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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11Personne n'a compris. Nous pouvons dire, je crois, à propos de ce dossier que personne n'a compris.
00:19Pourtant, l'enquête a été simple et le coupable a facilement avoué.
00:24Seulement personne n'a compris. Et l'on a peur, voyez-vous, de se dire que peut-être, il n'y avait rien à comprendre.
00:36Un meurtrier qui tue par amour, par vengeance, par jalousie ou par intérêt, on peut comprendre.
00:43On ne peut pas l'admettre, mais on comprend. Aussi horrible qu'elle soit, il y a une logique.
00:47On arrive même à comprendre les crimes de malade, d'obsédé.
00:52Quand il n'y a pas de mobile, il y a une folie apparente, un embryon d'explication.
00:57Mais quand il s'agit d'un homme, sain, de corps et d'esprit, d'un homme qui n'a pas de mobile et qui le reconnaît lui-même,
01:05là, on a peur parce qu'on ne comprend pas.
01:08Finalement, cette violence dont on parle tant, cette violence dont certains font un problème de société,
01:18n'est-elle pas cachée en chacun de nous ?
01:21Certains chercheurs le pensent, qui affirment,
01:23« L'attaque d'un homme par un autre est due à l'excitation d'un centre de la violence.
01:29Ce centre de la violence existe aussi chez l'animal.
01:33Nous avons réussi à l'isoler. »
01:36Ces mêmes chercheurs ajoutent cependant
01:38« La violence chez l'animal n'est jamais inutile.
01:45Seule la violence humaine a le privilège d'être gratuite. »
01:53Si gratuite que ce dossier en est le plus triste exemple.
02:06C'est un couple de Français moyens.
02:22Lui, 53 ans, elle, 52.
02:24Ils sont commerçants.
02:26Il est un peu rond et sympathiquement chauve.
02:29Elle n'a jamais été très belle, mais ils sont mariés depuis 20 ans.
02:33Ils se connaissent par cœur.
02:35Leur vie pourrait paraître médiocre à certains, eux, sans contente.
02:39En fait, il n'y a rien de médiocre à vendre des légumes,
02:41à se lever tôt, à jouer aux boules le dimanche et à passer ses vacances à la bourboule.
02:45En 20 ans de cette petite routine sage et laborieuse,
02:48M. et Mme Durand ont acquis un deuxième magasin,
02:51puis des actions dans un petit restaurant.
02:54Et mis à part les angoisses de la déclaration d'impôt annuel,
02:56« La bourse familiale se porte bien.
02:59On a un grand fils unique de 19 ans qui fait ses études.
03:03On le gâte un peu, c'est normal. »
03:05Et c'est tout.
03:07L'existence des Durand est un livre ouvert pour les voisins et les amis.
03:10Et il ne s'y passe pas de drame que la sécurité sociale ne puisse prendre en charge.
03:174 mars 1953.
03:19Il est 13 heures.
03:23M. Durand ferme le rideau de la boutique jusqu'à 16 heures.
03:28À 13h15, il retrouve sa femme et monte avec elle l'escalier de leur immeuble.
03:33Comme tous les jours, ils vont déjeuner vers 13h30 en compagnie de leur fils Gérard.
03:38Ensuite, M. Durand fera une petite sieste.
03:42Sa femme fera la vaisselle en bavardant avec Gérard.
03:44Et c'est après seulement qu'elle s'installera à la table de la salle à manger pour faire ses mots croisés.
03:49Avec un crayon, une gomme et un dictionnaire.
03:53Aujourd'hui est un jour comme les autres.
03:57Les événements se déroulent dans l'ordre sans surprise.
04:00Déjeuner.
04:02Sieste.
04:03Vaisselle.
04:05Mots croisés.
04:06La routine.
04:09La routine que plus rien jamais ne viendra déranger.
04:13La routine figée pour l'éternité.
04:17Avec l'horreur en plus.
04:23Il est maintenant 19h.
04:25Mme Luby, la vieille concierge de l'immeuble,
04:30somnole dans sa loge.
04:31Oh, d'un œil seulement.
04:33En réalité, aucune allée venue ne lui échappe.
04:36Par exemple, elle vient de voir monter la tente des Durand.
