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  • il y a 2 jours
Napoléon n’a jamais cessé d’occuper notre imaginaire collectif. Deux siècles après sa mort, il continue d’alimenter débats, passions et controverses. Chef de guerre, législateur, réformateur, conquérant ou visionnaire... les qualificatifs ne manquent pas. Mais au-delà du mythe, que reste-t-il aujourd’hui de Napoléon ?
C’est la question que pose Thierry Lentz dans son dernier ouvrage, "Napoléon et le monde : 1769-2025", paru aux éditions Belin. Un livre ambitieux, qui embrasse plus de deux siècles d’histoire pour retracer non seulement la trajectoire de l’Empereur à travers son époque, mais aussi celle de son influence sur le monde contemporain.
De l’Europe du début du XIXᵉ siècle aux sociétés globalisées d’aujourd’hui, Thierry Lentz interroge la manière dont Napoléon a façonné notre modernité politique, administrative et culturelle. Comment ce Corse devenu Empereur a-t-il pensé le monde ? Et comment, après sa mort, son image a-t-elle continué à le "posséder", selon la formule de Chateaubriand ?
C’est ce parcours, - de l’histoire à la mémoire, du réel à la légende - que nous allons explorer avec lui aujourd’hui, dans "Passé-Présent".

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Éducation
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00:08le double, 2 millions sur les réseaux sociaux et 250 millions de vues en quelques années.
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00:23le sérieux et la crédibilité pour se démarquer du lot commun.
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01:05Sous-titrage Société Radio-Canada
01:10Bonjour à tous.
01:37Napoléon n'a jamais cessé d'occuper notre imaginaire collectif.
01:41Deux siècles après sa mort, il continue d'alimenter débats, passions et controverses.
01:46Chef de guerre, législateur, réformateur, conquérant ou visionnaire,
01:51les qualificatifs ne manquent pas.
01:53Mais au-delà du mythe, que reste-t-il aujourd'hui de Napoléon ?
01:56C'est la question que pose Thierry Lenz dans son dernier ouvrage,
01:59Napoléon et le monde, 1769-2025, paru aux éditions Belin.
02:04Un livre ambitieux qui embrasse plus de deux siècles d'histoire
02:07pour retracer non seulement la trajectoire de l'empereur à travers son époque,
02:11mais aussi celle de son influence sur le monde contemporain.
02:13De l'Europe du début du 19e siècle aux sociétés globalisées d'aujourd'hui,
02:17Thierry Lenz interroge la manière dont Napoléon a façonné
02:19notre modernité politique, administrative et culturelle.
02:23Comment ce Corse, devenu empereur, a-t-il pensé le monde ?
02:26Et comment, après sa mort, son image a-t-elle continué à le posséder,
02:30selon la formule de Châteaubriand ?
02:32C'est ce parcours unique au monde, de l'histoire à la mémoire,
02:34du réel à la légende, que nous allons explorer aujourd'hui avec lui dans Passé Présent.
02:40Thierry Lenz, bonjour.
02:41Bonjour.
02:41Merci, je suis ravi de vous recevoir enfin.
02:44Vous êtes l'un de nos plus fins connaisseurs de l'histoire napoléonienne,
02:48directeur général de la Fondation Napoléon,
02:50professeur associé à l'ISS, Institut catholique de Vendée.
02:54Vous êtes l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages sur Napoléon Bonaparte,
02:57le consulat et l'Empire.
02:58Alors, je ne vais pas tous les citer, je vais en citer quelques-uns.
03:01Une nouvelle histoire du Premier Empire en quatre tomes,
03:04édité chez Fayard entre 2002 et 2010.
03:08Le Congrès de Vienne, une refondation de l'Europe,
03:10chez Perrin en 2013.
03:12Je crois qu'il a été réédité également dans la collection Tempus,
03:16la collection de poche de Perrin.
03:18Napoléon, le dictionnaire historique, toujours chez Perrin,
03:22paru en 2020 et l'année suivante en 2021.
03:25C'était celle du bicentenaire, nous en reparlerons.
03:27Un pour Napoléon, édité toujours chez Perrin, je l'ai dit.
03:31Enfin, Napoléon et le monde, 1769-2025,
03:35chez Belin, dans la collection Repères,
03:38dirigée par Joël Cornette.
03:41Alors, avant toute chose, une question sur le titre,
03:43qui est un titre ambitieux, Napoléon et le monde,
03:46et surtout, que signifie cette extension jusqu'à notre époque ?
03:50– Alors, c'était, en fait, c'est une idée que j'ai partagée
03:54avec mon éditeur, Arthur Chevalier, au cours de discussions.
03:58On voulait, cette collection Repères, qui est une collection un peu prestigieuse,
04:02chercher des titres d'histoire contemporaine.
04:04Ils avaient pensé à Napoléon, et lorsque nous en avons discuté,
04:08nous nous sommes dit, peut-être pas encore une biographie de Napoléon,
04:12une histoire de Napoléon, mais pourquoi pas ?
04:16Alors, je vais utiliser un mot avec un titre que nous avons formellement refusé,
04:21mais c'était un peu une histoire mondiale de Napoléon.
04:23– Oui, c'est vrai.
04:24– On n'a pas voulu utiliser ce titre, parce qu'aujourd'hui, vous le savez,
04:28beaucoup de ces histoires sont mondiales.
04:30Il faut être mondial, sinon, alors voilà.
04:32Donc, nous, on a choisi Napoléon et le monde,
04:35à la fois ce que Napoléon savait du monde, ce qu'il a voulu en faire,
04:40et surtout ce que le monde en a fait ensuite,
04:43c'est ce qui nous amène jusqu'à nos jours.
04:45– Alors, est-ce que vous considérez ce livre
04:47comme une forme d'aboutissement de travaux, ou c'est une étape ?
04:51– Oui, alors, j'espère que non, j'aimerais en faire encore d'autres,
04:56mais c'est vrai que c'est un livre où j'ai mis,
04:58enfin, la question, combien de temps vous avez mis à l'écrire,
05:02j'ai répondu 40 ans la dernière fois, c'est un petit peu ça,
05:05c'est-à-dire que j'ai essayé, au moins dans les deux premières parties,
05:09de dire ce que je savais sur le sujet, voilà.
05:13Et puis, dans la troisième partie, qui est beaucoup plus originale
05:16par rapport à mes travaux précédents,
05:19c'est ce que le monde a fait de Napoléon,
05:21parce qu'on s'aperçoit que c'est un sujet qui, au fond,
05:24a été assez peu étudié.
05:26– Donc, ça veut dire qu'on doit penser Napoléon à l'échelle du monde,
05:29et non pas, il faut dépasser le cadre européen.
