00:09 Mais parlons du dollar pour commencer avec Samy Char qui est avec nous en visioconférence, chef économiste de Lombardodier.
00:15 Bonjour et bienvenue Samy. Merci beaucoup d'être avec nous. C'est toujours passionnant de s'arrêter quelques minutes pour évoquer le sujet du dollar.
00:23 Vous l'avez fait d'ailleurs récemment dans un papier de recherche qui a été publié chez Lombardodier avec la question de la perspective moyen-long terme qu'on peut avoir pour le dollar.
00:34 Avant d'en venir à cette vision, Samy, un mot quand même de l'histoire de court terme qu'on observe depuis quelques semaines, à savoir le fait que depuis que Jérôme Powell a signalé une pause,
00:45 ou l'idée d'une pause début mai lors du précédent comité de politique monétaire de la réserve fédérale américaine, depuis ce moment-là, le dollar ne cesse de progresser contre un ensemble de devises.
00:56 Comment est-ce qu'on peut comprendre cette situation, ce raffermissement du dollar et comment est-ce qu'on le remet dans une perspective un peu plus moyen-long terme ?
01:04 À court terme, tout dépend du différentiel de taux d'intérêt, et notamment du différentiel de taux d'intérêt réel.
01:13 À très court terme, on a le sentiment qu'on a atteint un équilibre. La réserve fédérale américaine est proche de son apogée.
01:19 La Banque centrale européenne l'est également à 3,5 ou 3,75. On sent qu'on y est. Et puis l'inflation est en train de baisser dans les deux zones.
01:27 Donc le différentiel de taux d'intérêt réel entre l'Europe et les États-Unis me semble stable.
01:33 Et ça nous dit un dollar qui devrait végéter entre 1,05 et 1,10. On a un forecast fin d'année à 1,10 sur ce différentiel-là.
01:42 En revanche, ça bougera plus lorsque ce différentiel de taux d'intérêt va se faire défavorable au dollar.
01:49 C'est lorsqu'on aura atteint un niveau d'inflation plus confortable qui permettra aux banques centrales d'indiquer qu'elles vont peut-être commencer à baisser les taux en 2024.
01:58 Et comme la Fed a plus d'espace pour baisser les taux que les autres banques centrales, ça devra être négatif dollar.
02:04 Donc 1,05 / 1,10 aujourd'hui et probablement 1,15 / 1,20 au fur et à mesure qu'on s'engage dans 2024.
02:11 - Effectivement. Donc cette reprise du dollar, c'est pour vous une parenthèse dans une route qui est plutôt une route d'affaiblissement du dollar, en tout cas sur l'horizon fin d'année.
02:24 Samy, quand on parle d'un affaiblissement du dollar, évidemment on regarde la parité euro/dollar naturellement.
02:31 Est-ce que face à d'autres devises, on peut imaginer que le mouvement de baisse du dollar soit un mouvement prononcé, significatif ?
02:37 Quelles sont les devises face au dollar qui pourraient profiter de l'affaiblissement du dollar ?
02:42 - Alors lorsqu'on sera dans une tendance d'affaiblissement du dollar, en raison du différentiel d'intérêt, c'est-à-dire à partir du moment où la réserve fédérale américaine pourra couper les taux,
02:52 et on pense à la première baisse de taux en mars 2024, ce sera une dépréciation généralisée du dollar dans un environnement qui sera un environnement d'amélioration.
03:02 Lorsque la croissance mondiale va bien, généralement le dollar perd un petit peu de valeur contre le reste des devises,
03:08 puisque l'effet reste du monde versus les États-Unis s'épanouit, et c'est généralement dans ce contexte-là qu'on a une dépréciation un peu plus généralisée du dollar
03:18 sur un différentiel de croissance, favorable aux émergents, sur un différentiel d'intérêt, qui sera probablement favorable à l'euro, et également au yen.
03:27 Mais c'est un tout petit peu tôt pour imaginer cet affaiblissement du dollar généralisé, pour ça il faut vraiment que l'inflation revienne vers des niveaux plus confortables
03:36 et que la Fed puisse commencer à indiquer qu'elle baissera les taux en 2024, on n'en est pas encore complètement là, donc un certain équilibre autour de 1,05, 1,10 aujourd'hui.
03:45 Au-delà de ce cycle ou ce mini-cycle conjoncturel que vous décrivez, Samy, dans une vision plus prospective, et c'est d'ailleurs l'exercice auquel vous vous êtes attelé dans ce papier de recherche,
03:57 il y a cette volonté d'une partie du monde, peut-être même grandissante, de se dé-dollariser.
04:05 Comment est-ce que vous intégrez cette volonté affichée de la part de certains Etats, banques centrales, moins alignées peut-être que précédemment sur les intérêts du dollar et les intérêts américains,
04:17 comment ce facteur-là peut jouer dans une perspective de long terme quand on regarde la devise américaine ?
04:24 Oui Grégoire, on va beaucoup en entendre parler de cette dé-dollarisation, parce qu'à chaque fois que la valeur du dollar faiblit,
04:30 même si c'est en raison d'un différentiel d'intérêt, on va avoir tendance à parler de dé-dollarisation, et encore plus aujourd'hui, parce que vous l'avez très bien dit,
04:37 il y a une réalité géopolitique, une volonté peut-être de se protéger des sanctions à terme, et donc pourquoi pas se dé-dollariser, notamment quand on pense à certains gros émergents.
04:49 Le problème, c'est qu'on a une conviction très très forte sur la question, et on est ravi d'en débattre, mais c'est que c'est très difficile de se dé-dollariser à deux niveaux.
