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  • il y a 7 mois
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Dans « le grand témoin » Télématin reçoit Vittoria Nardone, cheffe pâtissière et présidente de l'association Bondir.e.

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Transcription
00:00Bonjour Vittoriane Ardonne, merci d'être avec nous, vous êtes chef pâtissière chez Dalla Group,
00:04donc vous êtes notre nouvelle meilleure amie, et puis vous êtes présidente de l'association Bondir,
00:10dont on reparlera, qui lutte contre les violences en cuisine.
00:13Dans un livre qui va paraître demain intitulé « Violences en cuisine, une omerta à la française »
00:18aux éditions Stock, on retrouvait, ça c'est édifiant, des dizaines et des dizaines de témoignages de jeunes
00:23qui dénoncent des violences au sein des brigades françaises.
00:26Vous-même, vous êtes passé par là, vous en avez été victime.
00:29Est-ce que vous pouvez nous raconter ce que vous avez vécu ?
00:31Oui, bien sûr. J'ai d'ailleurs témoigné aussi dans le livre de Nora.
00:35Moi, j'ai vécu des harcèlements moraux.
00:40On m'a répété pendant des mois et des mois que ce que je faisais, c'était nul,
00:44sans m'expliquer pourquoi, sans m'aiguiller pour faire mieux.
00:49J'ai aussi vécu un harcèlement sexuel où on m'a enfermée dans la chambre froide
00:52et où on m'a proposé des actes sexuels.
00:55J'étais cachée de tout le monde et donc, du coup, c'était très dur comme moment.
01:01Et j'ai aussi vécu beaucoup de menaces et de bizutages,
01:05comme par exemple, un jour, je suis arrivée avec une tresse qui pendait dans mon dos en cuisine
01:10parce que j'avais les cheveux longs.
01:11Et le chef m'a menacé de la couper si je ne me les attachais pas en chignon, par exemple.
01:17Vous aviez quel âge quand vous avez vécu tout ça ?
01:19C'était au début de votre carrière ?
01:21Oui, j'avais 20 ans.
01:22Vous aviez toujours voulu faire ce métier ?
01:24Non, pas du tout.
01:25Non, non, je m'étais orientée dans le commerce au début et puis vraiment, ça ne m'a pas plu.
01:29Donc, j'ai changé de branche, finalement.
01:32Parce que c'est un beau métier, en fait.
01:33Quand on va au restaurant, on voit le balai, des plats qui arrivent, on se régale.
01:37On est parfois dans des ambiances feutrées.
01:39Et on n'imagine pas forcément ce qui se passe dans certaines brigades, justement, de cuisine,
01:44que ce soit d'ailleurs des tables étoilées pour lesquelles vous avez travaillé aussi
01:47ou des tables, je dirais, plus confidentielles ou moins prestigieuses.
01:53C'est quoi ? C'est systémique ?
01:54Vous aviez entendu parler de ce genre de choses avant d'arriver en brigade ?
01:57Avant d'arriver, non, pas du tout.
01:58Je ne m'y attendais pas.
01:59Je me suis vraiment confrontée à ça sans avoir eu de retour de personne, en fait,
02:05parce que personne n'en parle, ou en tout cas très peu de gens.
02:09Et je pense que, oui, la violence dans le milieu, elle est ancrée maintenant.
02:15Elle est parfois même suggérée, même parfois on la pousse, en fait, à exister
02:23jusqu'à ce qu'elle en devienne la norme.
02:26Et du coup, maintenant, beaucoup de jeunes nous font les retours
02:30qu'ils ont vécu des violences alors qu'ils ont à peine fait deux semaines de stage, par exemple.
02:35Mais quand vous étiez humiliée, par exemple, dans une cuisine comme ça,
02:38par un supérieur, un chef, qu'est-ce qu'ils disaient les autres dans la brigade ?
02:42Parce qu'est-ce qu'une brigade ne peut pas, à un moment donné, se retourner en disant
02:44« Non, mais attendez, on ne peut pas travailler comme ça ».
02:47Je pense que ça peut exister, oui.
02:49Moi, dans mon vécu, je n'ai pas vu ça.
02:51C'était plus, peut-être après, à la fin de la journée,
02:55en parler avec une collègue ou en parler avec mes parents ou mes amis,
03:00de dire que j'avais vécu ça et plus me consoler.
03:02Mais il n'y a vraiment pas de prise de conscience en équipe
03:06pour un peu contrer ces violences-là.
03:08Et on vous répond quoi quand vous en parlez à vos proches ?
03:10On vous croit ?
03:11On m'a cru.
03:12Oui, bien sûr, bien sûr, on m'a cru.
03:14Tant mieux, d'ailleurs.
03:15Mais c'est vrai qu'il n'y a pas de solution
03:17parce que, comme on l'a dit tout à l'heure,
03:18c'est très ancré dans le milieu.
03:20Donc, en fait, c'est un peu à la loi du « tu subis et tu te tèques ».
03:24C'est comme ça.