04:40Comme tous les mercredis, elle vient s'installer chez sa nièce pour aider à la lessive et au repassage.
04:45La tente monte péniblement les cinq étages sans ascenseur.
04:50Elle a sa clé.
04:52Elle ouvre.
04:55Et hurle.
04:56Un quart d'heure plus tard,
05:00le commissaire de police du quartier,
05:01deux inspecteurs et une armée d'agents en uniforme
05:04investissent l'appartement des Durand.
05:07Lui,
05:09on l'a tué sur son lit en pleine sieste.
05:11Elle,
05:13à la table de la salle à manger,
05:14en plein mot croisé.
05:16Ni l'un ni l'autre n'ont eu le temps de se défendre.
05:19Assommés à coups de matraque,
05:21défigurés à la hache,
05:23gorge tranchée au couteau.
05:26Pour l'instant,
05:28rien n'indique que l'on ait volé quoi que ce soit.
05:32Rien n'est fracturé.
05:33M. Durand a encore de l'argent dans son portefeuille.
05:37Il y a par terre des vêtements tachés,
05:38ceux du meurtrier selon toute vraisemblance
05:40et dont il a dû se débarrasser avant de s'enfuir.
05:42Une chemise,
05:43un pouleveur
05:44et une paire de chaussettes roulées en boule.
05:47Le commissaire demande à voir la famille s'il y en a.
05:50On lui dit que la tente s'est évanouie dans la loge de la concierge
05:53et que le fils ne va pas tarder à rentrer.
05:56L'heure des cours étant passée,
05:58nul ne sait où le joindre.
06:02A ce n'est jamais une tâche bien agréable
06:04pour un policier d'attendre au domicile de quelqu'un,
06:08d'attendre qu'il rentre,
06:10pour lui annoncer que sa famille est massacrée,
06:13que la vie n'est plus la même.
06:14Ce commissaire-là,
06:17qui attend ce jeune homme-là,
06:19assis sur une chaise de bois dans la petite cuisine,
06:23est encore plus ennuyé que d'habitude.
06:25Il arrive très souvent qu'un policier se fasse une idée immédiate
06:28en procédant aux premières constatations.
06:31Et il doit se méfier de cette première idée.
06:32Cependant,
06:34à force de côtoyer le crime,
06:36il est normal qu'instinctivement
06:37on le classe dans telle ou telle catégorie.
06:40Instinctivement,
06:40le commissaire a classé celui-ci dans une catégorie bien précise
06:43et avant même que ses hommes
06:44lui aient fait leur premier rapport.
06:46C'est surtout une question d'atmosphère générale.
06:51Or, il règne dans ce petit appartement de Français moyens,
06:53au cinquième étage d'un immeuble moyen,
06:56d'un quartier moyen,
06:57une atmosphère insolite.
07:00Ce n'est pas celle d'un crime crapuleux
07:02ou d'un crime de sadique.
07:04On dirait plutôt une vengeance.
07:07La vengeance d'un être
07:09qui connaît bien la maison et ses occupants.
07:12Une histoire de famille, en quelque sorte.
07:14La vieille tante qui a découvert le massacre
07:17en ouvrant la porte avec sa propre clé
07:18semble hors de cause dès le départ.
07:21D'abord,
07:22les vêtements abandonnés par le meurtrier
07:23sont des vêtements d'homme.
07:24Ensuite,
07:25on voit mal une femme de cet âge
07:26accomplir un double meurtre à la matraque,
07:29à la hache et au couteau.
07:31Non.
07:33Le commissaire a décidé d'attendre que le fils rentre.
07:36S'il rentre.
07:38Ce qui serait bien étonnant à son avis.
07:41Il est maintenant 21h.
07:46Dans la rue,
07:47l'ambulance et les brancardiers attendent
07:49car le commissaire a donné l'ordre
07:50de ne pas emmener les corps immédiatement.
07:53Pourtant,
07:53le photographe de l'identité judiciaire
07:54a terminé son travail.
07:55On a relevé les empreintes
07:56sur toutes les portes,
07:57les meubles,
07:58sur la matraque,
07:58la hachette,
07:59le couteau.
08:00Le commissaire a entendu
08:01les premiers témoignages des locataires
08:03et un groupe d'une dizaine de personnes
08:05rassemblées sur le trottoir
08:06commentent l'événement avec fébrilité.
