00:00Il y a dix ans, la France est frappée en plein cœur.
00:19Le pire attentat jamais commis sur le sol français fait des centaines de victimes.
00:23Moi, je suis arrivé dans le Bataclan avec un ami.
00:25J'ai vu des choses que j'aurais jamais dû voir et que je n'espère jamais revoir.
00:31Comment la France tente-t-elle aujourd'hui d'empêcher que l'histoire ne se répète ?
00:37Je viens les voir pour les convaincre par l'exemple que l'engagement radical et violent n'apportera rien de positif ni dans leur vie ni dans celle des autres.
00:48Les autorités doivent faire face à de nouvelles menaces, mouvantes.
00:52Le travail a été élargi sur tout type de radicalisation, radicalisation de l'ultra droite, survivaliste, d'INCEL et radicalisation également d'ultra gauche.
01:01Je vous confie un formulaire qui est arrivé ce matin concernant une jeune fille signalée par son papa.
01:22Elle a 18 ans et convertie depuis deux ans et commence à tenir des discours un peu inquiétants en lien avec l'actualité.
01:27Nous sommes au centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation.
01:35Ce qui inquiète le papa, c'est qu'elle projette de quitter la France et de se marier bientôt alors qu'elle a que 18 ans. Merci à toi.
01:42Une équipe de policiers répond aux appels et aux signalements faits par Internet dans tout le pays.
01:52Au bout du fil, des familles, des amis, des collègues, des enseignants inquiets qu'une personne de leur entourage puisse devenir un risque pour la sécurité nationale.
02:01Ce jour-là, nous avons obtenu un accès exceptionnel à leur travail.
02:12Pour leur sécurité, il nous est demandé de ne pas montrer leur visage.
02:17Le centre d'appel a ouvert il y a 11 ans quand les départs pour rejoindre le groupe Etat islamique en Irak et en Syrie étaient à leur apogée.
02:24En 2014, une maman qui appelait pour signaler son fils qui voulait partir et elle savait qu'il avait rendez-vous dans une mosquée de la région parisienne.
02:34Elle était à 3 heures de Paris et elle nous appelait désemparée parce qu'elle voulait qu'on l'empêche de partir.
02:40Il n'y avait pas encore les interdictions de sortie administratives du territoire.
02:43On ne pouvait rien faire et cette maman a dit je prends la voiture, je vais le chercher à la mosquée.
02:46Et bon, de toute évidence, elle n'a jamais pu l'empêcher de partir, il était majeur.
02:49Et c'est difficile parce qu'on avait une mère qui savait que son fils potentiellement allait mourir en Syrie.
02:54108 000 appels ont été enregistrés depuis l'ouverture du centre.
03:02Les policiers recueillent d'abord un maximum d'informations au téléphone,
03:06puis des analystes prennent le relais et cherchent des éléments supplémentaires sur la personne signalée.
03:12En France, la liberté de culte, c'est une liberté, un droit fondamental.
03:15Donc il ne s'agit pas de prendre tous les convertis ou toutes les personnes qui ont une idéologie qui peut ne pas plaire aux voisins ou à la famille.
03:22Mais dès l'instant où il y a quelques indicateurs qui montrent un comportement, voilà, de la dissimulation, un repli sur soi, un changement d'attitude, on prend les informations et on transmet.
03:33Des informations transmises aux services de renseignement et aux autorités locales pour déterminer le risque réel.
03:40L'extrémisme islamiste reste la menace numéro un, mais l'inquiétude grandit face à d'autres mouvances, comme l'ultra droite ou la mouvance masculiniste Incel.
03:52Malheureusement, on ne pourra pas assister à l'échange parce que tous nos échanges sont régis par la confidentialité.
03:57On va devoir quitter la pièce.
03:58« Pendant notre visite, un parent appelle. Leur fils, influencé par la propagande sur Internet, est parti dans le Donbass, dans l'est de l'Ukraine, rejoindre les forces russes. »
04:15Karine Vialat dirige l'unité de concours de la lutte antiterroriste.
04:20Aujourd'hui, ses équipes doivent faire face à des menaces multiples et en constante évolution.
04:26C'est sa première interview télévisée.