04:56 Déjà au niveau du stock, c'est que si vous avez beaucoup de réservants dollars, on pense aux Chinois qui en ont 3 500 milliards,
05:02 si vous voulez dé-dollariser, comment vous faites ? Il n'y a que 1 000 milliards de francs suisses disponibles,
05:08 elle est détenue par la Banque Nationale Suisse, pareil pour le Yen, les réservants Yen sont détenus par la Banque du Japon,
05:14 donc c'est difficile de trouver des actifs disponibles. Ensuite, au niveau de votre stock, si vraiment vraiment vous voulez dé-dollariser,
05:20 vous allez céder de la liquidité, puisque vous allez acheter une devise qui est moins disponible, vous allez lâcher de la sécurité,
05:27 par exemple si vous allez pour du renminbi chinois, vous avez à faire face à un compte de capital qui est fermé,
05:33 donc moins de sécurité institutionnelle, et vous allez devoir lâcher du rendement, parce que par exemple pour le renminbi,
05:39 la Banque Populaire de Chine paye 2 sur les réservants renminbi, alors qu'aujourd'hui la Fed paye 5 sur les réservants dollars.
05:47 Donc évidemment, gérer son stock de dollars pour quelque chose d'autre, on voit bien que c'est assez compliqué, sans rentrer dans les questions du flux,
05:55 c'est-à-dire que tous ces pays continuent de recevoir des dollars, parce qu'ils dépendent du consommateur américain,
06:00 c'est donc légitime de vouloir se dé-dollariser, en revanche, ce n'est pas toujours possible.
06:06 Effectivement, à l'instant T, ça paraît compliqué, est-ce qu'on peut réfléchir quand même à l'idée d'alternatives montantes
06:12 qui pourraient devenir crédibles à un moment, au moins partiellement pour certaines banques centrales ?
06:18 L'idée de l'euro à un moment était cette idée-là quand même, Samy ?
06:23 C'est un très bon point, Grégoire, c'est assez amusant d'ailleurs.
06:27 Si vous êtes brésilien, chinois, et que vous souhaitez dé-dollariser, est-ce que vraiment vous vous protégez des sanctions et du bloc dollar
06:36 en allant pour de l'euro, du sterlin ou du yén, qui sont très clairement, encore une fois, des alliés des États-Unis ?
06:42 Donc, vous ne parvenez pas à vos fins lorsque vous diversifiez votre stock dans de l'euro ou dans des devises alliées aux Américains.
06:50 Vous devez le faire dans un actif qui est, quelque part, en dehors du bloc dollar,
06:55 et là, je ne vois pas beaucoup d'alternatives au renminbi chinois, et donc, effectivement,
07:00 on voit bien quand même la difficulté à trouver une alternative, en tout cas en ce qui concerne le stock.
07:07 Est-ce qu'on peut imaginer la création d'alternatives presque ex nihilo ?
07:11 Je sais qu'au sein des BRICS, par exemple, la question peut-être de créer un actif commun qui pourrait être une monnaie,
07:18 au moins une monnaie de réserve, ce sont des sujets qui reviennent régulièrement,
07:22 alors qu'ils sont au niveau de la discussion, de la conversation verbale, aujourd'hui.
07:27 Mais ce sont des idées qui traînent, pour dire les choses trivialement.
07:31 C'est légitime. Alors, on a beaucoup parlé du stock. Est-ce qu'on peut trouver une alternative au stock,
07:37 le renminbi, peut-être d'autres émergents qui, comme vous l'avez si bien dit, créeraient une réserve ex nihilo ?
07:43 Le problème, si vous voulez vraiment dédollariser, c'est que vous devez gérer aussi le flux de réserve en dollars que vous continuez de recevoir.
07:51 Comprenez le mécanisme économique sous-jacent à ce flux de réserve en dollars.
07:56 La plupart des pays émergents, et notamment la Chine, sont très fiers d'avoir un excédent commercial,
08:02 donc de vendre leur production acquis essentiellement aux consommateurs américains.
08:07 Or, ce consommateur américain, il paye en quoi ? Il paye en dollars.
08:11 Donc, tous les pays émergents, et notamment la Chine, qui sont excédentaires par rapport aux États-Unis,
08:18 de facto vont continuer, mois après mois, à recevoir des dollars.
08:22 Donc, même si vous arrivez à gérer votre stock de dollars, votre problème, c'est que vous restez dans un fondamental de croissance
08:30 où vous accumulez du flux, mois après mois.
08:33 Et ça veut dire que si vous voulez vraiment vous dédollariser, notamment au niveau du flux, pas uniquement au niveau du stock,
08:40 vous devez changer votre modèle de croissance, et vous devez accepter de ne plus être excédentaire par rapport aux consommateurs américains.
08:46 Vous devez donc plus dépendre de votre propre consommateur ou d'un autre consommateur,
08:51 et là, encore une fois, on voit le manque de progrès qui est fait par la Chine au niveau de sa diversification économique.
08:58 Donc, pour conclure, le fait que le monde dépende encore autant du consommateur américain
09:04 fait que ce sera très difficile d'inverser ce flux de dollars qui se répartit sur l'ensemble de la planète.
09:10 Merci beaucoup pour ces réflexions, Samy. Merci d'avoir partagé avec nous vos vues, vos convictions de long terme, effectivement,
09:17 sur la difficulté de dédollariser le monde dans lequel on vit aujourd'hui, y compris sur des horizons de temps qui vont au-delà des prochaines semaines et des prochains mois.
09:26 Merci beaucoup, Samy. Samy Char, chef économiste de Lombardodier, qui est avec nous en visioconférence pour entamer cette émission.