00:00Mais d'abord, j'ai la chance de recevoir ce matin pour la première fois une auteure, une autrice, une romancière, une personne qui écrit des livres et qui le fait bien.
00:10Bonjour Justine Lévy, merci beaucoup d'être avec nous ce matin. Vous dites quoi quand on vous demande ce que vous faites dans la vie ?
00:17J'ai dit écrivain, je suis à l'ancienne moi.
00:19Écrivain, vous ne le féminisez pas en écrivain ?
00:21C'est un tic donc c'est difficile de changer.
00:24Alors là ça s'appelle Une drôle de peine, c'est le titre de ce livre que vous appelez le livre de ma mère.
00:30Même si votre mère Isabelle a toujours été très présente dans vos livres, Justine Lévy.
00:35Mais 20 ans après sa mort, en 2004, vous lui avez entièrement consacré ce roman.
00:41Alors on pourrait se dire que c'est un roman thérapeutique, le roman du deuil, mais sauf que vous, vous ne croyez pas au deuil.
00:48Pourvu ça n'existe pas.
00:49Absolument, j'y croyais et puis j'ai bien compris qu'en fait on nous mentait.
00:54Pardon mais il y a une tellement bonne humeur sur le plateau que j'ai un peu honte de parler de mort et du deuil comme ça.
00:58C'est le principe de cette émission, on passe d'un sujet à un autre, c'est un peu rapide.
01:03Mais effectivement le deuil, on dit souvent, l'expression c'est même faire son deuil.
01:08C'est n'importe quoi, je pense qu'on se ment à soi-même aussi en se disant qu'on va faire son deuil.
01:13Mais on est quand même plusieurs milliards sur la terre à avoir perdu quelqu'un de très proche et à être inconsolable.
01:19Donc finalement, je pense que la vraie normalité c'est de ne pas réussir à faire son deuil.
01:23Maintenant j'en suis persuadée.
01:25Et écrire du coup, ce n'est pas spécialement un acte de guérison ?
01:29On ne peut pas guérir d'être vivant quand les autres sont morts, on ne peut pas guérir de la vie.
01:35Donc non.
01:36Vous avez même une marche au-dessus parce que vous écrivez dans ce livre, Justine Lévy, que vous n'aimez pas écrire.
01:41J'étais étonné de lire ça.
01:42Je suis plus heureuse quand je n'écris pas que quand j'écris, c'est vrai.
01:45Mais arrête, tout le monde, pourquoi tu ris ?
01:48Olivier Benkeau, celui-là, je le sais.
01:50Oui, tu le sais.
01:52Je suis plus heureuse quand je n'écris pas.
01:53Mais celui-là, en général, quand je me mets à écrire, c'est que vraiment ça m'étouffe.
01:57Ça part d'un besoin.
01:58Ça part d'un besoin.
02:00Alors dans une drôle de peine, vous écrivez Justine Lévy à quel point votre mère vous manque terriblement.
02:05Vous dites que vous en avez encore des douleurs 20 ans après.
02:08Un peu comme une addict en sevrage, il y a un peu de ça.
02:11C'est vrai qu'elle me manque parfois, comme l'héroïne à elle lui manquait, parce qu'elle s'est beaucoup droguée.
02:17C'est un manque physique.
02:19Un manque physique qui se manifeste par des douleurs physiques, le corps qui parle.
02:24Voilà.
02:25Et d'ailleurs, elle qui a eu des graves addictions, vous dites qu'elle vous a un peu transmis ça, cette propension à l'addiction.
02:33En écrivant ce roman qui est une enquête pour essayer de percer aussi l'énigme de votre mère,
02:38vous avez découvert que vous seriez peut-être née dans une période où votre mère était en manque en fait ?
02:43Alors j'ai décidé de croire que non finalement.
02:45J'ai retrouvé, parce que comme c'est en effet une sorte d'enquête, j'ai voulu savoir un peu qui elle était.
02:51Et puis j'ai retrouvé la trace de son ancienne maîtresse qui vit au bout du monde maintenant,
02:59et qui a fini par me dire, je l'ai retrouvée sur Facebook, ce qui est un peu décevant.
03:04Elle vous a supplié de venir la voir ?
03:08Voilà, et au dernier moment je me suis débinée, je ne suis pas allée la voir,
03:11et elle a fini par me dire que ma mère ne l'avait pas attendue, elle, pour se camer,
03:18et qu'elle était déjà camée quand elle était enceinte de moi.
03:20Mais j'ai décidé que c'était un mensonge, j'ai décidé que ce n'était pas vrai, et voilà.
03:26Et alors vous racontez aussi à travers ce livre votre enfance à vous, Justine Lévy,
03:30avec des scènes qui paraissent assez efferentes.
03:34Quand on les lit, quand vous êtes petite, votre mère elle habite, donc avec son amante, violaine,
03:39et toutes les deux, elles passent leur vie à s'enivrer, à se droguer,
03:43et vous, vous assistez en fait à tout ça comme si c'était normal.
