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  • il y a 2 jours
Société : Attentats de Paris et Saint-Denis de Novembre 2015 Témoignage de Clara Koulaimah

Mort d'une victime Justine Moulin

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Transcription
00:00...
00:00Alors moi le 13 novembre, au soir, je devais aller dîner avec Justine
00:26et finalement je n'y suis pas allée parce que mon père rentrait de voyage ce soir-là,
00:30ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vue,
00:32et le petit Cambodge n'était pas très loin de chez moi,
00:34je lui avais dit je vous rejoins après pour le dessert ou qu'on boit un verre plus tard.
00:40J'ai reçu un message d'elle à 21h21,
00:44et ensuite la personne avec qui j'étais m'annonce qu'elle fusillade dans le 10e arrondissement,
00:50donc là j'ai essayé de l'appeler,
00:52Justine est quelqu'un qui a toujours son téléphone avec elle,
00:55qui répond toujours au téléphone de jour comme de nuit,
00:59et donc bon j'ai pas eu de réponse,
01:01j'étais un peu...
01:02mais j'étais pas vraiment inquiète parce que...
01:04Déjà on savait pas que c'était des attentats,
01:06c'était une fusillade, donc c'était un peu un acte isolé,
01:09et moi je suis de nature assez confiante,
01:12enfin en tout cas j'étais de nature assez confiante,
01:14et ça me semblait, j'ai même pas pensé en fait qu'il ait pu lui arriver quelque chose à elle,
01:22et ensuite sa mère m'a téléphoné pour me demander où on était,
01:27j'ai réussi à contacter Amalie, la jeune fille qui dînait avec elle ce soir-là,
01:32et elle m'a répondu que oui elles étaient au petit Cambodge,
01:37qu'il y avait une fusillade,
01:38elle était aux toilettes pendant que ça s'est passé,
01:40et que quand elle est sortie, il y avait plein de morts, du sang partout,
01:44et que Justine était vivante, mais qu'elle était blessée à l'estomac, voilà.
01:49Donc moi j'ai tout de suite recontacté sa mère pour la prévenir,
01:53et sa mère a gardé la tête très froide,
01:56elle a tout de suite commencé à téléphoner aux hôpitaux,
02:01voilà, pour essayer de la retrouver, parce que son amie avait perdu sa trace.
02:04Donc on a passé la nuit à chercher Justine,
02:07ses deux frères ont pris la voiture et sont allés dans les hôpitaux,
02:12déposer des photos de Justine avec leur numéro de téléphone.
02:15Isabelle est restée chez elle, elle a fait ça depuis la maison.
02:19Les heures se sont écoulées,
02:22moi j'ai commencé à prévenir quelques amis proches que j'avais en commun avec Justine,
02:26parce que tout de suite, quand on a appris qu'il y avait eu cette fusillade,
02:30et puis une deuxième, et une troisième,
02:31et le Bataclan sur Facebook, il y a eu un message qui permettait d'alerter tout son cercle d'amis,
02:40qu'on était bien en sécurité, etc.
02:42Tout le monde voyait que sur la page de Justine, personne ne l'avait activée,
02:46et Justine c'était la seule à ne pas répondre.
02:49Et donc, moi j'étais pas très inquiète,
02:53parce que je savais qu'elle était blessée.
02:57J'étais persuadée qu'on était en train de l'opérer,
02:59qu'elle était inconsciente,
03:00et que le lendemain matin, elle allait dire
03:01« je m'appelle Justine Boulin »,
03:03téléphonait à mes parents, et « je suis vivante ».
03:06Et après, on a appris la mort de Justine le lendemain matin.
03:10Sa mère l'a appris par l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière,
03:13qui l'a contactée,
03:15et on leur a dit que leur fille était morte,
03:18qu'elle avait eu une balle dans le cerveau,
03:20qui était passée par l'œil,
03:22qu'elle était dans le coma toute la nuit,
03:23et qu'elle était morte au petit matin.
03:25Et donc, tout de suite,
03:28Isabelle, donc la maman de Justine,
03:30son ex-mari, le père de Justine,
03:32et les deux grands frères sont allés à l'hôpital.
03:35Isabelle n'a pas souhaité voir le corps,
03:38mais ses deux grands frères et son père
03:40ont passé plusieurs heures à veiller
03:42auprès de Justine.
03:46J'ai recontacté Amalie,
03:49elle est venue chez moi,
03:50elle est venue déjeuner à la maison.
