- 12/06/2024
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00:00À quoi pense-t-il Charles de Gaulle en regardant passer de cercueil de Winston Churchill à
00:26quelques mètres de lui le jour de ces funérailles nationales à la cathédrale Saint-Paul-de-Londres
00:33le 30 janvier 1965.
00:35Il est vrai qu'ils se sont tant aimés, ou plutôt admirés, détestés, réconciliés,
00:45violemment fâchés à nouveau, avant de se retrouver à jamais.
00:51Ils se sont affrontés en chefs de guerre, en alliés, en politiciens, en négociateurs,
00:56en chefs d'État, en camarades de tant de combats et finalement, le dernier mais pas
01:02le moindre, ils se sont affrontés en écrivains, de véritables écrivains mais rivaux, à
01:10l'heure de publier leur mémoire de guerre et de graver dans le marbre de la postérité,
01:16chacun à sa façon, sa propre version de leur histoire commune.
01:33C'est l'un de ces endroits devenus historiques où je ressens comme nulle part ailleurs la
01:38présence des morts.
01:40Difficile de pénétrer dans la boisserie de Charles de Gaulle, sa gentilhommière de
01:47colomber les deux églises dans la Haute Marne, sans ressentir qu'elle est habitée.
01:51Toute sa personnalité et son caractère transparaissent ici, dans chacun des meubles, dans chaque
01:59bibelot, dans chaque gravure, dans sa bibliothèque et dans le choix de conserver des livres de
02:05jeunesse, ce qui ne peut laisser insensible l'écrivain en moi.
02:10Un peu plus loin, là, dans cette table de bridge, sur laquelle il faisait régulièrement
02:15en fin de journée, des réussites, ma discipline d'oisiveté, comme il disait, tout est resté
02:22en l'état, dans sa simplicité même.
02:24Il est mort à quelques mètres de son bureau, là, ou ivre de son essolement, il ne conçoit
02:32pas d'écrire autrement, sa haute silhouette arc-bouté sur son bureau, son stylo à encres
02:38glissant sur la rame de papier, isolé de la rumeur du monde, sa fenêtre donnant sur
02:43l'âpreté de la campagne champenoise.
02:46Un écrivain est un solitaire, Charles de Gaulle n'a pas à forcer sa nature.
02:55La présence de son ami Winston Churchill est assurée par son portrait trônant parmi
03:00les grands de ce monde et surtout par ses mémoires, à portée de sa main.
03:05La publication simultanée de leurs mémoires de guerre, à la charnière des années 40
03:14et 50, a été un événement mondial.
03:17Ils y ont fait œuvre d'écrivains.
03:20Cela paraît inimaginable avec le recul, mais Churchill a même été couronné de la récompense
03:27suprême, le prix Nobel de littérature.
03:29Mais des deux était-ce le bon lauréat ?
03:33Pour en juger, il ne faut pas seulement s'arrêter à leur statut de chef de guerre, ce qu'ils
03:40ont été sur le front, mais revenir aux œuvres elles-mêmes et surtout à la dimension humaine
03:46de ces deux écrivains-soldats.
03:48Il faut aussi reconsidérer ces mémoires de guerre d'un point de vue littéraire en
03:53bénéficiant du recul du temps.
03:5670 années se sont écoulées depuis la parution de ces livres qui ont connu un succès considérable
04:02à l'époque.
04:03Et on le sait bien, on gagne toujours à séparer les livres du bruit qu'ils font.
04:08Pour comprendre pourquoi leurs mémoires demeurent un témoignage essentiel, il faut d'abord
04:22traverser la campagne anglaise si chère à Sir Winston, car la volonté des deux auteurs
04:28de s'inscrire aussi comme écrivains dans notre mémoire nous invite à les juger aussi
04:35comme tels.
04:36Transportons-nous donc dans ces manuscrits, là où ceux-ci sont protégés des regards
04:42indiscrets, à l'égal de documents explosifs, aux archives entreposées dans un bâtiment
04:48à l'Université de Cambridge.
04:50Un chercheur gagne toujours à se reporter aux documents originaux, même s'il n'a
04:57pas affaire à des manuscrits mais à des tapuscrits.
05:00La graphie de l'auteur en marge, son tremblé parfois, l'importance de ses corrections,
05:07la nature de ses remords, ses rajouts et ses suppressions, tout cela compte.
05:12À les lire, je croirais l'entendre parler.
05:16C'est le cas lorsqu'il évoque le départ de De Gaulle pour Londres le 17 juin 1940,
05:25c'est difficile de ne pas en faire son miel.
05:26Dès que l'appareil commence à rouler, De Gaulle sauta dedans et claqua la porte.
05:40L'avion prit son envol, tandis que policiers et fonctionnaires français restaient bouche
05:45bée.
05:46Dans ce petit avion, De Gaulle emportait avec lui l'honneur de la France.
05:52Lorsqu'il raconte à son tour le même événement, De Gaulle est plus sec et plus lapidaire.
05:57Le départ eut lieu sans romantisme et sans difficulté.
06:01Pour comprendre un écrivain, ses manuscrits ne suffisent pas.
06:13Son style littéraire est en harmonie avec son style de vie.
06:17Il faut se rendre sur ses lieux, le visiter dans le motif, comme on le dirait d'un peintre
06:22en pleine nature, à Chartwell, dans le Kent.
06:28Winston Churchill offre une toute autre image de l'écrivain au travail quand on va chez
06:36lui.
