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  • il y a 2 jours
Société : Les Attentats de Novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, récit de Caroline Langlade, une des victimes des attentats (Fr,Nov 2022)

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Transcription
00:00...
00:00Je me suis rendue au concert avec mon compagnon.
00:25C'était son anniversaire la veille, donc ça faisait partie tes cadeaux.
00:28Mauvais cadeau, je pense.
00:31On est monté au balcon, parce que le patacle emplacement est libre.
00:36À un moment donné, pendant le concert, j'entends des bruits.
00:41Et pour moi, c'est des pétards.
00:43Et pour moi, ça fait partie du show.
00:45Et c'est Josh Ohm, le cofondateur du groupe, qui est en train d'arriver.
00:49Je me dis que la surprise est super, mais qu'en même temps,
00:52c'est un peu des cow-boys qui sont un peu cons de faire ça
00:54quasiment un an après Charlie Hebdo.
00:56Je passe à priori dix bonnes minutes, douze minutes, sur ma chaise à regarder.
01:03Et je ne comprends vraiment pas ce qui se passe.
01:05Donc je vois les gens tomber les uns sur les autres dans la fosse.
01:09Et je me rappelle me dire, c'est magnifique, j'assiste à un flash mob.
01:12Je n'étais pas au courant.
01:14Et c'est génial de pouvoir assister à ça.
01:15Et puis, à un moment donné, par ce balcon, en dessous, je vois dépasser petit à petit une tige en métal.
01:23Et puis, d'un seul coup, je vois ce que moi, je considère comme un spationaute.
01:27Donc le cerveau, en fait, fait des choses un peu bizarres.
01:31Et quelqu'un qui s'était assis devant moi dix minutes avant que ça commence à tirer,
01:36dont je m'étais dit, j'espère qu'il ne va pas me cacher le concert, parce que je ne voyais plus rien.
01:41J'ai un peu l'habitude d'avoir des grands devant moi au ciné ou au concert.
01:46Je vois un flash et cette personne devant moi bascule et tombe au sol, en fait.
01:50Et là, mon compagnon qui est au sol, qui est allongé depuis déjà dix bonnes minutes, se relève,
01:54constate que je suis toujours assis sur mon siège, que je n'imprime pas du tout,
01:58me tire en hurlant et me dit, allonge-toi, allonge-toi.
02:02Donc là, je m'allonge, je me retrouve face à face avec une femme qui est paniquée totale.
02:07Et je ne sais pas pourquoi, je lui dis, ne t'inquiète pas, ça va aller.
02:10Donc, grande optimiste devant l'éternel, je pense.
02:13Donc, on se retrouve allongé le balcon en rampant.
02:17On a des tirs qui proviennent de l'arrière, qui correspondent en fait aux deux qui sont montés au balcon,
02:21donc qui sont en train d'arriver.
02:23On arrive dans ce couloir, en fait, qui mène à une première loge qui est à l'étage,
02:26puis à une deuxième qui est à un inter-étage,
02:28et qui mène normalement cet escalier à une issue de secours.
02:33Et au moment d'arriver sur le dernier escalier qui me donne vue sur l'issue de secours,
02:37je constate que mon compagnon n'est plus avec moi.
02:40On s'est perdu dans cette espèce de marasme humain,
02:43qui est les gens qui descendent nos escaliers.
02:46Et je me retrouve, né à né, avec un détireur,
02:49qui tire devant moi, en fait, et qui tue toutes les personnes en bas des escaliers.
02:52Donc là, je comprends qu'on n'a pas vraiment d'issue.
02:56Je remonte en hurlant, je trouve mon compagnon,
02:58je lui attrape la main, je lui dis qu'il faut qu'on parte.
03:02Je jure l'après les gens pour que les gens remontent,
03:05et on se retrouve à 40 dans une loge.
03:08Donc on ferme la porte, des gens commencent à barricader la porte,
03:12et en fait, au moment où le canapé va pour passer dans la porte,
03:16on entend hurler derrière la porte des coups et des voix de femmes.
03:20En fait, il y a deux femmes qui nous disent, on veut s'en suppler, ouvrez-nous.
03:22Donc la porte se réouvre.
03:24Et là, elle rentre, et au moment où elle rentre,
03:29je me rappelle très bien voir le début de l'arme qui arrive par en bas.
03:33Donc là, il faut vraiment fermer, et on ferme la porte sur des gens, en fait,
03:37qui sont dehors, parce qu'on n'a plus le choix.
03:40J'essaye d'appeler la police.
03:42Les réseaux sont saturés, donc l'appel n'aboutit pas.
03:44Et en fait, là, je me retrouve dans une situation où je me dis,
03:49sur qui je peux compter, quoi qu'il se passe,
03:51et quelle que soit la mer dans laquelle je suis encore capable de me mettre,
03:54ma mère.
03:55Et donc j'appelle ma mère, qui habite à Nancy,
03:58et je lui explique que je suis au Bataclan,
04:00qu'il y a des tireurs, qu'il y a des morts,
04:02et qu'il faut absolument prévenir la police de Nancy
04:04pour qu'elle appelle la police de Paris.
04:06Ce qui a été fait, ma mère m'a dit, juste, OK.
04:09Ça a été ma seule discussion avec elle.
04:13Donc là, j'ai fait éteindre les lampes,
04:15fermer les fenêtres, et compagnie.
04:17Et après, on a attendu trois heures dans le noir,
04:21avec un terroriste qui revenait régulièrement
04:23pour me dire qu'on ne sortirait pas vivant.
