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DB - 03-11-2025
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00:00C'est par leurs avenues, leurs boulevards, leurs rues et leurs ruelles que le sang des villes circule.
00:30Chaque jour, aux mêmes heures, sur les mêmes trottoirs, entre les mêmes maisons, des êtres vont et viennent, se croisent, se bousculent, et presque toujours s'ignore.
00:50Ainsi est ma rue, celle où je vis depuis mon enfance, celle où j'ai joué ou flâné en revenant de l'école.
00:56Quand on la regarde sur un plan, elle a une jolie forme, une forme de rivière nonchalante et paisible.
01:03Mais dans la réalité, elle est comme toutes ses sœurs, un goulet pour véhicules pressés.
01:09Et ces deux trottoirs deviennent comme deux rives éloignées, séparées par un torrent de mouvements et de bruit.
01:15Avant, il y a longtemps, c'était très différent.
01:34Peut-être mieux.
01:35Je ne sais pas, je n'étais pas encore né.
01:36Du temps des fiacres, elle s'appelait Rue Jeune d'Arc.
01:47C'était l'artère principale de notre quartier.
01:49Les commerçants y vendaient leurs produits un sous moins cher qu'ailleurs.
01:53Des chevaux habitaient le fond des cours.
01:54Les bourgeois occupaient l'étage noble, le premier.
01:57Et les fonctionnaires, dans l'ordre hiérarchique, se superposaient du second au cinquième.
02:01Dans les combles mansardés, vivaient les gens de maison.
02:06Peu de bruit, beaucoup d'arbres, par conséquent, beaucoup d'oiseaux.
02:11Or, un jour, il y eut un changement.
02:13Le tramway fit son apparition.
02:16Et pour qu'il ne lui vînt pas la fantaisie d'aller se perdre en banlieue,
02:19on lui traça son chemin, tandis que la fée électricité le tenait en laisse à bout de perche.
02:27Ainsi, durant plusieurs années, il occupa le milieu de la chaussée.
02:30En devint le maître.
02:32Mais son complexe de supériorité lui passa avec l'irruption des premières voitures.
02:37Et avec elles, tout changea.
02:41En effet, la rue fut sillonnée par ces guêpes folles,
02:44au milieu desquelles le tramway prit une allure de lourdeau encombrant.
02:48Et le conseil municipal, qui avait connu des heures chaudes pour imposer le tramway,
02:52connut de nouvelles heures chaudes pour décider de sa disparition.
02:56Gardons-le !
02:58Non, il est périmé, il encombre la rue.
03:00Il est charmant.
03:02Votons !
03:03Messieurs, je demande un vote.
03:04Dans la même séance orageuse, on décida de supprimer le vieux serviteur en livrée blanche et verte
03:14et d'ouvrir à l'automobile une voie digne de son avenir pétaradant.
03:19On tira quelques traits sur le plan, aussi droit que possible.
03:34On démolit quelques hôtels particuliers.
03:37Et ce qui avait été une charmante rue devint un boulevard rectiligne et ennuyeux.
03:41Et puisqu'on y était, on baptisa le nouveau morceau de rue, rue de la République.
03:51Alors, tronçonné, amputé de 80 de ses numéros,
03:55Maru conservait son nom de rue Jeune-l'Arc et s'endormit paisiblement.
03:59Ainsi, on aurait pu la croire oublier quelque part en province
04:03ou quelque part au milieu d'un autre siècle.
04:07C'était Comté sans l'automobile,
04:09qui, après quelques années d'artisanalaborieux,
04:12exigeait des usines et se livrait aux chaînes de montage.
04:14Sous-titrage Société Radio-Canada
04:44Les plus intrépides ouvrirent la voie
04:48dans laquelle s'engouffrèrent des centaines et des centaines de leurs sœurs,
04:51des milliers.
04:59Les temps paisibles étaient révolus.
05:07Rien ne résistait à l'envahisseur.
05:10Rien.
05:11Sinon, 300 mètres de rails demeuraient tout au long.
05:13300 mètres de rails inutiles et dangereux
05:16et tous ceux qui habitent la rue pourraient en témoigner.