06:37Il privilégiait lui aussi ses séjours au vert, dans son domaine plein d'animaux, un
06:48endroit extrêmement chaleureux et attachant aux yeux de tout anglophile, décor que l'on
06:54jurerait churchillissime.
06:55Après tout, la vie est trop courte pour être petite.
07:02Cette folie, car c'en est une, eut égard au coût de son entretien, a été en partie
07:11financée par certains de ses amis, quelques hommes riches et puissants de son premier
07:16cercle.
07:17Pour l'autre partie, par les revenus de ses nombreux écrits dans la presse ou en librairie.
07:23Non qu'il eut la plume facile, c'est simplement qu'il était, disons, organisé.
07:29Son oeuvre a donc été nourrie par une passion pour la chose politique comme chez peu d'écrivains,
07:36ce qui témoigne qu'être un homme d'action n'empêche pas de produire.
07:40Oui, mais à quel prix ?
07:59Le temps où j'avais 25 ans, j'avais écrit autant de livres que Moses, mais écrire
08:06un livre est une aventure.
08:07Pour commencer, c'est un jouet et un amusement, puis il devient une maîtresse, puis il devient
08:18un maître, puis il devient un tyran, et la dernière phase, c'est que juste quand vous
08:27êtes en train d'être réconciliés avec votre servitude, vous vous tuez le monstre.
08:40Pour dominer cette bête, il a sa méthode.
08:42Les six volumes consacrés à la Seconde Guerre mondiale, écrits entre 1948 et 1954, n'y
08:50échappent pas.
08:52Il n'écrit pas vraiment, mais dicte depuis un lieu, pour le moins intime, son lit, dans
08:58lequel on le trouve assis ou couché, un cigare dans une main, un verre de whisky dans l'autre,
09:04papiers et documents étalés sur sa couverture.
09:07Il y a en permanence une ou deux secrétaires à ses côtés, lesquels sont légèrement
09:14embarrassés lorsqu'il dicte non plus depuis son lit, mais depuis son étrange baignoire,
09:19la porte grande ouverte.
09:22La surface de l'eau est couverte de mousse, mais tout de même, choquant, ce dont il se
09:28fiche royalement et même impérialement.
09:33Pour écrire, Churchill fait appel à des dactylos et surtout à ses assistants littéraires.
09:38Ainsi qu'il nomme ceux qui sont en fait Sénèbres.
09:42Les biographes ont pu en dresser une liste de six.
09:46Pour prendre la mesure de son petit consortium, il faut se rendre au rez-de-chaussée du manoir
09:53où les machines à écrire se font face.
09:55Les collaborateurs fournissent la base, la recherche documentaire, puis ils rédigent
10:02les grandes lignes.
10:03Churchill réécrit l'ensemble, car le style est l'homme même, soit.
10:08Si l'anglais est innombrable lorsqu'il écrit, le français, de Gaulle, dont le portrait
10:15figure dans cette pièce devenue si symbolique, lui, est seul.
10:20Cela correspond tellement à son tempérament.
10:33Si l'on est sensible au génie des lieux, alors on peut dire que la boisserie à Colombais
10:38les deux églises était faite pour Charles de Gaulle.
10:42De proportions raisonnables, décorées sans ostentation, il l'avait acquise à un prix
10:47très sage en 1934.
10:49Surtout, elle était nimbée d'un passé littéraire, ce qui n'était pas fait pour lui déplaire.
10:55Car le détail est peu connu, mais pendant les sept années qui ont précédé sa présence,
11:02les Jolasses, un couple d'intellectuels américains, y ont fait souffler le vent de l'avant-garde
11:08littéraire et artistique, sous la double influence du romantisme allemand et du surréalisme.
11:14Ils y habitaient, à Colombais, ils y fabriquaient à la boisserie une revue et y publièrent
11:21tant de textes d'Artaud ou de Michaud, sans oublier le principal, leur grande fierté,
11:26James Joyce.
11:28Reste à savoir si quelque chose de Joyce a déteint sur de Gaulle, à supposer que
11:34deux génies puissent cohabiter dans les mêmes lieux.
11:38La solitude de l'écrivain de Gaulle, c'est celle d'un individualiste à l'esprit d'équipe.
11:45A Colombais, ses assistants se comptent sur les doigts d'une main, plutôt des relecteurs,
11:51dont l'écrivain André Malraux.
11:52Ils ont la vertu de savoir décrypter ses pattes de mouche, talent qui n'est accordé
11:58qu'à ceux qui ont l'habitude de son écriture.
12:02La mieux âme même de l'aider, c'est encore sa fille, Élisabeth de Boissieux.
12:07Elle doit taper à la machine des textes qui sont si surchargés qu'ils finissent par
12:13ressembler à des tableaux d'Alechinsky.
12:23C'est avec un modus operandi aussi sobre et économe, entouré d'une équipe aussi
12:28légère, que de Gaulle a écrit ses « Mémoires de guerre » en solitaire.
12:42Il en est des histoires d'amitié comme des histoires d'amour.
12:45On n'oublie jamais les premières fois.
12:48Généralement, cela se passe mal.
12:50Si la première rencontre entre ces deux hommes de caractère n'échappe pas à la règle,
12:57à la deuxième, cela s'arrange.
12:59Le courant passe, mais ce n'est pas nécessairement un courant alternatif.
13:09Car si l'anglais est chaleureux, le français a tout d'un poisson froid, sinon congelé.
13:27Par-dessus tout, il était, de par son caractère, fait pour agir, risquer, jouer le rôle, très
13:33carrément et sans scrupule.
