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  • 06/02/2024
Communication "La posture du funambule présentée par Clothilde Jouzeau le mercredi 15 novembre 2024 lors du symposium long « Itinéraires singuliers et pluriels au sein de l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne ICEM-pédagogie Freinet : postures de praticien-chercheur engagé, entre implication et distanciation…" dans le cadre du colloque Inter-AREF à l'université de Paris X Nanterre "Engagement dans la recherche, recherches engagées, recherches sur l'engagement : que nous disent les sciences de l'éducation et de la formation ?"

Catégorie

📚
Éducation
Transcription
00:00 La posture du funambule, conflit de loyauté, du sujet chercheur
00:06 Je suis professeure des écoles depuis 1993, engagée dans la co-éducation avec une classe ouverte aux familles depuis toujours et de façon institutionnalisée depuis 1998.
00:19 Initialement, il s'agissait de trouver des réponses aux difficultés que je rencontrais avec des élèves en grande précarité, pour lesquelles lire et écrire compté ne faisait pas sens.
00:29 Je pensais alors à la classe comme une bulle, un espace autosuffisant qui permettait d'oublier le quotidien dans lequel j'invitais les parents.
00:37 Petit à petit, j'ai inclus les parents, j'ai appris à les connaître, ils ont appris à me faire confiance.
00:44 J'ai donc pensé une classe à hauteur d'enfant.
00:47 Adhérente à l'ISEM depuis 2015, au hasard d'une rencontre,
00:52 j'ai aménagé ma classe de façon à en faire un espace classe conviviale, dans lequel parents et enfants pouvaient se retrouver.
00:59 Le fait que les parents puissent pénétrer dans la classe m'a permis de mesurer l'importance pour les élèves et leur famille de ces échanges informels, pour la scolarité des enfants.
01:09 Nous apprenions à nous connaître entre adultes, à travers ce qui peut sembler des banalités, que je qualifierais d'humanistes socialisantes.
01:16 Un bonjour, une poignée de main, un sourire, une réponse à une question pédagogique ou pas.
01:22 J'invitais pour apprendre à se connaître, partager nos regards d'éducateurs à part entière, les éducateurs premiers, les parents, et moi, professionnel de l'instruction.
01:33 Ces échanges m'ont permis de constater ce qui aurait pu être ma problématique si je m'étais placée dans le cadre d'une écriture académique.
01:41 Les savoirs familiaux sont-ils de véritables savoirs scolaires ?
01:45 L'accueil inconditionnel des familles au sens large, parents, frères, soeurs, oncles, tantes, proches, permet de mieux appréhender l'enfant dans son environnement
01:58 et ainsi de lui proposer des situations d'apprentissage qui font sens, parce qu'elles sont adaptées à sa singularité.
02:06 Inutile de parler la langue de scolarisation ou même d'avoir fréquenté l'école pour participer en maternelle, mais aussi en élémentaire.
02:13 Il suffit d'un peu d'imagination pour inclure chacun, tout en faisant preuve de souplesse.
02:18 Inclure, c'est faire ensemble, c'est penser ensemble, c'est construire ensemble.
02:24 L'enseignant reste le garant de ce qui se passe vis-à-vis de l'institution, des enfants et des autres parents.
02:31 Le dispositif que j'ai institutionnalisé depuis 1998 permet de donner les codes de l'école aux familles qui en sont les plus éloignées et ainsi aux élèves, leurs enfants.
02:44 De sortir du conflit de loyauté entre des valeurs culturelles et scolaires parfois très différentes.
02:50 Ce fonctionnement qui accorde aux singularités le statut de richesse à partager en devenant des ressources de savoir commun reconnues par l'institution
02:59 concourt à créer un climat de classe propice aux apprents-lissage.
03:03 L'enseignant est le garant de ce qui se passe vis-à-vis de l'institution, vis-à-vis des enfants, des parents.
03:10 Il n'est pas dans la toute-puissance, il n'est pas dans l'injonction.
03:14 Ce qui était un engagement auprès des élèves a évolué vers une forme de combat pour une école inclusive.
03:23 Progressivement, l'isolement sur le terrain est devenu une réalité inversement proportionnelle à la reconnaissance qui venait de l'extérieur.
03:32 À des GESCO, les municipalités, des universitaires, des revues pédagogiques, les parents aussi.
03:38 L'aménagement mobilier de la classe, de ses pratiques, des relations avec les familles ont progressivement laissé place à d'autres formes de questionnement.
03:47 Quel rapport au métier ? Quel rapport à l'engagement ?
03:51 Comment donner une vraie place aux parents et une parole authentique aux enfants, sans que les collègues ne le perçoivent comme une trahison ?
03:58 Ces interrogations me placent dans la posture du funambule, une situation d'instabilité à l'équilibre fragile.
04:06 Je me trouve alors dans une posture inconfortable, une forme de conflit de loyauté entre mes convictions,
04:12 issues de l'expérience de près de 30 ans de pratique, sur l'efficacité du dispositif de la classe ouverte aux familles, pour les élèves et pour les familles,
04:21 et une conformité à un fonctionnement plus traditionnel, qui fait du seuil de la classe, voire de l'école, une frontière entre la maison et l'institution.