04:26Et on a eu une chance folle, c'est qu'en fait,
04:28sur ces 40 personnes, il y a eu un esprit de groupe
04:31et une cohésion d'entre elles,
04:33et de solidarité très forte, en fait.
04:35Donc du coup, ça a permis de mener des actions,
04:39ensemble, et que tout se passe bien, entre guillemets.
04:43Et on est sortis à une heure moins le quart.
04:46Et quand on est sortis, là, ça a commencé à être compliqué.
04:51On est passés par l'intérieur de la salle,
04:53on a vu tout ce qu'on a vu,
04:56que je ne souhaite absolument à personne.
04:59On a mis premier pied dehors,
05:00et là, la première chose que j'ai dit à mon compagnon,
05:02c'est le début des emmerdes commencent.
05:04Quand on est sortis du Bataclan,
05:08on a été déplacés dans une cour.
05:10Nous, on est à gare, complètement, on vient de sortir.
05:13On est à gare, donc nous, on est un peu des bébés,
05:15c'est-à-dire faim, soif, pipi, téléphone, batterie, basta.
05:18Mais je veux dire, on ne s'exprime pas, on n'est pas là.
05:21Ah, bonjour, alors comment vous vous appelez ?
05:22Non, pas du tout.
05:24Et il y a deux filles, je suis avec mon compagnon,
05:26il y a deux filles dans la cour,
05:29qui sont à 2 mètres de moi, qui me regardent.
05:32Il y en a une qui me regarde avec un sourire très chaleureux,
05:36et qui est là, genre,
05:39genre, je suis là, tu vois,
05:40si tu as besoin, je suis là, tu n'hésites pas.
05:43Et puis il y a l'autre qui est stressée, quoi,
05:48et qui bouge comme ça, et qui ne sait pas quoi faire,
05:50qui a envie de faire quelque chose,
05:51mais c'est tellement énorme
05:53qu'elle ne sait pas quoi faire de ce truc.
05:54Et puis à un moment donné, je lui dis,
05:57il faut que j'aille aux toilettes, vous avez les toilettes.
06:00Et là, ça y est, elle a une action à faire,
06:01donc elle me prend sous le bras,
06:03et elle me dit, parce que je l'ai retrouvée après,
06:05elle me dit, à partir du moment où je t'ai pris le bras,
06:08je ne pouvais plus te lâcher.
06:10J'étais là pour toi, je ne pouvais plus
06:12ne pas m'occuper de toi,
06:13donc il fallait que je te tienne, quoi.
06:16Et donc toute la soirée, elle s'occupe de nous et compagnie,
06:18et à un moment donné, on nous appelle,
06:20on nous dit, il y a des navets qui partent à la mairie du 11ème.
06:22En fait, on ne nous dit même pas,
06:23on nous dit, regroupez-vous,
06:25mettez-vous en rang,
06:26on nous sort,
06:29donc au final, on ne dit même pas au revoir aux gens.
06:32Il y a un mec incroyable
06:33qui me poursuit avec cette tasse de café bouillante,
06:36en me disant, mais prends cette tasse,
06:38et je lui dis, mais il est bouillant, je ne peux pas le boire,
06:39on doit partir, il me fait, je m'en fous, garde la tasse.
06:42Et le mec a filé des couettes, des machins,
06:44enfin il a filé la moitié de son appartement aux gens,
06:46qui ne reverra peut-être jamais,
06:48mais il s'en fout, il donne, il donne,
06:50il est arrivé avec des tablettes de chocolat,
06:51enfin, voilà, tout ce qu'ils pouvaient donner,
06:53ces gens, en fait, ce soir-là,
06:54on nous en donnait, mais tout,
06:56ils auraient pu nous donner leur chemise,
06:57il y a des gens qui ont filé leurs vêtements à des gens,
07:00enfin, c'était impressionnant,
07:02donc on nous a emmenés à la mairie du 11ème,
07:03on nous a repris nos identités,
07:06et puis on nous a dit de rentrer chez nous,
07:08et on nous a dit, on vous rappelle,
07:09et on ne nous a pas rappelé.
07:10Puis un jour, je passe devant le Bataclan,
07:14je descends dans la cour,
07:18et là, j'entends derrière moi,
07:20mais oui, c'est elle,
07:21mais tu vois, je te l'ai dit, c'est elle !
07:23Et je me retourne,
07:24et je tombe sur ces deux femmes,
07:26dont je n'aurais absolument pas pu retrouver la trace,
07:30parce que je ne savais pas ni comment elles s'appelaient,
07:32ni un truc très spécifique,
07:34et elles me disent qu'en fait,
07:35ça fait un mois et demi qu'elles me chargent partout,
07:37qu'elles m'ont vue à la télé,
07:38et qu'enfin elles respiraient,
07:39parce qu'elles savaient que j'allais bien,
07:40et que c'était tout ce qui les importait,
07:42et puis on commence à papoter,
07:44et je découvre qu'une d'entre elles est d'origine syrienne.
07:48Et bien, ça, si ce n'est pas un gros doigt honneur
07:50à ces trous du cul qui nous ont tirés de ce soir-là,
07:53la personne la plus gentille que j'ai rencontrée ce soir-là,
07:56une des personnes qui a juste été incroyable d'humanité,
08:00et bien elle est syrienne.
08:01Là, je me suis dit, en fait, la vie, elle est belle, quoi.
08:04La vie, elle est belle.
08:05Je crois que c'est la première fois que je me suis dit
08:06que la vie, elle est vraiment, elle est surprenante,
08:09et elle est belle dans l'après-13 novembre, ce jour-là.
08:12Sous-titrage Société Radio-Canada
08:15Sous-titrage Société Radio-Canada
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