C'est un drame qui a choqué le France : l'assassinat en plein jour à Marseille du frère cadet d'Amine Kessaci, un jeune militant écologiste qui luttait contre le trafic de drogue. Un "crime d'intimidation" selon les autorités. Mais malgré les menaces qui pèsent sur lui, Amine Kessaci affirme qu'il ne se taira pas et qu'il est désormais engagé dans une lutte à mort. Pourquoi était-il visé ? Comment est-il devenu une figure du combat contre les trafiquants ? Une enquête signée Jérémy Normand, Julien Cressens, Juan Palencia et Lou Bourgoin.
00:0048 heures à peine, après les obsèques de son frère cadet, Amin Kessassi repart au combat.
00:11Une tournée médiatique, pour dire sa détermination intacte à lutter contre le narcotrafic.
00:20Mon petit frère m'est dit, et j'arrêterai pas de le dire, il est mort pour rien.
00:27Il est coupable que d'une seule chose, c'est d'avoir été mon petit frère.
00:31Et moi quand je vois mes mains, je vois le sang de mon frère.
00:35Parce que ces gens, ce qu'ils ont voulu faire, c'est me toucher à moi.
00:39Et comme ils ont pas pu, ils ont touché un jeune innocent, un petit garçon de 20 ans,
00:44qui avait rien fait, rien demandé à personne.
00:47Vous n'avez plus rien à perdre.
00:48Non, j'ai plus rien à perdre, et je l'ai dit, c'est une lutte à mort qui est engagée.
00:51Aujourd'hui, le militant des quartiers nord de Marseille, âgé de 22 ans, ne se déplace plus seul.
01:01Autour de lui, quatre policiers chargés d'assurer sa protection 24 heures sur 24.
01:07Amin considère lui que la parole est sa meilleure assurance vie face à la menace qui pèse désormais sur lui.
01:15« Si je veux vivre, je dois parler. Si les gens qui sont touchés, émus, sensibilisés par l'histoire de mon frère, par ce qui s'est passé,
01:27ils se doivent de prendre la parole. Si on est des milliers à prendre la parole, ils ne pourront pas tuer tout un peuple.
01:34Même si la douleur m'éparpille, même si le deuil est en moi, même si la morgue est en train de me narguer encore une fois,
01:42même si j'ai enterré un petit frère, c'est que jamais, jamais, personne ne doit mourir parce qu'il est le frère de quelqu'un.
01:49Jamais personne ne doit être assassiné parce qu'il est le frère d'un militant qui prend la parole.
01:54Jamais personne ne doit être menacé parce qu'il prend la parole. »
02:02Déjà mise à prix par les narcotrafiquants depuis trois mois, la vie d'Amine Kessassi a basculé dans l'horreur le jeudi 13 novembre dernier.
02:10Ce jour-là, des tueurs à moto abattent son frère en plein jour sur le parking d'une pharmacie de Marseille.
02:22Il s'appelait Mehdi, il avait 20 ans, il s'apprêtait à passer le concours de gardien de la paix pour devenir policier.
02:30Toute la semaine, les Marseillais sont venus lui rendre hommage.
02:37« Je suis triste pour sa famille parce que c'est eux surtout qu'il faut plâner. Tout le monde le disait, bien sûr. Parce qu'il ne suffit pas d'être au bon endroit ou simplement militer. Parce qu'en fait, il en faut des gens qui militent aussi. »
02:51« Maintenant, tout est permis. Tout est permis. Ça n'arrête plus. Ça va aller de plus en plus loin. »
03:03Quelques jours plus tôt, c'est le père du jeune homme qui s'était rendu sur place.
03:08« Images difficiles d'un homme effondré. »
03:17« Ils ont tué Mehdi. Il habite là. Sorti de la maison Tadar avec des balles. Il est là. Il est là, mon fils. »
03:26Mehdi Kessassi n'avait aucun lien avec le trafic de stupéfiants. À travers lui, c'est son frère que les tueurs auraient tenté de faire taire.
03:34Quelques jours après le drame, le président de la République réunit à l'Elysée les principaux acteurs de la lutte contre le narcotrafic.
03:45« Nous avons collectivement constaté que ce n'était évidemment pas un règlement de compte classique,
03:51comme on pouvait malheureusement déplorer dans le cadre du paysage de la lutte contre le trafic de stupéfiants,
03:56et que c'était manifestement un crime d'intimidation.
04:00Un crime d'intimidation. Et d'ailleurs, plusieurs personnes autour de la table ont évoqué le fait qu'il y avait ici un point de bascule.
04:11L'onde de choc parcourt toute la cité fosséenne.
04:18Jamais auparavant, quelqu'un n'avait été assassiné en raison de son lien de parenté avec un ennemi des trafiquants.