13:40Je vis le général de Gaulle qui se tenait près de l'entrée, immobile et phlegmatique.
13:44En le saluant, je lui dis à mi-voix en français « l'homme du destin ». Il resta impassible.
13:52Sous son attitude imperturbable, il me parut avoir une surprenante sensibilité à la douleur.
13:58C'est une impression que j'ai conservée depuis, au contact de cet homme très grand
14:03et phlegmatique.
14:04Voici le connétable de France.
14:12Leur style littéraire diffère, mais au-delà de cette seule dimension, tout dans leur personnalité,
14:18leur caractère, leur mode de vie, leur style, quoi, tout les oppose.
14:22L'un, le français, est un homme qui marche, une silhouette sculptée par Giacometti, au
14:29perché, toujours en mouvement vers l'avant, et souvent en tenue d'officier de chars, juché
14:35sur des grandes bottes.
14:36Un héros.
14:37L'autre, c'est une masse, mais une masse paisible, qui s'applique à respecter ces
14:45deux devises, celles d'un homme assis dans un fauteuil.
14:48Il dit souvent, ne jamais rester debout quand vous pouvez être assis, et ne jamais être
14:56assis si vous pouvez être couché.
14:59L'anglais déborde d'émotions, de vivacité, de sentimentalisme.
15:08Francophile depuis l'invention du champagne, il maîtrise bien notre langue.
15:13C'est moi, Churchill, qui vous parle.
15:18Pendant plus de trente ans, j'ai marché avec vous, et je marche encore avec vous.
15:26Il est adulé par les anglais, qui voient en lui un sauveur.
15:32C'est incontestablement son moment, il lui faut le saisir.
15:37Il a d'autant moins de mal à endosser l'habit de héros national qu'il se rêve tel depuis
15:42l'enfance jusqu'à sa jeunesse sous les drapeaux.
15:44Il est vrai qu'elles se sont déroulées dans un décor majestueux.
16:07C'est à Blenheim Palace, cet univers royal et impérial, l'immense château familial
16:13dont il est sorti avec la promesse faite à lui-même d'être un jour à la hauteur des siens.
16:24Ces jeunes années se déroulèrent à l'ombre des tableaux et des tapisseries des grandes
16:29batailles accrochées au mur, qu'il reconstituait en disposant ses soldats de plomb sur le tapis.
16:36Ce fut le théâtre de son imaginaire, là où il se projeta en digne héritier de John
16:47Churchill, premier duc de Marlborough et chef de guerre.
16:50A force de vivre parmi les souvenirs glorieux de ses ancêtres, Churchill s'est naturellement
16:58identifié à leur figure légendaire jusqu'à se projeter dans l'avenir comme le rempart
17:05de sa nation.
17:06A la boisserie, chez de Gaulle, la bibliothèque reflète non seulement l'esprit et la culture
17:21mais surtout l'âme de ce grand lecteur.
17:24Les héros de son enfance ont été ceux de la nation et non ceux de la famille.
17:29Pour de Gaulle, tout doit passer par l'écrit et la littérature dans un lexique, un ton
17:39inspiré du grand siècle, d'où sont issus les Beaussuet et les Fenelon dont les livres
17:44ont bercé son adolescence aux côtés des grands auteurs des humanités classiques,
17:50les romains et les grecs.
17:51Elle s'est déroulée dans une famille de fonctionnaires et de juristes parisiens,
18:00de sérieux érudits et des catholiques légitimistes qui lui ont transmis le goût des études
18:06et du service de l'Etat.
18:08A 15 ans, il se décrivait déjà en général de Gaulle sauvant la France.
18:14Dès lors, l'une ne s'étonne à l'école militaire de Saint-Cyr qu'il n'envisage pas
18:18d'autres carrières que le service des armes.
18:21Churchill non plus, qui n'imaginait pas un seul instant faire ses classes ailleurs qu'à
18:30St. Hurst, le Saint-Cyr anglais.
18:32Mais c'est bien leur seul véritable point commun.
18:36On a vu des couples mieux partis dans la vie, en tout cas mieux assortis.
18:47Churchill, qui a 16 ans de plus que lui, confie à un proche « ce de Gaulle ressemble à
18:54un lama femelle surpris dans son bain ». Un jugement profond qui ne manque pas d'imagination.
19:00L'intéressé n'est pas en reste.
19:03À la sortie d'une réunion du cabinet de guerre, il sourit à la vue d'une papillon
19:08à poids qui se détache sur la chemise à carreaux de l'anglais en lui faisant remarquer
19:13« tiens, c'est carnaval aujourd'hui ».
19:16À quoi le premier ministre répond du tac au tac « que voulez-vous, tout le monde
19:21ne peut pas se déguiser en soldat inconnu ».
19:23Il semble que les deux avaient le sens de l'humour, mais celui de de Gaulle était
19:28si discret qu'on le cherche encore.
19:30Pas d'intimité, pas de tape dans le dos, pas de familiarité avec lui.
19:36Qu'importe, puisqu'ils sont d'accord sur l'essentiel.
19:40Il est premier ministre et de Gaulle n'est qu'un sous-secrétaire d'état à la Défense
19:46Pourtant, dès son arrivée à Londres, il le traite déjà en égal en qualité de chef
19:51des Français libres.
19:52Naufragé de la désolation sur les rivages de l'Angleterre, qu'aurais-je pu faire
20:02sans son concours ? Il me le donna tout de suite et mit pour commencer la BBC à ma disposition.