03:25C'est comme ça, voilà.
03:25Ça vous a amené jusqu'où, en fait, cet harcèlement ?
03:31Vous avez fait un burn-out, Victoria ?
03:32Oui, j'ai fait un burn-out il y a quatre ans, maintenant.
03:36Vous avez quel âge ?
03:37J'avais 26 ans.
03:41J'avais travaillé pendant deux ans et demi dans une cuisine étoilée.
03:46Et en fait, un jour, je n'ai pas pu me lever
03:48parce que la fatigue, l'angoisse, le stress…
03:53Il y avait eu un élément déclenchant ?
03:55C'est le harcèlement sexuel, pour le coup, que j'avais vécu.
03:58Vous êtes retrouvée dans une chambre froide,
03:59coincée par un sous-chef.
04:01Oui.
04:02D'accord.
04:02Et quand vous avez vécu ça,
04:05personne n'a rien dit dans les cuisines ?
04:07Non.
04:07Mais j'en ai parlé.
04:09Mais on m'a vraiment dit,
04:11il est comme ça, c'est pas grave, fais attention.
04:13Fais pas attention.
04:14Qu'est-ce que ça dit de ce milieu, cette violence, justement ?
04:17Comment est-ce que vous pouvez l'expliquer ?
04:18Parce qu'on a souvent entendu,
04:20bah oui, mais ça, ça fait partie de la formation,
04:22c'est comme ça, dans les cuisines, c'est « oui, chef ».
04:24Je pense que c'est quelque chose
04:27qui a vraiment été très intégré
04:28depuis des années et des années.
04:30Il y a un chapitre du livre de Nora
04:33qui s'appelle « La fabrique de l'impunité »
04:34qui en parle très bien.
04:35C'est ça.
04:35Et en fait, il y a des mécanismes de violence
04:38qui se mettent en place dans les cuisines
04:40par la menace, par l'impunité des chefs,
04:44par la culpabilité.
04:46En fait, on inverse un peu l'inversion de la culpabilité.
04:49En fait, on se dit que c'est normal qu'on vive tout ça
04:52et donc, du coup, on devrait ne pas en parler
04:54parce que c'est la norme.
04:56C'est le passage obligatoire.
04:57C'est un peu le passage obligatoire, oui.
04:59Si on en parle, on ne peut pas aller plus loin.
05:00Il y a un peu ce mythe de si…
05:04Le rite de passage.
05:05Déjà, oui, les bizutages de rite de passage
05:07et aussi ce mythe de si tu parles
05:09et si tu veux aller ailleurs,
05:10je vais un peu ruiner ta réputation
05:13et faire en sorte que tu ne trouves pas de travail.
05:15Alors qu'il y a quand même 200 000 post-vacants à ce moment.
05:18Vous pensez que ça peut être lié,
05:19les 200 000 post-vacants depuis le Covid,
05:20justement, parce qu'on déplore
05:22un manque de personnel aujourd'hui.
05:24On entend, oui, il n'y a pas assez de jeunes
05:25qui veulent travailler dans les cuisines.
05:27Je pense que c'est évident
05:28parce qu'en fait, on a un métier qui est très dur,
05:30qui est quand même à haut risque
05:31parce qu'on travaille dans des cuisines…
05:36Il y a de la promiscuité.
05:37On a des objets tranchants.
05:39On a des objets brûlants.
05:40Il y a des choses qui peuvent être très rapidement utilisées
05:43contre les travailleurs, en fait.
05:45C'est les travailleuses.
05:46C'est dangereux.
05:47Donc, c'est dangereux, oui.
05:49Après votre burn-out,
05:50vous décidez de rejoindre l'association Bondir.
05:51Vous êtes aujourd'hui à présidente.
05:53Là, vous mettez en place,
05:54on va le faire rapidement,
05:55mais une ligne d'écoute, c'est ça ?
05:56Oui, pour ceux qui en souffrent.
05:57Tout à fait.
05:57On a du coup mis en place une ligne d'écoute
06:00sur laquelle les personnes qui ont subi des violences
06:03peuvent envoyer un e-mail.
06:05On les rappelle ensuite
06:06pour parler pendant un certain temps avec eux
06:10de ce qu'ils ont subi.
06:13Et en fait, c'est une écoute par les pères
06:14qu'on a décidé de mettre en place.
06:16Donc, c'est plus facile de parler à quelqu'un
06:18qui sait ce que c'est la cuisine.
06:19Qui est passée par là.
06:20Et qui est passée par là.
06:22L'association, c'est Bondir.
06:24Ce livre que vous avez évoqué,
06:25dans lequel vous avez témoigné,
06:27c'est « Violence en cuisine,
06:28une omerta à la française »
06:30aux éditions Stock de Nora Boisonni.
06:32Merci d'avoir été avec nous.
06:33Merci beaucoup.
06:34Et si vous êtes d'accord,
06:35on viendra goûter très prochainement
06:36vos pâtisseries.
06:37Avec plaisir.
06:38Oui.
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