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Anne Fulda reçoit Michel Onfray pour son livre «Déambulation dans les ruines» dans #HDLivres

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00:01Bienvenue à l'heure des livres Michel Onfray, on est ravis de vous recevoir, on vous connaît, on vous présente plus, philosophe éternel, fondateur de l'université populaire au terreur d'une centaine d'ouvrages, beaucoup traduits dans le monde entier, spectateur engagé, la vie intellectuelle, politique.
00:19Vous vous lancez aujourd'hui dans une entreprise assez ambitieuse comme d'habitude, une histoire philosophique de l'Occident qui se déclinera en quatre volumes chez Albain Michel.
00:28Le premier s'intitule « Déambulation dans les ruines », tout un programme, et la première phrase de votre livre effectivement annonce la couleur « L'Occident existe, je l'ai rencontré et je le vois disparaître ».
00:43C'est ce constat, désolé, qui vous a poussé à écrire ce livre, et déjà sur quels indices fondez-vous ce constat d'Occident qui disparaît peu à peu ?
00:58Oui, j'ai voulu recréer une université populaire dans mon village, à Chambois, dans l'Orne, et puis les édiles ont fait le nécessaire pour que ça n'ait pas lieu, j'ai pas eu le permis de construire, etc.
01:07Mais j'avais l'intention d'enseigner ce nouveau cours, j'ai fait un cours d'histoire de la philosophie qui s'appelait « Contre-histoire de la philosophie », et là j'ai voulu démarrer un grand chantier.
01:15En fait, je suis lecteur de Hegel depuis très longtemps, on le sait peu parce que je ne l'ai pas beaucoup dit, mais c'était une partie de ma thèse, et c'est Hegel qui nous enseigne la vie des civilisations.
01:23Une civilisation, ça naît, ça croît, il y a un moment d'acmé, de pleine puissance, puis un moment de descente, de chute, de disparition, et puis voilà.
01:29Et puis une civilisation a eu lieu, puis une autre prend la place, etc.
01:32Il y a eu Assur, Sumer, Babylone, les Égyptiens, il y a eu les Grecs, il y a eu les Romains, il y a eu les Européens.
01:39Et tout le monde est d'accord sur l'idée que toutes les civilisations sont mortelles, et d'ailleurs on le sait depuis Paul Valéry,
01:45mais personne n'a l'impression que la nôtre serait mortelle.
01:47Or, elle est mortelle, cette civilisation.
01:49C'est comme de dire de quelqu'un qui aurait 100 ans que peut-être tout le monde meurt, mais pas celui qu'on aime,
01:53parce que c'est notre père et qu'il a 100 ans et qu'on a l'impression qu'il va durer toujours.
01:57Donc les civilisations sont mortelles, et je ne suis pas dans la réaction, je ne suis pas un conservateur ou un réactionnaire,
02:03je ne veux pas restaurer un ordre ancien, c'est ainsi.
02:05On ne peut pas dire de quelqu'un qui a 100 ans qu'on aimerait qu'il ait 20 ans, ça n'a pas de sens.
02:08Et donc je fais l'histoire de cette civilisation, parce que j'entends dire qu'il n'y a pas d'Occident, que ça n'existe pas,
02:13comme Édouard Seyde nous disait que l'orientalisme était une invention, etc.
02:17J'ai même vu qu'une historienne nous disait que le judéo-christianisme n'existait pas,
02:21sous prétexte que ce judéo-christianisme excluait le judaïsme.
02:23Je me rappelle que judéo-christianisme, il y a judéo dans le judéo-christianisme,
02:26et qu'on ne peut pas exclure le judaïsme, et puis qu'il excluait cette civilisation judéo-chrétienne,
02:30l'islam également, c'est faux, il y a eu des débats avec Averroès, etc.
02:34Donc je voudrais raconter une histoire dialectique, je dirais, de l'Occident.
02:39Quand je dis dialectique, c'est-à-dire sur un même sujet, il y a souvent deux façons de penser.
