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00:00Les chroniqueurs spécialisés dans la chose criminelle essaient souvent de capter l'attention de leur public en précisant que l'histoire qu'ils ont relatée marque une exception dans les annales du crime.
00:23C'est une ficelle sur laquelle on tire beaucoup et qui fait que le nombre d'affaires exceptionnelles qui émaillent les ouvrages de criminologie est assez saisissant.
00:32Pourtant, je serais bien tenté de faire la même chose aujourd'hui à ceci près qu'il ne s'agit pas d'une exception mais d'un cas vraisemblablement unique de criminalité.
00:42C'est comme on dit un cas de figure très étonnant que la vie de William Burkitt, une vie dont le déroulement extraordinaire n'a été rendue possible que par le respect rigoureux de la loi par les cours criminelles anglaises.
00:57Oui, chers amis, c'est un cas unique et en tout état de cause, il faut l'espérer.
01:02« Maman, maman, ça y est, je l'ai fait ! »
01:25Il est 8h45 du soir, le 28 août 1915, lorsque William Burkitt fait irruption dans la maison de sa mère.
01:34William Burkitt a 28 ans, c'est un petit bonhomme pâle, assez insignifiant.
01:38Il est revenu s'installer à Hull, sa ville natale, au début du mois.
01:42« Maman, maman, ça y est, je l'ai fait ! » dit Burkitt, qui s'avance au milieu du salon.
01:48« Mais tu l'as fait, mon garçon ? Tu as fait quoi ? »
01:53« Oh, je l'ai fait, maman ! J'ai descendu, Polly ! Je l'ai descendu ! »
01:58« Ah ben, si tu ne me crois pas, viens chez moi, je vais te montrer ! »
02:02Et en disant cela, il tend à son jeune frère un couteau taché de sang, une ceinture de cuir et une pièce d'un demi-pénic qui lui sert de porte-bonheur.
02:09Ses mains aussi sont pleines de sang, ce qui donne quelque poids à la déclaration qu'il vient de faire.
02:15William Burkitt fouille dans sa poche, tend un trousseau de clé à sa mère qui recule, le jette sur la table devant sa sœur et se sauve sans dire un mot de plus.
02:25Ma famille Burkitt s'entre-regarde en silence.
02:29Et puis, la mère et la sœur se lèvent et courent ensemble vers la maison qu'habite William Burkitt à deux rues de là.
02:35Elle ouvre la porte, entre prudemment, la première pièce qui s'offre à elle, c'est la cuisine.
02:42Et tout de suite, c'est l'affreux spectacle.
02:46Dans un coin, sur le carrelage, il y a le corps d'une femme ramassée sur elle-même et du sang, du sang partout.
02:53Sans faire un pas de plus, les deux femmes referment la porte et vont alerter un agent de police qui vient constater le décès.
02:59Le corps de la femme a reçu plusieurs coups de couteau, mais aucun n'aurait été mortel sans cette blessure béante sur le côté droit du cou.
03:09La veine jugulaire a été tranchée.
03:12Aussitôt, un avis de recherche est lancé contre William Burkitt, meurtrier présumé en fuite.
03:17Mais on n'a pas besoin d'aller très loin, il est retrouvé dans un bar près du port et il est arrêté sans résistance.
03:23On prépare le procès et l'instruction s'intéresse au passé de Burkitt.
03:29Il est né le 18 septembre 1887 à Kingston, sur Hull, dans un milieu très modeste.
03:35Toute son enfance se passa près des docks et du port de pêche.
03:38Et après quelques années de scolarité, comme tous les enfants pauvres du quartier, il quitte à l'école.
03:43Et on le vit dans les longues files d'attente qui se forment sur le port tôt le matin devant les pancartes d'embauche.
03:49Il finit par trouver un emploi régulier comme mécanicien chauffeur à bord d'un chalutier.
03:53Dur travail au fond de la soute, mais William Burkitt le fait avec conscience.
