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  • il y a 2 jours
Transcription
00:00Alors, Thomas Allociné.
00:03Merci.
00:04J'ai beaucoup aimé le film, vraiment beaucoup aimé.
00:06Et c'est un film que j'attendais énormément.
00:08Ah, les attentes étaient fortes.
00:10Oui, tout à fait.
00:12Une de mes premières questions, justement, c'est que ce livre est vraiment très inscrit dans la mémoire culturelle, populaire française.
00:20Et pourtant, je trouve que tout en étant fidèle au livre, vous arrivez totalement à vous l'approprier.
00:25Et je trouve qu'on pense beaucoup au cinéma hollywoodien des années 50 devant ce film.
00:30J'ai beaucoup pensé à Soudain l'été dernier, notamment.
00:32Est-ce que ce sont...
00:33Voilà, j'aimerais savoir comment vous avez justement pensé l'univers du film pour...
00:36Pour moi, c'était important, en adaptant l'étranger, c'était pas faire un film de 1942, mais faire un film de 2025.
00:45Donc, il fallait mettre en avant la modernité de cette histoire.
00:50Et puis, il fallait recréer en même temps un monde ancien qui n'existe plus,
00:55qui est l'Algérie française.
00:57Et très vite, le noir et blanc s'est imposé comme un moyen à la fois de recréer un monde qui n'existe plus
01:02et qui nous rappelle...
01:04Et toutes les archives en noir et blanc qu'on a de cette période de l'Algérie française étaient là.
01:09Donc, il y avait un peu une évidence de venir au noir et blanc.
01:13Et puis, en même temps, travailler le noir et blanc avec mon chef opérateur
01:15de manière à pousser les hautes lumières très fortes, très fortement,
01:21pour recréer cette idée d'éblouissement qu'il y a dans le livre de Camus.
01:25Et dans la manière dont vous mettez en scène Benjamin Voisin, notamment,
01:29il y a vraiment quelque chose d'assez iconoclaste,
01:31qu'on ne pense pas forcément quand on pense à Merceau dans le livre.
01:35Je ne sais pas ce que vous en pensez.
01:35C'est-à-dire qu'en fait, très vite, quand j'ai commencé l'adaptation,
01:38je me suis dit que le personnage de Merceau, c'est vraiment un anti-héros.
01:41C'est vraiment le personnage auquel on ne peut pas s'identifier
01:44parce que, déjà, il n'a pas de prénom, il n'a pas de passé,
01:48il n'exprime rien, il n'a pas d'émotion.
01:52C'est un peu une abstraction.
01:54Et quand vous êtes dans un cours de scénario dans une école de cinéma,
01:58quand on vous apprend à écrire un personnage, c'est tout le contraire de ce qu'est Merceau.
02:02Donc, pour moi, c'est un vrai défi de l'incarner au cinéma
02:05et de faire en sorte qu'on s'intéresse à lui
02:06tout en sachant que le spectateur aurait beaucoup de mal à s'identifier,
02:11à avoir de l'empathie avec lui.
02:12Et le problème, c'est qu'au cinéma, ça marche sur l'identification.
02:16Donc, je me suis dit que le seul moyen de croire à ce personnage,
02:19de le suivre, d'être intéressé par lui,
02:23c'est de jouer plus sur un effet de forme de fascination,
02:26de mystère, de charisme.
02:28Et j'ai beaucoup pensé, en fait, à Visconti,
02:31qui a fait une adaptation de L'étranger dans les années 60
02:34et qui disait lui-même qu'il s'était planté,
02:37et qu'en fait, il aurait souhaité, à la place de Mastroianni,
02:40pour jouer Merceau, Alain Delon.
02:42Et en fait, j'ai beaucoup pensé à Alain Delon,
02:43le Alain Delon des années 60,
02:45le Alain Delon du Samouraï,
02:48Alain Delon de Plein Soleil,
02:49ou même du film d'Antonioni,
02:52L'Éclipse,
02:52où il ne jouait pas forcément des personnages sympathiques,
02:55mais des personnages qu'on avait plaisir à regarder.
02:57Et je me suis dit, voilà, Merceau,
03:00il faut travailler un petit peu là-dessus,
03:01donc jouer sur une forme de beauté,
03:03une forme de fascination qu'il exerce,
03:05et en même temps, une opacité,
03:07une intériorité très, très forte.
03:09Et avec Benjamin Voisin,
03:10on a travaillé dans ce sens.
03:12Donc vous lui avez montré des images.
03:14Est-ce que vous avez des images principalement d'Alain Delon,
03:16ou aussi d'autres acteurs, ou d'autres...