03:47C'était normal, en plus à l'époque c'était plutôt normal,
03:50c'est-à-dire qu'il n'y avait pas d'enfants, l'enfance n'existait pas,
03:53il y avait des mini-adultes, un peu moins importants que les adultes pas mini,
03:58et on ne leur parlait pas différemment,
04:00et on ne s'adressait pas à eux de manière spécialement mignonne comme maintenant,
04:05il n'y avait pas d'enfants rois,
04:06et donc moi j'assistais à tout ce qui se passait dans la vie des adultes,
04:10et je sentais bien peut-être que, par exemple l'homosexualité parentale,
04:17ce n'était pas du tout quelque chose dont on parlait,
04:19on ne le pensait même pas.
04:22Et moi toute petite, à 4 ans, 5 ans, j'étais détentrice d'une sorte de secret comme ça,
04:25social, et je ne savais pas trop quoi en faire.
04:28Et ce que vous dites, c'est que c'était en fait un truc aussi de l'époque,
04:35pour une partie des parents, pas tous évidemment,
04:37mais à cette époque, il ne fallait surtout pas s'occuper des enfants,
04:39il y avait quelque chose même de politique là-dedans.
04:41C'était politique, c'était complètement ringard et bourgeois,
04:44pour les mères de changer les couches, je ne sais quoi,
04:48donc je ne sais pas trop comment j'ai réussi à faire tout ça,
04:51mais on pensait aussi qu'il ne fallait pas élever les enfants
04:57comme on élève des chiens ou des chats,
04:59donc il ne fallait pas faire ça.
05:02Il fallait laisser se débrouiller pour leur bien.
05:05Alors bon, après, tous les parents ne laissaient pas des cachets de drogue
05:08à la disposition des enfants.
05:10Vous, c'était le cas, si bien qu'un jour, vous avez même voulu tester,
05:13parce que ça ressemblait un peu à des bonbons,
05:15à des dragibus, vous dites, ou des smarties,
05:19et à vous lire, elles ne s'en sont jamais rendues compte, en fait,
05:22ces deux femmes, que vous étiez droguées ?
05:24Non, elles ne s'en sont jamais rendues compte.
05:26Elles pensaient que c'était les chats, quoi.
05:27J'ai raconté ça dans mon premier roman, Le Rendez-vous, en 1995,
05:31et donc ma mère a lu, je lui ai apporté le manuscrit
05:33dans son petit studio qu'elle habitait à Montmartre,
05:35et je me suis installée sur la mezzanine,
05:36et je l'entendais tourner les pages,
05:38elle lisait, elle lisait,
05:39et puis donc elle a lu un passage où je racontais un peu ça déjà,
05:43et puis à la fin de la lecture,
05:45elle m'a fait des remarques grammaticales,
05:47et elle n'a rien dit d'autre.
05:48Donc elle savait, mais on n'en a pas reparlé.
05:51Ça fait partie des pages assez saisissantes de ce livre,
05:54Une drôle de peine de Justine Lévy,
05:56c'est votre nouveau roman aux éditions Stock,
05:58on va continuer à en parler,
06:00parce qu'on se dit aussi, en lisant votre livre,
06:02heureusement que votre père, Bernard Henry,
06:05était là pour vous sortir de là,
06:06on va en parler dans un instant sur Europe 1.
06:08Vous écoutez Culture Média sur Europe 1,
06:1010h-11h30 avec Thomas Hill,
06:12et ce matin, Thomas, vous recevez la romancière Justine Lévy
06:15pour son tout nouveau livre,
06:17Une drôle de peine paru chez Stock.
06:19Maman à tort chantait Mylène Farmer,
06:38mais alors vous, c'est un truc que vous n'avez pas l'air de penser,
06:40Justine Lévy, alors qu'elle ne s'occupait pas de vous,
06:42qu'elle vous avait élevé au milieu des cadavres de bouteilles,
06:44de joints, des étrangers étendus par terre,
06:47et vous aviez même parfois peur de rentrer chez vous après l'école,
06:51mais malgré tout, elle n'avait pas tort.
06:54Ce n'est pas qu'elle n'avait pas tort,
06:55c'est juste que maintenant j'ai vieilli,
06:57et que la colère s'est apaisée,
06:59et que je n'ai pas vécu longtemps avec elle finalement,
07:04parce que mon père a fini par savoir ce qui se passait,
07:07et donc il m'a repris avec lui assez vite,
07:09vers 5 ans, 5 ans et demi.
07:11Et vous vous adressez directement à votre mère dans ce roman,
07:13à un moment, Justine Lévy, vous lui dites
07:15« J'ai un abonnement à la gym, une carte de métro,
07:18et une autre du Carrefour Marquette.
07:20Je ne me fais pas les ongles,
07:21je ne me coiffe ni ne me teint les cheveux,
07:24je mets du rouge à lèvres une fois par an,
07:25et surtout sur les dents.
07:27Je suis toujours aussi raisonnable,
07:28aussi peu fantaisiste,
07:29je mets beaucoup d'énergie à essayer
07:31de ne pas te ressembler maman. »
07:33En fait, vous vivez en permanence
07:35entre le manque de votre mère
07:37et la peur de lui ressembler ?