04:30 Partant du principe que je n'ai certainement pas été la seule dans cette situation, je suis allée glaner des réponses ailleurs.
04:38 Je suis donc allée chercher des réponses contextualisées auprès de militants freinés, formés par celles et ceux de la première heure.
04:47 J'ai pour cela mené près de 20 entretiens, d'une à deux heures chacun, avec ces praticiens de la pédagogie freinée,
04:53 engagés et reconnus pour leur engagement au sein de l'Institut coopératif de l'École moderne.
04:59 Chaque entretien s'apparentait à une discussion avec un fil directeur commun à tous.
05:04 Trois des personnes contactées ont demandé à avoir connaissance du questionnaire en amont.
05:09 La trame de nos échanges était commune.
05:12 Comment dans leurs itinéraires apparaissent les tensions ? Quelles stratégies ont-ils construites ? Quel parcours ont-ils engagé ?
05:19 La diversité des témoignages permettra d'apprécier l'engagement des hommes et des femmes, mais aussi différentes modalités, pour faire connaître et diffuser les pratiques.
05:29 La grande majorité des enseignants freinés interrogés étaient engagés politiquement et œuvrés au sein de syndicats ou de partis politiques,
05:39 en vue de changer la société, et ça depuis leur adolescence.
05:43 Ils ne sont pas devenus enseignants pour militer, ils ont milité en tant qu'enseignants parce que cela leur semblait être une évidence.
05:51 Ils disent d'ailleurs de leur engagement politique que c'était une protection qui leur a évité de basculer dans une perception affective des situations.
06:00 Pour d'autres enseignants, enseigner autrement, c'est aussi s'engager pour les élèves, ne pas leur faire subir ce qui les a fait souffrir autrefois, lorsqu'ils étaient enfants.
06:11 L'un d'entre eux me dira « J'ai la chance de m'être nourri de ce que j'ai vécu, cela donnait une certaine légitimité à ma pratique ».
06:18 L'autre précise « Je me suis engagé vis-à-vis de ces enfants qui me ressemblent ».
06:23 L'engagement n'est pas uniquement professionnel, il est essentiellement politique.
06:29 À ce titre, il concerne la sphère privée.
06:32 Il y a le temps pris par l'engagement et surtout la mise en cohérence entre la vie personnelle et la vie professionnelle.
06:40 L'engagement relève d'une philosophie de vie.
06:44 L'engagement est alors une forme de militance.
06:47 Tantôt taureau dans l'arène, tantôt chef de guerre, ils ont les réflexes de militants déterminés.
06:53 Les difficultés qu'ils rencontrent ne sont pas perçues comme personnelles.
06:57 Le militantisme politique a été pour eux une école de la vie engagée.
07:01 Ils savent prendre du recul pour analyser une situation, analyser les rapports de force, ne pas se laisser envahir par l'affect.
07:08 Ils savent faire la part des choses et distinguer ce qui relève d'une difficulté personnelle de ce qui est une difficulté liée à l'engagement pris.
07:16 Ils et elles ont appris de la militance à médiatiser des actions et des personnes.
07:22 La rencontre avec la pédagogie freinée est souvent le résultat du hasard.
07:28 À l'école normale, lors d'un cours sur les pédagogies différentes, ou alors avec un feuillet oublié dans une poubelle.
07:36 Ça se passe aussi sur le terrain, avec un praticien, une équipe, ou lors d'une lecture.
07:42 Plusieurs ont cheminé seuls, allant d'associations de l'éducation nouvelle en association, au gré des rencontres et des déménagements.
07:50 Tout s'évoque certains lieux facilitateurs.
07:53 La classe unique, ou au cœur des cités, dans les zones d'éducation prioritaires.
07:58 Parce que comme me le précise l'un d'entre eux, dans ces quartiers, l'important c'est que tu tiennes ta classe.
08:04 On n'est pas aussi regardant sur la façon de faire.
08:07 Plusieurs ont rapidement pris des directions d'école, afin de développer un espace freiné.
08:12 Un lieu pour les militants freinés, dans lequel il est possible de faire fonctionner une école autrement.
08:18 Ils ont rapidement été rejoints par des membres.
08:22 Un engagement qui est au-delà de la vie professionnelle.
08:26 Aujourd'hui retraités, ils militent toujours. Ils partagent leurs expériences et leurs tâtonnements.
08:31 Ils participent à des co-formations.
08:34 Cet engagement s'inscrit dans la tradition du compagnonnage.
08:38 Des compagnons de route, une famille disent certains, pour parler de lycème.
08:42 Les témoignages sont à contextualiser.
08:46 Plusieurs personnes interrogées l'ont d'ailleurs fait.
08:49 Il régnait une grande liberté d'organisation au sein des écoles et dans les classes dans les années 70-80.
08:55 Cela s'inscrivait dans la logique de la destruction de certaines institutions trop traditionnelles.
09:01 Dans la logique de mai 68.
09:04 Puis, on assiste en 2015 à une reprise en main de la hiérarchie.