03:57Voici la guerre et comme de très nombreux marins pêcheurs, Burkitt est appelé à servir dans la Royal Navy.
04:04Et ce n'est pas non plus un service de tout repos puisqu'il navigue à bord d'un dragueur de mine.
04:09C'est peut-être la peur et l'attention constante dues à cette dangereuse spécialité
04:13qui lui font faire son premier faux pas et voir les premières lignes de son casier judiciaire commencer à se noircir.
04:21Oh ! C'est une bien mince affaire à côté de ce que sera la carrière de William Burkitt.
04:26Mais enfin, au jour de son arrestation pour meurtre, son casier n'est pas totalement vierge.
04:31En effet, de son dragueur de mine, William en a eu assez et il a déserté.
04:35Entendez par là qu'il n'a pas rejoint son bord à la date limite de sa permission
04:40et qu'il a fallu que la police militaire se charge d'aller le dénicher dans quelques cabarets
04:44pour le ramener à son devoir par la peau du cou.
04:48Vous voyez, ça n'est pas grand-chose et ils sont des milliers, ceux à qui c'est arrivé,
04:54de ne pas avoir très envie, après quelques jours de calme, de retourner servir de chair à canon.
04:58Mais enfin, c'est suffisant pour mériter une sanction, surtout en période de conflit,
05:03d'autant plus que William Burkitt récidive peu après.
05:08Que trouvait-on encore à porter au passif du meurtrier ?
05:11Oh, des pécadilles !
05:12Arrestation sur la voie publique pour avoir créé un rassemblement de plus de dix personnes,
05:17comparution devant un juge pour non-paiement de la pension qu'il devait verser à une dame
05:21pour un enfant non reconnu.
05:23Voilà de quoi laisser un juge, un jury et un avocat général sur leur fin.
05:27Ça n'est pas ce qu'on peut appeler des antécédents criminels.
05:32Alors ?
05:33Alors on en vient à explorer le passé récent, la période précédant immédiatement le drame.
05:40Dès son retour à Houle des Buoux, William Burkitt rencontre Marie Jane Taylor.
05:46Elle est surnommée Polly.
05:48Polly est séparée de son mari légitime et vit avec un autre pêcheur, du moins,
05:52pendant les courtes périodes où celui-ci n'est pas en mer.
05:55Et précisément, lorsque Burkitt débarque sur le port et dans la vie de Polly,
05:59le pêcheur est en mer.
06:01Et les choses ne traînent pas.
06:03Moins d'un mois après qu'il se soit mis en ménage, une dispute éclate.
06:08Polly découvre dans les affaires de William une photo tendrement dédicacée par une jeune personne.
06:15Alors Polly met à profit cette découverte pour faire une scène à William.
06:18Oui, une femme dans chaque port, c'est bien connu, vous êtes tous les mêmes.
06:23Mais enfin, je ne te connaissais pas encore.
06:25Mais tu gardes quand même sa photo sur toi, hein ?
06:27Oh, tu sais, sa photo, je l'avais dans ma poche comme ça.
06:31Eh bien, si le minois de cette petite est indispensable, va donc la retrouver, espèce de...
06:35Eh oui, messieurs les jurés, vous savez ce que c'est ?
06:40Un mot en entraîne un autre.
06:42Et le qualificatif dont Polly Tyler s'est servi pour désigner l'accusé est vraiment malsonnant, messieurs les jurés.
06:48Piqué au vif, William Burkitt réplique aussitôt que si sa compagne l'appelait encore une fois comme ça,
06:54il va l'assommer d'abord et qu'ensuite il attendra aussi longtemps qu'il faudra
06:56que le compagnon habituel de Polly revienne de la pêche et qu'il lui racontera tout.
07:00Alors Polly se précipite sur lui toute griffe dehors et tente de le frapper.
07:05Oui, messieurs les jurés, notez bien cela, c'est elle qui la première passe de la parole aux actes.
07:10Alors William Burkitt, soudain hors de lui, répond en sortant son couteau et en poignardant sa compagne.