04:24Pour l'avocat de la famille Kessassi, ce meurtre rappelle les heures les plus sombres du règne de la French Connection,
04:34la toute puissante mafia marseillaise.
04:36Moi, je suis marseillais de naissance, et nous sommes pas loin d'un square qui s'appelle Pierre-Michel.
04:46C'est un juge d'instruction qui a été assassiné à Marseille en 1980,
04:50puisqu'il était en charge des dossiers de la French Connection.
04:54On avait parlé déjà du franchissement d'une étape à l'époque,
04:59donc c'est pour ça qu'à chaque fois, il y a des nouveaux points de bascule, donc il faut que ça cesse.
05:04Il ne faut pas que Mehdi meure deux fois, il ne faut pas qu'il meure dans l'indifférence,
05:09et que demain, on va passer à autre chose dans l'actualité, le budget, la guerre en Ukraine, ou que sais-je encore.
05:15Il faut que ce soit une prise d'acte, qu'il ne faut plus que ça continue comme ça,
05:19et qu'il faut mettre les moyens nécessaires pour pouvoir lutter.
05:25C'était ce jour-là la dernière interview de Maître Croizet,
05:28qui souhaite à présent s'effacer pour laisser la parole aux grands frères de Mehdi.
05:34Amine Kessassi,
05:38le gamin de Frévalon, filmé ici il y a quelques mois,
05:44s'est mué en farouche opposant aux narcotrafiquants,
05:46depuis que la mort a frappé sa famille une première fois, 5 ans plus tôt.
05:51Bonjour, ça va ?
05:53Ça va et toi ?
05:54Ça va.
05:55En 2020, le monde de cet adolescent des quartiers Nord s'effondre, alors qu'il n'a que 17 ans.
06:00Et c'était juste ici, on va passer devant.
06:03Son grand frère, Brahim, impliqué dans le trafic de drogue, est tué par balle et retrouvé brûlé dans le coffre d'une voiture.
06:14Ça se produit dans une telle violence, dans une telle atrocité,
06:19qu'on se dit, c'est pas possible, ça peut pas arriver.
06:21On peut pas retrouver un membre de sa famille avec qui on a grandi,
06:24qui nous a appris un tas de choses, qui a été un modèle pour nous, un repère pour nous.
06:29On peut pas se dire qu'on l'a retrouvé brûlé, qu'il a souffert avant de mourir,
06:33que justement, après ça, on est tellement blessés, on est tellement touchés qu'on s'endurcit.
06:46La mort de son frère aîné restera une cicatrice indélébile pour Amine.
06:52Avant-dernier d'une fratrie de 6 enfants, née d'un père mécanicien et d'une mère-femme de ménage.
06:57En fait, Obrahim était très, très, très naïf.
07:06Naïf et généreux.
07:08Il avait quand même sa vie, sa maison, sa femme, sa fille.
07:14Mais le mois de décembre, il venait souvent, souvent, souvent, souvent.
07:17Et il parlait de ses frères.
07:19« Ouais, je veux pas qu'ils fassent ci, je veux pas qu'ils fassent ça, je veux pas qu'ils sortent,
07:24je veux pas qu'ils manquent de respect. »
07:26Et là, je suis debout, j'ai une chemise...
07:28De ce drame personnel va naître le combat d'Amine pour sa ville.
07:31« Allez, je monte dans le quartier. »
07:33Enrayé l'emprise du narcotrafic, avant qu'il ne soit trop tard.
07:38« Bonjour, je suis avec madame. »
07:40« Oui, c'est bon. »
07:41« Super. »
07:43« Bonne vieille victoire. »
07:45Alors, lorsque, quelques mois plus tard,
07:47le président de la République se rend à la cité voisine de Bassens,
07:51le jeune des quartiers Nord se fraye un chemin au milieu des officiels
07:56pour interpeller directement le chef de l'État.
08:01« On a l'impression que le Messie a débarqué. »
08:04« Nous, les jeunes des quartiers Nord, on peut s'investir. »
08:06« Moi, ce que je voudrais vous dire, c'est que ça ne sert à rien
08:08de venir avec un plan qui a été fait dans un avion ou je ne sais où. »
08:11« Il faut que ce plan, vous le construisez avec nous, les élus locaux,
08:14avec nous, les associations, avec nous, les familles de victimes,
08:17parce qu'on a également un témoignage à apporter,
08:19parce qu'on a également un vécu, une histoire qui est très très importante
08:23et que... »
08:24« 17 ans. »
08:26« C'est énorme. »
08:27« Et moi, je... »
08:28« L'intervention du Minot fait mouche. »
08:35« Il lui ouvre les portes des plateaux de radio et télévision,
08:38sur lesquels il dénonce l'inaction des pouvoirs publics contre le trafic. »
08:43« Ça a laissé le temps aux dealers de s'organiser,
08:45ça a laissé le temps aux criminels de devenir plus barbares,
08:48parce qu'on le voit maintenant, ils se permettent d'assassiner en pleine journée.
