Depuis 2020, Istanbul s’impose comme un hub majeur de la tech, porté par des startups innovantes, notamment dans le gaming mobile, et soutenu par des aides massives de l’État. Les entreprises turques connaissent un succès mondial, avec des licornes créées rapidement et une présence féminine remarquable à leur tête. L’ambition est claire : renforcer l’innovation numérique du pays et créer 100 licornes d’ici 2030.
00:00Alors je suis en compagnie d'Arnaud Pesset qui est connecté à distance, qui est installé à Istanbul depuis un an et demi.
00:10Bonjour Arnaud, vous êtes journaliste indépendant, spécialiste du numérique, vous couvrez la tech en Turquie et au Moyen-Orient.
00:17Ça m'intéressait de vous entendre sur à quoi ressemble cet écosystème en Turquie dont on ne parle pas beaucoup, je dois dire, ici en France.
00:24C'est vrai, Istanbul est une ville particulière qui est à cheval entre deux continents, entre l'Europe et l'Asie.
00:33Il y a un dynamisme très particulier à Istanbul qui se retranscrit dans l'écosystème tech, avec une culture de la résilience aussi.
00:42Une population très jeune, près de la moitié de la population à moins de 30 ans, donc vraiment enclin aux écosystèmes numériques.
00:49Donc aujourd'hui en Turquie, il y a cinq licornes, Trendyol, Dream Games, Getir, Insider et une petite nouvelle papara qui est une entreprise fintech, donc une banque en ligne.
01:01Alors c'est ce que je veux dire, c'est quel secteur ces licornes ? On les retrouve dans un secteur en particulier ?
01:08Oui, beaucoup dans le jeu vidéo et surtout le jeu vidéo mobile.
01:11Ça a démarré en 2013 avec l'entreprise Peak Games qui a été créée par Cedar Sahin, qui a connu un succès fulgurant et qui a été la première licorne de Turquie.
01:22Et tout le monde en parlait, c'était partout dans les médias.
01:25On me raconte que les chauffeurs de taxi aussi en parlaient et tout le monde s'est mis à vouloir faire du jeu vidéo mobile,
01:30parce que c'est quelque chose aussi qu'on retrouve dans la culture en Turquie.
01:33Le jeu est présent partout. Dans les terrasses des cafés, on voit les jeunes jouer aux bagamones, aux échecs,
01:40et aussi les personnes plus âgées, c'est vraiment culturel.
01:44Mais aussi le jeu vidéo est très présent et surtout le jeu vidéo mobile,
01:47parce que les consoles de jeux sont taxées, sont très chères, donc peu y ont accès.
01:52Et les jeunes jouent beaucoup sur les mobiles.
01:55Et il y a un effet véritablement écosystème à Istanbul ou peut-être plus largement en Turquie,
02:02comme on a un peu la Startup Nation et la French Tech ici en France.
02:08Oui, alors c'est vrai, il y a deux dynamiques.
02:11Celle qui a été créée par l'entreprise Pigames, qui a été la première licorne,
02:14où Cédar Sahin, quand il a créé son entreprise, il a dit qu'il voulait s'inspirer de la PayPal Mafia.
02:19Donc Elon Musk, Peter Thiel, etc.
02:23Et il a réussi. Il a réussi parce qu'ils ont fait une vingtaine de petits de startups
02:29qui sont venus absolument majeurs, et notamment en particulier l'entreprise Dream Games,
02:34qui a créé le jeu Royal Match.
02:36Vous avez peut-être déjà vu, il y a beaucoup de publicités en ligne de ce jeu-là.
02:40Et qui a réussi à détrôner Candy Crush sur son propre marché aux Etats-Unis.
02:45Donc ça, c'est quand même assez énorme.
02:46Un jeune studio créé en 2020, en cinq ans,
02:49est parvenu à détrôner un géant sur son propre marché américain.
02:51Royal Match, donc, est né à Istanbul.
02:53Exactement, sur les rives du Bosphore.
02:57Ok.
02:59Donc, des micro-écosystèmes.
03:03Est-ce qu'il y a une ambition gouvernementale autour du nombre de licornes,
03:05ou ce n'est pas du tout l'enjeu là-bas ?