08:07Gérard,
08:10le fils,
08:10n'est pas encore entré.
08:12La petite foule,
08:13avide de sensation,
08:14guette son retour
08:14avec autant de sympathie
08:15que de curiosité morbide.
08:18À 21h30,
08:20alors que le commissaire pense
08:21que le fils ne rentrera plus,
08:22il arrive.
08:23Il arrive accompagné d'un ami.
08:25Gérard Durand est arrivé
08:26au pied de son immeuble.
08:28Alors il est immédiatement
08:29assailli par les voisins
08:30et avant même
08:31que les policiers de garde
08:32aient pu l'approcher,
08:33il est mis au courant
08:33par la petite foule surexcitée.
08:35Tes parents,
08:35assassinez !
08:37Sois courageux !
08:38C'est horrible !
08:39Le pauvre garçon !
08:40Ne monte pas !
08:43Gérard Durand
08:44est un grand garçon mince
08:45à l'allure dégagée
08:46au visage ouvert.
08:48En ces années 50,
08:50où la folie de Saint-Germain-des-Prés
08:51permet aux jeunes
08:52toutes les fantaisies,
08:53Gérard est très correctement vêtu
08:54d'un complet classique,
08:56cravaté,
08:58par-dessus sévère.
09:00Il a l'air de ce qu'il est d'ailleurs,
09:01un garçon de 19 ans,
09:02de bonne famille,
09:02poli,
09:03bien élevé.
09:03face au commissaire de police
09:05dans l'antichambre
09:06de l'appartement de ses parents,
09:08qu'il reste un instant stupéfait,
09:10silencieux,
09:11le temps de comprendre
09:12ce qui s'est passé chez lui,
09:14et puis,
09:15il s'effondre.
09:17À genoux,
09:18dans le couloir,
09:19la tête dans les mains,
09:20secoué de sanglots.
09:23Il a besoin d'une bonne dizaine
09:25de minutes pour se remettre.
09:26Lorsqu'il a récupéré,
09:30il suit le commissaire silencieusement
09:31et détourne la tête
09:34au moment d'affronter
09:36le spectacle épouvantable
09:37du double meurtre
09:38de ses parents.
09:40S'il vous plaît,
09:41s'il vous plaît,
09:42je préfère ne pas voir.
09:44Je voudrais garder
09:45un bon souvenir
09:46du visage de mes parents.
09:49Dans les circonstances présentes,
09:51cette demande
09:52n'a rien d'anormal,
09:53elle est même
09:54fort compréhensible.
09:56C'est pourtant
09:57cette réflexion
09:58qui va convaincre
09:58le commissaire
09:59de la culpabilité
10:01de Gérard.
10:03Il acquiesce cependant
10:04à la demande du jeune homme,
10:05donne l'ordre
10:06de faire emporter les corps
10:07et prie Gérard
10:07de le suivre
10:08jusqu'à son bureau
10:09pour un premier interrogatoire.
10:13Et nous allons voir
10:13que le cas de Gérard
10:15est l'un des plus extraordinaires
10:17que la justice
10:18ait eu à examiner.
10:23Les récits extraordinaires
10:29de Pierre Bellemare,
10:30un podcast européen.
10:32Voici l'essentiel
10:33de l'interrogatoire
10:34de Gérard Durand
10:35qui dura une nuit
10:37et une journée entière.
10:39À quelle heure
10:43avez-vous quitté vos parents
10:44le jour du crime ?
10:47Quinze heures environ.
10:49Nous avons déjeuné
10:50comme d'habitude.
10:51Le repas terminé,
10:52je suis allé dans ma chambre
10:53faire un devoir
10:54de mathématiques,
10:54puis je me suis changé
10:56pour sortir.
10:58Mon père faisait
10:59la sieste dans sa chambre
11:00et maman faisait
11:01des mots croisés.
11:04Où êtes-vous allé ?
11:06Chez les parents
11:06de la fiancée
11:07en banlieue.
11:07J'ai pris le train
11:08à la gare Montparnasse.