07:17En conclusion, messieurs les jurés, personne ne peut voir dans ce geste intempestif
07:21une volonté certaine et préméditée de donner la mort.
07:25Le président de la Cour, dans son résumé final, tente bien de suggérer
07:31qu'une querelle ne justifie pas la violence mortelle
07:34et que si un jugement reconnaît la possession d'une femme hargneuse
07:39comme une excuse suffisante à l'assassinat, la pente est dangereuse.
07:43Pour autant, le jury, respectant les définitions légales au pied de la lettre,
07:48reconnaît William Burkitt coupable non pas de meurtre mais d'homicide involontaire.
07:5312 ans de travaux forcés, il a 28 ans, il sera libéré 9 ans plus tard,
08:02libéré sur parole pour bonne conduite et à 37 ans, il va reprendre son métier de marin.
08:10Vous me direz, chers amis, c'est somme toute assez banal des cas comme celui-ci,
08:14il y en a des centaines voire des milliers.
08:16Où est donc ce dossier extraordinaire et le cas unique dont nous parions au début de cette histoire ?
08:22C'est un crime, un crime banal, suivi d'un amendement en prison
08:25et il n'y a plus qu'à laisser la réinsertion sociale faire son œuvre.
08:30Ah oui, chers amis, la réinsertion sociale, c'est cela.
08:35Mais alors dites-moi, quelle est cette odeur de gaz qui s'échappe de la maison de Mme Ellen Spencer
08:41le 2 novembre 1925 ?
08:44Et que va-t-on trouver lorsque l'on aura enfoncé la porte ?
08:48Ah, croyez-moi, avec le dossier de William Burkitt, vous êtes loin d'être au bout de vos surprises.
08:54Les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast européen
09:06Donc, William Burkitt, condamné pour homicide involontaire, a purgé neuf années de prison.
09:10Il a payé sa dette à la société et il est libéré le 16 novembre 1924.
09:15Libéré sur parole, bien entendu.
09:17Il sait qu'il a tout intérêt à se bien conduire.
09:20Et à se bien conduire, alors ça, croyez-moi, il y est bien décidé.
09:23Il reprend d'abord un travail sur un chantier, travail dont il s'acquitte avec une parfaite conscience.
09:30Et pour l'accueillir après ses longs séjours en mer, il trouve la douillette maison et les bras potelés de Mme Ellen Spencer.
09:40C'est donc la réinsertion sociale dans toute sa réussite.
09:46Le 3 novembre 1925, il y aura donc un an dans quelques jours que Burkitt a été libéré.
09:51Le 3 novembre, donc, la fille de Mme Spencer, qui est mariée, vient rendre visite à sa maman et trouve volée et porte fermée.
10:02Elle s'inquiète, d'autant plus qu'une certaine odeur flotte à l'entour.
10:07Mais c'est du gaz, ma parole.
10:09Un voisin, appelé à la rescousse, enfonce la porte de derrière, se précipite vers la chambre et revient aussitôt.
10:17« N'entrez pas ! »
10:18« Il faut appeler la police. »
10:20Un bobby arrive bientôt au courant, jette un coup d'œil dans la chambre du rez-de-chaussée et se rend compte très vite qu'il n'a plus rien à faire ici.
10:27Mais cette odeur de gaz, elle semble venir du premier.
10:30Il y a quelqu'un là-haut.
10:31Il se précipite à l'étage, pénètre dans une chambre où règne la pénombre.
10:35Il recule, plaque son mouchoir contre son nez et à tâtons, trouve le chauffage au gaz dont le robinet grand ouvert siffle dangereusement.
10:42Puis, il ouvre la fenêtre, donne un coup d'épaule dans les volets et enfin reprend sa respiration penchée vers l'extérieur.
10:51Il se retourne et là, sur le lit, il y a un homme.
10:57Un homme nu.
10:59Le bobby colle l'oreille contre la poitrine qui ne se soulève plus, mais le cœur bat encore.
