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  • il y a 2 jours
La médecine personnalisée progresse grâce aux biomarqueurs, à l’IA et aux traitements ciblés. Mais les preuves cliniques, les coûts et l’accès restent des obstacles majeurs. Jean-Pierre Thierry décrypte ce qui fonctionne vraiment et ce qui bloque encore.

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Transcription
00:00Bonjour Jean-Pierre Thierry, bienvenue, merci d'être avec nous.
00:08Jean-Pierre, vous êtes aujourd'hui conseiller médical de France Asso Santé
00:12et vous avez longtemps travaillé à l'évaluation des traitements innovants.
00:18La médecine personnalisée est souvent présentée comme une révolution,
00:22mais concrètement, où est-ce qu'on en est en 2025 ?
00:25Est-ce que vous pouvez faire un bref état des lieux ?
00:28Ça ne date pas tout à fait d'aujourd'hui.
00:30On peut parler de médecine personnalisée depuis une vingtaine d'années.
00:34C'est lié à l'amélioration des connaissances au niveau de la cellule,
00:40des organes, de la physiologie, tout ce qu'a apporté,
00:43ce qu'on appelle la biologie moléculaire, la génomique, etc.
00:46Ça veut dire qu'on a des médicaments qui vont, d'une certaine façon,
00:50cibler des voies métaboliques pour améliorer l'efficacité
00:54dans le traitement de certaines maladies.
00:55Donc, les premiers révolutionnaires, par exemple, dans les leucémies,
01:00c'est un produit qui a été introduit il y a 20 ans, le Glyvec.
01:03Et ces médicaments, en général, sont des grosses molécules,
01:06des anticorps monoclonaux.
01:07On parle aussi de biomédicaments, très souvent.
01:10Donc, ils vont vraiment modifier le pronostic de certaines maladies,
01:13quelquefois permettre de guérir, d'avoir des rémissions complètes.
01:16Donc, on a ce flux d'innovation depuis une vingtaine d'années,
01:19en fin de compte, qui est continuel,
01:21et qui a tendance à augmenter parce qu'il y a de plus en plus un effort de recherche de plus en plus important.
01:26Et si on prend les biomarqueurs, par exemple,
01:28quels usages concrets ont véritablement changé la donne ?
01:32Alors, il y a une partie de ces thérapies.
01:34On va aussi les appeler les thérapies ciblées.
01:37On va les prescrire uniquement si le patient présente certaines caractéristiques.
01:43Les caractéristiques, on peut les trouver au niveau de la tumeur.
01:45Par exemple, en oncologie, on va identifier des récepteurs ou des marqueurs.
01:50Et on va dire, si le patient a ce type de marqueur, on va lui donner tel type de médicament.
01:55Donc, c'est ce qui s'est passé avec les ans que vous avez donnés avec un médicament qui s'appelle le Glivec, il y a 20 ans,
01:59ou avec l'herceptine dans le cancer du sein.
02:02S'il y avait certaines caractéristiques de la tumeur,
02:05ce médicament a considérablement augmenté l'espérance de vie.
02:08Donc, ça, c'est le thème des thérapies ciblées.
02:11Et puis, il y a des innovations, en fin de compte,
02:12on n'a pas obligatoirement besoin de ces biomarqueurs, ou alors on ne les a pas encore,
02:16et on les donne plus largement, et on ne sait pas encore tout à fait pourquoi il y a des très bonnes réponses et des moins bonnes réponses.
02:22C'est le cas notamment, en grande partie, depuis une dizaine d'années, des immunothérapies dans le cancer.
02:27Et c'est le cas aussi pour les maladies rares ?
02:31Alors, dans les maladies rares, on va trouver effectivement l'identification de déficits génétiques, par exemple,
02:37mais qu'on connaissait depuis très longtemps.
02:39Et là, avec des techniques nouvelles, qui peuvent utiliser des vecteurs viraux,
02:43c'est-à-dire qu'on va utiliser, en fin de compte, des virus,
02:45on va attacher quelque chose au virus, on va l'envoyer dans l'organisme,
02:49et ça va compenser les molécules dans l'organisme qui auraient dû être là,
02:53mais qui ne sont pas là, parce qu'il y a eu cette mutation génétique.
02:56Et donc, si on parle de ces thérapies, la grande révolution des dix dernières années,
03:01absolument incroyable, c'est le traitement des mucoviscidoses,
03:03qui a totalement été transformé par cette classe thérapeutique, ce type de médicaments.
03:08Concernant l'inconsournable sujet de l'IA médical,
03:13les outils d'aide à la décision clinique aujourd'hui sont-ils fiables ?
03:19Alors, si vous voulez, on est dans la bulle de l'IA.
03:23Donc, ce qui est connu et utilisable, c'est les méthodes statistiques d'aide à la décision.