03:18Non, en fait, ce qu'on a beaucoup regardé,
03:21pour trouver, par exemple, le personnage, les costumes,
03:23on a regardé les images de Camus,
03:25lui-même, dans les années 30,
03:27qui était en Algérie,
03:28qui était journaliste là-bas.
03:30Et il y a beaucoup de photos de lui,
03:32où il est en bras de chemise,
03:33il est très beau,
03:35il a des pantalons en haut.
03:36Enfin, c'est les pantalons de l'époque.
03:37Il y a des gens qui me reprochent
03:39d'être un peu trop glamour,
03:40mais en fait, c'est les costumes de l'époque.
03:41Après, Benjamin et Rebecca portent très bien le costume.
03:44Mais c'est vrai qu'on s'est plus inspirés,
03:47en fait, même de la coiffure de Camus,
03:50plutôt que...
03:51Après, ce qui est intéressant,
03:53quand on tourne en noir et blanc,
03:54c'est que ça réveille une mémoire cinéphilique
03:56presque à notre insu.
03:58Par exemple, quand je filmais
04:00Rebecca Marder en maillot de bain blanc sur la plage,
04:03tout d'un coup, je me dis,
04:04tiens, on dirait Elisabeth Taylor
04:05dans Soudain l'été dernier.
04:07Quand Benjamin, avec son costume,
04:09marchait dans la rue,
04:10je me dis, tiens, on dirait
04:11Gary Grant ou Gary Cooper
04:14qui marchent dans une rue new-yorkaise
04:16ou à Casablanca.
04:18Donc, tout d'un coup,
04:19le noir et blanc réveillent des choses
04:21qui nous échappent un peu.
04:22Mais c'est parce qu'on a une culture cinéphilique
04:25en noir et blanc qui est importante.
04:26C'est marrant, vous dites que
04:27certaines personnes vous reprochent
04:29d'être au glamour,
04:30vous pensez que c'est vraiment un défaut ?
04:31Non, pour moi, c'était très important
04:33que la sensualité soit présente,
04:35que la beauté soit présente,
04:37parce que face à l'absurdité du monde,
04:38il fallait qu'il y ait un contrepoint.
04:40Et cette beauté,
04:41il fallait qu'elle soit présente,
04:43qu'en plus,
04:44Meursault,
04:45il n'exprime pas d'émotion,
04:46mais il ressent les choses.
04:47Donc, il fallait travailler sur le son,
04:50sur l'image, forcément,
04:53mais aussi sur des sensations,
04:54sur des matières,
04:55sur sentir les éléments de la nature,
04:58le vent, la mer.
04:59Toutes ces choses-là
05:00sont très importantes chez Camus.
05:02Et toute cette première partie
05:03qui est très descriptif,
05:06très béavioriste,
05:07il fallait avoir ces sensations-là
05:09et ressentir cette beauté du monde
05:12dans laquelle il s'inscrit,
05:13mais sans en être vraiment conscient
05:16au début du film.
05:17C'est vraiment qu'à la fin
05:18qu'il prend conscience
05:19qu'il a été heureux
05:20et qu'il est fait
05:24pour être dans ce monde.
05:25Vous parliez tout à l'heure
05:26du défi de recréer l'Algérie,
05:28enfin, l'ancienne Algérie.
05:29Je sais que vous avez tourné au Maroc,
05:31je crois.
05:31Est-ce que vous pouvez me parler
05:32justement de comment on arrive
05:33à transformer le Maroc d'aujourd'hui
05:35en Algérie d'avant ?
05:37Alors, souvent,
05:38quand on...
05:38Alors, moi, j'aurais rêvé
05:39de tourner en Algérie
05:40et là, ce n'était pas possible.
05:41Aujourd'hui, vu les conditions,
05:43les tensions qu'il y a
05:46entre les deux pays,
05:47donc très vite,
05:47on s'est rabattu sur le Maroc
05:48et notamment Tangier,
05:50qui est une ville aussi méditerranéenne
05:52et qui a beaucoup de points communs
05:53d'un point de vue architectural
05:54avec Tangier.
05:56En plus d'être en port,
05:57il y a un mélange
05:59d'architecture occidentale
06:01avec une architecture mauresque
06:04et il y avait beaucoup de points communs.
06:07Je n'ai pas pu aller à Alger,
06:08mais il y a tellement de documents,
06:09on a pu comparer.
06:09Et puis, le noir et blanc
06:11nous a permis de faire
06:11pas mal d'effets spéciaux
06:12pour retrouver vraiment
06:14la baie d'Alger,
06:15de retrouver certaines architectures
06:17qu'on ne trouvait pas forcément
06:18à Tangier.
06:19Et ce qui était important aussi,
06:21c'était la lumière.