11:07Irrégulièrement, faiblement, mais il bat.
11:08L'agent de police pratique patiemment la respiration artificielle et au bout de longues, très longues minutes, l'homme commence enfin à montrer quelques signes de vie.
11:21C'est bientôt l'arrivée de l'ambulance et des inspecteurs en civil.
11:24Pour eux aussi, le premier spectacle, c'est celui de la chambre du bas.
11:29Le corps d'une femme, en travers du lit, recouvert de quelques vêtements maladroitement jetés sur elle.
11:35Elle a été tuée de plusieurs coups de couteau, notamment deux blessures au cou, dont l'une a été fatale.
11:43La veine jugulaire a été tranchée.
11:46Déjà dans le véhicule qui le transporte vers l'hôpital, l'homme donne tous les détails.
11:50Il s'appelle William Burkitt.
11:52Il a tué sa compagne.
11:53Le couteau est dans un tiroir de la cuisine.
11:57On le retrouvera effectivement, ce couteau.
11:59Un couteau de poche poisseux de sang.
12:01On trouvera également les vêtements et les chaussures qui ont été claboussés pendant le meurtre, ainsi qu'un marteau.
12:08Voici donc William Burkitt engagé vers son second procès pour meurtre.
12:13Avouez, chers amis, que ça commence déjà à être assez peu comme un mais.
12:18Attendez encore un peu avant de vous faire une idée.
12:20Bon.
12:21Le deuxième procès de William Burkitt va suivre une voie assez particulière aux yeux de la loi anglaise.
12:26En effet, le juge d'instruction écoute les témoins, note le fait que le marteau, bien que taché de sang, n'a pas servi au crime,
12:33mais que tout était parfaitement en ordre dans la pièce et qu'il n'y a donc pas dû y avoir de dispute entre William Burkitt et sa victime.
12:41Le meurtrier est donc envoyé devant les assises du comté de York sous l'accusation de coups,
12:46ayant entraîné la mort avec l'intention de la donner.
12:50Naturellement, il y a bien la tentative de suicide de Burkitt après son geste, mais ce n'est pas une preuve de son innocence.
12:59On n'a jamais vu à ce jour un procès pour meurtre avec préméditation se dérouler pourtant comme celui-là.
13:04En effet, la défense plaide non coupable.
13:08Oui, oui, vous avez bien entendu.
13:10Non coupable.
13:11Mon client, messieurs les jurés, est rentré de sa campagne de pêche le 2 novembre.
13:18Il a pas mal fêté son retour dans les cafés du port et c'est déjà relativement ivre qu'il arrive chez Mme Hélène Spencer.
13:25Celle-ci l'accueille.
13:27Et pour se mettre à son diapason, continue les libations dans la cuisine puis dans la chambre du bas.
13:33William Burkitt, messieurs les jurés, n'est pas un ivrogne si l'on considère en comparaison les quantités d'alcool couramment absorbées par les hommes qui font son métier.
13:44Mais par rapport à la normale, c'est un gros, c'est même un très gros buveur.
13:48Regardez-le, messieurs les jurés.
13:50Cet homme pâle qui, devant vous, n'a pas la robuste constitution nécessaire pour résister à ses excès.
13:56Aussi, messieurs les jurés, ne va-t-il pas résister et bientôt il s'assoupit pesamment sur le canapé.
14:02Or voici qu'au bout d'un moment, peut-être gêné par sa position inconfortable, il ouvre un œil.
14:09Et que voit-il ?
14:11Sa compagne penchée sur ses vêtements est en train de fouiller dans ses poches.
14:16Alors, messieurs les jurés, son sang ne fait qu'un tour.
14:19Il attire la femme vers le canapé, l'y maintient allongée et pendant qu'il la domine ainsi, sa main rencontre sur la table son couteau.
14:26Un de ces couteaux de marin, aux multiples usages et qui se trouve toujours par habitude, mêlé à toutes les circonstances de la vie.
