Xavier Raufer : «Ce qui fait fonctionner les prisons, c'est le "pas de vague". Des situations comme ça, c'est tous les jours, dans les 188 pénitentiaires en France. [...] Des fois, ils se sont fait peur à eux-mêmes et ils sont bien contents d'être là.»
00:00C'est assez inquiétant de voir une idylle, une histoire d'amour naître entre une détenue qui est condamnée pour trafic de drogue
00:08et une autre détenue qui, elle, est fichée S et radicalisée. Comment c'est possible, Xavier Ruffert ?
00:14D'abord parce que l'amour est aveugle, et deuxièmement parce qu'en prison, du fait de l'isolement et de l'impossibilité de bouger trop comme on veut,
00:27on se satisfait des fois de ce qu'on a sous la main. Je suis obligé de rester dans des termes pudiques, mais bien souvent c'est ça.
00:35Mais c'est le fait qu'elle soit en contact. On pourrait penser que cette détenue fichée S radicalisée serait effectivement à l'isolement ou dans un autre quartier de la prison ?
00:44Dans la pratique, ce qui fait fonctionner les prisons, c'est qu'on ne veut pas de vagues.
00:49Alors s'il faut laisser une cellule vide à un moment donné pour que deux personnes s'y rejoignent et éventuellement bavardent et plus s'y affinitent,
00:57eh bien on le fait si ça peut garantir la paix dans la prison.
01:01Donc c'est encore une question de paix sociale, de paix au sein de la prison.
01:04Bien sûr, bien entendu.
01:05Satisfaire tout le monde.
01:06Une grande partie, les surveillants et les gardiens eux-mêmes naturellement sont généralement furieux de ça, mais pas de vagues.
01:15L'homme qui dirige la prison, il est jugé sur le fait qu'il y a eu des vagues ou pas dans son établissement dans l'année qui précède.
01:23Alors s'il veut mieux, il est obligé que ça soit calme.
01:25Alors pour que ça soit calme, c'est la drogue.
01:29Généralement, ça marche très bien.
01:30Les gens sont très calmes après, d'une part.
01:32Et puis deuxièmement, laisser des contacts un peu abusifs entre des individus, assouplir les conditions des gens qui y sont fichés.
01:39C'est un grand classique, c'est tous les jours.
01:42Et je vous dis, une fois de plus, on nous fait le coup face à un contentieux de masse.
01:46Des situations comme ça, je crois qu'il y a 188 établissements pénitentiaires en France.
01:51C'est tous les jours dans chacun d'entre eux.
01:53Par crainte aussi peut-être, parce qu'effectivement, on parle d'une détenue qui est assez dangereuse potentiellement.
01:58Oui, mais il y a ceux qui sont dangereux, ceux qui prétendent l'être.
02:01On ne peut pas avoir peur de tout le monde, vous savez.
02:03Je ne vois pas pourquoi elle serait dangereuse.
02:04La pauvre fille, elle est là, elle revient de Syrie.
02:06Elle va y retourner en Syrie à l'heure actuelle, elle va se faire trancher la gorge si elle y va.
02:10Ce ne sont plus les mêmes maintenant.
02:12Qu'est-ce qui se passe ?
02:13Alors, il faut cesser d'abord d'avoir peur de tout le monde.
02:15Puis en plus de ça, moi, j'ai parlé à des magistrats qui ont eu en face d'eux,
02:21c'était trois individus qui avaient réussi à fuir la Syrie du temps de Daesh, du temps de l'État islamique,
02:28et qui avaient réussi à rentrer en Europe.
02:29Ils finissent par être arrêtés quelque part en Allemagne et on les ramène en France.
02:33À la minute où ils étaient devant un juge, ils se sont précipités au genou du juge en disant
02:39« Pitié, mettez-nous en prison pour dix ans plutôt que de nous laisser retourner un jour là-bas ».
02:44Les conditions de vie dans la Syrie de Daesh étaient tellement abominables
02:48que ces garçons-là, qui étaient des tueurs, n'est-ce pas,
02:51ils venaient de la zone de combat, etc.,
02:54étaient en train de pleurer comme des madeleines et de demander au juge
02:56« Gardez-nous ici, surtout ne nous renvoyez pas là-bas ».
03:00Donc vous voyez, des fois, ce n'est pas la peine d'avoir peur.
03:03Des fois, ils se sont fait peur à eux-mêmes et ils sont bien contents d'être là.
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