11:10Oh, je suis resté
11:11deux heures chez eux
11:12et puis je suis rentré
11:13à Paris,
11:14j'ai fait un tour
11:14au quartier latin,
11:15j'ai rencontré
11:16un camarade,
11:16un voisin d'ailleurs
11:17et nous sommes rentrés
11:18ensemble.
11:20Vos parents
11:21avaient-ils des ennemis ?
11:23Absolument pas.
11:26Les vêtements
11:27que l'on a trouvés
11:27dans l'appartement
11:28entachés de sang
11:29vous appartiennent
11:30à un pullover
11:31et des chaussons.
11:33C'est exact.
11:34Comment expliquez-vous
11:37leur présence
11:37et les taches
11:39de sang ?
11:41Je suppose
11:41que l'assassin
11:42les a jetés
11:42volontairement
11:43sur le corps
11:44de mes parents
11:44ou bien
11:45qu'ils s'en aient
11:45servi pour tuer
11:46de façon à faire croire
11:47que c'était moi.
11:50La hache,
11:52la matraque
11:52et le couteau,
11:56vous les reconnaissez ?
11:59Ils appartenaient
12:00à mon père.
12:00Nous avons retrouvé
12:04des chaussettes
12:04roulées en boule
12:05sous un meuble
12:06et tachées de sang.
12:08Les reconnaissez-vous ?
12:11Elles sont à moi,
12:12c'est vrai.
12:15Donc,
12:16l'assassin portait
12:17votre pullover,
12:19vos chaussons
12:20et vos chaussettes.
12:24C'est possible,
12:25je me suis changé
12:26avant de partir.
12:29Vous n'avez pas
12:29changé de pantalon ?
12:30Ou si ?
12:31Si,
12:32c'est un pantalon
12:32de velours noir
12:33que je porte toujours
12:34à la maison.
12:36Celui-ci.
12:38Celui-ci.
12:41Nous l'avons retrouvé
12:42plié dans le placard
12:43de votre chambre.
12:46Il porte aussi
12:47des taches de sang.
12:48Je sais,
12:49je suis tombé un jour
12:50et je me suis blessé
12:50il y a longtemps.
12:52Mais il n'y a pas
12:53d'accroi à ce pantalon.
12:54Il a été reprisé.
12:55Il n'y a pas
12:56de reprise non plus.
12:57C'est vous
12:57qui avez tué vos parents.
12:59Oh non,
12:59ce n'est pas moi.
13:01Pourquoi avez-vous
13:02refusé d'identifier
13:04les corps ?
13:04Je l'ai dit.
13:06Je voulais garder
13:07un bon souvenir
13:08du visage
13:08de mes parents.
13:12Et comment
13:12saviez-vous
13:13que l'assassin
13:14les avait défigurés ?
13:17Comment
13:17saviez-vous
13:18qu'ils s'étaient acharnés
13:19sur leur visage
13:19à coups de matraques,
13:21de haches ?
13:22Personne ne vous l'a dit
13:23hier
13:23quand vous êtes rentrés.
13:25Je m'en doutais.
13:27Acceptez-vous
13:27de les revoir maintenant.
13:29Oh non !
13:29Oh non,
13:29je ne veux pas,
13:30je ne veux pas !
13:31C'est vous
13:31qui avez tué
13:32vos parents !
13:35Oui.
13:38C'est moi.
13:42Pourquoi ?
13:45Je ne sais pas.
13:46J'étais en colère.
13:55Voici maintenant,
13:56toujours d'après
13:56ses aveux,
13:57qu'il maintiendra,
13:58sans en changer un mot
13:59au cours du procès,
14:01ce qui a motivé
14:02cette colère.
14:04Le 4 mars 1953,
14:06le jour du meurtre,
14:08Gérard déjeune
14:09avec ses parents
14:10comme d'habitude.
14:10Le repas se passe
14:11sans incident notoire.
14:13À 14 heures,
14:15tous les trois
14:15quittent la table.
14:16Le père pour faire
14:17sa sieste,
14:19la mère pour faire
14:20la vaisselle.
14:21Gérard va aider
14:22sa mère dans la cuisine.
14:24C'est lui
14:24qui entame
14:25la conversation.
14:27Je vais voir
14:28les parents de Martine
14:28cet après-midi.
14:30Ils sont au courant
14:30de nos relations.
14:32J'ai l'intention
14:33de la demander
14:33en mariage.