14:32Or, pour une fois, une malheureuse, une terrible fois, ce couteau s'est trouvé là, messieurs les jurés, au mauvais moment.
14:39William Burkitt lève la main sur cette femme qu'il a mis en fureur.
14:43Il veut la menacer, lui faire peur.
14:45Oui, seulement lui faire peur.
14:47Et ce n'est que trop tard, messieurs les jurés, qu'il s'aperçoit que cette main tenait une arme et qu'elle a déjà frappé la malheureuse.
14:58Hébété, Burkitt range dérisoirement ce couteau dans un tiroir, puis il jette quelques vêtements sur la victime et s'enfuit dans la chambre du haut où il tente,
15:08en ouvrant le gaz, de mettre fin à ses jours et de se faire lui-même justice.
15:11Alors, messieurs les jurés, au moment de répondre à la terrible question, William Burkitt a-t-il donné la mort avec préméditation ?
15:19Vous vous souviendrez qu'il était sous l'influence de l'alcool, qu'il ne savait plus ce qu'il faisait.
15:24Et vous répondrez non, William Burkitt n'est pas coupable d'assassinat.
15:31Respectueux Angleterre.
15:35Respectables citoyens qui suivent, comme c'est leur devoir, la loi au pied de la lettre.
15:39William Burkitt, coupable d'homicide involontaire, d'un deuxième homicide involontaire,
15:48est envoyé en prison pour dix ans seulement, cette fois-là.
15:52Il sera libéré un peu avant, sur parole bien entendu,
15:57et retourne à la vie civile à l'âge de 48 ans.
16:02Il retrouve sans peine un emploi, car on voit tout de suite que malgré ses mésaventures, c'est un garçon sérieux.
16:10Apprécié en tant que travailleur, il n'est pas non plus dénué d'intérêt en tant qu'homme.
16:15On sent bien que sa vie n'a pas été facile.
16:18Et c'est peut-être ce qui séduit Emma Brooks.
16:21Emma est séparée de son mari, qui a renoncé à lui faire perdre sa fâcheuse habitude de vider avec trop de facilité,
16:29bouteilles et chope en joyeuse compagnie.
16:32William Burkitt, lui, s'accommode assez bien à des penchants de la dame,
16:35d'autant plus qu'il n'est pas le dernier quand il s'agit de lever son verre,
16:39et que cela lui permet, à chaque fois qu'il débarque, d'aller fêter l'événement sans aucune mauvaise conscience,
16:45en compagnie de la nouvelle élue de son cœur.
16:49La personne en question possède d'ailleurs une gentille maison non loin du port,
16:53maison où William Burkitt trouve chaleur et réconfort.
16:56Pourtant, il y a un trait de caractère que Burkitt supporte beaucoup moins bien chez Emma Brooks.
17:03Oh ! Quand je dis un trait de caractère, ce serait plutôt une fâcheuse tendance, si elle était prouvée.
17:10Oui, Burkitt soupçonne sa fiancée de ne pas lui être d'une fidélité absolue
17:16lorsqu'il est au large à se geler les mains en tirant les filets.
17:19Il a presque acquis la certitude que la petite maison non loin du port accueille dans sa chaleur
17:23quelques-uns de ses collègues pêcheurs.
17:26Il s'est arrangé pour débarquer une ou deux fois à l'improviste,
17:29et il a surpris Emma Brooks dans la rue, donnant le bras à des individus,
17:33signe qu'elle entretenait avec eux une certaine intimité.
17:37Il a l'esprit large, William Burkitt.
17:39Il est prêt à accepter pas mal de choses, mais ça, non, il ne le supportera pas.
17:43D'ailleurs, il ne s'en cache pas.
17:45Il le dit un jour à ses compagnons de comptoir.
17:47Si jamais elle ne se fait pas une conduite, et très vite,
17:50si jamais elle continue à jouer ce petit jeu-là dès que j'ai le dos tourné,
17:53alors, sûr comme deux et deux font quatre, qu'elle sait soir, je l'étrangle.