20:09A mesure que s'envolaient les mots irrévocables, je sentais en moi-même se terminer une vie,
20:35telle que j'avais menée dans le cadre d'une France solide et d'une indivisible armée.
20:40À 49 ans, j'entrais dans l'aventure, comme un homme que le destin jetait hors de toutes les séries.
21:00C'est grâce à Churchill qu'il peut s'installer au 4 Carleton Gardens, une prestigieuse
21:05résidence encadrée de colonnes d'oriques et de colonnades corintiennes, le quartier
21:10général des forces françaises libres.
21:12Difficile d'imaginer qu'à son arrivée, au début de l'été 1940, il n'était rien,
21:20un pariat, un hors-la-loi, un officier félon sans troupe ni soutien international.
21:26Un homme seul.
21:28Un rebelle dressé de toute sa violence, sa colère et son indignation contre le maréchal
21:35Pétain et le régime de Vichy.
21:38La vieillesse est un naufrage.
21:41Pour que rien ne nous fût épargné, la vieillesse du maréchal Pétain allait s'identifier
21:47avec le naufrage de la France.
21:51Deux semaines après, à Londres, les forces françaises libres sont créées sur le papier.
21:56De Gaulle est rejoint par de rares civils et quelques milliers de soldats, des centaines
22:02d'officiers et d'aviateurs, des marins.
22:05En France, on raille ses forces en le décrivant comme un régime de violence.
22:11Il s'agit d'un régime de violence qui n'existe pas aujourd'hui.
22:16En France, on raille ses forces en le décrivant entouré de journalistes juifs, d'aristocrates
22:23et de pêcheurs de l'île de Sein, ce qui n'est pas faux non plus.
22:27Et pourtant, il est persuadé d'incarner la France par lui restaurée dans son honneur
22:33et dans sa dignité.
22:35On dirait que sa plaie de Gaulle prédispose, même dans un anglais, disons, assez personnel.
22:45Ceux qui sont écrochés pendant qu'ils agissent comme des vanguardes seront un élément essentiel
22:52dans les batailles décisives.
22:55En France, nous pouvons, si nous voulons, en meilleure ordre.
23:03De fait, un jour, il sera le seul Français à pouvoir dire en public « moi, la France »
23:09sans être aussitôt transféré à Sainte-Anne.
23:13Churchill supporte difficilement l'attitude implacable, irréaliste d'un de Gaulle
23:19habité, sinon hanté, toute sa vie durant par une certaine idée de la France.
23:24Il lui arrive même de perdre patience et de s'emporter auprès de ses collaborateurs.
23:30Ce type est un dingue.
23:33Nous fîmes néanmoins de notre mieux pour accroître son influence, son autorité et son pouvoir.
23:39De son côté, il prenait naturellement formale toute relation de notre part avec les gens de Vichy
23:45et considérait que nous lui devions une loyauté exclusive.
23:49Il jugeait également essentiel à sa position aux yeux du peuple français
23:54de conserver une attitude fière et hautaine envers la perfidalbion.
24:00Du latin perfidia qui signifie « mauvaise foi ».
24:04Si perfidalbion que de Gaulle a toujours éprouvé non pas une certaine détestation de l'Angleterre
24:11mais une profonde méfiance vis-à-vis d'elle.
24:16Ce sentiment est revivifié début juillet 1940.
24:25Les Anglais veulent à tout prix empêcher le Reich de s'emparer des bâtiments de guerre français
24:30stationnés à Mers-el-Kébir, un port d'Algérie.
24:34Après des ultimatums, la Royal Navy coule la plus grande partie de l'escadre française.
24:48Un puissant de Gaulle subit son anéantissement qu'il finit par justifier dans ses mémoires.
24:55M'adressant aux Français, je leur demande de considérer le fond des choses
24:59du seul point de vue qui doit finalement compter,
25:02c'est-à-dire du point de vue de la victoire et de la délivrance.
25:06Je dis sans embages qu'il vaut mieux que les navires aient été détruits.
25:11Nos deux vieux peuples, nos deux grands peuples demeurent liés l'un à l'autre.
25:15Ils succomberont tous les deux ou bien ils gagneront ensemble.
25:20Ce fut une décision odieuse, la plus inhumaine,
25:24la plus pénible de toutes celles auxquelles j'ai été associé.
25:28C'était une tragédie grecque.
25:31Pourtant, jamais aucun acte ne fut plus nécessaire à la survie de l'Angleterre
25:36et de tous ceux qui comptaient sur elle.
25:41Près de 1500 marins y laissent la vie.
25:45Le nationalisme de De Gaulle, mis devant le fait accompli,
25:49est très ébranlé car le sang français a coulé.
25:53Aussi peu après, c'est lui qui est à la manœuvre pour inciter Churchill
25:58à s'emparer de la marine française à Dakar.
26:02Mal préparé, l'opération aboutit à un douloureux fiasco
26:06qu'ils vivent solidairement dans la même galère.
26:15Lorsqu'il fend l'armure et se confie à des proches,
26:19le général reconnaît le coup de blouse.
26:22Abattu, il broie du noir ses peaux de le dire.
26:25Pour la seule fois de sa vie, il est hanté par des pulsions suicidaires.
26:32Les jours qui suivirent me furent cruels.
26:35J'éprouvais les impressions d'un homme dont un séisme secoue brutalement la maison
26:39et qui reçoit sur la tête la pluie des tuiles tombant du toit.
26:45Churchill, lui, est coutumier de cet état d'âme.