05:32– Alors, son action reste européenne, on va dire eurasiatique,
05:36puisqu'il va quand même jusqu'à Moscou, à un moment donné,
05:38il va un petit peu en Égypte,
05:40mais c'est le retentissement de son action qui est mondial,
05:45parce qu'à l'époque où il règne, où il gouverne,
05:48l'Europe domine le monde.
05:49Elle domine le monde à tout point de vue,
05:51et qu'évidemment, chaque décision prise en Europe a un impact sur le monde.
05:56On le voit aujourd'hui avec d'autres superpuissances.
05:59La Chine s'enrume, nous toussons.
06:02– Alors, votre livre est articulé en deux parties, vous l'avez dit,
06:07et vous vous appuyez sur la citation connue de Châteaubriand,
06:11« Vivant, il a manqué le monde », on expliquera,
06:13et mort, il le possède.
06:16Et alors, vous nous montrez déjà, au début, un Napoléon passionné par la géographie,
06:23voire un Napoléon voyageur.
06:26– Oui.
06:26– Est-ce que c'est surprenant pour l'époque ?
06:29– Alors, c'est surprenant pour l'époque d'avoir pu voyager,
06:32parce qu'on voyageait assez peu, c'était à la fois coûteux et très long,
06:36on s'est passé à cheval ou en voiture attelée.
06:38En revanche, il y avait, chez les Français de la fin du XVIIIe siècle,
06:43je pense chez les Européens en général, une espèce d'appétit géographique.
06:47Alors, qui était un appétit, pour une géographie qui était un petit peu,
06:53on va dire une science exacte, pour trouver son chemin.
06:55Longitude, latitude, c'est la grande époque où on se met à calculer tout ça.
06:59Mais en même temps, chez Napoléon, qui a lu des auteurs très classiques,
07:04comme Jean Bodin ou Montesquieu,
07:07chez Napoléon, il y a une idée un peu de géographie humaine
07:11qui commence à poindre, presque de géopolitique,
07:15qui est assez intéressante pour un personnage
07:17qui a eu l'occasion d'influencer le monde par son idée de la géographie.
07:22Alors, il n'est pas le seul, évidemment,
07:25mais quand on regarde son parcours,
07:29on s'aperçoit que dans les écoles militaires,
07:31à Brienne ou à Paris,
07:32on lui a fait étudier la géographie,
07:34que ses lectures personnelles, dont il nous reste beaucoup de notes,
07:39sont des lectures à cheval entre l'histoire et la géographie.
07:42Donc, il avait déjà une connaissance livresque du monde
07:45qui était, on va dire, au-dessus de la moyenne de son époque.
07:50– Et est-ce qu'on en parlera,
07:51mais est-ce qu'il a tenu compte, finalement,
07:53de ses connaissances géopolitiques par la suite ?
07:55– Alors, il en a tenu compte,
07:57contrairement à ce qu'on pourrait croire au premier abord.
07:59On a l'impression que tout ça est ératique,
08:02le conquérant qui veut aller toujours plus loin.
08:04Non, je pense qu'il a vraiment bien réfléchi
08:06à l'idée géopolitique.
08:10C'est vrai aussi que, dans sa carrière,
08:12les années postérieures à 1807,
08:15qui est vraiment l'apogée de l'Empire,
08:17parce que là, il a tout gagné.
08:18Il a donc tous les choix à faire.
08:21Et il va faire plusieurs mauvais choix.
08:23Mais jusque-là, il a presque donné des leçons
08:27de géopolitique à ses collègues souverains,
08:31si l'on peut dire.
08:32La fameuse lettre au roi de Prusse,
08:33la politique des États tient dans leur géographie.
08:36C'est une phrase qu'on cite sans arrêt.
08:37Une réelle phrase écrite par Napoléon au roi de Prusse.
08:41– Et concernant ses voyages,
08:43la campagne d'Italie, l'Égypte,
08:46est-ce que l'Égypte l'a marquée ?
08:47– Alors, l'Égypte l'a marquée
08:49dans la mesure où c'est connaissance avec l'Orient.
08:52Mais là aussi, même s'il a fait du tourisme,
08:55il a visité les pyramides,
08:57il est allé voir le Sphinx,
08:59il est allé voir l'ancien,
09:00l'ex-canal de Suez creusé par les pharaons,
09:03parce qu'il avait lui-même l'attention
09:05d'en creuser un.
09:06Mais bon, c'est de la guerre quand même,
09:09c'est de la guerre et de la politique.
09:10Simplement, il a montré une connaissance du pays
09:15dès ses premières décisions.
09:16Il avait beaucoup lu avant d'aller en Égypte.
09:18Il a lu sur le bateau,
09:20il avait apporté à peu près 400 ouvrages
09:21qui concernaient l'Égypte.
09:23Et donc, ces décisions étaient quand même adaptées,
09:26on va dire, à la sociologie du pays,
09:28et notamment vis-à-vis de la religion musulmane.
09:31Il a été, on va dire, très prudent,
09:35sans pour autant embrasser cette religion,
09:37comme on peut le dire sur certains sites salafistes,
09:39aujourd'hui.
09:40mais il a tenu compte de cette géographie humaine,
09:46on va dire.
09:47– Alors, vous dressez dans le livre d'introduction,
09:49enfin, vous dressez un tableau très précis
09:51de l'état du monde en ce début de 19e siècle.
09:55Enfin non, vous commencez moitié 18e.
09:58Et vous allez loin, vous allez en Amérique, bien sûr,
10:00mais aussi en Chine et en Afrique.
10:03Alors, est-ce que le futur empereur, lui,
10:05avait aussi une connaissance
10:06ou une conscience de ses équilibres mondiaux ?
10:10– Il s'est intéressé à toutes les parties du monde.
10:13Alors, évidemment, il y en a qui étaient en relation directe
10:16avec l'Europe et son empire à lui plus tard,
10:21l'Amérique, évidemment, l'Afrique du Nord,
10:24le Proche-Orient, comme nous disons aujourd'hui,
10:27évidemment la Grande-Europe.
10:29Et puis, il s'est intéressé,
10:31mais sans approfondir le sujet, à la Chine, au Japon,
10:35les Indes, évidemment, qui sont le grand sujet économique de l'époque.
10:40Qui domine les Indes domine le monde
10:42à cause des matières premières disponibles aux Indes.
10:46Et d'ailleurs, tout mène à couper la route des Indes,
10:50comme on disait à l'époque, sur le plan maritime,
10:52mais sur le plan terrestre, parce qu'on se dit toujours,
10:56pourquoi est-il allé en Égypte pour couper la route des Indes ?
10:59C'est parce que la route terrestre des Indes
11:02passe exactement à cet endroit-là,
11:04c'est-à-dire qu'elle passe au nord de la Perse,
11:06elle se dirige vers la Méditerranée,
11:07elle éclate un peu dans l'Israël actuel,
11:10si vous voulez, le nord de l'Égypte.