09:08 Le décret Hamon, qui précise les conditions de la mise en place de la loi Payon,
09:12 cantonne l'école aux fondamentaux.
09:14 Livre, écrire, compter.
09:18 Les praticiens engagés ont rencontré des difficultés de nature différentes.
09:23 Avec les familles auxquelles ils devaient expliquer leur démarche et le fonctionnement de leur classe atypique.
09:28 Avec les collègues qui n'adhéraient pas nécessairement à leur fonctionnement.
09:32 Avec la hiérarchie.
09:34 Ils ont trouvé par le passé un soutien inconditionnel du mouvement.
09:39 Et dans leur groupe.
09:41 Certains disent qu'ils ont été plus épargnés que d'autres du fait d'une surexposition médiatique
09:47 consécutive à leur engagement politique ou syndical.
09:51 Et en moins, aucun ne regrette son engagement.
09:54 Même si certains précisent qu'aujourd'hui, ils feraient preuve de plus de prudence.
09:59 L'enseignant engagé est dans la posture du funambule.
10:06 Le Mésique Egor Jha parle de la bonne pratique.
10:10 La bonne pratique serait la mienne, celle que j'adopte.
10:14 La ou les autres seraient par conséquent de mauvaises pratiques.
10:18 Cette conception relativement jusqu'au bouddhiste est éminemment subjective.
10:23 En effet, ce qui est bon pour moi, ne l'est pas nécessairement pour autrui et inversement.
10:28 Les systèmes de valeurs diffèrent, les moyens et les attendus aussi.
10:32 C'est la raison pour laquelle chacun revendique être adepte et auteur de bonne pratique.
10:37 Souvent, les bonnes pratiques sont associées à des savoirs établis.
10:41 Mais elles peuvent découler de mises en place novatrices, adossées à des non-savoirs
10:45 ou à des supposés savoirs, qui parce qu'ils sont innovants ne sont pas connus
10:50 ni reconnus par les pères ou la communauté.
10:53 Ils ne sont pas plus figés dans le temps et résultent de tâtonnements,
10:57 d'adaptations à des situations en perpétuelle évolution.
11:01 C'est l'analyse a posteriori qui permettra de valider une pratique dans un contexte à préciser.
11:07 L'enseignant engagé en pédagogie freinée se situe sur ce fil.
11:11 Il est un funambule, celui qui sort du cadre, un aventurier, un novateur.
11:18 La posture du funambule est celle du professionnel qui arbitre entre la rigueur du cadre institutionnel
11:24 et la souplesse requise pour l'écoute des besoins de celle et ceux dont il a la charge,
11:29 entre la mise en distance et la proximité, dans une démarche autoréflexive.
11:35 Le funambule est engagé dans l'action qu'il mène, comme le précise Favre Saada.
11:41 Tricot parle de l'innovation qui consiste à s'adapter aux évolutions d'un système vivant.
11:48 L'enseignant qui innove dans sa classe ne cherche pas nécessairement à changer les missions de l'école,
11:53 mais à donner du sens à ce qu'il fait en apportant une réponse au plus près des besoins pressentis des élèves.
11:59 Cette posture correspond à une mission de l'innovation en pédagogie.
12:04 Pour Tricot, être plus efficace, c'est être plus efficient.
12:09 Ce qui est appelé innovation n'est d'ailleurs pas nécessairement inédit.
12:14 Philippe Mérieux insiste sur ce qui précède l'innovation.
12:19 C'est souvent dans la difficulté que le praticien innove.
12:22 C'est même grâce à elle qu'il cherche d'autres possibles remèdes et dispositifs déjà connus.
12:28 Mais l'innovation n'est pas gage de progrès.
12:32 Cela nous amène à différencier entre enseignants engagés en pédagogie freinée et militants freinés.
12:39 Un point commun, tous deux sont engagés et à ce titre, tous deux sont déséquilibristes.
12:46 La pédagogie est un outil de transformation de la société.
12:53 Et à ce titre, tous les enseignants sont engagés, comme le précise Jean-François Dupéreau.
12:59 Néanmoins, ils ne le sont pas tous de la même façon.
13:03 Notre propos présentait des enseignants engagés tels que définis par Yvreter.
13:08 Ils se caractérisent par leur croyance en l'éducabilité de tous.
13:13 L'engagement est alors un gage d'investissement personnel, un facilitateur et un frein,
13:18 qui dans certains cas peut avoir des conséquences personnelles.
13:22 L'enseignant engagé est un funambule qui évolue loin des certitudes,
13:26 un équilibriste qui se remet sans cesse en question,
13:30 qui adopte une posture réflexive pour ajuster, ce qui l'amène à innover.
13:35 Il fréquente des collectifs, des espaces d'échange et de soutien,
13:40 mais au quotidien il est seul, seul face à ses pairs, seul face à sa hiérarchie, seul face aux regards curieux.
13:48 Beaucoup d'enseignants engagés ont témoigné, leurs écrits éclairent le réel, comme le précise Frédéric Jésus.
13:55 Ce sera d'ailleurs l'objet d'un autre partage demain.
14:00 Je vous remercie.
14:04 Merci d'avoir regardé cette vidéo !

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