02:44Si on veut parler de Sandrine Rousseau et de son barbecue, par exemple,
02:47il y a une origine philosophique du véganisme chez les pythagoriciens,
02:51chez un certain nombre d'autres philosophes,
02:54et il y a des carnivores, des mangeurs de viande.
02:57Donc vous pouvez opposer tous les philosophes platoniciens qui ont refusé de manger de la chair,
03:04et puis la diogène, par exemple, qui mangeait de la chair humaine.
03:07Et sur le mariage, la fidélité, l'amour, le pouvoir, la puissance, la méthode, la philosophie,
03:12la sagesse, etc. J'ai pris à chaque fois deux philosophes, deux façons d'être,
03:16et j'essaie de montrer comment les tensions produisent un jour un triomphe,
03:20et qu'avec le christianisme, par exemple, triomphe le platonisme contre le matérialisme,
03:24contre l'atomisme et ce genre de choses.
03:27Est-ce que ça signifie que pour vous, dans le contexte actuel,
03:31peut-être dans le marasme actuel, dirait certains,
03:34sans référer aux anciens à travers les questions philosophiques,
03:37qui est une manière de retrouver ses fondements, de retrouver l'essentiel ?
03:44C'est une façon de dire, voyez comment s'est constituée notre civilisation,
03:47et voyez aussi comment elle disparaît.
03:49Et puis moi, j'aime toujours la résolution des contraires.
03:52J'aime bien la politique, même si je suis de gauche,
03:55j'estime qu'on doit pouvoir réunir les Français,
03:58et qu'on doit pouvoir réunir aussi la droite sur un certain nombre de fondamentaux,
04:02et que sur des questions comme celle-ci, on a fini par faire des synthèses.
04:04Et c'est ce que nous sommes.
04:06Donc là, actuellement, ça se défait,
04:08et d'autres civilisations prennent le lead, la domination, je dirais.
04:13Donc c'est ça qui est aussi intéressant, de travailler,
04:16alors ça, ce sera la fin de la série, j'ai dit 4, pour ne pas faire peur à mon éditeur.
04:21J'avais dit 4 pour la contre-histoire, il a dû y avoir 12 ou 13 volumes.
04:25Mais on peut débattre sans s'insulter.
04:28Moi, je ne dis pas qu'il faut être vegan, je ne dis pas qu'il faut être carnivore,
04:31je dis que les arguments des uns et des autres étaient ceux-là,
04:34et qu'on les retrouve aujourd'hui, dans un triomphe,
04:37dans la jeune génération, par exemple, dans le triomphe du véganisme,
04:40pendant que d'autres sont toujours très fiers de manger de la viande grillée,
04:45du bœuf grillé sur un barbecue.
04:47Je dis, à chaque fois que vous avez quelque chose qui procède de notre civilisation,
04:50il y a des racines philosophiques à tout ça, sans que vous le sachiez fort mieux.
04:53Et ça peut être concernant des sujets qui peuvent apparaître comme ça,
04:56pas triviaux, mais presque, mariage ou célibat, des plaisirs ou vertus.
05:03Donc, à chaque fois, il y a...
05:04Alors, moi, ce que j'aimerais vous demander, c'est parce que certains pourraient être
05:06un peu effrayés à l'idée d'entrer dans un tel ouvrage,
05:12en se disant, c'est trop compliqué, c'est trop touffu, trop philosophique.
05:16Quel argument vous lui donneriez pour lui donner envie d'y aller ?
05:22Je suis un philosophe français, c'est-à-dire avec mes contemporains,
05:25que ce soit Bernard Roy Lévy, Luc Ferry, André Comte-Sponville ou quelques autres,
05:29on est très divers sur ce que nous enseignons, sur ce que nous écrivons,
05:33mais on a en commun une écriture lisible.