03:28Il y en a plusieurs types qui existent depuis très longtemps,
03:30et qui sont visiblement souvent assez peu utilisées.
03:34Donc, pour l'instant, l'IA n'apporte pas grand-chose,
03:37et ce n'est pas validé du tout.
03:39Par contre, ça va servir...
03:40Normalement, est-ce qu'ils améliorent...
03:43Ils peuvent améliorer la pertinence des prescriptions ?
03:46Potentiellement, oui, mais il y a des choses qui, aujourd'hui,
03:49amélioreraient la pertinence des prescriptions.
03:51Ce sont des aides à la décision qui existent depuis assez longtemps,
03:54qu'on peut intégrer, par exemple, dans le dossier patient
03:56ou dans le logiciel de prescription.
03:59Donc, l'IA peut, par exemple, permettre d'avoir des saisies plus rapides
04:03avec une reconnaissance vocale,
04:05mais aussi, l'IA va peut-être permettre de mieux traiter les données.
04:09Alors, il faut distinguer comment les industriels et les chercheurs
04:12vont aider l'IA, par exemple, pour modéliser des rapports entre les molécules,
04:16et puis, ils vont avoir des candidats à nouveaux médicaments,
04:19et après, on dit peut-être que l'IA pourra améliorer la recherche clinique,
04:23créer des doubles virtuels, etc.
04:26Et là, c'est beaucoup trop tôt pour savoir si ça va vraiment apporter quelque chose.
04:30En fin de compte, pour l'instant, on n'a pas la preuve que ça va révolutionner,
04:33notamment l'évaluation des médicaments,
04:34parce qu'on a toujours besoin de faire des essais cliniques,
04:38et si possible, en levant les incertitudes, en tirant au sort les patients.
04:42Oui, parce que beaucoup d'espoir portent, justement, sur l'oncologie et les maladies rares,
04:47et vous, vous mettez en garde sur le niveau de preuve insuffisant de certaines innovations.
04:55Oui, alors, comme on a beaucoup d'innovations, encore une fois, j'ai dit,
04:57il y a des médicaments qui ont complètement modifié le pronostic de maladie,
05:02des médicaments de rupture, avec un très haut niveau d'innovation.
05:06Mais il y a un tel engagement dans la R&D au niveau industriel
05:09qu'on a beaucoup de candidats médicaments
05:11qui reçoivent des autorisations mises sur le marché de plus en plus rapides.
05:16Effectivement, on en a parlé, une partie de ces médicaments,
05:18une fois qu'on les a utilisés sur le marché,
05:21c'est aussi un marché,
05:23mais en fin de compte, on n'a pas de preuve définitive de leur efficacité.
05:26Et ça, ça commence à poser un vrai problème.
05:28Ça veut dire quoi ? C'est un peu provocateur de ma part,
05:30mais est-ce que c'est dire qu'il y a une forme de relâchement scientifique ?
05:33Alors, absolument, il y a une forme...
05:35Alors, scientifique...
05:37Non, c'est près de...
05:38Disons que la science, elle est à l'origine de beaucoup de découvertes dont j'ai parlé.
05:42Là où il y a une forme de relâchement,
05:45c'est très certainement sur la pression des industriels,
05:48et puis parce qu'on en datait beaucoup,
05:49y compris des associations de patients,
05:51on a été un peu moins exigeants au niveau des régulateurs américains et européens
05:55quand on donne les autorisations mises sur le marché.
05:58Et donc, on fait des paris en permanence.
05:59À contrario, certains nous disent qu'on est un marché ultra réglementé,
06:03bien plus qu'ailleurs,
06:04et ce qui empêche justement toute fantaisie.
06:06Donc, ça reste un marché ultra réglementé parce que justement,
06:11je ne parle pas au point de vue économique,
06:12au point de vue scientifique,
06:13avant de mettre un médicament sur le marché,
06:15on veut un niveau de preuve suffisant.
06:17Aujourd'hui, par exemple,
06:18l'organisme allemand qui s'appelle Equig,
06:21elle a regardé sur une dizaine d'années
06:23le nombre de médicaments qui ont été introduits en Allemagne
06:25avec le terme médicament orphelin.
06:28Et donc là-dedans, vous allez trouver des médicaments pour la cancérologie,
06:31des médicaments pour traiter des maladies rares.
06:33Elle dit, au bout de 10 ans,
06:34on ne sait pas si la moitié des médicaments,
06:37en réalité, ont apporté quelque chose.
06:39Donc, il faut s'attendre à une sorte de retour en arrière,
06:42peut-être avec un niveau d'exigence un peu plus élevé.
06:45Il faut revoir le niveau d'évaluation, en fait.