06:22La lumière de la Méditerranée,
06:23ça, c'était très important.
06:24Et la lumière de la Méditerranée,
06:26à Tangier ou Alger,
06:27c'est la même.
06:28Je parlais tout à l'heure
06:29justement de la fidélité
06:30par rapport au livre.
06:31C'est vrai que le film l'est.
06:32Il y a quand même
06:33quelques différences
06:34que vous avez ajoutées,
06:35sciemment,
06:36notamment au travers
06:36le personnage de la sœur.
06:37Est-ce que vous pouvez
06:38justement me revenir un peu
06:39sur ces différences ?
06:40Pourquoi vous les avez faites ?
06:41Pourquoi ces choix ?
06:42Pour moi,
06:42c'était très important
06:43de faire un film de 2025,
06:45d'avoir un regard d'aujourd'hui
06:46sur cette histoire
06:47et d'intégrer tous les éléments
06:49qui se sont passés.
06:50Depuis 1942,
06:51la sortie du livre,
06:52il y a eu la guerre d'Algérie,
06:53il y a eu l'indépendance
06:54et il y a aussi
06:56toutes les analyses
06:57qui ont été faites du livre,
06:59aussi bien philosophiques,
07:01littéraires,
07:02tout ce que ça a inspiré.
07:04Le livre est de rentrer
07:06dans la culture populaire,
07:07finalement,
07:08puisque même Cure
07:09a fait une chanson
07:09par rapport à Meursault,
07:11Kamel Daoud a écrit
07:12un livre qui s'appelle
07:13Meursault contre enquête,
07:14qui est une réponse
07:16qui est un peu
07:16le point de vue des Arabes
07:17sur cette histoire.
07:19Et pour moi,
07:20c'était impossible
07:21de faire abstraction de tout ça.
07:23Il fallait l'intégrer
07:24dans le film,
07:25donc très vite,
07:26j'ai eu besoin
07:27de contextualiser l'histoire
07:28et dans mon développement
07:30des personnages,
07:31notamment dans le personnage
07:32de la sœur,
07:32faire entendre une voix arabe,
07:34parce qu'aujourd'hui,
07:35quand on lit le livre,
07:36ce qui nous frappe particulièrement,
07:37c'est l'invisibilisation
07:38de l'arabe.
07:39Alors évidemment,
07:40quand Camus l'écrit
07:41et quand ça sort en 1942,
07:42ce n'est absolument pas
07:43un geste raciste,
07:45c'est un geste plus descriptif.
07:48Voilà,
07:48il l'appelle l'arabe
07:49comme il l'appellerait
07:50l'algérien, l'italien,
07:51comme dans un code
07:52d'un polar de l'époque.
07:55Mais aujourd'hui,
07:56il était important
07:57de donner un nom
07:59et puis une voix
08:00aux Arabes
08:02dans l'histoire.
08:04Et il y a beaucoup
08:05de scènes très importantes
08:06dans le livre
08:08et qu'on attend
08:08dans le film,
08:09notamment la scène
08:10du meurtre.
08:12Est-ce que c'était
08:12la scène
08:13dans laquelle
08:14vous vous sentiez,
08:15vous aviez plus de pression
08:16ou alors c'était peut-être
08:17même plus
08:18le monologue final
08:20dans la prison ?
08:21Qu'est-ce qui,
08:22avant de réaliser le film,
08:23qu'est-ce que vous disiez ?
08:24C'est vrai que la scène
08:26du meurtre
08:26est assez complexe.
08:27quand on l'a lu
08:28dans le livre,
08:29on a du mal
08:30à comprendre
08:31pourquoi Meursault revient.
08:33Il fait deux allers-retours,
08:34il y va une fois
08:35avec synthèse,
08:36il y retourne après
08:37tout seul
08:37en gardant le revolver.
08:38Quand il se retrouve
08:39face à l'Arabe,
08:40l'Arabe est en situation
08:41de repos,
08:42qu'est-ce qu'il fait ?
08:43Il s'avance vers lui.
08:44Pourquoi il s'avance ?
08:45Pour échapper au soleil ?
08:46Non, le soleil est là.
08:47Donc toute cette scène
08:48était assez mystérieuse
08:49et je me suis dit
08:50finalement,
08:51le seul moyen
08:52de l'incarner,
08:54de la faire exister au cinéma,
08:55c'est de m'inspirer
08:56de Sergio Leone
08:57et des westerns,
08:57vous savez où il y a
08:58des duels.
08:59Et là, tout d'un coup,
09:01on joue sur des regards,
09:03des gros plans de visage,
09:05sur des gros plans
09:06de détails
09:06et il y a une forme
09:08d'érotisation
09:08qui se fait,
09:09mais comme il y a
09:10chez Sergio Leone.