08:51On a l'impression d'avoir une milice dans un État qui est pourtant la France
08:56et je vois plus de jeunes armés dans la rue que de policiers armés. »
09:01« Moi, je propose quelque chose qui est totalement faisable,
09:03puisque c'était déjà fait avant Nicolas Sarkozy.
09:06Une police de proximité, c'est ce qu'on demande tous. »
09:11Chez lui, à Marseille, Amine réunit régulièrement les familles endeuillées
09:14par la guerre de la drogue, qui a fait 149 morts en 5 ans.
09:18Des groupes de parole organisés par l'association Conscience qui l'a créé,
09:23filmés ici pour un documentaire qui lui était consacré en février dernier.
09:27« J'ai porté mon fils en juillet dernier.
09:31Ce n'était pas un règlement de compte, c'était une jalousie amoureuse. »
09:36« Quand vous parlez de vos enfants, vous n'avez pas à vous justifier,
09:38tu n'as pas à dire « moi, mon fils, ce n'était pas ci, ce n'était pas... »
09:41« Il a été assassiné tout court. »
09:43« Moi, je m'oppose au terme de victime collatérale. »
09:45« La politique de la ville a fait qu'il y a eu de Marseille. »
09:49« Marseille, c'est la Joliette. »
09:51« À partir de la Joliette, c'est tous les quartiers sud. »
09:53« Et après l'autre, c'est peut-être Cali, ou Medellin, ou Bogota. »
09:59« Dans cette ville coupée en deux, les quartiers nord sont devenus le théâtre des affrontements entre bandes rivales. »
10:10« Il y a quelques années, l'une de nos équipes a pu s'y rendre. »
10:14« On va arriver vers le charbon. »
10:15« Pour tenter de comprendre l'engrenage mortel dans lequel tombent tant de jeunes. »
10:20« Comme ces deux adolescents, qui se présentent comme des chouffes, des guetteurs. »
10:24« Là, c'est l'entrée du quartier. Les clients rentrent par là, c'est la seule entrée en voiture possible. »
10:29« Comme tous les jeunes, on a besoin d'argent, on a besoin de s'acheter des habits. »
10:33« On voit les autres qui s'habillent bien, on a envie de s'habiller bien. »
10:35« Nous, on a arrêté l'école pour avoir de l'argent. »
10:37« Parce que nous, on n'aime pas l'école. »
10:39« Et on est venu pour travailler, pour aider nos familles. »
10:42« Et ça consiste à quoi, votre job ? »
10:44« Assis debout, ce que vous voulez. »
10:46« Tant que tu es à ton poste, tu restes à l'affût, tu cries quand il y a la police, c'est bon. »
10:50Un jeu du chat et de la souris, avec la police.
10:54« Devenu le quotidien de ces quartiers. »
11:04« Pas d'animosité, les gars, ne rentre pas dans l'eau, faites votre travail. »
11:07« Voilà. Ce n'est pas des méchants jeunes, vous faites votre travail, il n'y a pas de souci. »
11:11Ce jour-là, un éducateur tente de s'interposer.
11:15« Les gars, ne lâchez rien, ne lâchez rien. »
11:17« Il vous parle, il vous parle, il n'arrive pas à respirer, les gars, les gars. »
11:27Trois dealers sont interpellés.
11:29« C'est bon, l'attention va redescendre. »
11:31Mais à peine les policiers partis, le point de deal s'apprête déjà à rouvrir.
11:35« C'est à ces jeunes et à tous les autres qui grandissent ici que le militant associatif tente de s'adresser. »
11:54« Tant qu'on ne se mobilise pas pour nos quartiers, les choses ne vont pas changer. »
11:56« On doit se mobiliser pour nos quartiers. »
11:58Pour les rallier à sa cause.
11:59« J'ai perdu des collègues. »
12:01« C'est pour leur maman qu'on va marcher. »
12:03« Je veux vraiment montrer aux jeunes que la drogue en soi, ils ne sont pas encore au courant, mais c'est juste des pions. »
12:10« Après, en fait, les gens, ils ont lâché l'affaire. »
12:13« Oui, et on va vivre comme ça, du coup ? »
12:17À 20 ans, son engagement devient politique au sein du parti Europe Écologie-Les Verts.
12:23Après la dissolution de l'Assemblée nationale en juin 2024,
12:26il est le candidat du nouveau Front populaire dans sa circonscription.
