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  • 04/04/2024
Xerfi Canal a reçu Jean-Noël Kapferer, professeur émérite à HEC Paris, pour parler de la luxification de la société.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00 Bonjour Jean-Noël Capferrer.
00:10 Bonjour.
00:11 Jean-Noël Capferrer, professeur émérite HEC Paris.
00:14 Jean-Noël Capferrer, vous êtes le penseur de la marque.
00:17 Et du luxe.
00:18 Et du luxe, évidemment.
00:20 L'un et l'autre.
00:21 En France, on sait faire des marques de luxe.
00:24 En France, on sait faire des marques de luxe.
00:26 Ou alors on rachète les marques italiennes.
00:27 Si je vous dis luxification de la société, qu'est-ce que vous me répondez ?
00:32 La luxification de la société, c'est l'apparition du mot luxe partout,
00:36 dans toutes les sphères de la société, qu'il s'agisse du pâtissier en bas de chez vous,
00:41 qu'il s'agisse d'un voyagiste, qu'il s'agisse d'un galeriste, etc.
00:46 Alors ça ne veut pas dire que ça va devenir inaccessible.
00:49 C'est la multiplication du luxe accessible,
00:52 avec souvent la labellisation par des très grands noms.
00:56 Ce qui permet à ces grands noms de sortir du ghetto de l'exclusion,
01:01 de dire "ce n'est pas pour toi, ce n'est pas pour vous", etc.
01:04 et de montrer au contraire que ces maisons sont ouvertes à la nouveauté.
01:09 Elles sont ouvertes à la nouveauté LGBT.
01:13 Elles sont ouvertes à la nouveauté du prix accessible.
01:16 Elles sont ouvertes à la nouveauté du streetwear.
01:20 Elles sont ouvertes à la nouveauté du street food, etc.
01:25 C'est pour ça qu'on parle de luxe beaucoup plus qu'on ne le faisait auparavant.
01:29 Non pas parce qu'il y a des riches, mais parce qu'il y a beaucoup de nouveaux riches
01:33 et qu'il y a beaucoup de gens qui accèdent au luxe d'une façon qu'on appelle le luxe accessible,
01:39 qui veut dire en réalité un luxe relatif par rapport au luxe absolu.
01:44 Donc c'est la multiplication des luxes relatifs.
01:46 Qu'est-ce que c'est qu'un luxe relatif ?
01:48 C'est un luxe pour vous et pas pour votre voisin.
01:50 Alors que le luxe absolu, le yacht, etc.
01:54 c'est quelque chose qui s'impose à tout le monde et tout le monde se prosterne, etc.
01:57 C'est comme un étoilé Michelin.
01:59 C'est le luxe absolu.
02:01 Le luxe relatif, ça va être le restaurant en bas
02:04 qui fait quelque chose d'exceptionnel à un prix tout à fait accessible.
02:07 Et donc cette multiplication du mot luxe un peu partout,
02:11 il contribue à faire du luxe une chose normale
02:13 et elle s'inscrit dans la normalisation du luxe
02:15 parce que le problème du luxe, c'est d'apparaître anormal,
02:18 non pas diabolisé, mais anormal.
02:21 C'est absolument fascinant, c'est quand même un oxymore.
02:25 Tout à fait.
02:27 Le luxe accessible.
02:28 Mais tout secteur doit penser à son acceptabilité par les non-clients.
02:33 Quand on parlait de désirabilité du luxe,
02:37 il y a aussi une désirabilité sociale.
02:39 C'est pas simplement à titre d'individu ce que je désire ou pas,
02:43 c'est est-ce que cette activité qui consiste à détourner des besoins réels
02:47 pour aller vers cette part maudite,
02:50 pour aller vers des choses dont on n'a pas vraiment besoin mais tellement envie,
02:54 est-ce que c'est légitime ?
02:56 Et cette désirabilité sociale, elle est au cœur de la survie du secteur.
03:00 Le secteur n'est pas simplement un secteur qui est très fort en France pour l'exportation,
03:05 il doit être toujours en train de se légitimer.
03:08 Et c'est aussi vrai en Chine.
03:10 C'est-à-dire qu'à un moment donné, Xi Jinping peut se poser la question
03:13 quel est l'intérêt de voir les Chinois dépenser des sommes folles
03:15 pour acheter des colifichés et des objets occidentaux
03:18 plutôt que de mettre plus d'argent dans l'éducation de leurs enfants.
03:22 Donc ce problème de la légitimité, de l'action et du luxe,
03:26 elle est fondamentale et elle est gérée par les groupes.
03:30 Elle ne s'auto-gère pas.
03:32 Et une façon de la gérer, c'est d'ouvrir les mains, d'ouvrir les bras,
03:36 de laisser venir au luxe des gens qui normalement se considéraient comme exclus.
03:41 Il suffit d'aller prendre un petit chocolat au flagship,
03:45 au magasin étendard de Dior, avenue Montaigne.
03:48 On peut visiter un musée, ça c'est de la luxification.
03:52 On peut prendre un chocolat avec une madeleine,
03:55 ça va nous coûter 25 ou 30 euros, c'est de la luxification.
03:59 Pendant une heure, on est dans un autre monde avec un prix accessible.
04:04 Ça ne change pas le caractère inaccessible des sacs,
04:07 mais ça ouvre à tout le monde.
04:09 Donc, ça normalise le luxe.
04:11 La luxification de la société.
04:13 Merci Jean-Daniel Kepferer.
04:16 [Musique]

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