00:00Ok, venez on parle. La question d'aujourd'hui c'est pourquoi on a l'impression de voir en boucle le même film ?
00:05Pourquoi tout paraît calibré, prévisible, plus lisse ?
00:08La réponse elle est pas juste dans « ouais c'est les gros studios » ou « ouais on fait que des remakes »
00:12et on commence à trouver un début de réponse dans une pièce où quelques poignées de personnes commencent à faire des choix à notre place.
00:18Officiellement, les tests audience ou les projections test servent à améliorer le film.
00:22Officieusement, c'est quelque chose de très pratique pour les producteurs et les studios pour minimiser les risques financiers pour la sortie d'un film.
00:29Parce qu'on a un panel représentatif de personnes qui vont nous donner un avis très précis sur ce qu'il faudrait modifier pour que le film plaise au plus grand nombre.
00:36Pour vous donner quelques chiffres rapides, un blockbuster en moyenne c'est entre 150 et 300 millions de dollars.
00:41Rater une sortie mondiale pour un studio ça peut lui coûter plus d'un demi milliard.
00:46Alors forcément à la place d'un studio on mettrait tous en place des choses pour éviter de perdre un demi milliard.
00:50En 2023, 9 films sur 10 qui a dépassé les 500 millions au box office avaient été modifiés par des projections test.
00:57Comment ça se passe une projection test ?
00:59Tout simplement on a un panel de personnes qui est sélectionné pour venir voir le film et à la fin de la projection on leur pose des questions très souvent très fermées.
01:06A savoir, est-ce que t'as aimé la fin ? Est-ce que t'as compris tel ou tel personnage ?
01:10Est-ce que tu aurais aimé plus d'action ? Un dénouement différent ?
01:13On demande pas aux personnes, est-ce que le film t'a dérangé ? Est-ce qu'il t'a fait réfléchir ? Est-ce que t'as ressenti quelque chose en le regardant ?
01:18Parce que ce que tu ressens, et ben c'est pas vraiment important dans ce contexte là.
01:22Plus un film coûte cher et moins il a le droit de rater sa cible. Je pense pas vous apprendre grand chose, c'est un souci de rentabilité de base.
01:28Plus on injecte d'argent quelque part, plus on doit récupérer une grosse somme pour se rentabiliser.
01:34Dans le cinéma, ça se traduit par, plus je vais injecter d'argent pour faire un blockbuster, moins il va devoir déranger de personne.
01:40Parce que forcément, quand t'injectes 300 millions, et que en plus la campagne marketing, et que tout ce qu'il y a à côté fait grossir les chiffres, et que ton seuil de rentabilité il est déjà fixé à 400 ou 500 millions,
01:50et ben forcément tu peux pas tellement te permettre de te mettre une partie du public ado.
01:54Et si on extrapole un peu, ça veut dire que le film doit être capable de séduire les jeunes ados américains, les couples de retraités chinois, les trentenaires français, les enfants, les parents, les geeks, les boomers,
02:04enfin tout ce que vous voulez, en gros toutes les tranches de la population doivent se sentir représentées ou au moins concernées par ce qu'ils regardent.
02:11Maintenant, petit exercice pour vous, est-ce que vous avez déjà ne serait-ce qu'essayé d'écrire une blague qui va faire rire un gamin de 6 ans, un cadre new-yorkais et un couple de retraités coréens ?
02:19Bah voilà, si un spectateur ne comprend pas, se sent mal à l'aise ou dérangé, c'est un très mauvais signe pour la rentabilité d'un film du point de vue des studios et du producteur.
02:28Et maintenant, avec le point de vue du cinéma mondial qui doit absolument plaire à tous les pays,
02:33quand on essaie de plaire autant à l'Europe, aux Etats-Unis, à la Chine, à l'Arabie Saoudite, au Japon, à la Russie,
02:39avec autant de cultures différentes, de tabous différents et d'appréciations artistiques différentes,
02:45les studios font le choix safe de coter tout ce qui pourrait ne pas passer culturellement parlant dans tous ces pays.
02:52Se fermer un pays, c'est se fermer un marché. C'est un choix qu'un studio ne fera jamais.
02:57Ce qui est sûr, c'est qu'à une certaine période du cinéma, on donnait plus de moyens à des réalisateurs pour assouvir leurs ambitions avec beaucoup moins de contraintes.