03:07On n'est plus sur des stratégies de choix technologiques
03:12et d'investissements importants, je ne sais pas,
03:14dans les humanoïdes, l'intelligence artificielle.
03:18Il y a une grande ambition, oui.
03:19Alors, le projet s'appelle Turcorn 100.
03:24Donc voilà, ils appellent les licornes turques, les turcornes.
03:27Et l'idée, c'est d'avoir une centaine de licornes d'ici 2030.
03:31Donc ça fait quand même court,
03:32quand on sait qu'aujourd'hui, il n'y en a que cinq.
03:33Donc bon, c'est quand même beaucoup du marketing.
03:36Mais il y a une vraie volonté et un soutien du gouvernement.
03:40Et l'arme secrète, qui a fait le succès des studios de jeux vidéo
03:44et qui leur permet de recruter des joueurs à travers le monde,
03:47c'est un système de cash-back sur les investissements publicitaires,
03:52jusqu'à 60%.
03:53Donc si une entreprise de jeu investit un million de dollars,
03:57par exemple, dans la publicité sur Facebook pour recruter des joueurs,
04:00presque la moitié ou plus de la moitié, même jusqu'à 600 000 dollars,
04:05va être remboursée par l'État.
04:06D'accord. Et alors, à la tête de ces entreprises tech en Turquie,
04:11on retrouve quel type de profil ?
04:14Ici, on a vraiment un profil type très HEC, voilà, homme, blanc, bref.
04:20Est-ce qu'il y a comme ça aussi une sorte de lignée d'entrepreneurs ?
04:25Ce n'est pas aussi défini, parce que c'est encore assez nouveau.
04:29Et cet écosystème, il a à peine une dizaine d'années.
04:31Mais une des particularités, c'est qu'on retrouve beaucoup de femmes.
04:36La moitié des licornes sont dirigées par des femmes.
04:40Et il y a de différents horizons.
04:42Alors la plus connue d'entre elles, c'est vraiment un modèle de réussite,
04:46c'est Demet Mutlu, qui est passé par Harvard.
04:50Donc ils ne sont pas non plus de n'importe où,
04:53mais qui est la dirigeante de l'entreprise Trendyol,
04:55qui est l'équivalent de l'Amazon en Turquie,
04:58qui est aujourd'hui l'entreprise tech avec la plus forte valorisation à 16 milliards.
05:03D'accord.
05:04Donc 50% des licornes, bon, il n'y en a pas beaucoup de licornes,
05:09mais quand même, sont tenues par des femmes.
05:12En termes de levée de fonds aussi, il y a des montants importants aujourd'hui ?
05:17Pas vraiment.
05:18Sur l'année dernière, c'est un montant total de 416 millions,
05:22mais c'est une progression de plus de 400% par rapport à l'année précédente.
05:25Donc ce n'est pas encore énorme, mais il y a une progression.
05:28D'accord.
05:29Et vous avez vu sur les investisseurs étrangers, justement,
05:32qui viennent investir en Turquie, ils viennent d'où principalement ?
05:37Ils sont assez frileux pour l'instant,
05:39parce que l'économie turque n'est pas très stable.
05:41Donc c'est la difficulté, c'est l'enjeu qu'ils ont aujourd'hui.
05:44C'est ce que beaucoup me racontent, en fait.
05:46Ils démarrent en early stage avec les banques turques,
05:49et très vite, ils vont s'installer, par exemple, à Londres.
05:51Beaucoup sont à Londres.
05:52Et finalement, elles deviennent des startups anglaises ou américaines en partant aux US.
05:56Donc c'est un petit peu le challenge qu'ils ont à relever aujourd'hui.
05:59D'accord.
06:00Eh bien, on n'est pas très loin d'avoir le même challenge, vous savez.
06:03Merci beaucoup, Arnaud.
06:05Arnaud Pesset, je rappelle que vous êtes journaliste,
06:07et donc à Istanbul depuis un an et demi pour observer cet écosystème.
06:10Merci beaucoup de l'avoir partagé avec nous.
06:13À suivre dans Smartex, c'est la grande interview du député Philippe Platon,
06:17très engagé, justement, sur ces questions numériques.
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