00:00Après 1277 jours de détention, Cécile Collère et Jacques Paris sont sortis cette semaine de la prison d'Evin en Iran.
00:11Ce couple d'enseignants a été détenu dans des conditions épouvantables, accusé d'espionnage.
00:15Ils se trouvent désormais à l'ambassade de France à Téhéran dans l'attente d'une autorisation de quitter le territoire.
00:21Pendant ce temps, en France, une iranienne attend elle aussi de pouvoir rentrer chez elle,
00:25Madhye Sfandiari, poursuivie par la justice française pour apologie du terrorisme.
00:29Elle est réclamée par les autorités iraniennes en échange de la libération de Cécile Collère et Jacques Paris.
00:35Ce n'est pas la première fois que Téhéran se livre ouvertement à un tel chantage.
00:39La diplomatie des otages est même devenue l'une de ses spécialités.
00:43Comment y faire face ?
00:44La France n'a-t-elle d'autre choix que de systématiquement céder face aux exigences officielles mais aussi officieuses de l'Iran ?
00:52On en parle avec vous, Clément Terme, bonsoir.
00:54Vous êtes chargé de cours à l'université Paul-Valéry de Montpellier, spécialiste de l'Iran et auteur de deux ouvrages,
01:00Idées reçues sur l'Iran, un pouvoir à bout de souffle, et Téhéran Washington, le grand Satan à l'épreuve de la révolution islamique.
01:09Comment faut-il comprendre cette libération de Cécile Collère et Jacques Paris ?
01:12Est-ce que c'est vraiment une victoire de la diplomatie française ou le résultat d'un simple marchandage ?
01:22Alors effectivement, oui, c'est une guerre informationnelle.
01:25Du côté français, on présente cette libération comme une victoire diplomatique,
01:31ce qui est le cas parce que c'est la fin, en tout cas on espère, le début de la fin d'une tragédie humaine.
01:37Donc il y a d'un côté la souffrance des victimes, de leur famille, du comité de soutien.
01:41Donc il y a une question humanitaire, donc un drame qui se termine.
01:46Et c'est pour ça qu'on salue, tout le monde salue cette bonne nouvelle.
01:51Ensuite, il y a les conditions de la libération et la stratégie qu'il faut adopter pour contrer la diplomatie des otages.
02:00Ça, c'est une autre question. Et là, on rentre dans un dilemme qui est difficile à résoudre entre d'un côté ce qu'on vient de dire,
02:07c'est-à-dire mettre fin à la tragédie humaine et gérer la souffrance des victimes,
02:14et de l'autre, préserver les intérêts de l'État français.
02:19Et donc c'est un arbitrage délicat qui est effectué au plus haut niveau de l'État français,
02:23pour à la fois gérer l'aspect humanitaire et, de notre côté, préserver les intérêts de l'État français.
02:31C'est pour ça que la France nie l'existence d'échanges d'otages contre des prisonniers iraniens détenus en Iran,
02:40et que la République islamique, au contraire, insiste sur le marchandage pour légitimer, si vous voulez,
02:48une pratique qui est par ailleurs condamnée par le droit international.
02:52Donc on ne sait rien aujourd'hui des contreparties qui ont rendu possible la libération de Cécile Collère et Jacques Paris.
02:58Effectivement, vous le dites, les autorités iraniennes, elles, estiment que leur sort est lié à celui de Mahdi Esfandiyari,
03:04cette iranienne arrêtée en février dernier.
03:07Elle a vraiment servi de monnaie d'échange, ou bien ce n'est pas le réel prix à payer pour obtenir la libération des deux enseignants ?
03:15Alors effectivement, pour la République islamique, et notamment à raison des rivalités internes entre les différents centres de pouvoir à Téhéran,
03:25donc le pouvoir judiciaire qui a condamné les otages français,
03:29et d'un autre côté le ministère des Affaires étrangères et le Conseil suprême à la Sécurité nationale de la République islamique d'Iran,
03:36qui a autorisé, si vous voulez, la libération conditionnelle de nos otages.
03:43Il y a des débats internes dans la République islamique, mais il y a une coordination pour obtenir gain de cause.