06:47C'est ce que les Américains sont en train de considérer,
06:49même si c'est sous l'administration Trump,
06:50donc je ne peux absolument pas vous dire ce qui va se passer.
06:53Personne.
06:53Mais les Américains, notamment la FDA,
06:56ont dit, oui, on est peut-être allé un peu vite
06:57dans les procédures accélérants,
06:59on voudrait revenir à ce qu'on appelle des goals standards
07:01dans l'évaluation clinique,
07:03c'est-à-dire avoir des essais randomisés avec tirage au sort,
07:07pas seulement des essais de faible effectif
07:10où on sait qu'on a donné des autorisations un peu rapides.
07:13Quelquefois aussi, l'administration américaine a dit,
07:16je veux vérifier si ça marche, ce qu'on appelle en vie réelle,
07:18mais souvent, les études n'étaient pas faites.
07:20Donc, il y a quand même une problématique.
07:22On sait qu'il y a de l'innovation,
07:23on a abaissé les niveaux de la demande,
07:29si vous voulez, scientifique pour autoriser,
07:31pour prendre des paris sur pas mal de médicaments,
07:33et là, on s'aperçoit que beaucoup de médicaments,
07:36même après quelques années,
07:37voire quelques fois après 10 ans d'utilisation sur le marché,
07:40on n'a pas de garantie qu'ils aient été plus efficaces
07:42que ce qui existe déjà.
07:43Aujourd'hui, il y a des médicaments qui arrivent sur le marché
07:46sans données suffisamment robustes.
07:49Absolument.
07:50Absolument, clairement, oui.
07:51Et est-ce qu'on a quantifié, est-ce qu'on a évalué
07:54le niveau de risque pour les patients ?
07:56Alors ça, c'est une bonne question.
07:58Je veux dire, si je me reporte à cette étude allemande
08:00de cet organisme qui s'appelle Equig,
08:02mais on a la même chose en France,
08:04en fin de compte,
08:04après quelques années,
08:06on ne peut pas répondre à cette question.
08:08Parce que souvent,
08:09alors j'ai parlé beaucoup de médicaments de rupture,
08:11c'est-à-dire qu'on parlait de la mucoviscidose,
08:14certaines maladies hématologiques,
08:16ou il y a même des maladies comme des eczémas très graves
08:19ou des maladies rhumatismales,
08:20vous avez une telle, ce qu'on appelle une quantité d'effets,
08:23que le médicament, visiblement, va changer la vie des gens.
08:26Mais pour beaucoup de médicaments,
08:27on n'a qu'une amélioration marginale,
08:30on a un peu d'amélioration.
08:31En tout cas, c'est comme ça qu'il est présenté,
08:33et c'est comme ça qu'ils ont eu
08:34les autorisations de mise sur le marché
08:35de l'AFDA ou de l'EMA.
08:37Après, dans chacun des pays en Europe,
08:39on va comparer avec l'existant.
08:42Donc, c'est ce qu'on appelle
08:42le comparateur cliniquement pertinent.
08:46C'est le terme, c'est-à-dire
08:46l'AFDA et l'EMA,
08:48elles donnent une autorisation,
08:49mais sans comparer à ce qui existe déjà.
08:51Et quand on compare avec ce qui existe déjà,
08:53ce qu'on va essayer de rechercher,
08:54c'est une amélioration.
08:57Ça s'appelle l'amélioration
08:58du service médical rendu.
08:59Souvent, on prend le pari,
09:00parce qu'en fin de compte,
09:01avec les données qui ont permis
09:03d'avoir l'autorisation de mise sur le marché,
09:05on ne sait pas répondre à la question.
09:06Mais on va quand même prendre le médicament.
09:09C'est donc un bilan mitigé que vous faites
09:11de la médecine personnalisée ?
09:13Non, c'est la médecine personnalisée,
09:16c'est-à-dire l'approche de la génétique,
09:17de la biologie médicale,
09:18a changé le pronostic de nombreuses maladies.
09:21Maintenant, il faut regarder aussi l'autre facette.
09:23Oui, c'est quoi les principaux freins à lever, finalement ?
09:26Non, alors, il n'y en a pas tant que ça
09:28une fois que la quantité d'effets
09:29est assurée et importante.
09:32Par exemple, l'immunothérapie,
09:33la France est un des pays
09:34où on prescrit le plus dans le monde
09:36l'immunothérapie quand il y a une indication
09:38dans les cancers, notamment le mélanome ou autre.
09:41On a plus de chances d'être bien traité en France
09:43qu'aux États-Unis aujourd'hui
09:44si on a un mélanome, par exemple.
09:46Non, c'est pour une partie de ces médicaments
09:49qui ont eu des autorisations de mise sur le marché
09:51qu'on accepte de payer,
09:53souvent très très très cher,
09:55mais où on manque de confirmation
09:56de leur intérêt réel.
