00:00Nous nous intéressons à présent à la situation à El Facher, capitale de l'état du Darfour Nord, au Soudan.
00:05Cette ville, assiégée depuis plus d'un an par les forces pari-militaires des FSR, a fini par tomber entre les mains de ces forces de soutien rapide.
00:13Et les autorités militaires régulières ont d'ailleurs reconnu leur retrait.
00:16Avec nous ce soir, Marc Lavergne, géopolitologue, directeur émérite de recherche au Centre français de recherche, le CNRS.
00:24Merci d'être avec nous.
00:25Marc Lavergne, tout d'abord, est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi la prise d'El Facher est si symbolique ?
00:31Elle est symbolique d'abord parce qu'El Facher est la capitale historique du Darfour,
00:34qui était un sultanat très important qui contrôlait le commerce avec la Méditerranée, finalement,
00:41entre l'Afrique à travers le Sahel et le Sahara jusqu'en Égypte.
00:45Donc il y a une dimension symbolique très importante.
00:47Il y a une dimension pratique aussi puisque c'était la capitale de cet ensemble du Darfour
00:52qui était divisé en plusieurs provinces d'ailleurs.
00:55Mais c'était donc une clé, un nœud de communication entre Khartoum et le Tchad.
01:03Et en particulier, l'accès pour tous les humanitaires qui voulaient...
01:10Puisque le Darfour n'en est pas à sa première crise.
01:12Il y a eu beaucoup de crises auparavant, depuis maintenant presque un demi-siècle,
01:15à cause de la famine, la désertification.
01:18Et maintenant, avec cette crise politique, l'armée tenait là un bastion, en quelque sorte,
01:27qui a été abandonné parce que finalement c'était intenable.
01:30La ville a plus d'un million d'habitants aujourd'hui, avec des déplacés tout autour.
01:36Et je pense que les gens qui l'ont emporté, c'est-à-dire les forces de soutien rapide,
01:42étaient soutenues par des mercenaires colombiens.
01:44On parle beaucoup de ces mercenaires aujourd'hui,
01:46qui sont véritablement, eux, des professionnels de la guerre
01:48et qui ont dû donner les moyens techniques pour s'emparer de la ville.
01:53Et on a souvent considéré El Fachar comme étant l'épicentre de la crise humanitaire.
01:59Qu'est-ce que ça présage, justement, pour les populations ?
02:02Je pense que ça ne présage évidemment rien de bon.
02:06Mais d'une autre façon, si le gouvernement soudanais pouvait reprendre El Fachar,
02:12il pourrait avoir la liaison avec le Tchad,
02:15où sont cantonnées les organisations humanitaires, qui n'arrivent plus à passer.
02:18Donc la situation va sans doute s'aggraver,
02:21parce que les forces de soutien rapide qui ont pris le camp militaire,
02:25la 6e division, sont totalement incapables de gérer la population.
02:29Alors, vous parlez peut-être de reprise,
02:31mais les FSR ont revendiqué le contrôle après l'effondrement
02:34de la 6e division d'infanterie El Fachar.
02:37Mais qu'est-ce que cela dit de la force réelle, justement, des armées régulières ?
02:41Alors, elles sont importantes, mais elles sont toujours stationnées dans des casernes.
02:46Donc elles sont difficiles à mobiliser.
02:49Et puis elles sont originaires pour la plupart de la vallée du Nil,
02:52qui est à plus de 1000 km du Darfour.
02:54Donc elles sont étrangères, en quelque sorte, dans ce territoire qu'elles ne maîtrisent pas.
02:57Et puis c'est un territoire montagneux, rocailleux, désertique,
03:01donc pas facile à contrôler.
03:03Et il y a des groupes rebelles qui sont installés dans la montagne,
03:07dans les grottes, dans la forêt, et qui résistent jusqu'à aujourd'hui.
03:11Alors, ce conflit a commencé.
03:13On pense que ce conflit a commencé avec, justement, la bataille entre deux généraux pour le pouvoir.
03:20Mais en fait, on oublie souvent de mentionner qu'avant cette bataille,
03:24la population était dans la rue pour réclamer le retour du pouvoir dans les mains de civils.
03:29Est-ce que c'est envisageable ?
03:30On part d'une transition démocratique qui a commencé en 2019,
03:35qui a duré deux ans.