05:20Celui-ci, que tout le monde appelle le commandant
05:22sans trop savoir pourquoi.
05:27Madame Lucette, propriétaire d'un petit café.
05:30Les demoiselles Ponchon, journaux et merceries.
05:33Blatis, le transporteur.
05:35Postal, le photographe.
05:36Et les autres.
05:40Sans négliger les anonymes que de temps à autre,
05:42un crissement de frein attire derrière leur fenêtre.
05:44Encore, c'est mon virage.
05:46C'est la troisième fois en moins de six mois.
05:49Qu'est-ce que vous avez ?
05:50Heureusement que j'ai souffréné un dos.
05:52Rien de cassé au moins ?
05:53Non, non, au mal aux genoux, mais non, rien de cassé.
05:55C'est jour, je vais en trouver un sous mon camion, moi.
05:57J'ai froid.
05:58Mais emmenez-le à la maison, je vais lui faire le bon.
06:00Ça lui donnera un coup de fouet.
06:01Personnellement, monsieur, moi je suis prêt à témoigner.
06:04C'est pas votre chance.
06:05Vous pouvez toujours téléphoner au commissariat.
06:07Mais oui, portez-le, portez-le.
06:09Amenez-le, amenez-le, amenez-le, amenez-le.
06:11Non, non, ça gâche, c'est gâche.
06:12Et la patinette, vous pourriez l'enlever, non ?
06:16Qu'est-ce qui se passe ?
06:19Un accident.
06:20Ah ?
06:21Grave ?
06:23Je ne pense pas, ils ont t'emmené le blessé jusqu'au petit café.
06:25On va se faire bien d'aller me rendre compte.
06:29Dieu sait ce qu'ils vont lui faire boire.
06:33En entendant le grog, ils prennent toujours ça.
06:35Mais c'est pas un peu poulant.
06:36Faut qu'on lui mette de l'alcool dans les salles
06:38et qu'on lui dise qu'on est à divresse à 8h ou du matin.
06:41Et ton grog, c'est pas de l'alcool, ton grog ?
06:43C'est de l'eau chaude.
06:44Le rhum, il est là pour mettre le goût de dents et c'est tout.
06:47Mais tant que nous aurons des rails au milieu de cette rue,
06:49nous serons à la merci de ces accidents, madame.
06:51Et alors, c'est pas nous qu'il faut le dire, vous savez.
06:54C'est pas nous qui allons les enlever de l'eau.
06:55C'est une nuit des fois, vos rails.
06:58Pardon.
06:59Pardon, docteur Pratt.
07:02Je pense que ça va aller.
07:04Bien sûr, j'ai une patte un peu folle.
07:05Allongez-lui sur les deux tables, là.
07:06C'est pas la peine.
07:08Non, c'est pas la peine.
07:10Vous me faites un papier d'arrêt de travail pour une quinzaine.
07:16Allongez-vous.
07:20Madame a raison.
07:21Ceci concerne les pouvoirs publics.
07:23Eh bien, je vais aller les trouver, les pauvres publics.
07:26Et ils vont m'entendre.
07:28Ah !
07:28En somme, vous attendez que nous ayons un mort sur le pavé.
07:34La mairie m'envoie chez vous.
07:35Vous m'envoyez aux travaux publics.
07:37Et les travaux publics, où vont-ils m'envoyer, eux ?
07:40Eh bien, vous mettrez le temps qu'il faudra.
07:43Quinze jours, trois semaines, ce n'est pas si long.
07:45Du temps passa.
07:50La rue avait oublié l'incident.
07:52Mais la machine administrative s'était mise en route.
07:55On pourrait procéder par moitié.
08:08L'une après l'autre, pour ne pas interrompre la circulation.
08:11C'est bien étroit, hein ?
08:12Même pour une seule file de voiture.
08:14Vous croyez ?
08:15Dans ce cas, c'est bien simple, on barre la rue le temps nécessaire.
08:18Et voilà.
08:19La décision était prise.
08:20Il ne restait plus qu'à passer au stade de l'exécution.
08:42Papa ! Papa !
08:44Il y a un type qui met des comptes redances à tout le monde là-bas.