03:49Et donc c'était une porte de sortie pour le système en Iran de demander un échange pour, comme je l'ai indiqué précédemment,
03:59dans la guerre informationnelle, faire une symétrie entre les deux situations,
04:04et par là même contester l'existence même, la pratique de la diplomatie des otages,
04:10et nier le fait qu'il y a une spécificité en République islamique,
04:14avec l'acte fondateur de la politique étrangère de la République islamique,
04:17la prise d'otages le 4 novembre 1979, pendant 444 jours de 52 diplomates américains.
04:24Et pourtant il y a bien cette diplomatie des otages en Iran, elle est réelle.
04:29Pourquoi ça fonctionne si bien, cette stratégie, pour le régime iranien ?
04:35Alors il faut nuancer cette évaluation, puisqu'il y a des gars à court terme,
04:40on l'a dit, un possible échange d'otages contre une prisonnière iranienne en Iran, en France,
04:50mais il y a aussi un coût réputationnel, c'est-à-dire que la pratique de la diplomatie des otages
04:55permet soit des échanges, soit par exemple pour libérer des Iraniens arrêtés sur le sol européen
05:01pour avoir contourné les sanctions américaines, soit par exemple des dégèles d'avoir gelé
05:07par des sanctions contre le programme nucléaire iranien à l'étranger,
05:13donc obtenir aussi des compensations financières.
05:16Donc il y a plusieurs motivations, des contrats qui n'ont pas été honorés.
05:17Ce que l'Iran peut avoir obtenu dans cette situation, ce que l'Iran peut avoir obtenu
05:21en échange à la libération de Cécile Collard et Jacques Paris ?
05:25Non, mais il y a eu, comme on l'a indiqué, il y a une pratique de la diplomatie des otages
05:30depuis 1979-1980, et donc je faisais la liste des gains escomptés,
05:37parce que vous avez dit que c'était une diplomatie qui fonctionnait bien.
05:41Donc pour alimenter votre argument, je disais, voilà, les objectifs poursuivis,
05:46les différents objectifs poursuivis, pas sur ce cas précis, mais en général,
05:51mais il y a un coût réputationnel, c'est-à-dire qu'en termes d'image,
05:55et aussi parce que, si vous voulez, quand vous détenez des touristes, par exemple,
06:01qui vont en Iran, vous condamnez le secteur touristique aussi en Iran.
06:05Et pour l'image du pays également, c'est assez catastrophique,
06:09un pays qui cherche une normalisation économique.
06:12Donc c'est vraiment, ça sert les intérêts du système de la République islamique,
06:17mais ça coûte très cher aux intérêts nationaux de l'Iran.
06:20Vous l'avez dit, pour les Occidentaux, le sujet est également délicat.
06:25Ils sont parfois contraints de libérer des personnes qui peuvent être dangereuses
06:28en échange de la libération d'otages en Iran.
06:33Comment mettre fin à ce chantage permanent ?
06:39Alors oui, vous avez raison de mentionner qu'à la fois,
06:43les concessions qui peuvent être faites ont un coût,
06:46puisqu'elles incitent l'État qui pratique la diplomatie des otages à recommencer.
06:53Et dans le cas présent, il reste encore 15 à 20 citoyens européens
06:57détenus dans les prisons en Iran.
07:00Donc c'est vraiment un vrai défi.
07:02Les sanctions également peuvent apparaître comme une solution,
07:05mais elles ne sont pas dissuasives,
07:07puisque c'est une pratique aussi qui est connue.
07:11Il y a des sanctions contre la République islamique depuis 1979,
07:14et ça n'a pas changé le calcul coût-bénéfice.
07:17Donc il faut vraiment à la fois une mobilisation au niveau européen,
07:21parce qu'il y a différents pays européens qui sont touchés.
07:24Là, par exemple, il y a la libération des otages français,
07:26mais il reste un couple d'otages britanniques qui est détenu en Iran
07:30depuis le mois de janvier 2025.
07:32Donc d'autres otages sont en permanence, si vous voulez, arrêtés,
07:36et donc alimentent cette diplomatie des otages.
07:39Et donc il faut une réponse au niveau européen,
07:41et surtout il faut une mobilisation internationale.
