Donald Trump a annoncé vouloir reprendre les essais nucléaires américains. Vladimir Poutine brandit la menace de faire pareil. Faut-il craindre une escalade nucléaire ? Rafael Mariano Grossi, le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique est l'invité de RTL. Matin. Regardez Face à Fogiel du 07 novembre 2025.
00:02A 8h19, face à Fogiel, Donald Trump veut reprendre les essais nucléaires, il accuse les Russes de le faire, l'Iran veut toujours la bombe.
00:12Dans ce contexte inquiétant, vous recevez Marc-Olivier Fogiel, le gendarme du nucléaire, autrement dit le directeur général de l'AIEA, l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique.
00:20Il s'appelle Raphaël Grossi.
00:22Bonjour Raphaël Grossi.
00:23Bonjour.
00:24L'atmosphère sur le nucléaire est préoccupante, ce sont les mots du chef d'état-major des armées, le général Fabien Mandon.
00:30Vous qui êtes le gendarme nucléaire mondial depuis 2019 et qui tentez d'empêcher la prolifération des armes nucléaires, est-ce que vous, vous êtes préoccupé, monsieur Grossi ?
00:39Oui, on est toujours préoccupé.
00:40Nous, c'est surtout les côtés non-prolifération, c'est-à-dire éviter que le nombre des pays dotés de l'armement nucléaire augmente.
00:49Mais tout ce qui concerne les actions des pays déjà dotés nous concernent aussi parce que c'est à travers ces actions-là que d'autres pays se posent des questions et qui parfois considèrent ou réconsidèrent leur politique.
01:04Toutes ces annonces, tous ces faits ont lieu dans un cadre de fragmentation et de tensions croissantes dans le scénario international.
01:11Ce qui veut dire que la dimension nucléaire qui existe toujours connaît une hausse importante des tensions.
01:18On va y venir très concrètement, mais par exemple, quand avant-hier, lors d'une réunion de son conseil de sécurité, Poutine s'est donc décidé à suivre la même direction que Donald Trump,
01:26il envisage de reprendre des essais nucléaires russes, alors que Donald Trump a exigé la reprise immédiate des essais américains.
01:33Comment doit-on interpréter cette surenchère nucléaire ?
01:36C'est surtout une surenchère des déclarations, une espèce de tension rhétorique pour l'instant.
01:41Vous voulez dire qu'ils montrent leurs muscles en gros quoi ? Ils montrent leurs muscles l'un l'autre pour se faire peur ?
01:45En tout cas, pour passer des messages, des messages importants, il ne faut pas oublier qu'il y a un conflit, il y a une guerre qui se déroule entre la Fédération Russie et l'Ukraine,
01:53où toutes ces annonces des capacités nucléaires ou des contre-capacités à capacité nucléaire ont un impact.
02:00Pour bien comprendre, si Donald Trump veut relancer les essais nucléaires, en tout cas il le dit,
02:03c'est parce qu'il est convaincu que la Russie, la Chine, la Corée du Nord et le Pakistan mènent des tests secrets.
02:08Il prétend que ces pays font des essais très loin sur Terre, dans des endroits où personne ne sait exactement ce qu'il s'y passe.
02:14Est-ce que c'est plausible ? Vous qui surveillez ça de très près.
02:16Plausible, c'est plausible.
02:18Ce que je peux vous dire, c'est qu'au plan international, il existe des normes visant à interdire et à contrôler les essais nucléaires.
02:26Moi, je crois que c'est une phase surtout de déclaration forte et de rappel du fait que la dimension nucléaire, elle, elle est bien là.
02:35Ce n'est plus, je dirais, une abstraction. La possibilité de l'utilisation de l'armement nucléaire et ou l'augmentation des arsenaux.
02:43Là, ça, c'est une réalité. Vous qui regardez ça de très près, et on va développer encore, et on va parler évidemment de l'Iran dans un instant,
02:50mais la dimension nucléaire, aujourd'hui, ce n'est plus une abstraction. On en est là.
02:54On est là. Il faut l'admettre. Pendant, je dirais, les dernières décennies, on avait vu une réduction du nombre des ogives des têtes nucléaires dans les pays dotés.