09:57La médecine personnalisée implique aussi
10:00une transformation du parcours de soins.
10:04Est-ce qu'on risque de construire
10:06une médecine high-tech,
10:08mais déconnectée du terrain ?
10:10Je pense pas que les...
10:12Enfin, je pense, si vous voulez,
10:13si ça arrive,
10:15les signes d'urgence, d'alarme
10:18sont vraiment très importants.
10:20Donc, c'est non seulement pas souhaitable,
10:24mais ça voudrait dire
10:24qu'il y aurait de gros dysfonctionnements.
10:26Non, mais ces innovations, elles sont...
10:28Autrement formulé, elles sont coûteuses.
10:31Est-ce qu'on n'est pas en train de créer aussi
10:32une médecine à deux vitesses ?
10:33Alors ça, c'est un autre sujet.
10:35C'est un peu le sujet que je vous ai dit.
10:37Pourquoi il faut qu'on garantisse
10:38qu'en fin de compte,
10:39on va payer plus cher quelque chose
10:42qui doit apporter quelque chose en plus ?
10:44C'est que si on le fait pas,
10:45on aura dépensé plus pour pas grand-chose.
10:48Donc, on a un problème d'équation économique.
10:50Et une partie de ces médicaments
10:52qui ont été approuvés,
10:53mais sans vraiment un niveau de preuve suffisant,
10:55le compte consomme énormément de ressources
10:57parce que les biothérapies,
10:58les biomédicaments sont très chers.
10:59Or, c'est un problème maintenant
11:01de choix dans l'allocation des ressources
11:04au niveau national.
11:05C'est est-ce qu'on va mettre
11:06beaucoup d'argent dans un médic...
11:07Si le médicament change la vie des gens,
11:09il n'y aura pas trop d'hésitation.
11:11C'est pas possible de le pas financer,
11:13d'ailleurs, bon.
11:13Et il sera très cher.
11:15Si on est entre les deux,
11:16il faudra vraiment qu'on soit
11:17très attentif à ne pas payer des choses
11:20qui n'améliorent pas la situation,
11:22parce que l'argent qu'on va mettre
11:23dans ces médicaments,
11:24on ne le mettra pas
11:25dans la modernisation des hôpitaux,
11:27dans le salaire des infirmières
11:29si on veut les garder plus longtemps
11:30à l'hôpital,
11:30ou des professionnels soignants,
11:32et dans d'autres secteurs d'investissement.
11:34Ça peut être l'informatique de santé
11:35ou autre chose.
11:36Est-ce que vous avez des pistes pour...
11:38Parce qu'il y a donc la volonté
11:39d'innover rapidement d'un côté
11:41et une soutenabilité économique de l'autre.
11:44Comment concilier les deux ?
11:46Alors, ça va être un débat
11:49et une négociation un peu dure,
11:51parce qu'il se trouve
11:53que les leviers financiers
11:54au niveau international
11:55font que le médicament
11:58est l'activité industrielle
11:59la plus rentable dans le monde.
12:02La valorisation des startups,
12:03sans doute la plus importante,
12:04au même niveau de l'IA,
12:06si on oublie de parler, etc.
12:08Donc, si vous voulez,
12:09les pressions industrielles et financières
12:11pour aller vite,
12:12beaucoup de pays les subissent
12:14en permanence.
12:15Et le problème,
12:16c'est d'opposer à ça,
12:18éventuellement,
12:19de garantir
12:20qu'on va protéger la population
12:21et ne financer que des médicaments
12:23qui veulent le coup d'être financés.
12:25Et pour clôturer cet entretien,
12:29quelles mesures,
12:29s'il fallait en retenir une,
12:31pourraient accélérer
12:33ou en tout cas favoriser
12:34une médecine personnalisée
12:36qui soit à la fois innovante,
12:38efficace, accessible,
12:39centrée sur le patient, surtout ?
12:41Au stade où on en est,
12:42avec l'ensemble des contraintes,
12:44j'ai pu dire,
12:44puisqu'on ne va pas faire
12:46qu'investir dans la molécule
12:48qui va être distribuée
12:49par les canaux traditionnels.
12:51À chaque fois,
12:51il faut assimiler
12:55ces conséquences
12:56en termes de parcours de santé,
12:58mettre des ressources humaines,
12:59des ressources techniques, etc.
13:01Donc, on n'aura pas trop,
13:02à mon avis,
13:03d'autre choix
13:03que de choisir
13:05vraiment de mieux en mieux
13:06où est-ce qu'on va mettre l'argent.
13:07Merci beaucoup.
13:09Restez avec nous,
13:10Jean-Pierre Thierry.
13:11On passe à l'analyse
13:12du Dr Bono.
13:13Sous-titrage Société Radio-Canada
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