26:49Sa mélancolie, issue d'un état dépressif latent,
26:53il l'a domestiquée même si elle le fait souffrir par un coup.
26:58Il l'a surnommé « mon black dog »
27:01et l'arrivée de ce « chien noir » s'annonce à chaque fois
27:05par un grand coup qui s'abat sur sa nuque
27:08et qu'il surmonte en se noyant dans l'alcool plus encore qu'à l'accoutumé.
27:15Mais ce qui s'abat sur la nuque de son peuple,
27:18c'est un déluge de feu et d'acier lancé à partir du 7 septembre 1940 par la Luftwaffe.
27:25Huit mois durant, ce blitz d'éclairs en allemand
27:28pousse les habitants à se terrer dans les caves,
27:31les abris, le métro londonien à plus de 50 mètres de profondeur.
27:36Pour prendre la mesure de cet enfermement,
27:39il faut se rendre là où s'enterrait le cabinet de guerre dirigé par Churchill.
27:44Son bunker secret est situé en plein centre de la capitale.
27:50Il abrite de nombreuses pièces dans un labyrinthe de galeries conservées à l'identique.
27:56« Voici le bruit qui fit partie intégrante de la vie de chaque homme,
28:00de chaque femme et de chaque enfant de l'Angleterre. »
28:09Churchill y a rarement vécu avec sa femme et ses enfants.
28:14Il n'y a pas eu d'enquête.
28:17Il n'y a pas eu d'enquête.
28:20Il n'y a pas eu d'enquête.
28:22Churchill y a rarement vécu avec sa femme, ses ministres et les officiers de son staff.
28:28Il y a parfois participé à des réunions stratégiques
28:31sur la conduite de la guerre et l'organisation des batailles.
28:53La présence de grandes cartes géographiques qui tapissent toutes les pièces,
28:57les salles de réunion comme les chambres, en témoignent.
29:02C'est dans cette atmosphère oppressante, car enterrée,
29:05que Churchill a passé une partie de son temps,
29:08jour et nuit, à réfléchir à huis clos, à dormir, à décider
29:12et surtout à encourager son peuple au travail.
29:17La manière dont il évoque ces moments-là dans ses mémoires
29:20rappelle son talent de journaliste,
29:22activité dans laquelle il a longtemps exercé sa plume
29:25avant de se jeter dans la carrière littéraire.
29:29Il n'a pas été un journaliste,
29:31mais un journaliste,
29:33qui a été un journaliste,
29:35qui a été un journaliste,
29:37qui a été un journaliste,
29:39qui a été un journaliste,
29:41qui a été un journaliste,
29:43qui a été...
29:48qui a été un journaliste.
29:58Les raids de nuit s'accompagnaient d'attaques de jour plus ou moins continuelles,
30:02menées par de petites formations ennemies
30:04ou même par des appareils isolés.
30:06Et souvent, les sirènes retentissaient à de brefs intervalles,
30:10tout au long des 24 h d'une journée.
30:12Au fond, si haut que soit le premier ministre britannique et le chef de la France libre,
30:20ne relèvent-ils pas eux aussi de cette foule qui redresse la tête dès le lendemain des
30:25bombardements de Londres et de Coventry ? Une foule que Churchill évoque comme des gens
30:31ordinaires confrontés à une époque extraordinaire.
30:34Une formule winstonissime que de Gaulle reprendra à son compte.
30:53Je les imagine bien l'un et l'autre, Churchill et de Gaulle, touchés par cette photographie
31:10accrochée à un mur de mon bureau.
31:12Cette image est l'une des plus iconiques du blitz.
31:16La bibliothèque de Hohenhaus à Londres, dévastée par des bombes larguées par l'invasion
31:22allemande sur ce quartier de l'ouest.
31:25Des personnages y cherchent un livre dans les rayonnages en ruines, comme si de rien
31:31n'était.
31:32Il y a là quelque chose de surréel qui reflète bien la folie de l'époque et l'absurdité
31:41d'une guerre si dévastatrice.
31:43Les bibliothèques ont pour vocation de conserver, protéger et communiquer les livres, non d'être
31:53le spectacle morbide de leur destruction.
31:56Les livres, nos deux hommes de guerre ont toujours vécu dans et par eux.
32:06Les manuscrits des mémoires de guerre du général ont été naturellement accueillis
32:13par la Bibliothèque nationale à Paris.
32:16Les consultés relèvent d'un cérémonial qui a partie lié avec le sacré.
32:20Ces pages originales ne s'y laissent découvrir que sur dérogation et avec mille précautions,
32:33à commencer par l'usage exclusif du crayon à mine pour prendre des notes, surtout pas
32:38d'encre, de crainte d'un accident.
32:40Sous la plume de De Gaulle, une écriture, la sienne, nerveuse, tendue, surchargée,
32:48pleine de ratures et donc de remords, ce qui reflète au fond sa recherche obsessionnelle
32:54du mot juste.
32:55Il correspond à la définition qu'Oscar Wilde donnait d'un écrivain, quelqu'un
33:02qui passe sa matinée à rajouter une virgule et son après-midi à la retirer.
33:07Il est intéressant de comparer l'état de leurs manuscrits.
33:15Avec Churchill, il s'agit d'un tapuscrit, puisqu'il dicte.
33:19Mais jusqu'à la fin, pour ne pas déplaire aux uns et aux autres et se conformer à leurs
33:25désirs, c'est plein de mots barrés et remplacés par d'autres afin de ne vexer personne,
33:30à commencer par De Gaulle.