05:36C'est-à-dire que les derniers anciens, Derrida, Deleuze, Foucault, Guattari, etc.,
05:41ça commence avec Sartre, c'est une espèce de manie de donner l'impression
05:44qu'on était traduit de l'allemand pour être un philosophe profond.
05:47Et je crois qu'aujourd'hui, la philosophie, elle est lisible.
05:49On peut, moi c'est mon vieux maître qui m'a enseigné ça, Lucien Gervagnon,
05:52on peut être dans la logique de Bergson, par exemple, qui écrit un français magnifique
05:56pour dire des choses extrêmement profondes.
05:58Je ne dis pas que je dis des choses profondes de manière magnifique,
06:00mais je veux dire que c'est philosophiquement tenable.
06:03Donc j'essaie de raconter mon modèle, c'est plutôt la nouvelle,
06:06une narration à chaque fois.
06:07En disant, je vais vous raconter ce que c'est qu'être végane
06:10dans les milieux platoniciens de cette époque-là.
06:12Il y a Porphyre, je vais vous expliquer qui est Porphyre.
06:15Il a un traité du véganisme, je vous explique ce que ça veut dire être végane
06:18et pourquoi il ne faudrait pas manger de viande, etc.
06:21Et je veux que les gens puissent se dire, il y a une histoire qui est racontée
06:24et ce livre qui fourmille de chapitres...
06:26Oui, avec des incarnations.
06:27C'est ça, oui.
06:28C'est susceptible d'être tranché, j'allais dire, d'être coupé en morceaux.
06:31On peut lire un chapitre ou un bloc avec deux chapitres
06:35et puis continuer comme ça.
06:37Je voudrais que ça puisse être comme un roman d'aventure.
06:40Alors c'est vrai que ça se lit très aisément.
06:43Vous-même, vous venez de faire allusion à celui qui a été un peu un maître.
06:49Est-ce que vous n'êtes pas inquiet, justement, ça s'éloigne un peu,
06:52mais quand même de l'enseignement de l'avenir,
06:55de l'enseignement de la philosophie aujourd'hui,
06:57dans une civilisation déjà où l'écrit est remis en question,
07:02attaqué de toutes parts.
07:03Est-ce que vous pensez qu'on va encore pouvoir aujourd'hui
07:08trouver refuge dans la philosophie ?
07:10Et comment le faire ?
07:12Vous avez raison, je pense que le livre est mourant.
07:14Je ne vais pas dire mort, mais mourant.
07:15C'est-à-dire qu'il y a une jeune génération qui ne lit pas,
07:18qui ne lit plus, qui n'aime pas les livres.
07:20On a aujourd'hui plein de jeunes à l'université
07:21qui font appel à l'intelligence artificielle
07:23pour faire des notes de synthèse ou des résumés de livres de philosophie.
07:26Moi, c'était mon plaisir, et c'est toujours mon plaisir
07:28de dévorer un livre, de prendre des notes,
07:31de faire des synthèses, des notes, etc.
07:33Et aujourd'hui, ça ne semble plus être partagé.
07:36Donc, on est passé à autre chose.
07:37Moi, je crois aux individus rebelles,
07:39aux individus qui sont capables de dire
07:41« Pensez tout seul, pensez de manière autonome ».
07:43Moi, quand j'étais à l'université de Caen,
07:45j'ai parlé tout à l'heure de Lucien Gérfagnon,
07:47mais j'avais des profs qui étaient marxistes,
07:50qui étaient structuralistes, qui étaient foucaldiens,
07:52qui étaient lacaniens, qui étaient à la mode,
07:54qui enseignaient la mode.
07:55Et puis Gérfagnon, qui dit « Mais moi, je suis un contemporain de Lucrèce,
07:58j'ai 25 siècles ».
08:00Et c'était lui qui était contemporain.
08:02Nietzsche a un mot qui est très intéressant,
08:03il parle d'intempestivité.
08:05Il y a un intempestif, c'est quelqu'un qui est toujours de son temps.