07:39Elle a trop présence aussi.
07:40Parce qu'elle est là tout le temps,
07:41dès que je pars en vacances avec mon mari et mes enfants,
07:45elle est là tout le temps, tout le temps,
07:47sur mon épaule.
07:49Et c'est vrai que j'ai peur de lui ressembler,
07:51parce qu'elle, elle voulait une vie intense,
07:54et faite de moments fulgurants, tout le temps.
07:57Et moi, je pense que la vie n'a pas à être intense tout le temps.
08:01J'ai été un peu ébouillantée par sa manière de voir la vie.
08:07Donc moi, je suis plutôt sage et très très chiante,
08:09mais c'est quelque chose que je cherche.
08:12Olivier Becquiez, vous qui connaissez bien...
08:14Je suis d'accord avec ça,
08:15mais simplement, il y a l'histoire qui est forte,
08:18qui est racontée,
08:19mais simplement, il y a une qualité littéraire
08:20dans ce livre qui est incroyable.
08:22C'est un des meilleurs livres,
08:24si ce n'est le meilleur livre de la rentrée aussi.
08:26Mais c'est de la littérature aussi.
08:29Bien sûr que c'est de la littérature.
08:30Merci Olivier.
08:30Mais toutes ces histoires sont intéressantes, évidemment.
08:34Et même quand vous racontez que vous avez attendu 40 ans
08:37pour vous autoriser à avoir une gueule de bois,
08:39mais qu'à chaque fois, vous culpabilisez.
08:42Oui, parce que pour moi, le vin, c'était de la vinasse
08:45quand j'étais petite.
08:47C'était être malheureux.
08:50Et je comprends la gaieté maintenant de l'ivresse,
08:52et puis je commence à comprendre un peu
08:54ce que c'est qu'un bon vin.
08:57Et voilà, mais il faut du temps.
08:58Oui, mais peut-être que vous comprenez aussi
09:00qu'on peut s'autoriser tous ces plaisirs-là
09:02sans tomber dans l'extrême,
09:03ce qu'avait que votre maman.
09:05Peut-être qu'il y a cette peur-là aussi chez vous,
09:07parce que vous n'avez vu que l'extrême, en fait, chez elle.
09:09Et moi, je suis plutôt dans la mesure, dans la nuance.
09:14J'essaye, en tout cas.
09:15Et puis surtout, maintenant, mes enfants sont grands,
09:17donc j'ai commencé à boire quand eux aussi
09:19ont commencé à boire, finalement.
09:20Je ne dis pas qu'on se saoule ensemble,
09:22ça, c'est atroce.
09:23Mais enfin, je me sens un tout petit peu moins illégitime.
09:27Je m'y autorise.
09:28Vous pouvez vous lâcher.
09:29Et puis, alors, dans votre enfance,
09:31et même dans votre vie d'adulte,
09:33il y a un personnage qui revient par petite touche,
09:35qui est toujours là pour vous,
09:36pour vous porter secours.
09:37C'est votre père, Bernard-Henri Lévy.
09:39« Papa a tellement fait pour moi,
09:41est-ce qu'il y a quelque chose qu'il n'a pas fait ? »
09:44Vous demandez ça dans votre bouquin.
09:46Vous dites même le vôtre, je ne sais pas,
09:48mais moi, c'est un magicien, mon père.
09:50À vous lire, BHL, c'est vraiment le père
09:52dont on rêverait toutes les petites filles.
09:54Oui, alors je ne connais pas bien BHL.
09:56Moi, pour moi, c'est papa.
09:59Mais oui, c'est un magicien,
10:01parce qu'il a toujours été là,
10:02y compris pour ma mère, d'ailleurs,
10:03quand elle était au fond du fond du trou,
10:05il y avait une seule main,
10:07finalement, qui se tendait et qui la hissait.
10:09C'était la sienne,
10:10même après toutes ces années.
10:14Et c'est vrai que moi,
10:15j'ai envie que les gens sachent
10:16à quel point il est quelqu'un de bon,
10:18de gentil et de drôle.
10:19C'est vrai, ça m'énerve.
10:20Ça vous énerve ?
10:21Son image publique vous énerve ?
10:23Non, pas son image publique,
10:24la manière dont elle est perçue.
10:25J'ai toujours eu beaucoup plus de peine
10:29que lui quand on l'attaque.
10:31Quand il est critiqué.
10:32La première fois que je suis allée sur Twitter
10:33et que j'ai vu le ramassis
10:34de graffiti, de chiottes
10:37sur son compte,
10:38j'ai pleuré.
10:39Donc, voilà, j'ai arrêté Twitter.
10:41Nous, je peux vous dire
10:42qu'à chaque fois qu'on l'a reçu ici,
10:43que c'était un homme absolument charmant.
10:45Donc, voilà, je dirais que dans votre sens.
10:47Votre père, qui s'est aussi
10:48beaucoup occupé de votre mère,
10:49vous le disiez,
10:50il lui trouvait des logements,
10:51des offres d'emploi,
10:52il lui envoyait de l'argent,
10:53sans savoir ce qu'elle en faisait, d'ailleurs.
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