07:43Donc il y a une initiative canadienne contre la détention arbitraire.
07:46Le problème, c'est qu'en droit international,
07:48la détention arbitraire peut être qualifiée,
07:52mais l'otage, c'est un marchandage politique.
07:55Donc c'est une détention arbitraire en vue d'un marchandage politique,
07:58et donc une réponse en termes de droit international
08:00est plus difficile à produire.
08:03Et donc c'est le défi qui est à relever,
08:07et aussi reconnaître le statut de victime des anciens otages.
08:11C'est ce qu'ils demandent, à leur retour,
08:12faciliter leur retour une fois qu'ils sont libérés des prisons en Iran.
08:16Lorsqu'il y a libération, ou semi-libération,
08:20comme c'est le cas pour l'instant pour Cécile Collère et Jacques Paris,
08:23est-ce que c'est le signe que les relations se réchauffent entre les deux pays ?
08:29Alors c'est vrai que ça peut paraître contre-intuitif,
08:32cette libération au mois de novembre 2025,
08:35alors que la France a été un des trois pays européens
08:38à demander la réactivation des sanctions des Nations Unies,
08:42à travers le mécanisme dit de snapback,
08:44qui était prévu par l'accord de nucléaire de 2015.
08:47Donc c'est à un moment où il y avait des tensions très fortes,
08:49que finalement les otages ont été libérés.
08:52Donc il n'y a pas de lien,
08:53parce que sous l'administration Trump,
08:55de lien direct, c'est-à-dire sous l'administration Trump numéro un,
08:58à l'époque de la pression maximale entre 2017 et 2021,
09:02on a vu aussi des otages américains
09:04retourner aux États-Unis et être libérés.
09:07Et pareil, dans des phases de négociation,
09:08où après la conclusion de l'accord sur le nucléaire,
09:11on a eu des arrestations également d'otages américains.
09:15Donc c'est vraiment l'intensité de la pratique des arrestations d'otages
09:19qui change en fonction de la teneur des relations avec les pays visées.
09:23Mais il y a aussi des mécaniques internes qui sont beaucoup plus importantes,
09:26c'est-à-dire le déclenchement de mouvements sociaux,
09:29par exemple le mouvement vert en 2009,
09:31ou le mouvement femme-vie-liberté en 2022,
09:35ou aussi la guerre Israël-Iran du mois de juin 2025,
09:40qui conduisent à des contextes, si vous voulez, en Iran,
09:44qui amènent les services de renseignement,
09:47l'appareil de sécurité,
09:49à utiliser les otages comme des boucs émissaires
09:52pour justifier ce qu'ils appellent les émeutes,
09:54donc des mouvements sociaux à l'intérieur du pays,
09:57en dénonçant la main de l'étranger à travers des théories du complot.
10:01Donc il y a un caractère imprévisible,
10:02parce que les voyageurs européens ou américains
10:05qui sont à ce moment-là en Iran
10:07ne peuvent pas anticiper le déclenchement
10:09des opérations militaires israéliennes du mois de juin,
10:12ou le déclenchement du mouvement femme-vie-liberté de septembre 2022,
10:16et dans le cas de Cécile et Jacques,
10:18le mouvement des professeurs du mois de mai 2022.
10:21À propos de Cécile et Jacques, pour terminer,
10:23ils sont sortis de prison ce mardi,
10:25mais ils ne sont pas encore libres de rentrer chez eux en France.
10:28Qu'est-ce que ça nous dit de la manière dont l'Iran négocie ?
10:32Les négociations ne sont pas terminées ?
10:34Simplement, il s'agit d'une mise en scène
10:38pour justement contrer la procédure judiciaire en France
10:42contre Maddi Esfandari
10:45et construire un récit, un contre-récit
10:47sur la détention de la prisonnière iranienne en France
10:52pour faire une équivalence entre les cas.
10:54Donc il s'agit de la guerre informationnelle.
10:57Et donc c'est une négociation qui a produit ce résultat
11:01parce qu'à un moment donné, la priorité,
11:04c'est la situation humanitaire
11:05et mettre fin à la souffrance des otages
11:08qui sont détenus dans des conditions inhumaines
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