33:32Ainsi, a-t-il éliminé les passages où il le traite de, je cite, « fureur en germe ».
33:38Donc des mots barrés à l'aide d'un crayon à mine bleue donnant un autre type de tableau,
33:45ce que le pasteliste en lui, passionné par toutes les nuances du bleu, n'aurait pas
33:50renié.
33:51La grande qualité de Churchill, qui fait pour l'instant défaut à De Gaulle, c'est
33:57que, dès qu'il parle en public, il le met dans sa poche.
34:00Paradoxalement, c'est là que le styliste se révèle en lui, car sa grande œuvre,
34:06ce sont ses discours.
34:07Ce qui ne va pas de soi pour un homme affecté d'un défaut de prononciation un zézément.
34:27Des qualités oratoires que De Gaulle reconnaît lui envier.
34:38Quel que fût son auditoire, qu'il se trouvât devant un micro, à la tribune, à table
34:45ou derrière un bureau, le flot original, poétique, émouvant de ses idées, arguments,
34:51sentiments, lui procurait un ascendant presque infaillible dans l'ambiance dramatique
34:56où haletait le pauvre monde.
34:58Ce monde tourne vraiment sur ses gonds lorsque les Etats-Unis entrent en guerre en décembre
35:041941.
35:05Malgré l'admiration que De Gaulle voue à Churchill, leur relation connaît à nouveau
35:10une période de glaciation avec l'arrivée d'un troisième homme qui s'impose alors
35:15entre eux, de toute sa puissance, le président Franklin Roosevelt.
35:20Churchill, proche de lui pour des raisons tant historiques que personnelles, sa propre
35:24mère était américaine, s'en rapproche davantage encore, un pas de deux qui exclut
35:29le français.
35:30L'important est que Roosevelt ait désormais le leadership du monde libre.
35:34La détestation de Roosevelt pour De Gaulle est notoire, il voit en lui un apprenti dictateur.
35:52Non seulement il le méprise, mais il tente d'y entraîner Churchill, qui se retrouve
35:58écartelé entre deux fidélités.
35:59Roosevelt et Churchill ont un plan, pour mener l'offensive depuis l'Afrique du Nord, mais
36:08ils ne souhaitent pas y associer De Gaulle.
36:10« Si nous avions mêlé De Gaulle à l'affaire, cela aurait produit le plus fâcheux effet
36:15sur les réactions des Français d'Afrique du Nord.
36:17Pourtant, il fallait manifestement trouver quelques autres personnalités françaises
36:22et aux yeux des Britanniques comme des Américains, nul ne semblait plus qualifié que le général
36:27Giraud.
36:36Le général Giraud est plus souple, plus accommodant et tellement plus chaleureux que
36:40l'insupportable De Gaulle.
36:42Il est le pion idéal pour les Américains et un rival de taille pour De Gaulle désormais
36:48sur la touche.
36:50Nous parlâmes de Roosevelt et de son attitude à mon égard.
36:53« Ne brusquez rien, dit M.
36:55Churchill.
36:56Voyez comment, tour à tour, je plie et me relève.
36:59Vous le pouvez, observe-je, parce que vous êtes assis sur un état solide, une nation
37:04rassemblée, un empire uni, de grandes armées.
37:08Mais moi, où sont mes moyens ? Pourtant, j'ai, vous le savez, la charge des intérêts
37:14et du destin de la France.
37:16C'est trop lourd et je suis trop pauvre pour que je puisse me courber.
37:20M.
37:21Churchill conclut notre entretien par une démonstration d'amitié et d'émotion.
37:26Nous avons encore de rudes obstacles à surmonter, mais un jour, nous serons en France, peut-être
37:32l'année prochaine.
37:33En tout cas, nous y serons ensemble.
37:35Je ne vous lâcherai pas. »
37:37Et pourtant, Churchill organise une opération d'envergure avec le président américain.
37:47Une ligne transatlantique spéciale permet même au premier ministre britannique de s'entretenir
37:53à tout instant avec lui.
37:56Leurs états-majors hourdissent en secret l'opération Torch, un débarquement de troupes
38:02alliées en Afrique du Nord en novembre 1942 et De Gaulle est exclu de tous ses préparatifs.
38:09« J'avais conscience des liens qui nous unissaient à De Gaulle et de la gravité
38:15de l'affront que nous allions lui infliger en le tenant délibérément à l'écart
38:20de toute participation à l'entreprise.
38:22J'avais l'intention de l'informer juste avant que le coup ne fût porté.
38:26»
38:27Ce débarquement mené sur les plages d'Algérie et du Maroc permet aux alliés de prendre
38:55pied sur le sol africain.
38:57C'est leur première grande victoire militaire et De Gaulle n'en est pas.
39:05C'est aussi que Roosevelt a son homme et il n'en démord pas, le général Giraud,
39:11qu'il tient à installer à la tête de l'armée d'Afrique.
39:17De toute évidence, l'orgueil de De Gaulle est agressé au plus haut par ses alliés.
39:25« M.
39:26Churchill s'en prit alors à moi sur un ton acerbe et passionné.
39:30Il s'écria avec fureur « Vous dites que vous êtes la France ? Vous n'êtes pas
39:35la France ? Je ne vous reconnais pas comme la France ! » Puis, toujours véhément,
39:40« La France, où est-elle ? »
39:42Comment n'on concevrait-il pas une humiliation d'autant plus cruelle que la conférence
39:49d'enfants se déroule en janvier 1943 devant les caméras internationales ?