17:58Des piliers de café écoutent cette explosion avec un gentil sourire.
18:03On dit ça, on dit ça, et puis on finit par se calmer.
18:06Mais qui, dans sa vie, n'a pas eu envie, en parole du moins,
18:09d'envoyer aux flammes de l'enfer une femme infidèle ?
18:13Mais quand William Burkitt dit quelque chose...
18:16Enfin, bref, le voici qui rentre de pêche, le 26 février 1939, à 11h du soir.
18:24Il gagne la maison des Mabrouks,
18:26et c'est le silence, jusqu'au lendemain, 4h de l'après-midi.
18:31À cet instant, les voisins entendent brusquement les échos d'une violente dispute.
18:35Ah, voilà, ça recommence.
18:37Mais c'est bientôt, et très vite, à nouveau, le silence.
18:41Tiens, c'est moins long que d'habitude, pensent les voisins.
18:43Ils ont dû se réconcilier.
18:45Un peu plus tard, dans la soirée, on aperçoit Burkitt, ici et là, en ville.
18:49Il demande même à une petite fille d'aller jusqu'à la pharmacie
18:52et lui acheter tout un stock de cachets d'aspirine.
18:54Il s'enferme dans la maison.
18:57On ne le revoit plus jusqu'au surlendemain, le 1er mars.
19:01Très tôt, le matin, il frappe chez sa sœur.
19:04Mais qu'est-ce que tu as, William ?
19:05Tu es tout pâle.
19:06Tu ne tiens pas debout ?
19:07Oh, je suis malade.
19:09Si tu savais comme je suis malade.
19:11Toi, tu as encore trop bu.
19:13Ne bouge pas.
19:14Je vais chercher le docteur.
19:16Le temps que la sœur et le médecin reviennent,
19:19William Burkitt s'est envolé.
19:21On le verra, pâle et titubant, dans plusieurs cafés près du port,
19:24puis, marchant seul, le long des docks, en oscillant, en criant des mots sans suite,
19:30on finira par le repêcher à moitié noyé dans l'eau saumâtre du port.
19:34Entre-temps, la police s'était rendue pour une visite de routine dans la maison des Mabroux,
19:38et l'on avait rapidement compris la raison exacte du désarroi de William Burkitt.
19:44« Oui, messieurs les jurés, nous le reconnaissons.
19:48Nous avons effectivement étranglé la malheureuse Emma Brooks. »
19:54C'est le troisième procès de William Burkitt devant les assises de Leeds,
19:59cette fois le 17 mai 1939.
20:02« Oui, messieurs les jurés, nous avons étranglé Mabroux.
20:06Oui, c'est affreux, c'est un geste irréparable.
20:09Mais, au moment d'user de votre terrible pouvoir, messieurs les jurés,
20:13lorsqu'on vous posera la question sans appel,
20:15William Burkitt a-t-il tué Emma Brooks avec préméditation ? »
20:18« Vous vous souviendrez de ce qu'a déclaré le médecin légiste tout à l'heure.
20:23Après leur dispute, Burkitt et sa compagne ont consommé ensemble
20:26plus de 600 comprimés d'aspirine.
20:29600 comprimés, messieurs les jurés.
20:31Tentative de suicide en commun ?
20:33Peut-être.
20:34En tout cas, et sans aucun doute, pour commettre une semblable folie,
20:37il fallait qu'ils fussent tous les deux dans un état d'égarement mental absolu.
20:40Oui, d'égarement mental.
20:43Et c'est dans cet état que William Burkitt a commis son geste fatal.
20:48Voilà pourquoi, tout à l'heure, messieurs les jurés, vous répondrez non.
20:51William Burkitt n'est pas coupable de meurtre avec préméditation.
20:57Et les jurés de Leeds répondent non.
21:00William Burkitt n'est pas coupable de meurtre avec préméditation.