14:34Oh !
14:36Tu devrais attendre un peu.
14:37Tu es bien jeune
14:38encore pour te marier.
14:39Et puis tes études
14:40ne sont pas terminées.
14:42Vous avez bien
14:42le temps d'y songer.
14:44Oh, ça m'est égal.
14:45Je ne veux pas attendre.
14:47Mais tu n'as pas
14:48de situation.
14:49Enfin,
14:49sois raisonnable.
14:51Écoute au moins
14:51les conseils
14:51de tes parents.
14:52Mais je n'ai pas besoin
14:53de conseils.
14:54Je ferai ce que je voudrais.
14:55Mais tu es mineur
14:56et nous ne te laisserons
14:57pas gâcher tes études.
14:58Enfin,
14:59nous sommes tes parents.
14:59Nous t'avons élevé
15:00et nous avons encore
15:01quelques droits sur toi.
15:03Tu as encore besoin
15:03de conseils,
15:04quoi que tu en dises.
15:05C'est tout.
15:11Écoutons maintenant Gérard
15:12se souvenir de ce qu'il a fait.
15:16Je suis parti dans ma chambre.
15:18J'étais en colère.
15:20Et là,
15:21je ne sais pas
15:21ce qui s'est passé en moi.
15:22J'ai eu brusquement
15:24envie de tuer mes parents.
15:25Sans hésiter,
15:27je suis entré
15:27dans la chambre
15:28de mon père qui dormait.
15:29J'ai pris sa matraque
15:30et je suis retourné
15:31à la cuisine.
15:32Ma mère avait la tête
15:33penchée sur son journal.
15:34Je me suis approché
15:35d'elle par derrière.
15:36Je l'ai frappé.
15:37La matraque s'est brisée
15:38en deux.
15:39Alors,
15:39j'ai pris la hache
15:39dans le coffre de bois
15:40et j'ai frappé
15:41à tour de bras.
15:43À partir de là,
15:44je ne sais plus exactement
15:45comment ça s'est passé.
15:46Je me suis retrouvé
15:47dans la chambre
15:47de mon père.
15:48J'ai encore frappé
15:49avec la hache.
15:51Je suis retourné
15:51dans la cuisine.
15:52J'ai pris un couteau.
15:52J'ai essayé
15:53de les égorger.
15:54J'ai jeté la hache.
15:56Je me suis lavé les mains.
15:57Je me suis changé rapidement.
15:58J'ai éparpillé
15:59mes vêtements sur le sol
16:00sauf mon pantalon
16:00que j'ai plié soigneusement
16:01dans l'armoire.
16:03Après ça,
16:03j'ai pris le train
16:04pour aller voir ma fiancée
16:05et ses parents.
16:08Vous connaissez la suite.
16:14L'enquête
16:14qui va précéder le procès
16:16n'apportera
16:16aucun élément nouveau
16:17en dehors des aveux
16:19du meurtrier
16:19sinon que c'était
16:21un fils unique
16:21plutôt gâté
16:22dont l'enfance
16:23s'est passée
16:24sans histoire,
16:25pas d'instinct morbide,
16:26rien qui puisse alimenter
16:27un rapport de psychiatre.
16:29Il est passionné
16:30de cinéma
16:30et rêve
16:31de devenir acteur.
16:32Il dispose
16:33de pas mal d'argent
16:33de poche
16:34pour sa vie de jeune homme.
16:35Il a même
16:35une garçonnière.
16:36Quand il est tombé
16:37amoureux de sa fiancée
16:37et a voulu l'épouser,
16:39il s'est heurté
16:39au refus de ses parents.
16:41Un refus provisoire
16:41semble-t-il
16:42et essentiellement basé
16:43sur le fait
16:44qu'il n'avait pas
16:44terminé ses études.
16:46Les parents de la jeune fille
16:47l'avaient accueilli
16:48avec gentillesse
16:49et l'on apprit
16:50au cours du procès
16:51qu'ils étaient favorables
16:52à ce mariage.
16:53Martine, elle,
16:54avait cependant refusé
16:55d'aller vivre avec Gérard
16:56dans sa garçonnière
16:57en attendant le mariage.
