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  • 06/12/2023
Disparu en juin 2023 à l'âge de 92 ans, Daniel Ellsberg a surtout été salué pour son rôle de lanceur d'alerte dans l'affaire des Pentagon Papers. Mais outre cette leçon de courage, on lui doit aussi une leçon de management : le paradoxe qui porte son nom. Dans un article de 1961 publié par le prestigieux Quarterly Journal of Economics, Ellsberg propose le problème  suivant. Imaginez que vous devez choisir entre deux urnes, avec pour objectif de tirer une boule rouge. La première urne contient 50 boules rouges et 50 boules noires. La seconde contient 100 boules, rouges ou noires, dans des proportions inconnues. [...]

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Transcription
00:00 [Générique]
00:08 Disparu en juin 2023 à l'âge de 92 ans,
00:11 Daniel Ellsberg a surtout été salué pour son rôle de lanceur d'alerte dans l'affaire des Pentagon Papers.
00:18 Mais outre cette leçon de courage, on lui doit aussi une leçon de management,
00:23 le paradoxe qui porte son nom.
00:26 Dans un article de 1961 publié par le Quarterly Journal of Economics,
00:31 Ellsberg propose le problème suivant.
00:33 Imaginez que vous devez choisir entre deux urnes, avec pour objectif de tirer dans l'urne une boule rouge.
00:40 La première urne contient 50 boules rouges et 50 boules noires.
00:44 La seconde urne contient 100 boules dont on sait qu'elles sont rouges ou noires,
00:48 mais dans des proportions qu'on ne connaît pas.
00:51 La différence entre les deux urnes illustre une distinction que faisait dès 1921 l'économiste Frank Knight,
00:58 une distinction entre le risque et l'incertitude.
01:01 Le risque est mesurable, l'incertitude ne l'est pas.
01:04 Vous pouvez choisir l'urne qui présente un risque, c'est celle où vous avez une chance de succès de 50%,
01:09 ou l'urne qui contient une incertitude, une chance de succès inconnue.
01:14 Si vous êtes comme la grande majorité des gens, vous aurez choisi la première urne.
01:18 En général, nous préférons le risque quantifiable, l'urne ici avec une répartition à 50/50,
01:24 à l'incertitude non quantifiable, l'urne avec une répartition inconnue.
01:28 Et après tout, pourquoi pas ?
01:31 Seulement voilà, le paradoxe auquel nous conduit ce choix est très problématique.
01:37 Supposez maintenant qu'on vous dise que ce sont les boules noires et non pas les boules rouges qui sont gagnantes.
01:43 Toutes choses égales par ailleurs, le problème est exactement le même.
01:46 Est-ce que vous allez changer d'avis pour piocher dans la seconde urne plutôt que dans la première ?
01:51 Si oui, votre choix n'est pas logique, parce que le problème est strictement le même,
01:55 la couleur des boules gagnantes ne devrait pas changer de raisonnement.
01:58 Est-ce que vous allez alors choisir de vous en tenir à la première urne ?
02:02 Malheureusement, c'est tout aussi illogique, parce que si dans la première situation où les boules rouges étaient gagnantes,
02:08 vous aviez choisi la première urne, c'est bien parce que vous pensez que les chances de tirer une boule noire
02:13 étaient supérieures dans la seconde urne.
02:15 Donc pour être cohérent avec votre premier choix, maintenant que les boules noires sont gagnantes,
02:20 c'est la seconde urne que vous devriez tirer.
02:22 En d'autres termes, vous êtes maintenant contraint de violer les principes de base de la décision rationnelle,
02:28 tels que la définissent les économistes et les théoriciens de la prise de décision,
02:32 pour essayer de rester cohérent.
02:34 Si vous vous conformiez au modèle rationnel, en fait vous devriez être strictement indifférent
02:40 entre une probabilité de 50% et une probabilité inconnue.
02:43 Mais psychologiquement, ça n'est pas comme ça que nous fonctionnons.
02:47 Ce problème s'appelle l'aversion à l'incertitude ou l'aversion à l'ambiguïté.