21:03Il a commis un homicide à volontaire.
21:07Incroyable, n'est-ce pas, chers amis ?
21:10Troisième meurtre, troisième verdict n'amenant qu'une peine de prise.
21:16Pourtant, cette fois, le président de la cour se croit autorisé,
21:20eu égard aux antécédents de l'accusé,
21:23de demander aux jurés de rester à leur place
21:25et d'entendre un témoin supplémentaire à un officier de police
21:29qui pourrait peut-être leur donner une opinion raisonnable sur le personnage.
21:34À l'issue de cette audition, la cour prononce une peine d'emprisonnement.
21:38à perpétuité.
21:42Voilà.
21:42C'est fini, penserez-vous ?
21:46On n'entendra plus parler de William Burkitt.
21:48Pas exactement, voyez-vous.
21:52Burkitt trouve la sentence tout à fait injuste
21:54et il fait appel jusqu'auprès du ministre.
21:57Malheureusement, celui-ci, l'âme sûrement endurcie par de trop nombreux dossiers,
22:01ne libérera pas Burkitt et le prisonnier va rester derrière les barreaux
22:04de mai 1939 à mai 1954, traversant ainsi sans dommage la Seconde Guerre mondiale.
22:10Pourquoi mai 1954 ?
22:13Eh bien, à cette date, on prit la décision de le transférer à l'hôpital de Kingston-sur-Houle,
22:20là où il était né.
22:21En effet, les médecins ont déterminé qu'il souffrait d'une maladie incurable
22:26et qu'il n'en avait plus que pour quelques semaines à vivre.
22:30La mesure a été prise en grand secret pour ne pas remuer l'opinion publique.
22:34Or, dans cet hôpital, un médecin expérimente un nouveau médicament et cherche des volontaires.
22:41Burkitt, qui n'a plus rien à perdre, se propose.
22:45Et le traitement lui réussit plutôt bien.
22:48Si bien même que le 6 septembre 1955, on l'autorise à sortir pour une promenade.
22:53Bon, c'est sans danger, car William Burkitt s'est déclaré très heureux de vivre dans cet établissement.
22:59D'ailleurs, ce n'est pas sa première sortie.
23:01Seulement, cette fois-là, il ne revient pas.
23:05Alors, on le cherche, bien sûr.
23:07On le cherche partout.
23:08Mais c'est le hasard qui fait remarquer à un policier cet homme tranquille dans le quartier des Docs.
23:13Oui, il est revenu là, tout bêtement, boire un verre ou deux.
23:18Et puis, il parle avec sa nièce dans la rue,
23:20en profitant des derniers rayons du soleil.
23:24On le reconduit gentiment à l'hôpital.
23:27La presse a eu vent, bien sûr, de cette histoire sensationnelle
23:30qui fait les beaux jours des magazines pendant quelques semaines.
23:33Et puis, on oublie enfin William Burkitt.
23:37Oh !
23:38Il n'aura plus droit aux sorties.
23:41Mais il mourra heureux dans sa ville natale
23:44le 24 juin 1956,
23:47après 69 ans d'une vie bien remplie.
23:51Oh oui !
23:53Si bien remplie !
23:56Et sans que l'on tente à nouveau sur sa personne
23:58le moindre essai,
24:00mais alors là, pas le moindre,
24:02de réinsertion sociale.
24:03Vous venez d'écouter
24:23Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare,
24:26un podcast issu des archives d'Europe 1.
24:30Réalisation et composition musicale,
24:32Julien Tarot
24:33Production
24:34Estelle Lafon
24:35Patrimoine sonore
24:37Sylvaine Denis
24:38Laetitia Casanova
24:40Antoine Reclus
24:41Remerciements à Roselyne Bellemare
24:44Les récits extraordinaires sont disponibles
24:46sur le site et l'appli Europe 1.
24:49Écoutez aussi le prochain épisode
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24:53sur votre plateforme d'écoute préférée.
24:55Sous-titrage Société Radio-Canada
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