12:29À ses côtés pour le soutenir, son frère cadet, Mehdi, mort la semaine dernière.
12:35« Le voir s'engager politiquement, alors que c'est un domaine assez dur, surtout pour un jeune comme mieux,
12:43du coup, ça me fait plaisir et je suis 100% fier de lui. »
12:48Qualifié au second tour, il échoue à 800 voix près face à la candidate du Rassemblement national.
12:54Qu'importe cette défaite électorale, le jeune homme poursuit son combat contre la drogue.
13:02Cette fois, à travers l'écriture d'un livre au sous-titre tristement prémonitoire,
13:07« Vivre et mourir en terre de narcotrafic ».
13:10C'est justement à l'approche de la parution du livre
13:16que les menaces des narcotrafiquants s'étaient faites plus pressantes,
13:20au point qu'Amine soit placée sous protection policière dès le mois d'août dernier.
13:24Depuis l'assassinat de son frère, même les militants associatifs,
13:28habitués à prendre la parole, préfèrent désormais rester discrets.
13:32« Par souci de sécurité, voilà, je ne pouvais pas faire cette interview avec vous. »
13:38« Parce que vous avez peur de représailles ? »
13:40« C'est ça, c'est ça, j'ai peur de tout le monde, donc voilà. »
13:48« Parler, ça a toujours été une crainte, mais là, actuellement, ce n'est pas envisageable pour moi. »
13:55« C'est une personne importante dans l'utilisateur associatif qui a vécu dans les silences,
14:02et la relève, elle n'est pas évidente. »
14:03« Voilà ce que je peux vous dire. »
14:13« Chacun, vous mettez déjà une paire de gants. »
14:17« On va raser, on va troncer. »
14:20« On va faire un boulot, un peu de carrossier, parce qu'on va préparer la carrosserie à être peinte. »
14:27Éducateur emblématique des quartiers nord, Mohamed Benmédour ne compte pas se taire.
14:34Depuis 12 ans, il essaie de tirer les jeunes de sa ville vers le haut, loin des trafics.
14:41« J'ai embauché quelques petits assistants que j'ai trouvés dans le quartier. »
14:47Au programme aujourd'hui, préparation du nouveau camion qui lui servira de stand itinérant dans les cités.
14:51« Je vais tourner dans les cités, la nuit, je vais déployer des tables, des chaises, discuter avec eux,
15:00aider les jeunes à sortir de l'impasse, de la délinquance, des trafics, de la misère sociale. »
15:06« Fais attention à ce que tu fais, ok ? »
15:09« Ce qui se passe, c'est vrai que ça laisse toujours à réfléchir. »
15:13« Après, moi, à titre personnel, je ne pense pas être inquiet,
15:19parce que les jeunes me connaissent.
15:22J'ai toujours une relation, un dialogue, même avec les jeunes, malheureusement,
15:27qui ont basculé de l'autre côté de la frontière.
15:31Et je garde toujours aussi cet espoir-là, même si c'est vrai que ça fait un peu peur. »
15:38Face à la précarité, il tente, comme le fait Amin Kessassi,
15:42d'offrir à ses préadolescents un autre horizon que celui du trafic.
15:45Car la pieuvre, comme on l'appelle ici, s'étend vers des proies toujours plus jeunes.
15:52Comme nous le confie Ryan, 12 ans.
15:56« Aujourd'hui, tu ne peux plus te promener avec ta mère d'or,
16:01sans avoir peur de te prendre une balle perdue,
16:04ou de voir cette transaction se faire devant toi.
16:07J'ai des amis qui s'habillent comme eux,
16:12se font les gestes comme eux,
16:15qui essaient au plus, au plus, au plus de leur ressembler.
16:19Ça les amuse, c'est une vie excitante.
16:21J'évite au plus de les côtoyer,
16:24parce que, comme on dit, une pomme moisie à côté d'une autre,
16:28l'autre va forcément finir pour moisir. »
16:31« Qu'est-ce que tu aimerais dire à Amin Kessassi ? »
16:34« Qu'il ne faut jamais arrêter son combat,
16:36car s'il arrête son combat,
16:38ça fait encore plus de jeunes et de personnes innocentes
16:42qui vont se faire tirer dessus. »
16:50Dans son combat, Amin Kessassi souhaite emmener tout un peuple
16:54« Justice pour Mehdi ! Justice pour Mehdi ! »
16:59au nom de ses frères.
17:00« Mon frère Mehdi voulait être gardien de la paix.
17:04Il faut que la paix revienne dans nos quartiers. »
17:0816 jours après, plus de 6000 personnes se sont réunies à Marseille,
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