11:12Ce qui fait qu'aller en Égypte,
11:14c'était effectivement menacer la route des Indes.
11:17– Et je voudrais, vous parliez,
11:19est-ce qu'il conçoit des relations futures
11:22avec les jeunes puissances,
11:24je pense surtout aux États-Unis, adolescents ?
11:26Est-ce qu'il a la préscience peut-être de la puissance future ?
11:30– Alors, il a la préscience de la puissance économique des États-Unis,
11:34ça c'est clair, pour eux ce sont des boutiquiers.
11:36– Oui, ils sont des boutiquiers, oui.
11:38– Des boutiquiers qui sont en plus des Anglais
11:41égarés aux frontières de la civilisation,
11:44comme disait Talleyrand.
11:45Ceci étant, il les respecte,
11:48il les favorise avec la vente de la Louisiane, évidemment,
11:50il permet aux États-Unis de doubler leur superficie
11:53et d'aller vers l'ouest.
11:55Ceci étant dit, sur le plan militaire et maritime,
11:58il n'a pas une grande estime pour eux.
12:01Il va essayer de s'en faire des alliés contre l'Angleterre.
12:04Alors, il y a effectivement une guerre anglo-américaine en 1812,
12:08mais ce n'est pas une guerre napoléonienne,
12:09c'est une guerre vraiment pour terminer l'application des traités,
12:13parce que les Anglais n'ont pas respecté le traité de Paris de 1763.
12:18– Alors, quelle est sa vision de l'Europe ?
12:21On m'a dit, il aurait voulu en faire un système fédéral,
12:23mais en tout cas, est-ce qu'il veut en faire un système organisé ?
12:26Et si oui, comment ?
12:27Est-ce que c'est sous domination française,
12:29une fédération de royaumes,
12:30pour passer sa famille ?
12:32– Alors, d'abord, il faut dire que c'est un héritier,
12:34c'est-à-dire qu'il n'a pas inventé sa politique extérieure.
12:38C'est la politique extérieure de la Révolution française,
12:41mais aussi de l'Ancien Régime,
12:42depuis François 1er, on va dire très clairement Louis XIV.
12:45Donc, il va essayer de terminer cette œuvre,
12:49on va dire, pas d'hégémonie de prépondérance européenne de la France,
12:53et il le fait, non pas de façon brouillonne.
12:57Le centre du système qu'il veut créer en Europe,
13:01c'est l'Europe occidentale, c'est l'Empire d'Occident de Charlemagne.
13:04Il se réfère à Charlemagne,
13:06il crée au fond le même empire que Charlemagne,
13:09à un moment donné,
13:10et on va dire, pour nous,
13:12et pour certains de nos contemporains,
13:14c'est l'Europe des six, on va dire, grosso modo,
13:16l'Empire français, c'est l'Europe des six.
13:19Après, tout le reste doit être organisé autour de ce noyau dur
13:23qui est l'Empire français,
13:25soit avec des alliés obligés,
13:28les royaumes frères,
13:30la Hollande, l'Italie,
13:32le royaume de Naples, l'Espagne,
13:34et puis des alliés un petit peu forcés,
13:39mais quand même assez indépendants,
13:41la Confédération du Rhin,
13:42ça c'est un très grand problème en histoire napoléonienne,
13:46la Confédération du Rhin,
13:47c'est-à-dire la réunion des États allemands
13:49qui, pour échapper à la Prusse et à l'Autriche,
13:52se tournent vers la France
13:52et créent une alliance importante avec eux.
13:57Et puis, il y a l'allié qui va surveiller l'Orient du continent,
14:00alors ça va être au début la Russie,
14:03ça ne marche pas,
14:05il va se tourner vers l'Autriche
14:06parce que, pour lui,
14:09il faut monter la garde
14:10aux portes de l'Europe occidentale
14:13qui est, pour lui, le nœud du problème,
14:16le centre du monde, on va dire.
14:18– Alors, on entend souvent Napoléon, c'est la guerre.
14:23En 1807, il est tout puissant.
14:27Comment expliquez-vous qu'il ne puisse pas maintenir
14:29justement une paix durable ?
14:32– Mais c'est un peu…
14:33Il tombe un peu dans le problème
14:37de tous ces hommes à qui tout a réussi.
14:40L'étape suivante,
14:41elle est toujours très difficile à définir,
14:43c'est-à-dire, est-ce que l'étape suivante,
14:45c'est je me contente de ce que j'ai
14:46et je l'organise,
14:48ou est-ce que c'est,
14:49ah ben tiens, j'ai une bonne chance
14:50de pouvoir encore aller plus loin et j'y vais.
14:52Alors Napoléon a choisi cette voie,
14:54c'est un peu l'hubris,
14:55comme on dit,
14:57qui a touché tous les conquérants,
14:58les conquérants devraient lire des livres d'histoire,
15:00parce qu'à un moment donné,
15:02ils se rendraient compte que tout n'est pas possible.
15:04Et lui, il fait des choix qui sont
15:06presque des choix inutiles.
15:08L'affaire d'Espagne, c'est parfaitement inutile
15:09d'aller placer un Bonaparte sur le trône espagnol.
15:12L'Espagne est un satellite de la France
15:14qui n'a, mais alors vraiment,
15:16aucune marge de manœuvre par rapport à la France.
15:18Donc, ce n'est pas la peine d'avoir un roi d'Espagne
15:19qui soit Bonaparte.
15:21Mais là, il se voit un peu Louis XIV,
15:23ma dynastie va régner un peu partout, etc.
15:27L'histoire de la Russie est aussi invraisemblable.
15:31Alors, les torts sont partagés.
15:33C'est quand même les Russes qui déclenchent la guerre.
15:35Mais lui, il a mis en place un tel outil militaire
15:37qu'il va vouloir aller jusqu'au bout.
15:40Et il n'y arrivera pas.
15:41– Parce que finalement, vous dites,
15:42les Russes déclenchent la guerre,
15:43les Anglais également.
15:44Ce n'est pas lui qui, à chaque fois…
15:45– Il faut reconnaître que…
15:46– Ce n'est pas lui qui commence,
15:46comme on dit dans les cours.
15:47– Oui, nous disions tout à l'heure, c'est un héritier.
15:49Et c'est aussi un héritier des guerres de la Révolution française.
15:54Jusqu'à la guerre de 1809 contre l'Autriche,
15:56il n'y a pas une seule guerre qui a été déclenchée par Napoléon.
15:59Je parle d'une guerre internationale, si l'on veut.
16:02Bon, l'Espagne, c'est autre chose.
16:04C'est une espèce d'occupation du territoire.
16:08Mais jusque-là, il est clairement l'héritier de la Révolution française.
16:13L'étape d'après, c'est la Russie.
16:14Je pense que la Russie avait de bonnes raisons
16:18de faire la guerre à Napoléon.
16:19Elle l'a cherchée, très clairement.
