Faut-il arrêter d’enseigner l’orthographe aux élèves ?

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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner

00:06 Et bien écoutez, bonjour Marguerite Quaton

00:08 Bonjour Guillaume, bonjour à tous

00:10 Ce matin, on parle d'orthographe

00:12 Oui, en compagnie d'Anne Abéyer, linguiste, professeure à l'université Paris Cité

00:17 qui a co-signé dimanche avec plusieurs collègues, universitaires et écrivains, une tribune dans le monde

00:23 en faveur d'une simplification des règles orthographiques

00:26 L'argument principal de votre tribune, Anne Abéyer, repose sur le gâchis de temps et d'énergie

00:32 que représenterait l'enseignement des règles orthographiques aux écoliers

00:35 Expliquez-nous

00:36 Alors, dans l'orthographe française, il y a la partie lexicale, donc transcrire les sons

00:42 et il y a des règles, il y a des correspondances entre lettres et sons, c'est ce qu'on apprend

00:46 par exemple "ami" c'est un mot transparent, "oiseau" beaucoup moins

00:49 parce qu'il faut apprendre que "oi" ça fait "wa" et "eu" ça fait "o"

00:53 et ces règles, l'enfant les apprend, mais dès qu'il y a des exceptions, ça y a un coût

00:58 donc par exemple, on écrivait "ign" au lieu de "gn" et au XIXe siècle on a simplifié

01:04 et on a oublié "oignon"

01:06 donc quand on voit "oignon" au "ign" on croit que c'est "wa" comme "moignon" et pas comme "pognon"

01:12 donc les rectifications de 1990 qu'on demande d'appliquer, qui sont appliquées à l'école

01:18 mais justement ensuite, ce n'est pas suivi par les éditeurs, ce n'est pas suivi par les livres

01:24 que lisent les collégiens et les lycéens

01:27 essayent d'enlever des exceptions à des règles

01:32 alors l'autre partie, c'est l'orthographe grammaticale

01:35 donc là aussi, le français est difficile parce qu'il y a plusieurs types de règles

01:39 le pluriel dans le groupe nominal c'est un S, les enfants

01:43 et puis dans le groupe verbal, enfin le accord sujet-verbe c'est ENT

01:47 donc "les" porte c'est un S, "ils" porte c'est ENT

01:50 il y a des règles, c'est difficile mais il y a des règles

01:53 et puis il y a des exceptions

01:55 et donc ces exceptions qui n'ont pas de sens, qui ne font pas appel à l'intigence

01:59 comme un après-midi, des après-midi

02:01 c'est plus logique de mettre un S à "après-midi" dans "des après-midi"

02:05 et c'est ça aussi que font les rectifications de 1990

02:09 donc autant qu'on peut s'appuyer sur ces règles qui sont nombreuses, qui sont complexes

02:16 on y gagne et dès qu'on doit avoir des exceptions à ces règles

02:20 ça bloque, ça rend les choses plus difficiles

02:23 Et à vos yeux, les enseignants perdent du temps, du temps précieux d'apprentissage

02:28 qu'on pourrait consacrer notamment, vous le dites, à l'écriture créative

02:31 donc en fait, il y a comme un match entre la rédaction et la dictée

02:34 vous êtes du côté de la rédaction ?

02:36 Alors d'abord, dans la tribune que vous avez citée

02:39 nous relayons des propositions d'enseignants

02:42 donc c'est très important pour nous que les fédérations d'enseignants

02:45 pas seulement l'association française mais l'association du Québec

02:48 l'association de Belgique, la fédération internationale des professeurs de français

02:51 ce sont des propositions qu'ils font appliquer 1990 plus largement

02:56 pas seulement en primaire mais dans le secondaire et dans toute la société

03:00 dans les journaux, sur les panneaux des mairies

03:04 et aller plus loin parce qu'on a encore des règles qui posent problème

03:08 parce qu'elles ont trop d'exceptions

03:10 donc c'est l'accord du parti passé avec Avoir

03:12 qui est un accord avec l'objet, quelque chose de très bizarre

03:16 au départ c'était un italianisme au XVIe siècle

03:19 même les italiens l'ont plus ou moins abandonné

03:21 et ça ne fait pas appel à l'intelligence

03:24 parce que ce ne sont pas tous les objets

03:26 ce ne sont pas tous les cas, je les ai portés et oui, j'en ai porté

03:30 donc c'est devenu pour les enseignants quelque chose de difficile

03:36 que les élèves ne maîtrisent pas quand ils arrivent en 6e

03:41 20% à peu près dans les enquêtes maîtrisent cet accord du parti passé

03:45 et vu les difficultés qu'il y a à écrire et à lire en arrivant au 6e

03:50 ces 80 heures passées en primaire à enseigner l'accord avec l'objet, avec Avoir

03:55 parce que la plupart du temps il est invariable

03:57 donc c'est vraiment des cas très particuliers où on va l'accorder

04:00 c'est une perte de temps qu'on pourrait consacrer à distinguer parti passé et infinitif

04:05 et comme le demandait la tribune de septembre

04:09 à écrire, à faire produire

04:12 Il y a quand même des cas où cet accord du parti passé avec le COD

04:16 donne une information, si je dis

04:18 le voisin de ma cousine que j'ai rencontré hier est mort

04:21 si j'écris que j'ai rencontré et c'est le voisin que j'ai croisé

04:24 si j'écris et eux c'est ma cousine

04:26 ça porte une information, cette règle n'est pas complètement absurde

04:30 Oui mais comment vous faites à l'oral ?