39:54Roosevelt et Churchill y préparent déjà leur stratégie pour l'après-guerre.
40:07Manifestant sa colère froide face à son exclusion, donc celle de la France, De Gaulle
40:13arrive en retard, allant même jusqu'à le faire attendre deux jours.
40:17« De Gaulle arriva enfin le 22 janvier et fut conduit à sa villa, qui était voisine
40:23de celle de Giraud.
40:24Il refusa d'aller rendre visite à ce dernier et il fallut plusieurs heures d'efforts
40:28pour le décider à changer d'avis.
40:30J'eus un entretien glacial avec De Gaulle et lui fit très clairement comprendre que
40:35nous n'hésiterions pas à rompre définitivement avec lui s'il persistait dans son opposition.
40:40»
40:41Le premier ministre m'adressa des reproches amers, où je ne pus voir autre chose que l'alibi
40:50de l'embarras.
40:51Il m'annonça qu'en rentrant à Londres, il m'accuserait publiquement d'avoir empêché
40:56l'entente, dresserait contre ma personne l'opinion de son pays et en appellerait à
41:01celle de la France.
41:03De toute la guerre, ce fut la plus rude de nos rencontres.
41:05De Gaulle se résout finalement à s'asseoir à la table des négociations pour être agréable
41:11à Churchill, qui aura beaucoup insisté.
41:14Un moment historique totalement fabriqué.
41:17Il dira même à Roosevelt « I shall do that for you », autrement dit « si je le fais,
41:23c'est bien pour vous ».
41:32Roosevelt le pousse à faire une seconde prise pour la bonne cause, soi-disant.
41:42De Gaulle, qui sort du cadre, dirige désormais conjointement avec le général Giraud les
41:50forces françaises en guerre.
41:51Monsieur Churchill, chaque fois que nous nous heurtions en raison des intérêts dont
42:02nous avions respectivement la charge, faisait de notre désaccord comme une affaire personnelle.
42:07Il en était blessé et chagriné à proportion de l'amitié qui nous liait l'un à l'autre.
42:13Ses dispositions de l'esprit et du sentiment, joints aux recettes de sa tactique politique,
42:19le jetaient dans des crises de colère qui secouaient rudement nos rapports.
42:22Ce que veulent les anglo-saxons, c'est rien moins que la mise sous tutelle américaine
42:30de la France.
42:31Ce qui est, aux yeux de De Gaulle, inacceptable, inenvisageable et non négociable.
42:35On comprend dès lors que De Gaulle subisse un troisième affront.
42:43Il est exclu des préparatifs du jour J, le débarquement en Normandie, le 6 juin 1944.
42:49À 6h30, les premières troupes d'assaut et les chars des alliés débarquent sur les
43:09plages normandes.
43:10Au même moment, celui que l'on surnomme le « Général Micro » en est réduit à
43:22user de la BBC, cette fois pour sauver l'honneur et assurer la présence de la France libre
43:28et de son chef en ce jour historique.
43:30« Après tant de combats, de fureurs, de douleurs, voici venu le choc décisif.
43:37C'est la bataille de France et c'est la bataille de la France. »
43:43La circonstance le pousse à être plus lyrique qu'à l'accoutumée en adoptant, une fois
43:48de plus, des accents tchertchiliens.
43:50« Derrière le nuage si lourd de notre sang et de nos larmes, voici que reparaît le soleil
43:59de notre grandeur. »
44:00De Gaulle, lui, a débarqué en Normandie six jours après les autres.
44:07Il n'a qu'une idée en tête, libérer Paris.
44:10Pour les alliés, c'est un objectif secondaire, ils veulent même contourner la capitale.
44:16Mais De Gaulle n'en démore pas et il faut que ce soit des Français, ceux de la deuxième
44:22division blindée du général Leclerc, qui entrent les premiers dans Paris.
44:27Et que ce soit lui, le général De Gaulle, qui incarne la libération la plus symbolique
44:32au regard de la postérité.
44:34Une exigence de plus qui agace son allié Churchill.
44:38« Ce type ! De Gaulle est insupportable et c'est lui qui a raison.
44:43La France, la seule France, la France libre, c'est lui et nul autre.
44:48Et dans l'avenir, ce sera lui, aussi vrai que moi, Churchill, je serai celui de l'Angleterre. »
44:56Le 25 août 1944, le général De Gaulle entre dans Paris en vainqueur.
45:10Mais jusqu'à la fin de sa vie, il boycottera les commémorations du jour le plus long.
45:20« Je ranime la flamme.
45:24Depuis le 14 juin 1940, nul n'avait pu le faire qu'en présence de l'envahisseur.
45:30Puis je quitte la voûte et le terre-plein.
45:34Les assistants s'écartent, devant moi, les Champs-Élysées.
45:40Ah, c'est la mer ! Une foule immense, émassée de part et d'autre de la chaussée.
45:47Peut-être deux millions d'âmes.
45:53Nous aurons ainsi, tous ensemble, bouleversés, fraternels, sentant la joie, la fierté,
46:08l'espérance nationale remonter du fond des abîmes. »
46:12Il s'agit aujourd'hui de rendre à lui-même, par le spectacle de sa joie et l'évidence
46:26de sa liberté, un peuple qui fut hier écrasé par la défaite et dispersé par l'inservitude.
46:33De toutes les images du général prise ou filmée pendant la guerre, c'est la première
46:39fois qu'on le voit enfin le sourire aux lèvres.