08:46Et t'en as une.
08:48Hein ?
08:48Hein ?
08:49Toi, tu ne me déranges pour rien.
08:57Bon, allez, va faire tes devoirs.
08:59Oh non, non, mais écoute ça.
09:01Les services des travaux publics de la ville vous informent
09:04que la rue Jeanne d'Arc sera interdite à la circulation
09:06à partir du 25 avril à minuit.
09:08En conséquence, votre véhicule devra être retiré
09:10du stationnement public à cette date.
09:13Et pour toute la durée des travaux.
09:15Eh ben...
09:15Couteuse, allez, allez.
09:16Ouais.
09:19Ah, ça y est, tout de même.
09:26Bonjour.
09:34Qu'est-ce que c'est ?
09:35Vous avez vu l'affiche ?
09:36Quelle affiche ?
09:37Sur la porte.
09:38Regardez.
09:39Ils vont enfin enlever les rails.
09:41C'est pas vrai.
09:41Si, c'est vrai.
09:43Et c'est moi qui ai obtenu cette mesure indispensable.
09:48Une mesure d'imbécile, tiens.
09:50Fermez la rue, je te dis.
09:52Comme si on n'avait pas pu enlever les rails la nuit,
09:54par petits bouts.
09:54Bon, donc on dort.
09:56Oh, c'est incroyable.
09:59C'est tout simplement une mesure autoritaire.
10:01On ne consulte pas les riverains
10:02et on arrache un dernier témoignage du passé.
10:04Ce qui faisait le charme de notre côté de vous.
10:07De notre côté, tous ces accidents,
10:08c'était plus possible.
10:09Mon cher Blatty,
10:10ceux qui doivent tomber
10:11n'échappent pas à leur sort.
10:12On prend ailleurs, on prend c'est tout.
10:14Lisez le Coran, lisez la Bible, vous comprenez ?
10:16Oui, oh ça, ceux qui doivent tomber,
10:18ils tombent.
10:19Évidemment, vu comme ça,
10:21seulement s'ils refont la rue,
10:22je leur demande d'agrandir le bateau
10:23juste devant chez moi.
10:25Comme ça, je pourrais garer mon camion
10:26et j'y trouve mon compte.
10:35Allô, cabinet valier ?
10:37Bonjour, madame.
10:38C'est Simone Stern, à l'appareil.
10:40Oui, je suis locataire
10:41d'un de vos immeubles au Rue Jeanne d'Arc
10:42et j'aimerais que vous m'autorisiez
10:44à garer ma voiture
10:45pendant la durée des travaux
10:47dans la cour de l'immeuble.
10:49Ah, je ne suis pas la première
10:51à vous faire cette demande.
10:52Oui, mais c'est peut-être plus important
10:54pour moi que pour les autres.
10:56Bon, oui.
10:58Alors, je vous ferai une demande par lettre.
11:00D'accord, avec motif à l'appui.
11:02Très bien, merci.
11:05Alors ?
11:06Eh bien, un échange de correspondance.
11:08Ils me répondront
11:08lorsque les travaux seront terminés,
11:10tu ne crois pas ?
11:12Et puis d'ailleurs,
11:12j'ai bien le sentiment
11:13qu'ils n'accepteront pas.
11:15Antoine, tu ne pars pas,
11:17enfin, je veux dire,
11:18tu vas revenir.
11:19Bien sûr.
11:21Si tu voulais me dire
11:21pourquoi tu es tellement inquiet, Antoine.
11:24Ça ne fait pas, ça s'arrange,
11:25j'arrive du doute.
11:26Antoine ?
11:28Qui te cherche ?
11:31Personne.
11:32Je n'aime pas marcher à pied.
11:34C'est tout.
11:39Ainsi,
11:40par la simple volonté
11:41d'une décision administrative,
11:44ma rue allait se trouver
11:45retranchée du reste du monde.
11:47Et la vie de ses habitants
11:49s'aurait profondément influencée.
11:50Mais ceci est une autre histoire,
11:54l'histoire de la rue Barré.
11:56Sous-titrage Société Radio-Canada
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