04:32 On sait bien qu'il y a une différence entre l'oral et l'écrit

04:34 l'écrit est plus précis, l'oral est plus rapide

04:36 Oui mais à l'oral on se comprend

04:38 et puis dès que c'est...

04:40 qu'est-ce que c'était votre exemple ?

04:43 Le voisin de ma cousine que j'ai croisé

04:45 Voilà, dès que c'est le voisin de mon cousin, vous ne savez pas

04:48 dès que c'est au présent, vous ne savez pas que je croise tous les matins

04:51 Le fait qu'on ne sache pas parfois n'implique pas qu'il ne faudrait ne jamais savoir

04:55 Oui mais c'est vraiment un cas très particulier qu'on ne rencontre jamais

04:59 et cet enseignement, sauf si vous voulez que les élèves reviennent à l'école le week-end et pendant les vacances

05:05 on passe trop de temps sur cet accord pour des cas qui sont vraiment anecdotiques

05:10 nous on le voit dans les grands corpus qu'on étudie en tant que linguiste

05:14 c'est les cas où l'accord ferait une différence

05:17 parce qu'effectivement, en plus on ne l'entend pas

05:19 ce sont devenus beaucoup trop rares

05:22 Dans votre viseur aussi, vous avez dit un peu les règles bébêtes qu'on apprend par cœur

05:26 et qui ne font pas appel à l'intelligence

05:28 mais choux, poux, genoux, les règles...

05:30 Ce ne sont pas des règles, ce sont des exceptions

05:32 Oui, des exceptions

05:33 Les règles justement font appel à l'intelligence

05:35 Mais ces exceptions font appel à un autre aspect d'intelligence

05:38 la mémoire, on apprend par cœur d'abord ces choux, poux, genoux

05:41 on apprend ensuite des poésies, on apprend des textes

05:43 ce n'est pas du temps perdu d'apprendre à apprendre par cœur

05:46 Vous ne préférez pas apprendre des poésies justement que choux, poux, cailloux ?

05:49 parce qu'il faut voir que la règle c'est le pluriel en S pour les noms

05:52 et ce n'est pas le pluriel en S pour les verbes

05:54 donc il y a différentes règles

05:56 mais les noms ont été écrits US

06:00 c'est vraiment une erreur, on a introduit un X qui n'a rien d'étymologique

06:04 ce qui était une abréviation qu'on a confondue avec un X

06:07 et voilà, vous dites des bisous avec un S

06:10 pourquoi pas des bijoux ?

06:12 Quand on est dans le domaine de l'exception

06:14 ce n'est pas une règle justement

06:16 et ça ne fait pas appel à l'intelligence

06:18 et les enseignants nous le demandent

06:20 de retrouver le plaisir d'enseigner et d'apprendre

06:23 et ces US étaient prévus par la grande réforme de 1900

06:27 et beaucoup de temps perdu

06:30 on a mis à jour l'orthographe du français régulièrement pendant des siècles

06:35 tout s'est arrêté en 1878

06:37 on a une langue vivante et une orthographe morte

06:39 si vous ne lisez pas avec l'orthographe de 1990

06:43 vous lisez avec l'orthographe de 1878

06:46 donc il y a une contrainte implicite qui nous est imposée

06:49 sans qu'on s'en rende compte

06:51 Vous plaidez du coup pour une orthographe plus transparente

06:54 et notamment la suppression de certains redoublements de consonnes

06:56 qui ne s'entendent pas

06:58 qui ne sont pas forcément utiles

07:00 et là on arrive sur un autre grand débat

07:02 qui est celui de dans quelle mesure l'orthographe porte une histoire, une étymologie

07:05 quand j'apprends hippopotame avec mon H avec deux P

07:07 j'apprends hippos, j'apprends potamos

07:09 j'apprends le plerdnil, nilpferd pardon, allemand

07:12 le hippopotamus anglais

07:14 une orthographe c'est cinq savoirs en même temps parfois

07:17 Tout à fait, mais une orthographe plus régulière

07:20 ce n'est pas forcément une orthographe plus transparente

07:22 c'est une orthographe plus régulière

07:24 et ces lettres grecques

07:27 on les a réintroduites

07:30 elles n'étaient pas là en ancien français

07:32 en moyen français, on les a réintroduites

07:34 parce qu'on voulait que l'écriture soit réservée à des savants

07:37 à ceux qui connaissaient le latin et le grec

07:40 donc ce qu'on propose tout de suite

07:42 c'est de régulariser des règles d'orthographe grammaticales

07:46 les accords

07:47 pour l'orthographe lexicale

07:49 1990 avait amélioré les choses

07:52 par exemple nénuphar ph c'est une erreur

07:55 c'est un f, ça ne vient pas du grec, ça vient du persan

07:58 pois avec un d c'est une erreur

08:01 ça vient de pensum

08:03 donc il y a beaucoup de...

08:06 ce souci étymologique

08:09 n'a pas été forcément fait par des spécialistes

08:12 donc ça c'est une réforme de plus grande ampleur

08:15 qui devrait être confiée à un collège francophone

08:17 c'est un autre champ

08:19 on pourrait apprendre le latin pour écrire le français

08:21 on pourrait militer pour l'enseignement du latin

08:23 mais en tout cas l'application de la réforme de 1990

08:25 est peut-être même un élargissement de cette réforme

08:27 merci beaucoup Anna Beyer de ces réponses

08:29 votre tribune est à lire dans Le Monde

08:31 je citerai aussi le tract que vous avez fait paraître chez Gallimard

08:33 avec le collectif des linguistes atterrés

08:35 le français va très bien, merci

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