03:37Et l'Occident a promis d'aider les Soudanais à rétablir leur économie,
03:42à rétablir un système démocratique, un système politique qui tienne,
03:46avec des élections libres.
03:48Mais finalement, tout le monde a disparu,
03:50dès qu'il y a eu cet affrontement,
03:52au sein de l'appareil d'État,
03:54entre l'armée régulière et le général Omar al-Bashir,
03:58qui la dirigeait et qui dirigeait le pays,
04:00comme l'armée l'a toujours fait depuis l'indépendance en 1956,
04:04et ses forces de soutien rapides,
04:05qui avaient été recrutées par le président,
04:07qui se méfiaient de son armée,
04:09parce qu'il était sous mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale,
04:12donc il ne pouvait plus circuler, il ne pouvait plus diriger,
04:15et il avait peur d'être remplacé par celui qui, effectivement,
04:17l'a remplacé, le général Al-Bourhan.
04:19– Alors, il y a également ce problème de division interne.
04:27Alors, il y a quelque temps, dans la capitale kenyane,
04:32il y a eu une charte qui a été signée,
04:34entre les membres du FSR et leurs alliés,
04:37pour un gouvernement parallèle.
04:39Donc, ça voudrait dire que le Soudan, finalement,
04:42serait encore divisé,
04:43alors qu'il n'y a pas si longtemps que ça, en 2011,
04:45le Soudan a déjà été divisé,
04:47avec la création d'un Soudan du Sud.
04:49Qu'est-ce que ça dit pour l'avenir du Soudan ?
04:51– Oui, alors là, il ne s'agit pas de division géographique,
04:54il s'agit d'une division politique,
04:56mais les forces de soutien rapide n'ont absolument aucune compétence de gouvernement.
05:00Ce sont des gens qui ont été recrutés,
05:03parce qu'ils devaient faire le travail que l'armée ne pouvait pas faire,
05:06c'est-à-dire massacrer les populations civiles,
05:10et contrôler le commerce de l'or,
05:13qui est la richesse du Darfour,
05:15et qui permet de financer, aujourd'hui, cette guerre
05:17du côté des forces de soutien rapide.
05:19Donc, je pense qu'on n'est plus dans le même cas de figure
05:22que celui qu'il y avait entre le Sud-Soudan,
05:24qui demandait l'autonomie,
05:26mais en réalité, le chef des rebelles du Sud-Soudan
05:28me disait, ça n'est pas la peine,
05:31ce n'est pas l'autonomie qu'on veut,
05:32c'est l'égalité.
05:33C'est un système qui disait à la française,
05:35c'est-à-dire où la religion est en dehors de l'État.
05:39Parce que le grand danger, c'est évidemment les frères musulmans
05:42qui soutiennent aujourd'hui l'armée,
05:44et donc les pays africains tout autour du Soudan
05:46se méfient de ces frères musulmans.
05:49Les gens du Golfe, et en particulier les Émiriens,
05:52se méfient eux aussi beaucoup
05:54de cette présence des frères musulmans au Soudan.
05:57Est-ce que vous pensez qu'il y aurait une réaction
05:58des acteurs régionaux ?
06:00Oui, je pense qu'il y a une sorte d'inquiétude, bien sûr,
06:03parce que l'Arabie Saoudite a ses projets
06:05sur la mer Rouge, de développement,
06:07avec du tourisme, avec une ouverture sur le monde,
06:10et ce qui se passe sur la rive en face
06:11est très gênant.
06:13Donc je pense qu'il y a une déstabilisation
06:14de toute la région qui est assez problématique.
06:17Elle existe déjà au Sahel,
06:19mais là, il y a les problèmes entre l'Égypte et l'Éthiopie,
06:21le Soudan est au milieu,
06:23il y a des problèmes aussi au Kenya.
06:25Enfin, toute cette Afrique équatoriale
06:27et cette Afrique orientale
06:28est aujourd'hui en voie de déstabilisation.
06:31Et donc le Soudan pouvait être un facteur d'équilibre,
06:35mais il ne le joue pas du tout.
06:37Et il faut qu'il trouve encore aujourd'hui
06:39sa stabilité autour de ce gouvernement
06:42qui est demandé par la population,
06:44parce que les deux forces qui s'affrontent
06:45ne représentent pas du tout la population soudanaise.
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