16:22Maintenant, Napoléon, lui, s'est un peu laissé piéger par les Russes
16:25qui l'ont attiré très, très loin sur leur territoire.
16:28Et c'est là qu'on voit peut-être sa faiblesse de l'étude de la géographie
16:32parce que, évidemment, les distances n'étaient vraiment pas les mêmes.
16:37Les reliefs n'étaient pas les mêmes.
16:39La plaine russe, c'est quelque chose de déprimant.
16:41Les ressources naturelles n'étaient pas les mêmes.
16:43Et l'hiver, évidemment, là, on peut dire qu'il ne l'avait pas prévu.
16:48On a parlé de l'Espagne.
16:50Mais on y reviendra peut-être après dans, justement, les conséquences
16:53parce que ça a des conséquences très loin, jusqu'en Amérique latine.
16:57Je voudrais arriver à la chute.
16:58Est-ce que la chute de Napoléon, on dit qu'il a laissé la France plus petite
17:01qu'il ne l'a trouvée.
17:02Est-ce que, mais en termes de puissance,
17:05vous dites que sa chute marque également la chute de la France
17:08en tant que véritable puissance.
17:10– Oui, on peut le dire.
17:11Alors, évidemment, il y a la suite de l'histoire,
17:13montre une France qui est puissante,
17:15qui sait gagner la Première Guerre mondiale, etc.
17:17Mais elle ne peut plus être seule.
17:19Et là, comment dire, c'est la fin du rêve français de prépondérance.
17:25De prépondérance européenne et mondiale.
17:26La France, en 1789 et, mettons, en 1810, est la superpuissance mondiale.
17:34Elle peut agir seule.
17:37Après la chute de Napoléon, il faut toujours l'autorisation de l'Angleterre
17:42dans un premier temps et celle des États-Unis dans un deuxième temps.
17:45C'est-à-dire qu'elle garde une forme de puissance,
17:48mais ça n'est plus une puissance qui lui permet d'être totalement indépendante.
17:52– Alors, je voudrais qu'on s'arrête un instant sur le Congrès de Vienne,
17:57auquel vous avez consacré d'ailleurs un ouvrage.
18:00Est-ce que le Congrès de Vienne, est-ce un retour à l'ordre ancien ?
18:05– Alors, c'est un retour, on va dire, à des frontières
18:07qui ressemblent aux frontières anciennes,
18:09même si la carte de l'Europe a été très, très simplifiée
18:12depuis le début de la Révolution française.
18:16C'est une organisation du continent qui est conforme à ce que souhaitaient les Anglais,
18:20c'est-à-dire l'équilibre européen, comme ils appellent ça,
18:23c'est-à-dire des puissances moyennes qui vont se neutraliser.
18:26Ce qui est très important dans le Congrès de Vienne,
18:28peut-être plus important que les découpages territoriaux,
18:30le fait que la France soit mise sous surveillance,
18:33c'est la création vraiment d'un droit international.
18:36C'est-à-dire que pour la première fois,
18:38des nations vont décider qu'elles vont pouvoir imposer quelque chose aux autres.
18:42Exemple, ce qu'on a appelé le concert européen,
18:45les quatre grandes puissances,
18:46plus la France à partir de 1818,
18:48plus l'Italie à partir de 1850,
18:52s'arrogent le droit de gérer la paix en Europe.
18:58Et on n'aura pas de guerre générale,
19:00c'était la hontise, la guerre générale,
19:02on n'aura pas de guerre générale avant 1914.
19:04Donc pendant 100 ans, ce concert européen,
19:07fait de congrès, d'interventions, etc., va fonctionner.
19:11Et c'est d'ailleurs même à travers ce concert européen
19:14que Napoléon III va rétablir la position de la France,
19:17puisque c'est pour défendre l'équilibre européen
19:20qu'il entraîne l'Angleterre dans la guerre de Crimée.
19:23Et on voit donc qu'il adhère lui-même à cette idée.
19:27Et puis, en droit international, il y a tellement d'autres décisions.
19:30Les fleuves sont un bien commun des Européens.
19:32On va gérer les fleuves ensemble.
19:34Le Rhin est toujours géré par une structure créée par le Congrès de Vienne.
19:37C'est la même chose pour la Vistule, le Danube, etc.
19:41L'abolition de la traite, qui est une décision prise par les Européens
19:45qui s'applique au monde entier.
19:47Et puis, le nouveau droit diplomatique.
19:50On a créé un tout petit texte pour régler la question des négociations,
19:55des précédences, etc., qui étaient des questions
19:58qui parfois menaient à des combats d'homme à homme
20:01dans les négociations diplomatiques.
20:03Donc, c'est un Congrès qui, à la fois, met fin au rêve français,
20:07mais qui, en même temps, reconstruit l'Europe sur d'autres bases.
20:11– Sur d'autres bases.
20:12Alors, ce Congrès, ce qui est étonnant, c'est ce Congrès veut effacer Napoléon.
20:15C'est une des premières victimes de la cancel culture.
20:18Il meurt dans l'indifférence…
20:20– Totale.
20:21– Totale, générale.
20:23Il y a une légende, d'abord une légende noire, qui va se construire.
20:27Mais vous dites que, finalement, de l'effacer, c'est impossible.
20:30– Oui.
20:31– Et que le XIXe siècle est le siècle de Napoléon.
20:35Donc là, on arrive dans la deuxième partie de la formule de Châteaubriand.
20:41Mort, il possède, il possède le monde.
20:44Alors, cette légende, elle se construit…
20:47Il y a la légende noire, elle est écrite par qui ?
20:48Par les Anglais, d'abord ?
20:49– Elle est écrite, oui.
20:50Ce sont les Anglais qui créent la légende noire.
20:52Elle est reprise par les adversaires de Napoléon.
20:54Les Prussiens sont très forts pour ça.
20:56Ils ont d'ailleurs la caricature emblématique, celle où le visage de Napoléon est composé
21:02de corps humains, de cadavres, etc.
21:05Et prussiennes.
21:06C'est vendu des centaines de milliers d'exemplaires dans l'Europe entière.
21:12Effectivement, Napoléon qui est à Sainte-Hélène, on n'a pas de nouvelles.
21:15Parce que, bien, blocus sur l'information.
21:18L'Europe a retrouvé la paix et on se dit, après tout, il n'est plus là, on est en paix.
21:24La paix, c'est bien quand même.
21:26Et puis, comme vous le disiez, quand il meurt, très peu de réactions.
21:30Des réactions individuelles, comme a écrit quelqu'un, on pleure en dedans.
21:35Il n'y a pas de réaction.
21:36Et puis, il va se passer quelque chose après, dont on connaît toutes les étapes historiques.
21:42C'est-à-dire, on sait quel est le livre de mémoire qui a été le plus important,
21:46quels sont les romans qui ont été les plus importants, etc.