16:59Tout cela
16:59était fort convenable,
17:01fort bourgeois
17:02et l'on aurait volontiers
17:03compris une fugue
17:04ou une rupture
17:05entre Gérard
17:06et ses parents.
17:06Mais un massacre !
17:08Qui peut comprendre
17:09un tel massacre ?
17:12Le système de défense
17:14du jeune meurtrier
17:14est d'ailleurs
17:15extrêmement simple.
17:16J'ai été poussé au crime
17:19par une impulsion subite
17:20mais je n'ai gardé
17:23aucun souvenir
17:23des faits eux-mêmes.
17:25Je n'ai pas de mobile.
17:28Bien entendu,
17:28ces deux avocats,
17:29dont maître Maurice Garçon,
17:31vont plaider la folie.
17:33Le seul moyen pour eux
17:34de sauver la tête
17:34de ce criminel
17:35de 19 ans.
17:36Une folie passagère,
17:37bien entendu,
17:38car les cinq médecins psychiatres
17:39nommés par le ministère public
17:40refusent catégoriquement
17:41de considérer Gérard Durand
17:43comme un malade mental,
17:44bien au contraire.
17:45Pour eux,
17:45c'est un garçon intelligent,
17:48hautain,
17:49qui affecte une impassibilité
17:51et un sang-froid remarquables.
17:52Il ne regrette rien
17:53de ce qu'il a fait
17:54et n'en éprouve aucun remord.
17:56Et prétend-il
17:57aucun souvenir ?
18:00Les jurés vont cependant
18:02suivre la thèse
18:02du moment de folie.
18:04La seule possible
18:05pour eux d'ailleurs,
18:05et Gérard,
18:06est donc condamné
18:07à la réclusion perpétuelle.
18:10Impossible de guillotiner
18:11un homme
18:11qui n'a pas de mobile.
18:13Impossible
18:13de condamner à mort
18:14quelqu'un
18:15qui ne sait pas lui-même
18:16pourquoi il a tué.
18:18Impossible surtout
18:19d'empêcher de vivre
18:20ce jeune homme
18:21bien élevé,
18:21bien habillé,
18:22beau,
18:23dont le regard pâle
18:24et hautain
18:24ne se détourne pas,
18:26qui se tient droit
18:26dans son box
18:27et répond poliment
18:29à l'avocat général
18:30« J'ignore ce qui s'est passé.
18:32J'ai eu le sentiment
18:32d'être un spectateur,
18:34rien qu'un spectateur.
18:35Oh, je souhaite
18:36que l'on ne me parle plus
18:37du crime.
18:38Il ne m'intéresse pas.
18:39Je vis dans le présent.
18:40Je veux vivre. »
18:43Il vit sûrement
18:45quelque part
18:45en ce moment.
18:48Il doit avoir
18:49la quarantaine.
18:51Il doit être libre.
18:53Ou il l'est sûrement
18:54car il a dû bien
18:56se conduire en prison.
18:59Un jour,
18:59peut-être,
19:00ceux qui ont découvert
19:01ce fameux centre
19:02de la violence
19:02dans le cerveau du chat
19:04ou de la souris blanche,
19:06ceux qui,
19:06à volonté,
19:07peuvent faire
19:07d'une souris pacifique
19:09une souris agressive
19:10et d'un mâtou enragé
19:11et un miné apathique.
19:14Un jour,
19:14peut-être,
19:15comprendront-ils
19:16ce qui se passe
19:16dans le cerveau humain.
19:18Et comment on peut tuer
19:19sans être un fou
19:20ni un gangster ?
19:23Mais pourra-t-on
19:23jamais savoir pourquoi
19:24l'homme
19:25est le seul être
19:27au monde
19:27à tuer
19:29gratuitement ?
19:30Vous venez d'écouter
19:50les récits extraordinaires
19:52de Pierre Bellemare.
19:53Un podcast
19:54issu des archives
19:55d'Europe 1.
19:57Réalisation et composition musicale
19:59Julien Tarot
20:00Productions
20:01Estelle Laffont
20:02Patrimoine sonore
20:04Sylvaine Denis
20:05Laetitia Casanova
20:07Antoine Reclus
20:08Remerciements
20:09à Roselyne Bellemare
20:10Les récits extraordinaires
20:12sont disponibles
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20:14et l'appli
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