03:04Mais cette tendance s'est arrêtée, brusquement, et on commence à voir une réversion de cette tendance.
03:10Donc, la Russie, les États-Unis maintiennent un leadership indéniable. La France, le Royaume-Uni aussi.
03:17La Chine, elle rattrape la distance qu'elle avait.
03:20Elle a doublé son arsenal entre 2015 et 2019, quoi. En gros, la Chine, elle avait 500 ogives nucléaires aujourd'hui.
03:26Elle a doublé son arsenal nucléaire.
03:27Oui, elle cherche une certaine parité. Et nous avons les autres pays qui sont dehors le régime de non-prolifération,
03:34comme l'Inde, les Pakistans, et où, autour d'Israël, il y a une espèce d'opacité.
03:39On n'y affirme, ni réjette le fait d'avoir un arsenal, mais la conviction généralisée, c'est qu'il existe un arsenal.
03:47Et puis, la Corée du Nord.
03:48Ce qui est plus inquiétant, par-coulivier, pour moi, c'est qu'il y a des pays qui, jusqu'à maintenant,
03:53se sont abstenus, comme je disais tout à l'heure, des pays qui ont toutes les capacités technologiques
03:58de développer l'arme nucléaire.
04:00Et ils se disent, peut-être, on devrait repenser notre politique d'abstention d'armement nucléaire.
04:08Mais excusez ma question de néophyte, parce qu'on se dit que tous ces pays, finalement, c'est de la dissuasion.
04:14Ou alors, vous vous dites qu'il y en a bien un assez dingue qui est capable d'appuyer sur le bouton.
04:18C'est le deux. La dissuasion suppose la possibilité finale d'utilisation.
04:22Et n'oublions pas qu'on parle aussi de la possibilité de l'utilisation de l'armement nucléaire au niveau tactique,
04:29qui serait vraiment très dangereux.
04:31Mais l'hypothèse d'une utilisation limitée de l'armement nucléaire, elle est aussi considérée.
04:36Donc, il ne faut pas nécessairement penser à Armageddon.
04:38Quelqu'un appuie les boutons rouges et part, c'est fini.
04:41Non, on peut envisager d'autres scénarios aussi inquiétants, peut-être plus inquiétants.
04:45Mais par exemple, les propos de Donald Trump qui interviennent quelques jours après que Vladimir Poutine
04:49a présenté un nouveau missile appelé Burwenstik, doté d'une propulsion nucléaire.
04:54Il serait capable de toucher une cible n'importe où dans le monde, par exemple, ce nouveau missile ?
04:58Là, c'est une question technologique.
04:59Et ce n'est pas nécessairement lié à l'armement nucléaire.
05:02Ça donne au pays qui a développé ça une énorme capacité stratégique.
05:06On est dans un monde où, maintenant, la chose la plus importante, c'est quel type de système d'armement nous avons ?
05:12Et c'est quoi que l'autre a ? Et donc, je redouble.
05:15Et on rentre dans cette logique de surenchère qu'on ne connaissait pas depuis des décennies.
05:19Il faut reconnaître que la donne internationale, elle a fondamentalement changé.
05:24On est dans une escalade nucléaire, on peut le dire, en fait.
05:26On est dans une escalade militaire stratégique qui a une composante nucléaire importante.
05:31C'est très clair.
05:32La dernière fois qu'on a parlé vraiment du nucléaire, c'était avec l'Iran.
05:36Évidemment, on se souvient des avancées techniques significatives dans un programme nucléaire.
05:40On se souvient évidemment des missiles israéliens.
05:43On se souvient évidemment de l'aide américaine.
05:46Votre agence est présente en Iran.
05:48L'Iran, elle en est où ?
05:49Êtes-vous en capacité de nous dire si l'uranium a été déplacé dans un lieu secret avant les bombardements
05:53ou bien sous les décombres ?
05:55On en est où de cet uranium qui enrichit ?
05:57Il est toujours là.
05:58Notre idée, je crois qu'il existe un consensus assez répandu sur le fait qu'il est où il était en grand parti.
06:04Et c'est clair que les frappes du mois de juin ont été assez dévastatrices.