21:48Le problème, c'est qu'on n'arrive pas à trouver l'alchimie.
21:51Ce qui fait que, tout à coup, on ne s'est mis à parler que de Napoléon.
21:56Mais dans tous les domaines.
21:58Les romanciers, évidemment, placent leurs romans à l'époque napoléonienne.
22:02Alors, les historiens commencent à faire…
22:03Là, on est dans les années 1830, à peu.
22:061823-1824, le début avec la publication du fameux mémorial de Sainte-Hélène,
22:11qui ne s'est pas beaucoup vendu.
22:12Il y a peut-être eu 30-40 000 exemplaires vendus.
22:15Mais qui a marqué le portrait qu'on allait faire de Napoléon pour la postérité.
22:21C'est-à-dire, on le présente comme un libéral
22:22et comme un adepte de la théorie des nationalités.
22:26Ce qu'il n'a pas été pendant son règne.
22:28C'est l'homme de l'égalité, Napoléon.
22:30Ce n'est pas l'homme de la liberté.
22:31Il avait d'ailleurs bien compris le peuple français,
22:33parce qu'on voit bien, aujourd'hui, que les Français sont prêts à sacrifier leur liberté
22:37au nom de l'égalité.
22:38Et c'était déjà le cas à l'époque.
22:41Quant aux nationalités, il n'a pas à prouver qu'il en était un grand partisan.
22:44Alors, il a expliqué dans le mémorial de Sainte-Hélène
22:46que si on lui en avait laissé le temps, il l'aurait fait.
22:49Mais c'est assez classique dans les mémoires d'hommes politiques.
22:51Et donc, ce mémorial va déclencher quelque chose
22:56qui va être qu'on aura...
22:59D'abord, on va pouvoir reparler de Napoléon.
23:01Ensuite, les libéraux se disent, on a besoin d'un drapeau face à la restauration,
23:07face au conservatisme, etc.
23:08Ils vont se saisir de Napoléon.
23:10Les bonapartistes vont se laisser faire.
23:13Et tout ça va engendrer, sur le plan politique,
23:17une espèce de boule de neige qui va arriver en France,
23:21jusqu'à la restauration de Napoléon III.
23:22Mais il n'y a pas que ça.
23:23Il y a la littérature.
23:25Alors, bien sûr, Stendhal, Balzac, Victor Hugo, etc.
23:28Mais les deux premiers, Balzac et Stendhal,
23:31n'étaient pas très lus de leur vivant.
23:33C'est nous qui en avons fait les grands auteurs de la littérature française.
23:36C'est une littérature populaire.
23:39Des chansons.
23:41Il y a à Paris, 800 chanteurs de rue professionnels en 1830.
23:45Ils chantent dans les rues et ils font chanter des chansons sur Napoléon.
23:49Ça participe.
23:50Des bricoleurs du dimanche qui font une canne,
23:53je ne sais pas, une écuelle, des planches.
23:57Pourquoi ils mettent Napoléon dessus ?
23:59On n'en sait rien.
24:00Mais il n'empêche que, voilà,
24:01c'est cette déferlante napoléonienne qui va durer,
24:06on peut presque le dire, jusqu'à la fin du XIXe siècle.
24:09C'est vraiment, enfin vous l'avez dit,
24:11enfin je l'ai dit aussi d'ailleurs,
24:12c'est vraiment le siècle de Napoléon, le XIXe.
24:14Est-ce qu'aussi on insiste à la naissance d'un Napoléon mythologique, voire mythique ?
24:19Oui, le Napoléon de la légende n'est pas le Napoléon réel, évidemment.
24:22Alors, les historiens restent bien dans leur couloir au XIXe siècle,
24:26il y a vraiment des études essentielles,
24:29que ce soit Thiers,
24:31on a oublié que Thiers a écrit une histoire du consulat et de l'Empire,
24:35qu'on peut tranquillement relire aujourd'hui,
24:37qui s'est vendue à des centaines de milliers d'exemplaires,
24:40pour le coup.
24:40Mais l'autre Napoléon, alors le français libéral, ami des nationalités,
24:47mais l'étranger aussi,
24:48chaque pays va petit à petit, par une dérive, se créer son Napoléon.
24:53Et puis il exerce une fascination sur tous les continents.
24:57Alors cette fascination est aussi véhiculée,
24:59enfin son souvenir, par les anciens,
25:02qu'on va retrouver un peu partout dans le monde.
25:04– Oui, c'est-à-dire qu'à la fin des guerres napoléoniennes,
25:07on se retrouve avec à peu près 2 millions d'hommes qui ont été mobilisés,
25:10bon, beaucoup vont rentrer chez eux,
25:12mais c'est toujours le problème dans les grandes guerres,
25:14qu'est-ce qu'il y a des soldats qui ont fait la guerre toute leur vie,
25:17on n'arrive pas à les faire rentrer dans le rang,
25:19on en a plein d'exemples en histoire contemporaine.
25:22Mais pour les soldats de Napoléon, c'est la même chose.
25:24Donc ils vont s'exiler,
25:25et ils vont aller faire la guerre un petit peu partout dans le monde.
25:27Alors quand c'est de simples soldats, on les remarque moins,
25:30mais il y a beaucoup de généraux qui vont faire ça,
25:32des officiers même, des officiers style lieutenant, capitaine, etc.,
25:37qui vont aller encadrer des mouvements indépendantistes en Amérique du Sud,
25:42formation de l'armée égyptienne sous Mehmet Ali,
25:47il y en a qui vont combattre avec le chat de Perse,
25:49d'autres avec un sous-roi d'Afghanistan, etc.
25:53Et bien sûr, on les remarque, c'est les soldats du grand Napoléon.
25:56Je raconte toujours cette anecdote parce qu'elle est assez significative,
26:00en 2021, pour le bicentenaire de la mort de Napoléon,
26:04le premier événement commémoratif a eu lieu à Santiago du Chili,
26:08en janvier 2021.
26:12Parce que dans l'armée de Saint-Martin, le libérateur du Chili,
26:16il y avait des généraux français,
26:18dont son chef d'état-major, le général Cramer.
26:20Et il y a une espèce de glissement qui fait dire
26:23les soldats de Napoléon ont aidé à la libération,
26:26les soldats de Napoléon ont libéré,
26:28et c'est Napoléon qui a libéré.
26:31C'est une espèce de dérive très sympathique pour nous, évidemment.
26:38Et les gens sont vraiment persuadés que Napoléon a aidé.
26:42Il était mort au moment de l'indépendance du Chili,
26:44mais ils en sont convaincus.
26:46Et vous allez dans tous les pays d'Amérique du Sud, c'est le cas.
26:49Vous avez des Napoléons indonésiens.
26:52Alors l'Indonésie a été française au moment de l'annexion de la Hollande,
26:55et Napoléon a envoyé des administrateurs là-bas.
