00:00La grande interview sur CNews et Europe 1, mon invité, vient de publier un livre à la fois éclairant et inquiétant intitulé
00:09« Antiterrorisme, la traque des djihadistes ». Bonjour et bienvenue Gilles Kepel.
00:12Bonjour.
00:13Merci de votre présence. Je précise que vous avez écrit ce livre avec l'ancien procureur national antiterroriste Jean-François Ricard.
00:19Vous êtes vous-même professeur des universités, spécialiste du monde arabe.
00:23Gilles Kepel, tandis que s'ouvre une semaine douloureuse, commémoration dix ans après les terribles attentats du 13 novembre 2015.
00:31Je voudrais démarrer par cette affaire qui choque profondément les Français autour de Salah Abdeslam.
00:36La justice enquêterait sur un possible projet terroriste lié à celui qui aurait dû être le prisonnier le plus surveillé de France.
00:44Il a été retrouvé avec cette clé USB contenant des vidéos à caractère djihadiste.
00:51Alors les différents spécialistes, en tous les cas dirigeants, affirment que ce n'est pas lié à un projet d'attentat.
00:56Malgré tout, comment expliquer qu'un tel détenu soit en possession d'une telle clé ?
01:02C'est un peu l'un des problèmes qu'on étudie de près, surtout sous la plume de Jean-François Ricard dans ce livre.
01:07C'est le problème de l'exécution des peines.
01:09C'est-à-dire, une fois que des condamnés djihadistes ont été incarcérés, comment faire en sorte que, dans la détention, on arrive à s'assurer qu'ils ne peuvent pas rester en contact et préparer autre chose ?
01:24Et là, bien évidemment, il faut aussi, dans la détention, faire en sorte que les prisonniers qui sont très surveillés ne deviennent pas fous.
01:31On ne peut pas interdire les parloirs, etc.
01:33Et effectivement, il semble, parce que je ne connais pas les détails de l'enquête, qu'il y ait eu une porosité préoccupante.
01:41C'est quand même hallucinant, rappelons que c'est quand même le seul membre vivant du commando des attentes du 13 novembre.
01:46Oui, tout à fait. C'est particulièrement choquant qu'on apprenne ça aujourd'hui, bien sûr.
01:51Alors, d'un autre côté, ça donne le sentiment, bien sûr, aux Français que la justice est présente, que l'État est présent, qu'ils surveillent, même si ça se produit à un mauvais moment.
02:01Il faut bien voir que cette semaine, qui est pour nous une semaine de commémoration, une semaine de deuil,
02:07où la France devrait être réconciliée face à ce drame qui nous a touchés tous au plus profond,
02:14se produit malheureusement dans une société qui est aujourd'hui de plus en plus déchirée,
02:19avec une classe politique qui part à volo et des extrêmes qui montent de chaque côté.
02:24Et si vous voulez, c'est ça ce qui crée cette espèce de malaise, je crois,
02:28alors que nous devrions tous être unis dans la commémoration.
02:32On a eu l'autre jour, vous avez vu à la Philharmonie, les fumigènes,
02:37on a toutes sortes de choses comme ça qui créent un sentiment douloureux, si vous voulez.
02:42On va en parler de ce sentiment, de cette réalité.
02:44Tout d'abord, Gilles Kepel, on a appris ces dernières heures que trois jeunes femmes,
02:48de 18 à 21 ans, interpellant à Lyon, à Villeurbanne, à Vierzon,
02:51préparaient des attaques dans des bars, dans des salles de concert,
02:55à peu près le même mode opératoire que les attentats du 13 novembre.
02:59C'est une relève djihadiste qui est de plus en plus jeune aujourd'hui
03:02et qui malheureusement est loin de se tarer.
03:04Oui, alors ça c'est le problème effectivement le plus préoccupant.
03:07J'avais appelé ça en son temps le djihadisme d'atmosphère,
03:10c'est-à-dire que vous avez des gens qui n'obéissent plus à des donneurs d'ordre,
03:13mais qui vont, à partir d'une socialisation dans des réseaux affinitaires,
03:19et également en se gavant des imbécilités qui passent sur les réseaux sociaux,
03:24sur le web, sur les messageries, etc.,
03:27qui vont faire une espèce de rupture par rapport aux valeurs de la société,
03:31une désinhibition complète.
03:33Il faut bien voir que vous avez aujourd'hui, dans la très jeune génération,
03:37une rupture complète par rapport à la transmission des parents, des maîtres, etc.
03:42Puisque ce que vous lisez sur le téléphone,
03:44et qui vous touche par votre classe d'âge,
03:46s'impose à ce qui vient de la génération avant.
03:49C'est-à-dire, ça, on est vraiment dans une espèce de malaise dans la civilisation,
03:54pour parler comme Sigmund Freud,
03:56et qui fait qu'on a cette désinhibition d'une partie de la jeunesse,
04:00et même de l'extrême jeunesse,
04:02pour lesquelles, finalement, il n'y a plus de barrage
04:05entre ce qu'on voit sur l'écran et ce qui se passe dans la réalité.
04:08Et ça, c'est extrêmement préoccupant.
04:11Jeunesse et Gilles Kepel, des profils qui désorientent une partie de la classe dirigeante.
04:17J'en veux, pour exemple, l'attaque à la voiture Bélier sur l'île d'Oléron,
04:20calme, endroit paisible,
04:22qui a dérouté bon nombre de commentateurs.
04:24C'est intéressant d'avoir votre point de vue,
04:26parce qu'il y a eu une revendication religieuse,
04:28qui aujourd'hui apparaît comme un cri de guerre à l'Awaqbar.
04:32Il y a eu un mode opératoire qui ressemble à des attaques djihadistes,
04:36et pourtant, ce n'a pas été qualifié, ou en tous les cas, appréhendé comme un attentat.
04:41Qu'en pensez-vous ?
04:41Oui, alors, le parquet national antiterroriste a décidé de ne pas s'en saisir,
04:45donc ça veut dire qu'on ne considère pas que c'est un acte de terrorisme islamiste.
04:49Néanmoins, c'est un acte qui a eu un effet terroriste,
04:53puisque le mode opératoire était le même, comme vous l'avez dit,
04:57et la personne en question, d'après ce qu'on sait,
05:00était atteinte de problèmes divers,
05:05addicte, comme on dit aussi, à un certain nombre de substances psychotropes.
05:09Mais ce qui est frappant, c'est que le vocabulaire dont cette personne s'est emparée
05:14et son mode d'opération sont calqués sur ce qu'il a vu sur les réseaux sociaux, à la télé, etc.
05:22Et quand quelqu'un a une revendication à porter, il s'empare de ce langage-là, si vous voulez.
05:27Ce qui est extrêmement préoccupant, parce que ça veut dire que notre société est poreuse à ce genre de choses,
05:33et que, justement, cette semaine où on pensait avoir complètement mis de côté ça,
05:39on stigmatise le djihadisme radical parce qu'on voit l'horreur qu'il a causé.
05:45La société pense ses blessures.
05:48C'est un processus de deuil que nous faisons en ce dixième anniversaire de l'attaque.
05:55On voit que, malheureusement, par-ci, par-là, au lieu d'être quelque chose qui fait horreur,
06:03c'est quelque chose qui est repris par des individus qui, même la personne en question,
06:08n'avaient aucun lien, ni familial, ni religieux, etc., avec cet univers.
06:14Mais ils s'emparent soudain, c'est de ce vocabulaire-là, de ce mode d'action qu'ils s'emparent
06:19pour manifester je ne sais quel problème personnel, et ça, c'est préoccupant.
Écris le tout premier commentaire