03:51On a beaucoup discuté,
03:53je lui ai raconté, je lui ai dit
03:54que l'estomac, elle n'avait rien.
03:55Amalie, elle m'a dit,
03:57mais Clara, je t'assure, moi je l'ai vue,
03:59j'avais sa tête entre mes mains,
04:01elle n'avait rien à la tête,
04:03je n'ai rien vu.
04:04Et je lui ai demandé,
04:05est-ce qu'elle était de face,
04:07est-ce qu'elle était penchée,
04:08elle m'a dit non,
04:09elle était comme ça,
04:10et elle n'avait rien, rien du tout.
04:12Et Amalie a un moment,
04:16elle, elle a passé plusieurs jours
04:18à se dire un peu qu'elle était folle,
04:20qu'il y avait quelque chose
04:21qui clochait dans son histoire,
04:23et que ce qu'elle était sûre d'avoir vu
04:25de ses propres yeux
04:26n'était pas réel.
04:28Et elle a passé plusieurs jours comme ça,
04:31et on a tous passé plusieurs jours
04:32à se dire qu'il y avait un problème quelque part.
04:34Et ensuite, c'est seulement le mercredi
04:38qu'on a appris
04:40que la jeune fille qui était à l'hôpital
04:44avec une base dans le cerveau,
04:46ce n'était pas Justine,
04:48et que Justine était depuis le vendredi soir
04:51à l'Institut Médico-Légal.
04:54Et voilà, et donc on a appris
04:56que la jeune fille qui était à l'hôpital
04:59nous a dit que c'était Justine,
05:01et c'est la jeune fille sur laquelle
05:02les deux frères de Justine
05:04ont veillé pendant plusieurs heures.
05:05C'était une jeune fille qui s'appelle Lola,
05:08qui avait 17 ans,
05:09et qui est, je crois,
05:10la plus jeune victime des attentats.
05:13Et il se trouve que cette fille
05:14n'était même pas au Petit Cambodge,
05:16elle était au Bataclan,
05:17donc ce n'est pas les mêmes lieux,
05:19ce n'est pas non plus les mêmes horaires,
05:20parce que le Bataclan,
05:21ça s'est passé beaucoup plus tard
05:22que la tuerie du 10e arrondissement.
05:27Et donc voilà,
05:28et donc là, le mystère s'est résolu.
05:32Donc moi, la première personne
05:33que j'ai contactée, évidemment,
05:34c'est Amalie,
05:35pour lui expliquer qu'elle n'était pas folle,
05:38qu'elle avait raison.
05:39Et c'est vrai que ça a été vraiment horrible.
05:44Horrible parce que...
05:47Enfin moi, quand on m'a annoncé la nouvelle,
05:48et ça a été pareil pour la famille de Justine,
05:52j'ai l'impression que ça recommençait,
05:55que ça n'allait jamais s'arrêter, en fait,
05:57qu'on avait appris la mort de Justine,
05:59ensuite on avait appris que ce n'était pas elle,
06:00et on se disait, mais qu'est-ce qui va se passer ensuite ?
06:03Je comprends que les hôpitaux ont fait un travail admirable,
06:07qu'ils étaient bouleversés par les événements
06:10et par la situation,
06:12que c'était quelque chose
06:12qu'ils n'avaient pas été amenés à gérer auparavant.
06:16Mais voilà, je ne comprends pas vraiment
06:18pourquoi on n'a pas demandé une confirmation.
06:22Quand la famille de Justine est arrivée à l'hôpital
06:25de la Pitié-Salpêtrière le samedi matin,
06:28à aucun moment, on leur a demandé de reconnaître le corps,
06:32de confirmer l'identification.
06:35Moi, c'est quelque chose...
06:36Enfin, tout ce monde-là, c'est quelque chose
06:38qui m'était complètement inconnue avant,
06:42et donc c'est vrai que moi, c'est quelque chose
06:43que j'ai surtout vu dans les films,
06:46où voilà, on demande,
06:47est-ce que vous pouvez confirmer
06:48que c'est votre fille, que c'est votre sœur ?
06:50Oui, non, et on attend une réponse.
06:52À aucun moment, on leur a demandé.
06:53Eux, ils avaient passé une nuit sans dormir
06:55à faire le tour des hôpitaux de Paris.
06:57On leur apprend que leur fille ou que leur sœur est morte.