46:50Lorsqu'il accueillera le premier ministre anglais deux mois plus tard, c'est bien de
46:55son ami Churchill qu'il s'agira à nouveau, l'un comme l'autre, aux fêtes de leur gloire.
47:02« De Gaulle me reçut à un grand déjeuner au ministère de la guerre et prononça des
47:07remarques extrêmement flatteuses au sujet de mon rôle durant le conflit. Je fus frappé
47:12par le respect, voire la crainte, qu'une demi-douzaine de généraux de haut grade témoignaient
47:17à De Gaulle, bien qu'il n'eût qu'une étoile sur son uniforme. »
47:29Les deux chefs de guerre se retrouvent face à face pour l'éternité, en bas des Champs-Elysées.
47:35Le sculpteur les a incarnés en hommes qui marchent. Ils sont l'histoire, mais se dirigent
47:40toujours vers l'avant.
47:43Dès la fin de la guerre, ils continuent à dominer le paysage politique.
47:50Le 13 novembre 1945, De Gaulle est élu président du gouvernement provisoire.
48:06Mais Churchill, lui, tombe de son socle. Il est balayé aux élections par un raz-de-marée travailliste.
48:20Désenchanté, il se met au vert dans son domaine de Chartwell, en retrait pour y écrire
48:25ses mémoires de guerre.
48:29Fidèle à sa promesse d'être l'historien d'une épopée dont il avait été également
48:33le héros, il produit avec son équipe six tomes, dont le premier parait en 1948.
48:46Churchill devient un auteur à succès car les ventes de son œuvre sont considérables
48:50et durables, tant aux États-Unis qu'en Angleterre.
48:56À la librairie Harchard's à Londres, il est même le seul à bénéficier de tout
49:00un pan de bibliothèques dédiées à ses propres livres ainsi qu'à tous ceux, nombreux,
49:06qui l'ont été consacré à ce jour.
49:14Pendant ce temps, le général De Gaulle, qui a quitté le pouvoir et qui entame lui
49:18aussi une traversée du désert, commence à peine à écrire ses propres mémoires
49:23de guerre, loin de la rumeur du monde.
49:27Dans le tumulte des hommes et des événements, la solitude était ma tentation.
49:33Maintenant, elle est mon amie.
49:38De quel autre se contenter quand on a rencontré l'histoire ?
49:44Avec ses souvenirs de la France libre qui ont la force du témoignage, De Gaulle quitte
49:49le statut d'écrivain militaire qu'il avait acquis dans les années 30 pour celui d'écrivain
49:54d'histoire.
49:55Un écrivain ne comprend ce qui lui arrive que lorsqu'il l'écrit.
49:59De Gaulle a l'ambition d'édifier une œuvre et de se démarquer ainsi de Churchill qui,
50:04selon lui, s'est contenté de, je cite, « mettre beaucoup de choses bout à bout ».
50:19Pourtant, Winston Churchill est celui des deux que l'Académie suédoise a choisi de
50:23consacrer en 1953 par le prix Nobel de littérature.
50:33Le comble, c'est que l'élu ne dissimule pas sa déception.
50:37Churchill ne prend même pas la peine de se déplacer jusqu'à Stockholm et y envoie sa femme.
50:53Il ne fait guère de doute à l'époque que cette année-là, la récompense est moins
51:03motivée par des préoccupations littéraires que par un souci politique et diplomatique.
51:08En fait, Sir Winston espérait le prix Nobel de la paix qui ira finalement à Albert Schweitzer
51:14qu'il moque en privé.
51:15Mais il se résigne à accepter son Nobel lorsqu'il apprend que le chèque est d'un montant de
51:2012 000 livres sterling non imposables.
51:35Quant à De Gaulle, la parution de ses « Mémoires de guerre » un an plus tard chez Plon, éditeur
51:40choisi parce qu'il avait été celui des grands Coincaré, Fauch ou Churchill, a un
51:45grand authentissement, tant dans le monde politique que littéraire, dans de nombreux pays.
51:57Désormais inscrit au plus prestigieux des palmarès littéraires, Churchill a tout de
52:02même été sacré écrivain, entre François Mauriac et Ernest Hemingway, excusez du peu.
52:09Or l'Académie suédoise est censée distinguer un écrivain et non un polygraphe doué, féru
52:15d'histoire et assisté par un atelier de nègres.
52:19Lorsqu'on les relie avec le recul du temps, Charles de Gaulle est bien des deux l'écrivain.
52:25Un classique dont l'esprit est gouverné par un absolu de la langue française et donc
52:29de l'écriture.
52:31Toute sa vie, il s'était fait une certaine idée de la France à travers la littérature
52:35qu'il avait formée à jamais.
52:38Qu'importe au fond puisque ce qui en reste, c'est d'abord l'histoire d'une amitié
52:42contrariée car passionnée entre deux hommes que liait une admiration réciproque.
52:48Deux monstres sacrés au destin façonné par la houle de l'histoire.
52:55« Je savais qu'ils n'étaient pas amis de l'Angleterre, mais j'ai toujours retrouvé
53:00en lui l'esprit et les conceptions que le mot France évoquera éternellement tout au
53:06long des pages de l'histoire. »
53:13Les incidents rudes et pénibles qui se produisirent à maintes reprises entre nous, en raison
53:18des frictions de nos deux caractères, ont influé sur mon attitude à l'égard du
53:23premier ministre, mais non point sur mon jugement.
53:27Winston Churchill m'a paru d'un bout à l'autre du drame, comme le grand champion
53:31d'une grande entreprise et le grand artiste d'une grande histoire.
54:01Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
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