme des coups de torchon,
00:27des mains qu'on brûle exprès pour punir la personne
00:30d'avoir raté une cuisson,
00:32quelqu'un à qui on demande de sortir une plaque du four à 300 degrés,
00:37parce qu'il faut bien l'habituer à la douleur et à la brûlure,
00:40des gens à qui on a balancé des casserole à la gueule,
00:43donc des violences physiques comme ça,
00:45des violences sexuelles, des viols,
00:47des agressions comme des mains en fesses,
00:49des mains sur les seins, des baisers forcés,
00:51des humiliations quotidiennes, c'est-à-dire par exemple un chef
00:53qui ne va jamais vous appeler par votre prénom
00:55mais qui va vous appeler pute.
00:57Quand vous êtes un homme, par exemple, homosexuel,
00:59ou bien qu'on présume que vous l'êtes,
01:01on parle de votre manière de marcher,
01:02on vous insulte, on vous traite de tous les insultes homophobes possibles.
01:07Quand vous êtes une personne non-blanche aussi,
01:09des remarques sur votre couleur de peau,
01:11sur votre prénom, sur vos origines supposées,
01:13on va les appeler Mamadou alors qu'il s'appelle Jean-Louis.
01:15Donc énormément de violences,
01:16et puis il y a aussi des violences économiques.
01:18On signe un contrat de 39 heures,
01:19mais on sait très bien qu'on va en faire le double.
01:24Un peu moins peut-être du double.
01:26Mais qu'on ne sera jamais payé plus de 43 heures.
01:29Et ça, c'est normal.
01:30C'est-à-dire qu'en fait, le plus choquant dans ce milieu,
01:32c'est la normalisation de tout type de violences.
01:36Ils me disent,
01:36bah oui, mais bon, c'est la restauration, quoi.
01:38Je savais dans quoi je m'embarquais.
01:39J'entends souvent des gens me dire,
01:42oui, mais pas les femmes.
01:45Elles ne peuvent pas, elles, être autrices de violences.
01:48Oui, mais pas les jeunes.
01:50Les jeunes, ils sont quand même un peu plus au fait de ces choses-là.
01:54Ils vont se battre contre les violences en cuisine.
01:56Eh bien non.
01:57Il y a plein de gens qui n'osent pas parler.
01:59Déjà parce qu'on normalise des violences.
02:01Donc dès l'école, à 15 ans, on vous apprend que c'est normal.
02:04Et plus on est jeune, plus on est vulnérable aussi,
02:06plus on est malléable.
02:07Et c'est à ce moment-là qu'on intègre très facilement
02:10l'idée que toutes ces violences sont essentielles,
02:13pas seulement normales,
02:14qu'elles sont essentielles pour faire du bon travail.
02:17C'est un petit milieu,
02:18un milieu qui fonctionne sur cooptation.
02:20C'est-à-dire qu'on va dire,
02:21ah, toi, tu l'as eu, il est bien,
02:23ouais, bah vas-y, je le prends.
02:24En fait, on se base sur votre CV.
02:25Donc, les chefs s'appellent entre eux.
02:28Si vous avez fait des vagues,
02:32le chef va dire,
02:33non, tu ne la prends pas, elle est chiant.
02:34Elle va toujours se plaindre.
02:37Tu ne peux même pas lui mettre,
02:38tu te mets en cul,
02:38tu ne peux pas lui faire une remarque un peu rigolote.
02:40Et par rigolote, tu es un misogyne.
02:42Elle va dire, oh là là,
02:43mais ça, c'est misogyne,
02:44ou bien ça, c'est homophobe.
02:45Elle est relou, quoi.
02:47Donc, vous allez devenir inembauchable.
02:50Et c'est votre passion,
02:51et c'est votre rêve.
02:52Et donc, on joue beaucoup
02:52sur la passion
02:54pour vous pousser à vous taire,
02:57à subir sans brancher.
02:59Ce qu'il faudrait,
03:00c'est comme pour tout,
03:01c'est l'éducation.
03:02Parce qu'on apprend aux gens
03:03à être cuisiniers, cuisinières,
03:05pâtissiers, pâtissières,
03:06mais pas à être des managers.
03:07En tout cas, moi,
03:08le message que je voudrais faire passer
03:09à tous les travailleurs
03:11et travailleurs de la restauration,
03:12c'est, d'une part,
03:13vous n'êtes pas seul.
03:15D'autre part,
03:15vous n'êtes pas impuissant et impuissant.
03:17Vous pouvez vous organiser,
03:18vous pouvez faire grève,
03:19vous pouvez gueuler,
03:21vous pouvez porter plainte
03:22si vous en avez envie ou pas.
03:24Vous pouvez dire
03:25« ça n'est pas normal ».
03:26Vous pouvez dire « non ».
03:28Et vous pouvez améliorer
03:29vos conditions de travail
03:30de manière collective.
03:32Vous pouvez le faire.

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