09:11Et là,
09:11ce qui est intéressant,
09:12c'était de se poser
09:14aussi la question
09:14qui est l'étranger ?
09:15Est-ce que c'est l'Arabe ?
09:16Est-ce que c'est le Français
09:17qui n'est pas chez lui ?
09:19Et montrer toute l'étrangeté
09:21de cette scène
09:22avec le soleil,
09:24la lumière,
09:25est quelque chose
09:26finalement d'assez érotique
09:28qu'il y a
09:29dans cette confrontation
09:30et des fois,
09:31le seul moyen
09:32d'incarner ça,
09:38c'est une forme
09:39d'érotisation.
09:41Après,
09:43moi-même
09:43et Benjamin,
09:44moi aussi,
09:44on ne savait pas
09:45pourquoi il tirait.
09:46Enfin,
09:46on comprend pourquoi
09:47il tire une première fois.
09:48On peut se dire
09:48que c'est un geste
09:49de légitime défense
09:50puisque l'autre
09:51sort le couteau.
09:52Il avait dit
09:52s'il sort son couteau,
09:53tu tires.
09:54mais pourquoi
09:55il tire encore
09:56quatre autres coups ?
09:58Et pourquoi ?
09:59Alors,
10:00moi,
10:00ce qui m'a plu
10:01et ce que j'ai essayé
10:02de montrer,
10:03c'est que c'est un personnage
10:04qui casse l'harmonie du jour.
10:06Voilà,
10:07un peu,
10:07il est dans une transgression
10:09totale,
10:09il transgresse
10:10le cours de sa vie
10:12qui est à peu près normal
10:13où il y a un rituel
10:14et tout d'un coup,
10:15il brise ce rituel
10:16presque pour être vivant
10:18d'une certaine manière.
10:19Enfin,
10:20c'est ce que je me suis raconté.
10:21Après,
10:21chacun interprète
10:22comme il veut
10:22cette scène.
10:23Bien sûr,
10:24mais c'est bien
10:24que vous parliez
10:24d'érotisation
10:25parce que vous dites
10:27que c'est présent
10:27dans les westerns aussi,
10:28mais c'est aussi
10:29très présent chez vous,
10:30cette éterisation.
10:31Mais moi,
10:31le cinéma
10:32a à voir avec le désir.
10:34Je pense que
10:35c'est un endroit
10:37où on doit être attisé.
10:40Enfin,
10:40nos sens doivent être
10:41attisés au cinéma.
10:43On a envie de tomber amoureux,
10:45on a envie d'avoir du désir,
10:46on a envie de s'identifier,
10:48on a envie de toucher
10:48ce qu'il y a sur l'écran.
10:50Ça fait partie de la magie
10:51et du pouvoir du cinéma.
10:53Donc,
10:54c'est très difficile
10:55pour moi
10:56de ne pas exprimer
10:58une forme de désir
10:59quand je filme.
11:01S'il n'y avait pas de désir,
11:02je ne filmerais pas.
11:04Et j'aime beaucoup,
11:05Benjamin Voisin,
11:05c'est un acteur que j'aime bien beaucoup.
11:07Et il est très différent
11:08dans ce film de 85.
11:10Je voulais savoir
11:11si vous l'aviez vu
11:11au théâtre dans le guerre.
11:12Oui, absolument.
11:13Je l'avais vu au théâtre
11:14dans le guerre, Céline,
11:15où il m'avait impressionné,
11:17où il jouait plein de rôles.
11:19C'est vraiment
11:19l'inverse de l'étranger.
11:21Mais voilà,
11:22qui peut beaucoup,
11:23peut aussi moins.
11:24Et là, sur ce film,
11:25il s'agissait de restreindre,
11:27d'intérioriser.
11:28Je lui ai donné à lire
11:29Notes sur le cinématographe
11:31de Robert Bresson,
11:31qui ne veut pas d'acteur,
11:33mais des modèles.
11:33Donc, c'était un vrai défi pour lui,
11:35mais je pense
11:35qu'il s'en est bien sorti.
11:37Et même si ça a été douloureux
11:38et compliqué parfois,
11:40c'était une vraie expérience
11:42très physique.
11:44Douloureux et compliqué,
11:45notamment à cause de...
11:46Il faut lui demander.
11:47Oui, je lui demanderai.
11:49Je lui demanderai.
11:49Moi, très bien.
11:50Merci beaucoup.
11:50Merci à vous.
11:51Merci à vous.
11:51Merci.
11:53Merci.
11:53Merci.
11:53Merci.
11:54Merci.
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