26:58Donc ils ont construit quelques routes,
26:59ils ont eu le temps de faire quelques palais,
27:01et tout à coup, vous avez le Napoléon indonésien qui apparaît,
27:05celui qui a modernisé le pays.
27:06Alors qu'entre nous, il a fait trois bâtiments et cinq kilomètres de route,
27:10mais il n'empêche que.
27:12Et c'est partout la même chose.
27:14Et même les ennemis de Napoléon,
27:16la Russie, sur la Place Rouge, le musée 1812,
27:20certes est consacrée à la victoire des Russes de 1812,
27:24mais on ne parle que de Napoléon dans ce musée.
27:25Il y a un petit portrait d'Alexandre Ier quand même,
27:27il ne faut pas exagérer,
27:29puisque ce sont tous les objets récupérés sur la grande armée.
27:32Les Allemands, c'est un petit peu pareil.
27:34Alors les Allemands, il y a les Allemands de l'Ouest
27:37qui ont été dans l'Empire français,
27:38sont généralement assez favorables évidemment.
27:41Les Prussiens ont longtemps hésité,
27:43et maintenant ils se disent, après tout,
27:44c'est un peu le début du nationalisme allemand.
27:47Mais enfin, je pourrais multiplier les exemples.
27:49Partout, partout, partout, on a son Napoléon.
27:52Il y a même les avatars ridicules de Bocassa Ier.
27:56– Oui, j'ai une photo dans le livre.
27:58– Voilà, je l'ai mis en photo,
27:59parce que je trouve cette photo extraordinaire.
28:01Jean Bédel Bocassa, président de la République de Centrafrique,
28:04décide de se faire proclamer empereur.
28:06Le pire de l'histoire, c'est qu'il trouve en la France
28:09un soutien pour cela.
28:10C'était Valéry Giscard d'Estaing qui lui paye son couronnement.
28:14Et il limite le couronnement de Napoléon à Notre-Dame
28:16dans un gymnase de Bangui.
28:18Alors c'est à 4 décembre au lieu d'un 2 décembre,
28:20mais enfin, peu importe.
28:21Et vraiment, enfin, nos téléspectateurs peuvent aller voir les films, etc.
28:27Il a imité, bon, finalement, c'est les Français
28:29qui le feront chuter deux ans plus tard,
28:31mais vous voyez, il y a ce, comment dire,
28:34déjà ce mythe napoléonien très différencié dans le monde,
28:38mais qui existe.
28:40Et puis il y a la réalité, c'est les institutions napoléoniennes
28:42qui ont été imitées partout.
28:44– Oui, c'est ça.
28:45– Il a trouvé une formule qui aidait, en fait, c'est très simple,
28:51la formule napoléonienne, centralisation, code civil, etc.,
28:56elle permet de lutter contre la féodalité.
28:58C'est-à-dire que les souverains, ils aiment ça,
29:01parce qu'évidemment, il n'y aura plus de féodaux,
29:02il n'y aura plus de gens qui vont collecter les impôts à leur place, etc.
29:05et toute l'Europe adopte cette…
29:08Alors, ils ne le disent pas, ils inventent des mots, etc.,
29:12mais c'est… et l'Amérique du Sud va se dire,
29:15comment est-ce qu'on va s'organiser maintenant qu'on est indépendant ?
29:17Ben, on va copier Napoléon.
29:19Et tout le monde se met à copier Napoléon jusqu'à un empereur japonais,
29:23Meiji, qui, à la fin du XIXe siècle, décide qu'on va appliquer
29:26le code civil au Japon, ce qui est impossible,
29:30compte tenu de la société japonaise et de ses meurs.
29:32– Là, ça n'a pas fonctionné.
29:33– Et ça dure cinq ans.
29:34Ça dure cinq ans.
29:35Il fait venir des juristes de France, il les installe somptueusement,
29:39il fait rédiger un code civil japonais.
29:42La Chine, Chiang Kai-shek se prend pour Napoléon,
29:46donc Mao n'aime pas Napoléon.
29:48Et puis, la chute de Mao, vous savez, c'est un peu comme ce que disait Xi Jinping,
29:52on va faire du Mao et du Confucius,
29:54il va faire du Napoléon et du Washington et du Mao.
29:59– Alors, justement, cet héritage administratif, juridique,
30:02considérable, pour vous, qu'est-ce qui vous paraît l'élément le plus vivant aujourd'hui ?
30:07– Alors, ça va dépendre du pays dans lequel, par exemple en France,
30:10évidemment, c'est ce que Napoléon avait appelé les masses de granit,
30:13jetées sur le sol de France.
30:15Elles existent toujours, elles ont toujours le même nom.
30:18Elles n'ont évidemment plus le même courant, le même fluide qui les anime.
30:24Il suffit d'ouvrir un journal n'importe quel jour de la semaine, on s'en aperçoit.
30:28Il n'empêche que ce sont des fondations solides pour une reconstruction.
30:34Elles ont prouvé leur solidité, tous les changements constitutionnels,
30:38trois invasions, l'occupation, etc.
30:41C'est l'administration, c'est l'État napoléonien qui a fait fonctionner le tout.
30:45Et chaque fois qu'on touche à une petite brique de l'État napoléonien,
30:49on prend le risque d'être allé trop loin dans la déconstruction.
30:54C'est un petit peu, alors, le solide n'était pas fait pour ça,
30:57mais je pense que c'est un peu ce qu'on peut penser de ce qu'on a fait de cet État napoléonien,
31:03parce que Jacobin, napoléonien, tout ça, ce sont des vilains mots.
31:07Il faut les remplacer par les mantras, la décentralisation,
31:10je rapproche le pouvoir du peuple, pensez-vous.
31:14Et pour tout ça, on jette le bébé, l'eau et même la baignoire du bain,
31:19simplement pour être moderne.
31:20Or, un État, il a besoin d'être organisé, malheureusement.
31:24– Alors, que reste-t-il aujourd'hui de son rapport au pouvoir, justement ?
31:27– Alors, le rapport au pouvoir, évidemment, beaucoup de gens se prennent pour Napoléon,
31:31mais il ne suffit pas d'être petit pour ressembler à Napoléon.
31:34Il faut aussi avoir cette culture de base qu'il avait,
31:38ce sens de la décision, ce sens du management des hommes,
31:42parce qu'il n'a pas créé tout seul.
31:44Il a créé une équipe, il a choisi ces hommes.
31:47Il les a choisis pour qu'il mette en place une idée que lui avait.
31:53Ce n'est pas, vous voyez, ce n'est pas Papendiaï qui succède à Jean-Michel Blanquer.
31:59C'est Molien qui succède à Barbé-Marbois,
32:03qui ont les mêmes idées sur les choses.
32:06Donc, vous voyez, il y a une grande continuité.