06:08Cela ne veut pas dire que l'Iran n'a plus des capacités.
06:13Une fois qu'un pays atteint un seuil des connaissances et des capacités technologiques,
06:18elles peuvent être reconstruites.
06:20Évidemment, il y a un espace de temps.
06:22En gros, les frappes du mois de juin, elles ont retardé la capacité à l'Iran de se doter de l'arme nucléaire.
06:26De combien de temps, M. Grossi ?
06:28Considérablement.
06:29Pour l'instant, ce qui nous préoccupe, c'est le fait que les matériels, il est toujours là.
06:36Et donc, il faut que nos inspecteurs puissent y retourner au plus vite.
06:40C'était ma question.
06:40Vos inspecteurs, ils peuvent y travailler normalement en Iran ?
06:42Nous avons recommencé le travail d'inspection, mais c'est très, très laborieux.
06:47Moi, je dois parfois appeler les ministres des Affaires étrangères pour des inspections
06:51qui n'ont pas de caractère stratégique.
06:53Et les sites frappés n'ont pas été visités.
06:56On ne peut pas y retourner.
06:57Donc, je crois que c'est très, très important d'y retourner.
07:00Sinon, on va laisser cet élément qui a été un peu à la base de tout ce qui s'est passé
07:05dans une sorte de latence, comme un élément qui pourrait réémerger.
07:11Nous travaillons pour essayer de recadrer les choses et de retrouver un nouveau équilibre.
07:17Il existe des contacts ambilatérales entre Teheran et Washington, mais ils ne sont pas encore aboutis.
07:24En tout cas, le président iranien, lui, il dit qu'il veut reconstruire les sites nucléaires détruits,
07:27bombardés en juin par les Etats-Unis et Israël.
07:29Lui, c'est son objectif, c'est reconstruire ces sites nucléaires.
07:32Oui, il est dans son droit, c'est son pays.
07:34Mais on ne peut pas ignorer le fait que cela a été la cause d'un conflit, d'une guerre.
07:39Donc, il faut voir comment il les ferait et surtout qu'il les fasse sous les inspections de la IR.
07:44Nos auditeurs vous écoutent certainement passionnés depuis une dizaine de minutes,
07:48mais ils se disent, est-ce qu'on a des raisons d'être inquiets ?
07:51Vous nous dites, le monde a basculé.
07:52Vous leur dites quoi, clairement, comme conclusion à nos auditeurs ?
07:56On a raison d'être inquiets, mais on ne doit pas désespérer.
07:59Si on utilise les outils diplomatiques qui existent,
08:04les régimes de non-prolifération, le travail de l'OIA, éventuellement de l'ONU,
08:08je crois que nous avons les éléments pour éviter les pires.
08:11Allez, dernière question, vous avez vu ça forcément, il y a un film qui cartonne sur Netflix,
08:16c'est House of Dynamite, numéro 1 de la plateforme.
08:18Un film qui imagine une attaque nucléaire dirigée contre les Etats-Unis
08:21ne laissant que 19 minutes aux autorités américaines pour prendre la bonne décision.
08:24C'est une fiction, ça peut être une réalité ?
08:28Ça peut être une réalité.
08:29Il y a évidemment des licences poétiques d'une œuvre de fiction et c'est très bien fait.
08:33Moi, j'ai un rappel d'un autre film, ça révèle mon âge un peu, des années 80,
08:38il s'appelait The Day After.
08:39C'était un peu ça et on savait déjà que c'était inéluctable parce que l'attaque avait été lancée.
08:45Moi, je dirais, c'est lamentable, mais c'est comme ça,
08:48on est dans un moment, dans une situation internationale où, encore une fois,
08:52après avoir rêvé d'un nouvel ordre mondial, etc.,
08:54dans lequel la possibilité d'un conflit nucléaire est bien réelle.
08:58Il faut redoubler nos efforts autour des institutions
09:01qui nous aident, nous, à continuer avec ces rêves
09:03qui a commencé en 45, il y a 80 ans,
09:07d'un monde avec des institutions qui puissent nous aider à éviter les pires.
09:11Allez, on va garder espoir.
09:13Merci d'avoir été en ligne avec nous, Raphaël Grossi,
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