08:07Si vous êtes à la mode, vous allez vous démoder.
08:09Si vous êtes vraiment dans votre temps, mais pas à la mode,
08:12alors vous pouvez enseigner des choses.
08:14Et moi, j'en appelle un peu à une jeunesse qui vient vers moi.
08:18Et je vois dans la rue, ou des jeunes qui m'écrivent,
08:20et il y a un désir de savoir, de penser ou de réfléchir.
08:24Ils savent très bien que s'ils veulent leur diplôme à l'université,
08:26il faut faire du wokisme.
08:27Il faut travailler sur le statut de l'esclave chez Aristote,
08:30travailler sur le statut des femmes chez Platon,
08:32travailler sur la différence sexuelle chez Diogène de Sinop,
08:36et que là, on aura probablement la possibilité de soutenir un master.
08:39Mais certains ne sont pas dupes et disent « Je passe par ça,
08:41parce qu'il me faut des diplômes ».
08:43Et puis quand ils auront des diplômes, j'espère qu'ils enseigneront
08:45comme Gerfagno a pu m'enseigner, et comme j'ai pu essayer de le faire,
08:47moi aussi bien avec mes élèves,
08:49pendant 20 ans dans une classe terminale technologique,
08:52que pendant 15 ans à l'université populaire.
08:55– Alors juste pour terminer,
08:58je commençais par cette première phrase de votre livre
09:01sur cet Occident qui est sur le point de disparaître.
09:05Quelle, vous vous associez, quelques vertus à cet Occident,
09:11l'humanisme, la raison, la science, à votre avis,
09:15enfin parmi d'autres,
09:17quelle est la vertu la plus en danger aujourd'hui,
09:20et sur laquelle il fait vous payer plus que tout ?
09:23– Je dirais la probité, cette espèce d'immoralité
09:26qui fait qu'on peut aujourd'hui mentir absolument,
09:29dire n'importe quoi, trahir, tromper, être dans l'immoralité totale.
09:33Moi j'aime bien la probité, les gens probent.
09:36Puis après j'essaie de ne pas donner de jugement de valeur dans ce livre,
09:39c'est-à-dire chacun pourra choisir, c'est ça l'intérêt,
09:41puisqu'il était prévu pour faire un cours,
09:43l'intérêt c'était de concerner les gens,
09:45en disant « Et vous ? »
09:45Vous êtes plutôt végane ou carnivore,
09:47vous êtes plutôt libertinage ou mariage,
09:49vous êtes plutôt idéalisme ou matérialisme,
09:52vous êtes plutôt philosophe anarchiste ou philosophe monarchiste,
09:55toutes ces choses-là se disent là,
09:56et ça ira jusqu'au XXe siècle,
09:59au XXIe siècle, jusqu'à des contemporains,
10:01je songe à Peter Singer par exemple,
10:03qui dans la libération animale,
10:04c'était dans les années 90 du siècle dernier,
10:06s'en vient nous expliquer qu'il n'y a pas une différence de nature
10:10entre l'homme et l'animal, mais une différence de degré,
10:12et justifie par exemple la zoophilie.
10:14C'est-à-dire si ce n'est pas un signe de décadence
10:16de voir des philosophes qui nous disent
10:18qu'on doit pouvoir avoir des relations sexuelles avec les animaux
10:20pourvu qu'on ne leur fasse pas de mal,
10:22c'est un philosophe et il enseigne la morale
10:23dans une université américaine.
10:26Alors en tout cas, je vous conseille de lire ce livre,
10:28ça s'appelle « Déambulation dans les ruines »
10:30et c'est loin d'être juste un constat délozolé
10:33sur ce que devient l'Occident,
10:35ce n'est pas du tout ça.
10:36C'est publié chez Albin Michel,
10:38merci beaucoup Michel Onfray.
10:39C'est moi qui vous remercie.
10:40Sous-titrage Société Radio-Canada
10:44Sous-titrage Société Radio-Canada
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