32:09L'exceptionnel de Napoléon, c'est qu'il a tout dans la tête
32:13et qu'il est cohérent sur la politique intérieure,
32:16sur l'organisation de l'État, etc.
32:19Et que vous ne pouvez pas le prendre en faute sur une contradiction,
32:23dans ce qu'il veut dire.
32:24Il a toujours eu la même idée.
32:26Et c'était l'État au centre de la société,
32:28mais l'État fait le travail de l'État.
32:31La société, après, fait son travail.
32:32J'entendais, pendant le bicentenaire, une personne dire
32:36que M. Macron est comme Napoléon, il est contre les corps intermédiaires.
32:40Alors, je ne sais pas pour M. Macron,
32:42mais pour Napoléon, c'est absolument faux.
32:44Napoléon a reconstitué les corps intermédiaires
32:46que la Révolution avait détruits.
32:51Et parce qu'ils étaient l'auxiliaire social de l'État
32:55qui, lui, s'occupe des questions régaliennes.
32:59Alors, justement, vous parliez des commémorations de 2021.
33:01Je voudrais y revenir, ce fut un grand succès.
33:06Des expositions, des bouquins, des émissions.
33:09Mais ça a révélé quand même pas mal de polémiques,
33:12de controverses, notamment sur l'esclavage.
33:15Je voudrais que vous désirez deux mots.
33:16L'autoritarisme, la guerre, on vient…
33:18– Le droit des femmes, on n'oublie pas le droit des femmes.
33:20– Il ne faut pas oublier le droit des femmes.
33:21– Bien sûr.
33:22– Donc, je voudrais justement…
33:24Un, l'esclavage, le droit des femmes.
33:25Alors, il rétablit l'esclavage, mais il abolit la traite.
33:28– Voilà, alors, il rétablit l'esclavage
33:31dans des conditions géostratégiques,
33:33pardon du mot, très spécifiques.
33:36Il veut recréer, dans le golfe du Mexique,
33:39une espèce d'empire français autour de la canne à sucre, etc.
33:42Et, comment dire, il compte beaucoup sur Saint-Domingue pour ça.
33:47Or, à Saint-Domingue, le fameux Toussaint-Louverture lui a menti.
33:51Il lui a dit, écoutez, il n'y a pas de problème, je resterai rattaché à la France.
33:54Il proclame l'indépendance, il va vers l'indépendance.
33:57Et donc, Napoléon ne supporte pas ça.
33:59Il est entouré d'un lobby colonial qui lui dit,
34:02mais si vous voulez relancer la culture de la canne à sucre, il faut des esclaves.
34:05Je vais vous dire, je vais le dire le plus crûment possible.
34:09Lui, il s'en fiche complètement de l'esclavage.
34:11C'est-à-dire, ce n'est pas une question…
34:13Il ne se levait pas le matin en disant, tiens, comment je vais rétablir l'esclavage.
34:17Il est plutôt contre, on le sait, parce qu'on a des écrits de lui,
34:21il est contre l'esclavage.
34:22Puis, à un moment donné, la nécessité politique, c'est de rétablir l'esclavage.
34:27Alors, il faut dire aussi que l'esclavage avait été aboli en 94, 1794.
34:32Les esclaves avaient été libérés.
34:34Il n'a pas été question de remettre les anciens esclaves en esclavage.
34:38Donc, il fallait reprendre la traite, si vous voulez.
34:39Il fallait importer de nouveaux esclaves.
34:42Alors, il n'a eu le temps de rien de tout ça,
34:44puisque les révoltes locales, la pression des Anglais,
34:48ont fait qu'on ne sait pas ce qui se serait passé dans les colonies,
34:51puisque la France a perdu toutes ses colonies en 5 ans ou 6 ans.
34:55Donc, voilà, ça, c'est pour l'esclavage.
34:57Je ne dis pas qu'il faut l'excuser, il faut essayer de comprendre.
35:00– Avant, je te la traite, lui…
35:01– Alors, il l'abolit en mars 1815.
35:04– Pendant les 100 jours, oui.
35:05– Pendant les 100 jours, à un moment où la France n'a plus de colonies,
35:09où il n'y a plus de traite française.
35:10Bon, donc, c'est une abolition un petit peu facile.
35:13Le congrès de Vienne va l'abolir.
35:15Les Français vont mettre 8 ans avant de pouvoir arrêter la traite,
35:19parce qu'il y a des tas d'intérêts autour de ce commerce pitoyable.
35:23Moi, je le disais déjà en 21,
35:25moi, je pense que Napoléon n'est pas un monolithe.
35:28Moi, je comprends très, très bien les Guadeloupéens qui n'aiment pas Napoléon,
35:31parce qu'il s'est passé des choses en Guadeloupe qui sont inadmissibles,
35:36même en n'utilisant pas l'anachronisme.
35:40En son temps, tout ça n'était pas très joli.
35:43Donc, il faut discuter de tout ça, il faut l'étudier, surtout,
35:49parce qu'il y a beaucoup de choses qu'on ne sait pas encore.
35:51On connaît les grands slogans.
35:53Maintenant, il faut aller voir ce qui s'est réellement passé sur le terrain.
35:55– Alors, l'autre attaque, c'était également le droit des femmes ?
35:59– Alors là, je vais me faire beaucoup d'ennemis IES.
36:01– C'est pas grave.
36:02– C'est simplement l'époque, c'est la même chose.
36:04C'est-à-dire que, par rapport à l'ancien régime,
36:09évidemment, la femme va être mise un peu dans un carcan,
36:12le carcan de la famille.
36:14La révolution, on va la laisser de côté, elle n'a jamais libéré les femmes.
36:17Au contraire, elle les a opprimées de façon terrible.
36:19Bon, toutes les grandes héroïnes dont on parle,
36:24elles ont fini sur l'échafaud,
36:25elles ont été mises en maison de fou, dans le pire des cas, si je puis dire.
36:29Et donc, lui, le code, c'est la famille.
36:32Bon, la famille, elle est organisée en pyramide,
36:35comme la société, on met le père de famille en haut.
36:37Il doit protection à sa femme,
36:40et c'est vrai qu'elle a des droits,
36:42mais elle n'a pas la capacité de les exercer.
36:44C'est comme ça, juridiquement, qu'on dit les choses.
36:48Maintenant, après Napoléon, il faut quand même attendre.
36:52Les premiers textes, c'est 1881,
36:53la femme aura le droit d'ouvrir un livret de caisse d'épargne.
36:56Et puis, après, c'est 1941,
36:59on va l'autoriser à avoir un compte en banque,
37:01parce que les maris sont prisonniers en Allemagne,
37:03donc il faut bien que…
37:04Et puis, les vraies réformes, c'est les années 1960.
37:07Il n'y a pas de programme de libération des femmes
37:09chez Gorbetta, chez Jean Jaurès,
37:12chez Léon Blum, etc.