02:53 Il faut souligner que l'aversion à l'incertitude n'est pas la même chose du tout que l'aversion au risque.
02:58 Dans notre exemple, il serait parfaitement logique d'avoir une aversion au risque
03:02 qui vous conduit à préférer une urne contenant 60 boules gagnantes à une urne qui n'en contiendrait que 40.
03:08 Et si vous acceptez de tirer dans une urne qui contient moins de boules gagnantes,
03:12 vous devriez exiger en contrepartie de ce risque un gain plus important.
03:16 Ça, c'est parfaitement rationnel, c'est l'aversion au risque.
03:19 Ce qu'il est moins, c'est de pénaliser systématiquement les situations
03:23 où les probabilités de succès et le montant des gains ne sont pas quantifiés et connus.
03:29 L'aversion à l'incertitude peut donc nous faire commettre des erreurs,
03:34 parce que dans la réalité, il est rare que les risques soient parfaitement quantifiables et connus.
03:39 Dans vos investissements par exemple, vous risquez de préférer des produits que vous comprenez,
03:44 dont vous croyez connaître le profil de risque,
03:47 et vous allez probablement rester à l'écart des produits dont le risque et le rendement sont moins bien connus.
03:53 C'est très sensé du point de vue du bon sens bien sûr,
03:56 mais ça peut vous conduire à ignorer des options plus attrayantes comme des classes d'actifs nouvelles
04:01 dont par définition on ne connaît pas aussi précisément l'historique de résultats.
04:06 Dans vos choix de carrière, pour prendre un autre exemple,
04:08 vous savez qu'aller travailler dans une start-up peut vous permettre de toucher le gros lot,
04:13 mais la taille de ce lot et la probabilité de le gagner sont impossibles à estimer,
04:18 ce qui va conduire beaucoup de gens à préférer la sécurité d'un emploi
04:22 dont le profil de risque et de rendement est parfaitement connu.
04:27 Comment peut-on essayer de contrecarrer cette aversion à l'incertitude ?
04:31 C'est difficile.
04:33 On peut essayer, d'une manière simple, qui est de mettre des chiffres là où il n'y en a pas,
04:38 en vous efforçant d'assigner des probabilités aux différents événements possibles,
04:43 même quand vous ne les connaissez pas.
04:45 Alors comment est-ce qu'on peut assigner des probabilités quand on ne les connaît pas ?
04:48 Eh bien, en ne reflétant au fond que votre croyance personnelle.
04:53 On parle d'ailleurs de probabilités subjectives.
04:56 Ça peut sembler étrange, parce que, encore une fois,
04:59 ces probabilités n'ont rien à voir avec la réalité, et pourtant c'est utile.
05:03 Reprenons l'exemple de nos deux urnes.
05:05 Si vous vous demandez quelle est la probabilité de succès de la seconde urne,
05:09 en l'absence de toute autre information, vous allez supposer qu'elle est de 50%.
05:14 Comparée avec la première urne, la seconde n'est plus une inconnue inquiétante,
05:19 elle est devenue strictement équivalente puisqu'elle a 50% de probabilité de succès.
05:24 Formalisant une probabilité là où il n'y en avait pas,
05:27 vous avez transformé à vos propres yeux une incertitude en un risque.
05:33 On objecte souvent que cette méthode conduit aussi à des erreurs,
05:36 puisque, encore une fois, les probabilités subjectives sont subjectives,
05:40 donc fausses par définition.
05:43 Et il est vrai que si votre estimation est complètement fausse,
05:46 le résultat le sera certainement aussi.
05:49 Mais si vous voulez progresser dans votre capacité à estimer des probabilités,
05:53 il faut bien que vous vous livriez à l'exercice,
05:56 et que vous appreniez de vos succès et de vos erreurs.
06:00 En somme, pour ne pas rester paralysé dans le brouillard de l'incertitude,
06:04 avec pour conséquence l'aversion à cette incertitude,
06:08 nous n'avons pas d'autre choix que d'essayer de dissiper ce brouillard,
06:12 même si c'est difficile.
06:15 [Musique entraînante diminuant jusqu'au silence]
06:19 [Musique]

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