04:29« On est moins sur des profils d'individus qui sont, en ce qu'on appelle nous, endurcis,
04:36c'est-à-dire qui sont inscrits dans un phénomène de radicalisation depuis de nombreuses années
04:41et qui ont effectivement de fortes convictions idéologiques.
04:46On fait face à des individus qui, parfois, ne sont pas connus des services de renseignement,
04:53qui peuvent se radicaliser assez rapidement, notamment par l'intermédiaire des réseaux sociaux. »
05:01Les mineurs sont aussi de plus en plus nombreux.
05:04« La part des mineurs suivis pour radicalisation à caractère terroriste,
05:11a, entre 2020 et 2025, a triplé. »
05:17Alors, ça reste effectivement une part peu importante de l'ensemble des individus suivis,
05:24et heureusement, mais c'est pour illustrer la montée en puissance de ce phénomène.
05:35Ce qui m'a poussé à œuvrer pour le désengagement radical et violent,
05:39c'est d'abord ma propre histoire.
05:40« Une grande période de ma vie, j'ai été en proie à ma violence et je l'exprimais par la violence. »
05:48La prévention de la violence chez les jeunes, Karim Mokhtari en a fait sa mission de vie.
05:53« J'ai été condamné à l'âge de 18 ans à une peine de 10 ans de réclusion criminelle
05:59pour un vol à marmé ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
06:02Donc je ne suis pas l'auteur de la mort de cet homme, je suis l'instigateur du vol à marmé. »
06:07Depuis sa sortie de prison à 25 ans, il anime des conférences et se rend en détention,
06:14un terrain propice à la radicalisation.
06:17« Ce carnet de peine, eh bien, c'est l'endroit où j'ai capitalisé l'ensemble des outils
06:24que j'utilise maintenant depuis une grande dizaine d'années
06:26pour permettre aux personnes détenues de trouver un sens à leur peine. »
06:34C'est derrière les barreaux que Karim a croisé un recruteur.
06:37« Très vite, j'ai été approché par ce qu'on peut dire un imam autoproclamé parmi les détenus.
06:45Donc c'est un individu qui d'habitude vend des armes et de la drogue dans son quartier.
06:49Et un jour, nos regards se sont croisés et il est venu m'interroger en me demandant si j'étais musulman.
06:56Moi, je lui ai dit que non, mais que j'aimerais bien.
06:58Les prêches de cet imam autoproclamé étaient extrêmement violents, extrêmement durs.
07:03Ils remettaient de l'huile sur le feu qui était en moi déjà,
07:07moi qui avais un problème pour trouver ma place dans la société.
07:10Et là, je me souviens que cet imam autoproclamé est venu vers moi avec un regard très très noir
07:15pour me dire que j'étais désormais musulman
07:19et que mon devoir de musulman, eh bien, c'était de défendre l'islam.
07:23Et selon lui, donc, défendre l'islam, ça voulait dire qu'il fallait que j'aille tuer les mécréants
07:27là où je les trouverais.
07:30C'est la première fois de ma vie, je crois, où j'ai su me positionner en disant non,
07:35de manière déterminée.
07:37C'était la meilleure décision que j'ai pu prendre durant toute ma peine, finalement.
07:41Parce que l'islam, c'est pas ça.
07:43Et parce que je m'étais engagé dedans pour arrêter d'être violent
07:46et lui, il me proposait plus de violence que je n'en avais même jamais imaginé.
07:50Aujourd'hui, les détenus identifiés comme radicalisés sont observés pendant 15 semaines.
07:58Ils sont ensuite orientés vers une détention classique placée à l'isolement
08:02ou en QPR, des unités pénitentiaires spécialisées
08:06où ils suivent un programme visant à prévenir l'extrémisme violent.
08:10Les QPR font partie des nombreuses mesures instaurées après les attentats de 2015.
08:18Les moyens se sont considérablement renforcés.
08:22Ce sont des moyens financiers, des moyens techniques
08:24qui ont été mis pour tenter d'empêcher les attentats.
08:28Depuis 10 ans, Marc Ecker analyse la menace terroriste
08:32et la réponse de l'État français.
08:34L'État a réussi vraiment à s'adapter à cette menace-là
08:37avec, selon la gravité, entre guillemets, du cas,
08:42soit un traitement qui pouvait être psychosocial,
08:45soit, pour les cas beaucoup plus compliqués, voire dangereux,
08:49une prise en charge sécuritaire.