37:14C'est le général de Gaulle qui met en route l'émancipation des femmes.
37:20– Donc, finalement, tout ça n'était que des faux procès ?
37:23– C'était…
37:23– Une manière de diviser,
37:25une manière de déconstruire encore une fois
37:27ce qui pouvait être glorieux chez nous ?
37:28– Bien sûr, moi, j'ai tendance à considérer
37:30qu'en histoire, il n'y a pas de procès.
37:31On discute, on analyse,
37:34on peut se disputer éventuellement,
37:36mais on se dispute sur l'histoire,
37:38pas sur la situation actuelle, évidemment.
37:40Mais vous l'avez dit, le bicentenaire de 21,
37:42il a été un grand succès,
37:44parce que, je l'explique dans le livre,
37:45il est venu par le bas.
37:47C'est-à-dire que ce sont les Français
37:49qui ont forcé les gouvernements,
37:53notamment le Président de la République,
37:55à faire quelque chose pour le bicentenaire.
37:57C'est venu d'en bas,
37:58parce qu'on avait été échaudé par Jacques Chirac
38:00qui n'avait pas s'élèveré Austerlitz.
38:03Il y a eu 550 manifestations en France
38:06venues du terrain, si vous voulez.
38:10Ce qui a représenté des milliers et des milliers de personnes.
38:13Et on a bien été obligés de célébrer ce bicentenaire.
38:17Napoléon, pour les déboulonneurs,
38:19c'est une trop grosse statue.
38:21Pour le moment, ils n'ont pas la force pour la déboulonner.
38:24– Écoutez, tant mieux.
38:25Alors, une dernière question plus personnelle.
38:29Vous, après avoir tant écrit sur Napoléon,
38:32est-ce qu'il vous fascine-t-il encore ?
38:34Est-ce que vous interroge-t-il encore ?
38:36Ou vous avez fini par le comprendre tout à fait ?
38:39– Non, alors je pense qu'on ne peut pas comprendre un personnage pareil.
38:42On ne peut pas totalement l'aimer non plus,
38:43parce qu'il a des côtés personnels assez agaçants.
38:46On se serait sans doute très très malentendus avec lui.
38:48C'est un peu autoritaire.
38:50Mais je trouve que ce qui est intéressant, c'est cette époque.
38:52Parce que c'est une époque, au fond,
38:54la Révolution française est très importante, évidemment.
38:56Elle change.
38:56Mais après la Révolution, il y a celui qui la continue,
39:01qui la met en place, qui nettoie les scories, etc.
39:04Et c'est passionnant, parce que c'est un temps où on a des personnalités.
39:11L'Europe a eu une chance extraordinaire d'avoir, en même temps,
39:15Napoléon, Méternich, Casselray, Pissette.
39:18Ce sont des personnages considérables de l'histoire européenne.
39:21Et donc, c'est ça qui est intéressant.
39:24Maintenant, si vous voulez, à force de vivre avec lui,
39:27si je puis dire, depuis longtemps, il ne me fascine plus tellement.
39:30C'est-à-dire que nous sommes maintenant un vieux couple
39:32où chacun a pris ses dispositions.
39:35D'accord.
39:36Alors, Thierry Nens, merci beaucoup.
39:39C'était passionnant, cet éclairage sur Napoléon.
39:42Je ne vais pas dire cette histoire mondiale de Napoléon.
39:44Donc, je rappelle votre ouvrage paru chez Belin,
39:48Napoléon le monde.
39:49C'est plus de 500 pages.
39:52C'est un bel ouvrage, en plus.
39:54Richement illustré, une belle mise en page, bien écrit de plus.
39:59Merci beaucoup.
40:01Alors, avant de nous quitter, je voudrais vous recommander
40:03une exposition qui se tient au musée Carnavalet.
40:06Une nouvelle exposition intitulée
40:08Les gens de Paris, 1926-1936,
40:13qui propose de redécouvrir les habitants de la capitale
40:15à travers les recensements de l'entre-deux-guerres,
40:18les recensements de 1926, 1931 et 1936,
40:21qui étaient des recensements nominatifs, qui plus est.
40:25Alors, ces registres, conservés aux archives de Paris,
40:27recensent près de 3 millions de personnes
40:29et livrent un portrait précis de la population parisienne
40:32au moment où la ville atteint son apogée démographique.
40:34A partir de ces données, les commissaires de l'exposition
40:37ont dressé un tableau humain, social, d'une rare richesse.
40:41Lieux de naissance, profession, situation familiale,
40:44répartition par quartier.
40:45On découvre un Paris dense, jeune et majoritairement féminin.
40:49La saignée de la Grande Guerre n'est pas loin.
40:50On y apprend que près des deux tiers des habitants
40:52ne sont pas nés à Paris.
40:53Beaucoup viennent des provinces, de l'Algérie,
40:55des colonies ou de l'étranger.
40:57Le parcours s'organise en plusieurs sections.
40:59Paris, aime au chez moi, évoque l'attachement à la capitale
41:02et ses figures connues de Joséphine Becker à Edith Piaf.
41:05Mais aussi une multitude d'anonymes,
41:07des dactylos, des policiers, des chauffeurs ou des couturières.
41:10C'est le temps des midinettes.
41:11Paris, ville des amours, revient sur les célibataires nombreux,
41:15les balles, les cafés et les dancing de Montparnasse ou de Pigalle.
41:19Une autre partie est consacrée aux enfants parisiens,
41:21à la natalité en Berne et aux politiques familiales d'une époque
41:25où la crainte de la dépopulation traverse sa société.
41:28Les sections suivantes explorent la ville quartier par quartier.
41:30À l'est, les logements insalubres et les îlots populaires.
41:33À l'ouest, la vie domestique et bourgeoise.
41:36On aborde aussi les métiers, les transformations du travail féminin,
41:39le chômage des années 1930,
41:42la montée de la culture de masse avec la radio, la presse et le cinéma.
41:45Dernière salle, enfin, un dispositif numérique
41:48permet de consulter les registres de recensement numérisés.
41:51Chacun peut rechercher un nom, une adresse,
41:53peut-être trouver la trace d'un ancêtre.
41:55Cette base de données, réalisée à l'aide d'outils d'intelligence artificielle,
41:58rend lisible une mémoire collective longtemps endormie.
42:02Les gens de Paris montrent une capitale en mouvement
42:04où s'inscrivent les vies ordinaires de ceux qui ont fait la ville telle qu'on la connaît aujourd'hui.
42:09L'exposition est à voir donc au musée Carnavalet jusqu'au 8 février 2026.
42:15C'était Passé-présent, l'émission historique de TVL,
42:19réalisée en partenariat avec la Revue d'Histoire européenne.
42:22Alors avant de nous quitter, vous n'oubliez pas bien sûr de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
42:26et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
42:29Merci, à bientôt.
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