03:07Parce que les budgets étaient aussi beaucoup moins gros et qu'avec 10, 15, 20 millions, même si ça reste des grosses sommes,
03:13les réalisateurs pouvaient nous proposer des choses incroyables.
03:16D'un côté, on a Taxi Driver, bon ok, qui est sorti dans les années 70, donc une autre économie, une autre inflation, un autre budget, tata, t'inquiète.
03:23Mais il a coûté 1,9 million de dollars. De l'autre côté, on peut mettre Shining, qui lui a été tourné au début des années 80 et qui a coûté 19 millions de dollars.
03:31C'est pas pour faire une comparaison en disant c'était mieux avant, c'est moins bien maintenant, c'est juste pour dire que les contraintes marketing et les contraintes de rentabilité n'étaient pas les mêmes.
03:39Avec de plus gros budgets viennent forcément de plus grandes contraintes et forcément un plus grand contrôle du studio et des producteurs qui veulent regarder où leur argent part.
03:47Et surtout, être sûr de le récupérer. Très important pour un producteur.
03:50Aujourd'hui, on a tendance à juger un film avant même sa sortie.
03:53Par ses projections-tests et ses prévisions algorithmiques, on évalue plus une oeuvre, on évalue sa capacité à être directement digérable et surtout à retenir un maximum l'attention de ceux qui tombent devant.
04:04Dans les victimes récentes de tests-audience qui ont complètement saccagé un film, on pourrait en citer plusieurs.
04:10Il y aurait déjà la Suicide Squad de 2016, bon que je porte pas dans mon coeur, mais qui apparemment pendant ses projections-tests proposait une vision beaucoup plus radicale et beaucoup plus sombre,
04:19qui a ensuite été confiée à une boîte qui était chargée à la base de monter des bandes-annonces pour complètement remonter le film et en changer le ton.
04:28D'où toute la vague de soutien et les réclamations pour avoir une higher cut.
04:32Je suis pas persuadé que ça rendrait le film particulièrement meilleur, mais au moins on pourrait avoir une idée de ce que le réel voulait faire à la base.
04:38Why not ?
04:39On a aussi le cas de World War Z, qui a eu carrément un tiers du film qui a été re-shooté après des tests-audience,
04:45justement pour avoir une fin plus édulcorée et qui collait plus aux attentes du public, pour avoir une happy end.
04:51Ou le cas même Blade Runner.
04:52Pendant les projections-tests, certaines personnes étaient sorties de la salle en trouvant la fin, on va dire, difficilement compréhensible.
04:59Résultat, une voix-off qui t'explique tout ce que t'es censé comprendre pour que t'aies pas à te creuser le cerveau.
05:04Le cinéma grand public, c'est devenu une science, c'est plus devenu un art, c'est quelque chose de fondamentalement relié au marketing.
05:10Aujourd'hui, c'est bien plus important que tu ne détestes rien, plutôt que tu aimes quelque chose.
05:15Ouais, il y a un petit changement de lumière parce que j'avais oublié de tourner ça.
05:18Et les gars, s'il vous plaît, on fait attention à pas confondre deux choses.
05:21Les projections test, qui sont réservées à un petit panel de personnes qui sont sélectionnées par le studio ou par la production.
05:29et les projections presse, qui sont un événement marketing pour promouvoir la sortie du film.
05:35Voilà, j'avais oublié de rajouter ça et ça me semblait pertinent.
05:38Bon, comme d'habitude dans mes vidéos, on est dans un grand paradoxe.
05:40Notre système marketing, parce que maintenant le cinéma c'est une industrie marketing,
05:45veut créer du succès en tuant toute radicalité.
05:48Mais en faisant ça, on tue aussi ce qui rend un film inoubliable.
05:50Parce que pour moi, ce qui reste gravé dans une oeuvre, c'est justement pas cette sensation de confort.
05:54C'est bien l'inverse, c'est justement le fait de se sentir inconfortable en regardant quelque chose
06:00qui nous fait cogiter, mûrir et du coup évoluer.
06:03A force de polir chaque aspérité pour créer quelque chose qui va plaire à tout le monde,
06:08on finit par créer quelque chose qui va vraiment plaire à personne.
06:11L'art c'est pas censé être un compromis, c'est censé être une collision, un choc d'idées.
06:15Je vais arrêter cette vidéo là, je pense qu'elle est encore une fois beaucoup trop longue
06:19et je suis pas persuadé que vous alliez jusqu'à la fin.
06:22Si c'est le cas, merci les gars, vous me régalez et moi je me casse.
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