07:00Donc, on leur dit qu'ils ne vont pas la reconnaître,
07:04que son visage est bandé.
07:05Donc, à aucun moment, ils n'ont remis en doute
07:07la parole des médecins.
07:09Ils leur ont fait pleinement confiance.
07:11Donc, quand ils sont arrivés dans la chambre,
07:15ils ont vu en fait seulement son visage.
07:17Et de son visage, ils ont vu une toute petite partie,
07:20puisqu'elle était presque entièrement bandée.
07:23Son corps, ils ne l'ont pas vue.
07:24Donc, ils n'ont pas vu ses mains.
07:26Et puis, on ne leur a jamais demandé de confirmer.
07:30Donc, c'est vrai qu'ils n'ont pas eu de doute.
07:32Ils ne sont pas posé la question.
07:34On va vérifier si c'est bien elle.
07:36Et la réponse qui a été donnée par l'hôpital,
07:40c'est qu'à ce moment-là,
07:42il leur semblait que cette fille, c'était Justine.
07:45On ne sait pas pourquoi.
07:47Et qu'ils se sont un peu précipités dans l'identification,
07:52que ça a été une erreur pour nous, pour Justine,
07:55mais que pour d'autres familles, ça les a beaucoup aidés
07:57parce que le corps de leurs enfants a été identifié très vite.
08:01Et donc, ils ont pu avoir une réponse rapidement
08:04et ne pas perdre de temps.
08:06Après, moi, je pense que pour la famille de Lola,
08:07ça a dû être pire encore
08:10parce qu'eux n'avaient pas le corps de Justine.
08:13Eux, ils n'avaient rien.
08:14Donc, pendant cinq jours, ils étaient sans nouvelles.
08:17Ils n'avaient pas de corps, pas d'hôpital, pas d'endroit, rien.
08:22Elle n'était sur aucune liste
08:23puisqu'elle n'avait été identifiée par personne.
08:26Et nous, au moins, on savait qu'elle était morte.
08:31Donc, après, voilà, pas forcément de la même manière,
08:34mais on savait qu'elle était morte
08:35et on l'a pris très rapidement.
08:36La famille de Lola a dû attendre cinq jours pour avoir des nouvelles.
08:40Et c'est vrai qu'en cinq jours,
08:41vous imaginez ce qui peut se passer dans la tête des proches.
08:46Et je pense qu'en cinq jours,
08:47on garde quand même un espoir qu'elle soit vivante quelque part,
08:51incapable de se souvenir de qui elle est,
08:54incapable de parler, que sais-je encore.
08:57Je me suis refait le film dans ma tête des centaines et des centaines de fois.
09:04Et parfois, je me dis que peut-être que si j'étais allée,
09:07j'aurais dit, venez, on va ailleurs.
09:10Je n'ai pas envie d'aller dans ce restaurant, on va dans un autre.
09:13Ou on ne se met pas sur cette table-là qui est près de la fenêtre,
09:18on se met au fond.
09:19Il y a des gens qui ont survécu là-bas.
09:21Ou après, peut-être que c'est moi qui serais allée aux toilettes
09:23ou que c'est Justine qui serait allée aux toilettes
09:25ou qu'on serait partie plus tôt.
09:28Parce que c'est vrai que quand Justine est morte,
09:29elle avait sa carte bleue dans les mains,
09:31elle était en train de payer.
09:32Donc à cinq minutes près,
09:35elle aurait pu, elle aussi, y échapper.
09:37Donc j'ai passé beaucoup de temps à m'imaginer
09:42ce que ça aurait pu être,
09:44comment les choses auraient pu changer.
09:45Mais après, c'est vrai que les choses sont comme elles sont
09:48et malheureusement, on ne peut pas revenir en arrière.
09:52J'ai accepté de témoigner parce que Justine, c'était mon amie
09:55et qu'aujourd'hui, à part prier pour elle
09:59et à l'effleurir, ça tombe.
10:01C'est la seule chose que je peux faire.
10:03Et s'il y a encore des choses que je peux faire pour elle aujourd'hui,
10:06ça me fait vraiment plaisir.
10:08Et c'est aussi une manière de dire encore son nom
10:11et que les gens n'oublient pas
10:13et que les gens n'oublient pas qu'il y a eu Justine
10:16et il y a eu aussi 129 autres personnes
10:18qui sont mortes ce soir-là.
10:29Sous-titrage Société Radio-Canada
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