08:52Une prise en charge sécuritaire essentielle
08:55qui ne doit pas faire oublier l'importance de la prévention.
08:59Au niveau local, les préfectures ont mis en place des cellules
09:02qui réunissent plusieurs services, métiers et associations.
09:07Mais la stratégie française a aussi connu des obstacles et des scandales.
09:13La déradicalisation a mauvaise presse.
09:16Il faut vraiment s'en rendre compte.
09:17Il y a eu plusieurs expériences qui ont été très fortement critiquées.
09:22Par ailleurs, il y a eu des articles qui ont été faits
09:24sur le business de la déradicalisation,
09:26accusant certaines structures de gagner beaucoup d'argent sur ces thématiques-là.
09:30Et puis, ce qu'il faut voir aussi, c'est que parmi les acteurs régaliens
09:34qui ont une approche très sécuritaire,
09:36certains considèrent que tout ce qui est prévention de la radicalisation
09:40et encore plus déradicalisation est très naïf,
09:43qu'il est impossible ou il serait impossible de déradicaliser des terroristes.
09:50Et pourtant, certaines expériences continuent à être menées.
09:53Ce ne sont d'ailleurs plus des expériences,
09:54parce qu'au bout de plusieurs années, elles ont fait leur preuve.
09:57« Je suis un survivant du Bataclan du 13 novembre 2015. »
10:11Ce jour-là, Bruno Poncé se rend à Grasse
10:13pour rencontrer un groupe d'adolescents condamnés pour des délits mineurs.
10:18Il travaille avec une association de victimes du terrorisme
10:20et des éducateurs spécialisés
10:22pour alerter sur les dangers de la violence extrême.
10:25« On va rencontrer les collègues de la protection judiciaire de la jeunesse,
10:30il va y avoir les jeunes. »
10:31« Combien de jeunes il y a ? »
10:33« Normalement, ils vont être 6, 7. »
10:35« Et après, c'est à toi de prendre la parole sur le Bataclan,
10:40en sachant que quand il a vécu ça, il avait 7, 8 ans. »
10:43« Oui, c'est ça, c'est des jeunes. »
10:45« Donc il y a peut-être quelques petits venus. »
10:47Les adolescents doivent suivre un stage de citoyenneté d'une semaine
10:51avec des magistrats, des policiers et des spécialistes du terrorisme.
10:55« Ça leur permet peut-être de s'ouvrir un peu,
10:58de se conscientiser et puis après peut-être d'avoir un autre regard
11:01après sur la société. »
11:05Le stage se déroule à huis clos, au tribunal.
11:09À l'intérieur, Bruno ne leur épargne aucun détail.
11:13« Les passages qui les marquent vraiment, c'est l'explosion.
11:24Quand je leur explique que j'avais des morceaux derrière moi du terroriste
11:28qui coulaient sur le mur.
11:30Ou quand je leur parle qu'en descendant les marques,
11:33on a vu une marre de sang.
11:34Et puis aussi, quand je leur dis qu'on a vu des cadavres
11:36et qu'on a enjambé des cadavres.
11:37Et bien, là, quand on leur parle de ça, tout de suite,
11:39ça les touche vraiment.
11:40Et puis réellement, là, on sent vraiment des fois
11:43un changement dans leur regard ou dans leur attitude. »
11:47Ces échanges avec la jeune génération,
11:49c'est aussi un moyen pour Bruno de penser ses blessures
11:52sans pour autant effacer le passé.
11:55« C'est compliqué, mais j'espère que ça,
11:57ça pourrait se développer encore plus.
11:58Ça serait très bien.
11:59Les attentats qui ont eu en France en janvier ou en novembre 2015,
12:04c'est l'histoire de France maintenant.
12:05Donc c'est bien que les gamins, ils l'apprennent aussi à l'école.
12:08Qu'ils apprennent le Moyen Âge, c'est bien,
12:09mais qu'ils apprennent ça aussi, c'est pas mal. »
12:14Une façon de sensibiliser,
12:16mais aussi d'honorer la mémoire
12:18de toutes celles et ceux qui ont perdu la vie
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